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plus loin, & qu’ellô eût permis d’invertir les compagnies
dans les bataillons, & les pelotons dans
les diyifions, c’eft-à-dire, de placer , quand la né-
ceffité l’exige, le fécond peloton de chaque divi-
lion à la droite du premier, & les divifions dans
le même bataillon là où on le juge à propos.
Pour juger fi l’on doit permettre Ÿinverfion dans
les bataillons & dans les divifions , il faut fçavoir fi
cette inverfion procure quelques avantages : car,
comme on ne doit fe permettre des inverfions dans
les écrits, que lorfqu’elles contribuent à la clarté ou a l’expreflion , de même il ne doit s’en permettre
dans les manoeuvres, que lorfqu’elles contribuent à
la fimplicité ou à la célérité.
Suppofons qu’un bataillon rompu à droite , &
par peloton , eft fubitement forcé de faire'face à
droite ; cette fuppofition n’eft point outrée ; que
fera ce bataillon pour fe mettre en bataillé fans iii-T
vertir les pelotons dans les divifions ? Il Faudra , ou
qu’il fe mette fur la droite en bataille, ou qu’il fafle
un long mouvement pour porter fa droite là où il
avoit fa gauche, ou qu’il fe mette à gauche en bataille
, & qu’il fafle enfuite demi-tour à droite. Le
premier de ces trois mouvements eftlong, & peut
ne pas remplir l’objet ; le fécond eft .infiniment plus
long que le premier, & exige deux tournes à-droite.;
le troifième offre quelques difficultés, & fait perdre
beaucoup de temps. Permettons Ÿinverfion dans les
divifions , & nous aurons trouvé une manière infiniment
fimple & propre d’exécuter cette évolution.
Deux commandements & un feul mouvement fuf-
firont : Chefs de peloton à /’aile droite , & à droite en
bataille. Je conviens que le fécond peloton de
chaque divifion fera à la droite du premier, que la
droite de la fécondé divifion n’appuyera pas à la
gauche de la première ; mais ce petit inconvénient
eff-il comparable à ceux que préfentent les ma-,
noeuvres qui préviennent Ÿinverfion ? On devroit
donc , dans cette circonftance, & dans toutes
celles du même genre, permettre l’inverfion; car
elle ajoute à la fimplicité & à la célérité de la manoeuvre
: elle ne confond, ni les rangs , ni les files,
ni les divifions ; & l’on peut reporter, par des manoeuvres
très fimples,le bataillon à fon ordre dired ;
condition eflentielle dans route efpèce ÿinverfion.
On devine aifémentla raifon qui obligeoit autrefois
les tadic«ens à proferire Ÿinverfion : ils crai
gnoient que des troupes exercées rarement & fans. !
principes , uniquement conduites par l'habitude & j
une vieille routine, ne perdiflent la fuite de leurs
opérations, & ne fçufîent plus ce qu’elles dévoient
faire dès l’inffant où elles ne feroient ni placées ni
formées de la manière ordinaire : mais on ne conçoit
point la raifon qui a engagé fa majeflé impériale
à bannir expreflement les inverfions , & à défendre
même les tiercements ; & on ne peut deviner
les motifs qui ont déterminé les tadiciens de nos
jours à imiter leurs prédécefleurs. Si nous n’avons
pas tiré de la paix dont nous jouiflons, touts les
avantages qu’elle devoir naturellement nous pro^ {
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curer, nous avons réuffi cependant à înffruire aflez
bien les officiers & les bas-officiers de nos troupes ,
pour ne plus craindre de les voir s’égarer pour
quelques inverfions légères , & ne plus favoir retrouver
leurs places ordinaires. Ne courant donc
aucun danger en permettant les inverfions , nous
pouvons les admettre ; je dis plus, nous devons les
autorifer, & même les ordonner. S’il peut en effet
arriver à l’armée qu’une compagnie foit détachée ,
& que cette compagnie placée par fon rang dans lé
premier bataillon, ne puifle prendre place que dans
le fécond ; fi vous pouvez être obligé de combattre
le lendemain ou fur - lendemain d’un tiercenient,
( voye^ T ie r c em e n t ) ; s’il peut furvenir pendant
un combat mille événements qui portent le troublé
& lç défordre dans votre ordre primitif & habituel j
vous devez, afin que ces changements inopinés ne
produifent aucun effet dangereux, vous devez accoutumer
vos officiers & vos ibldats à manoeuvrer
dans toutes les pofitions imaginables , & les habituer
à fe maintenir dans l’ordre le plus régulier , au
milieu du défordre le plus grand : fi vous ne prenez-
pas cette précaution , que la purdence diéle, fi vous
ne faites pas quelquefois cet exercice, que la raifon
demande * vous verrez l’incorreétion , l'incertitude
& le trpuble même, régner dans vosntroupes
au moment où l’harmonie y ieroit la plus nèceflaire.
