
pendant la guerre. Comment a-t-on trouvé ces règles
générales ? Après qu’on eut fait un grand nombre
d ’obfervations particulières fur les caufes des défaites
& des vidoires, & qu’on les eut raffemblées ,
on s’apperçut qu’on avoit été viétorieux toutes les
fois qu’on avoit agi de telle ou telle manière,&
qu’on avoit été vaincu toutes les fois qu’on avoit
tenu une conduite oppofée: delà, on conclut qu’il
falloit dans des circonftances femblables , imiter les
vainqueurs, & éviter les fautes que les vaincus
avoient commifes : de cette première conclufion ,
& de toutes celles qu’on tira par la fuite de la com-
paraifon des obfervations qu’on eut lieu de faire ,
Sortirent une foule de maximes militaires, toutes
bonnes en elles-mêmes, mais foibles, parce qu’elles
étoient ifolées , 8c parce qu’il en manquoit peut-
être quelques-unes d’intermédiaires. L’art de combattre
étoit donc trouvé ; mais celui des combats
ne l’étoit pas encore. Enfin , un homme doué d’un
cfprit d’ordre 8cde règle, parut : peut-être n’étoit-il
pas militaire ; car comme ce ne font ni les poètes
ni les orateurs qui nous ont donné les premières
méthodes , il y a apparence que ce n’eft pas un militaire
qui a fait le premier art de la guerre : quoi
qu’ihen foit, cet homme raSembla les préceptes fur
l ’art de la guerre , épars dans les livres 8c dans la
mémoire des guerriers ; il les mit en ordre, il les
claffa , il les rcduifiten principes généraux , 8c il en
forma une chaîne non interrompue , en fuppléant
aux idées intermédiaires qui manquoient : alors
l’art de la guerre fut créé. S’il eft vrai, comme nous
venons de le dire, qu’on a commencé par faire des
obfervations , qu’on ne peut apprendre que des
faits, que ce fonr les exemples particuliers qui ont
été le plus généralement 8ç le plus clairement compris
; fi les règles générales ne font que le réfultat
de la comparaison de nos idées , réfultat auquel l’ef-
prit donne des noms pour avancer plus aifément
dans les raifonnements, pour renfermer toutes fes
obfervations dans des termes d’une étendue générale
, 8c pour les réduire à de courtes règles ,
pourquoi intervertir la marche de l’efprit humain ,
en faifant acquérir aux autres les connoiflances fur
l’art de la guerre , dans un ordre contraire.à celui
que les premiers ont fuivi, 8c à celui que nous fui-
vons nous mêmes ? Les règles générales ne font
bonnes que pour les perfonnes qui font déjà inf-
truites , 8c à qui il ne manque que de l’ordre dans
leurs connoiflances : mais il faut conduire ceux qui
lie font point encore inftruits , d’obfervations particulières
en obfervations particulières , jufqu’à ce
qu’ils en aient raflemblé un aflez grand nombre
pour fe former eux mêmes des règles générales.
C ’eft ainfi qu’un inftimteur habile, qui veut former
fon éleve dans l’art des orateurs ou des poètes ,
commence toujours par lui faire lire les morceaux
les plus beaux des ouvrages faits par les plus eflimés
d’entr’eux , 8c n’a recours que très tard aux leçons
des rérheurs ou à celles qui font confignées dans
nos poétiques, - . „ ' . I
Si l’on ne ‘pouvoir faire des obfervations militaires
que fur un champ de bataille, je conviens
qu’il faudroit à chaque homme, pour apprendre
l’art de la guerre , autant de temps qu’il en a fallu
aux peuples pour porter cet art au degré où il eft
monté ; que cette méthode feroit impraticable , ou
qu’elle ralentiroit infiniment les progrès de l’efprit
humain: mais comme nous avons le fecours des
ouvrages hiftoriques , comme ces ouvrages ne font
autre chofe qu’un recueil d’obfervations ,8c comme
ils offrent aux militaires touts les faits qu’ils ont be-
foin de comparer, la méthode que nous propofons
eft naturelle, facile 8c fûre: elle a d’ailleurs plu-
fieurs autres avantages ; elle écarte les dégoûts
qu’un jeune homme ne peut manquer d’éprouver
lorfqu’il veut charger fa mémoire de mots qu’il
n’entend point, de chofés dont il ne fent pas les
avantages : cette méthode excite dès la première le çon
, l’émulation la plus vive , parce que l’élève
juge par les connoiflances qu’il a acquifes, qu’il
peut en acquérir d’autres avec facilité, 8c parce que
fon amour-propre, flatté de fes premiers progrès ,
lui fait defirer d’en faire de .nouveaux : elle l'inf-
truit fans efforts , parce qu’au lieu d’étaler des principes
, elle réduit la fcience militaire à Yhifioire des
obfervations, des expériences 8c des découvertes ;
plus l elève s’inflruit, plus il a de facilité à s’inf-
truire ; 8c fi le temps de fon éducation eft trop
court, il peut fans fecours , 8c par lui même, acquérir
les connoiflances qu’ôn ne lui a pas données.