Pourvousconvaincrédecette vérité, faites manoeuvrer
aujourd'hui un régiment dans fa formation habituelle
, .vous verrez l’ordre & la précifion rég ner
dans fes mouvements ; tranfportez demain quelques
pelotons, du demi-rang de droite du premier ba-~
taillon , dans le demi-rang de gauche du fécond, &
quelques-uns du demi-rang de droite du fécond ,
dans le demi-rang dé gauche du premier, & vous
verrez le défordre régner dans touts les mouvements.
Mais n’allez-rpas fi loin ; donnez feulement
pour commandants- à deux ou trois de vos pelotons
. un lieutenant d’une autre compagnie.; placez
au premier rang quelques fol dans qui occupent ordinairement
le troifième , & vous verrez un effet
p efque femblable à celui que je viens de décrire»
O u t, fi je n’ai point été groffièrement trompé par
des expériences répétées, vous ferez convaincu par
cet effai, que vos troupes font exercées trop fymmé-
triquement ; que les chefs de corps s’occupent trop
de la parade, & point-affez de la guerre ; de ce qui
eft brillant , & point aflez de ce qui eft folide;
qu’on ne fait point en France, dans le cours d’une
année , deux exercices vraiment militaires; & vous
ferez forcé de convenir qu’un des moyens les plus
furs de remédier à la plupart de ces vices , confifte à
permettre & à ordonner même de faire fouvent
ufage pendant la paix des inverfions les plus fortes.
Q u e lq u e naturelle que foit cette conclufion, je
ne i’aurois peut-être pas exprimée, fi je n’avois eu
pour appui un militaire dont la réputation eft fondement
établie. L'auteur de Y Effai général de Tactique
, dit formellement, tome premier ,• chapitre
IX , §. I I , numéro 6 : Vinverfion n’eft qu’un pré-
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jugé puérile & nuifible, une veille erreur qu’il faut
détruire. Auffi met-U indifféremment à la tête des
colonnes qu’il forme , la divifion que les circonf-
tances y placent, & fe met-il en bataille fans examiner
fi fa droite primitive eft devenue fa gauche ,
ou fa gauche fa droite. _ f. j
Quant à Ÿ in v er fion des divifions dans les bataillons,
elle n’eft néceffaireque dans le déployement
des colonnes : mais alors elle peut être indifpen-
fable ; car elle ajoute à la célérité & à la fimplicité.,
Suppofons une colonne d’un bataillon qui a.la droite
en tête , & qui eft ferrée en maffe ; fuppofons encore
que cette colonne vient de paffer un défilé ;
qu’elle doit fe déployer tout de fuite , & qu’elle
eft arrivée derrière le centre du terrein qu’elle doit
occuper ; que fait-on alors pour ne pas invertir les
divifions ? On fait à d ro ite à toutes celles qui fe
trouvent au-defliis de la divifion d’alignement, & à
g a u ch e à toutes celles qui fe trouvent aü-deflbus
fes divifions font obligées , pour démafquer la divifion
d’alignement , de marcher par leur flanc ,
défaire enfuite front.,& de marcher en avant plus
ou moins longtemps. La divifion d’alignement ,
quand elle eft démalquée , ce qui n’eft point court,
fe porte elle-même en avant, & fait halte auffi-tôt
qu’elle a joint les points de direâion. Pendant tout
le temps qui s’écoule nécefîairement entre l’exécution
de ces différents mouvements , la colonne a-t-
elle quelque force ? n’eft-elle pas privée de toute
efpèce de feu ? permettons Ÿ in v e r f io n , & nous verrons
naître un nouvel ordre de chofes.
Si l’on avoit une fois pofé pour principe , qu’on
peut fe permettre d’inverrir les pelottons & les divifions
dans les bataillons, alors toute colonne,
de quelque manière qu’elle fût formée, & dans
quelque circonftance qu’elle fe trouvât, fe déploye-
roitfur la divifion qui en formeroit la tête ; alors ,
le déployement feroit beaucoup plus v i f , & la
colonne ne fe trouverôit jamais dans un état de foi-
bleffe femblable à celui qu’elle éprouve aujourd’hui
au moment de fon déployement : fa tête n’ayant
ancun mouvementé faire, commenceroit fon feu
des l’inftant où elle feroit arrivée fur la ligne dé di -
reâion, & éloigneroit ainfi les troupes légères qui
voudroient nuire à fon déployement. Nous ne développerons
pas ici touts les avantages de ce principe,
nous ne répondrons pas à quelques foibles objections
qu’on pourroit nous faire ; nous réfervons
ces détails pour l’art. Ma noe u v r e s d e l' in f a n t e r
ie : nous efpérons y prouver avec clarté, géométriquement
& militairement, que les petits inconvénients
des in v e r f io n s , font bien rédimés par la
célérité, la fimplicité & la fureté du nouveau principe
de déployement que nous venons d’offrir. ( C. )
INVESTISSEMENT. Opération par laquelle on
forme avec des troupes les avenues d’une place.
Son objet eft d’empêcher que la ville ne puifle
recevoir aucun fecours , foit d’hommes , foit de
provifions : c’eft une préparation pour l’affiéger
.dans les formes.
Art militaire. Tome III.
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Vinvejlijfement doit être fait de nuit, avec^de la
cavalerie , afin d’empêcher qu’il ne forte ou n’entre,
plus rien dans la place qu’on inveftir. Il faut auffi ,
le plus promptemenlt qu’il fe peut, faire arriver l'infanterie
, & mettre les trôüpès hors la portée du
canon pendant le jour, pour qu’elles foyent moins
expofé’es au feu de‘ la place , mais les approcher
beaucoup plus pendant la nuit.
On ne doit fe montrer d’abord devant la place ,
que par des détachements qui , pouffant de touts
côtés jiifqu’aux portes.de la ville, enlèvent tout ce
qui fé trouve dehors, hommes & beftiaux. Ces
détachements doivent être foutenus par quelques
efeadrons qu’on fait avancer autant qu’il eft né-
ceflàire. Il eft même avantageux d’effuyer quelques
volées de canon pour avoir lieu d’en remarquer la
portée.
Pendant que cette petite expédition fe fait , on
doit fe faifir de toutes les avenues favorables aux
fecours qui pourroient fe jetter dans la place. On
forme pendant la nuit une efpèce d’enceinte autour
de la place, enforte qu’il ne refte aucun efpace
par où l’ennemi puifle pénétrer. En cet état, on
tourne le dos à la place , & on difpofe de petites
gardes devant & derrière, pour n’être point furpris.
Enfin, on fait tête à l’ennemi, de quelque coté
qu’il puifle fe préfenter, tenant toujours la moitié
de la cavalerie à cheval, pendant que l’autre met
pied à terre , pour faire un peu repofer les hommes
& les chevaux. Le matin, on fe retire peu-à-peu
avec le jour, faifant fouvent halte, jnfqu’à ce que lç
lever du foleii donne lieu de fe retirer au quartier.
On pofe des gardés ordinaires , qui font tète à
la place, W d’autres plus fortes fur les côtes par ou
les fecours pourroient arriver. Après quoi, les efeadrons
qui ne font pas de garde , fe retirent au camp
pour fe repofer, fans fe déshabiller ni défeller les
chevaux, qu’autant de temps qu’il eft nèceflaire
pour les panfer.
Dès le jour même que la place eft inveftie , l’armée
fe met en mouvement pour arriver devant
avec l’artillerie & les autres chofes néceflajres au
. fiège. Lorfque l’armée eft prête d’arriver , le lieutenant
général qui a fait Y invejlijfement, va au-devant,
pour rendre compte au général de ce qu il a fait ,
lequel, fur le rapport de cet officier , règle la dernière
difpofition pour le campement d e l’armée autour
de la place.
Le général fa it, le lendemain de fon arrivée ;
le tour de la place, pour en finir la circonvallation
, & diftribuer les quartiers aux troupes & aux
officiers-géneraux. Il règle auffi le quartier-général
, celui des vivres , le parc .d’artillerie , &c. ; ce
qui étant fait, les ingénieurs tracent la circonvallation
, afin que les troupes puiffent marquer leur
camp & demeure ; ce qui fe fait en établiffant
front de bandière parallèlement à la circonvallation
& à la diftance de 6o , 8o , ioo ou iao toifes
au plus. Foye^ P la c e s £ a t t a q u e d e s ) .