Enfin , comme il eft prouvé que celui qui n’a
pas réfléchi, n’eft pas inftruit, ou qu’il l’eft mal ,
8c que notre méthode eft uniquement fondée fur la
réflexion , fi quelque chofe échappe à celui qui l ’a
fuivie, il retrouve facilement ce qu’il a oublié ,
parce que les réflexions qui lui font devenues familières
, tiennent les unes aux autres -, 8c peuvent
toujours le reconduire où elles l’ont déjà mené.
De ce que nous venons de dire, il réfulte clairement
que pour apprendre l’art de la guerre , il
faut commencer par l’étudier dans Yhifioire : mais
ce n’èft pas tout : nous devons montrer encore que
la leélure de Yhifioire eft préférable à la pratique de
la guerre 8c à l’étude des ouvrages didaâiques.
Nous croyons avoir prouvé évidemment les
avantages de Yhifioire fur la pratique de la guerre ;
( voye%_ la plupart des articles de ce dictionnaire, 6»
principalement la première feftion de Varticle C apit
a in e , & le paragraphe fécond de la fécondé feElion
de l'article G énéral) , il ne nous refte donc qu’à
montrer la vérité de la dernière de nos propofitions.
La plupart des auteurs didaéliques militaires
françois ,-qui ont précédé Folard , ont écrit fans
art 8c prefque fans méthode: il femble qu’ils fe
font fait un mérite d’être obfcurs , ou polir cacher
leur ignorance à leurs propres yeux , ou pour
éblouir ceux du public, qui trop Couvent admire
ce qu’il ne comprend pas : ils fe-font fervis d’ua
ftyle fi dur, ils ont employé des mots fi barbares ,
que leurs contemporains avoient fans doute beaucoup
coup de peine à les entendre , ou du moins peu de
plaifir à les lire. Auroient-ils imaginé que l’inftrùc-
tion doit être fèche, aride, 8c même rebutante
Ne fçavoient-ils pas que la nature a embelli tout ce
qu’elle a voulu nous faire aimer; que la vérité la
plus utile a toujours befoin de.qüelqu’ornement ?
Auroient-ils cru , en un mot, qu’il eft défendu à
l ’homme de guerre qui cherche à inftruire fes compagnons
de facrifier aux grâces ? Les militaires qui
ont écrit depuis Folard, o n t j ’en conviens , évité
une partie des fautes dans lefquelles leurs prédécef-
feurs étoient tombés ; mais ils ont donné dans quelques
autres erreurs peut-être non moins dange-
reufes. L’un eft un homme à fyftèmes, qui voit les
objets non tels qu’ils fon t, mais tels que fon intérêt
les lui montre ; l’autre eft un guerrier fubal-
terne , qui petit, confondu dans la foule , 8c placé
fur un terrein peu élevé, parle de ce qui s’eft paffé
aurour de lu i , comme fi par fa pofition 8c fa taille ,
il eût dominé tout ce qui i’environnoit ; celui-ci eft
l’écho d’un grand dont il attend fon avancement :
pour flatter fon Mécène* il en adopte les idées ,
mais il rétrécit fon génie ; fa fortune n’en fera point
augmentée , 8c fa gloire en fera ternie ; celui-là ,
fervile copifte de ceux qui l’ont précédé , n’ajoute
qu’un nom à la lifte des feâateurs de quelqu’opi-
nion faufle ou outrée , quoique très-ancienne ; un
autre noyé dans un grand nombre de pages, des
idées qui étoient déjà très claires , 8c qu’on devoit
plutôt concentrer qu’étendre ; celui-ci emploie fes
talents à défendre un fyftéme dont il a reçonnu !a
fauffeté , mais qui, par fa fingularité, peut lui faire
un nom dans le monde; celui-là veut jetter du ridicule
fur un écrivain qui ne penfe pas comme lu i,
8c s’occupe très peu à répandre de la lumière fur
l’objet de la queftion ; cet autre , critique malin ,
détruit tout, pe reconftruit rien, 8c fe fauve fous
le mafque dè l’anonyme ; un dernier enfin, car il
faut mettre des bornes à cette énumération , promet
beaucoup , tient peu , prend le roman pour
Yhifioire , donne des conjeéhires pour des réalités ,
des fophifmes pour des raifonnements, 8c des rêves
pour des obfervations.
' Nous avons cependant, il faut en convenir,
quelques bons ouvrages didaéfiques : il en eft, fans
doute , dont le plan eft tracé avec fagef le8c exécute
avec précifion ; dont le ftyle a le genre de
nobleffe, d’élévation & d’énergie qui convient à
un écrivain militaire : il én;eft fur lefquels on a répandu
aflez d’ornements pour les rendre agréables,
8c point aflez pour voiler la vérité;il eft enfin des auteurs
militaires qui ent fçu être concis fans être ©bf-
curs ,'clairs fans être diffus, 8c qui ne donnèrent à
chaque objet que le degré d’importance qu’il mérite.
Mais qui apprendra aux jeunes guerriers à les
reconnoître ces ouvrages précieux ? Q ui leur enfei-
gnera à diftinguer dans chaque écrivain , ce qui eft
™ic*l-°Cre ^ avec ceL Mauvais ; car il eft très
difficile , il eft même prefque impoflible qu’un feul
homme ait tracé toutes les parties de l’art de la
Art militaire. Tome III.
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gtieffe l avec la même force, la même profondeur,
la même clarté 8c la même fagefle. Per fon n e , je
penfe , ne voudra entreprendre un ouvrage fi difficile,
fi ingrat 8c fi dangereux; 8 c s ’il fe.trouve
jamais un militaire aflez hardi pour citer à fon tribunal
touts ceux qui ont écrit fur l’art de la guerre ,
qui nous affurera que cet homme a lui-même aflez
de talents pour juger fes maîtres ; qu’il eft dénué de
préjugés & de pâmons ; qu’il ne tient à aucun parti,
à aucune feéle ; en un mot, qu’il ne peut fafeiner
nos yeux par fa prévention , ou nous égarer par
fon ignorante ?Un travail aufli confidérable, auffi
épineux , ne peut être fait que par une académie
militaire ; 8c fi nous étions jamais aflez heureux
pour en voir une s’élever dans le palais de nos
rois , elle s’occuperoit fans doute plutôt à nous
fournir un nouveau traité de l’art militaire, qu’à
apprécier les ouvrages nombreux que nous poffé-
dons.
Si l’on demandoit quels livres liront donc les
militaires jufqu’au moment où ils auront ce traité
fur l’art de la guerre, qui ne peut, félon vous ,
être compofé que par une fociété qui n’exiftera peut-
être jamais ; je répondrois : ils liront les livres dont
les auteurs ont pris la précaution d’appuyer chacun
de leurs principes fur un grand nombre de faits
hiftoriques ; tout écrivain militaire qui ne nous
.guide point le flambeau de Yhifioire à la main , ne
mérite point notre confiance ; la guerre n’eft point
un de ces arts où l’on peut laifler à une imagination
féconde le foin de tracer chaque jour des
routes nouvelles ; l’homme fage n’indique que
celles qui ont mené à la vi&oire les généraux des
fiècles précédents ; mais puifque Yhifioire eft la
fource d’où les écrivains tirent les connoiflances
qu’ils nous tranfmettent , pourquoi n’irions-nous
pas y puifer nous-mêmes ? En prenant ce fo in ,
nous ferions àffurés d’en rapporter desjeçons pures
8c exemptes de toute mixtion, dangereufe, 8c nous
ne craindrions pas qu’elles euflent été dénaturées ,
ou qu’elles euflent perdu une grande partie de leur
vertu en paflant par des mains étrangères. La
route qui conduit à cette fource eft très aifée ,
nous le prouverons avant la fin de cet article ; elle
eft agréable par la diverfité des objets qu’elle nous
offre : 8c ces objets fi variés , qui ne femblent pla-
cés-là que pour nous récréer , ne laiffent pas de
nous être infiniment utiles. Mais abandonnons une
comparaifon que nous pourrions Suivre beaucoup
plus longtemps ; dans un fujet aufli vrai que le
nôtre , on peut fe difpenfer de recourir-à l’art des
orateurs, 8c il fuffit d’expofer les faits avec finir
plicité.
Les ouvrages didafliques ,; pùffent-ils enfeigner
la guerre atiffi-bien que'lés ouvrages hiftoriques,
il refteroit encore à ceux-ci l’avantage de procurer
une foule d’autres connoiflances néceffaires ou
au moins utiles aux guerriers , 8c qui leur font
agréables, même dans les cercles les plus frivoles.
Ëftnl un ouvrage didaâique qui puiffe , comme