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cochimes, enfin de tout ce que le royaume a
d’hommes foibles ou viciés.
Ne voulant point remédier à des maux auffi
cruels en changeant la conftiturion aéluelle , au
moins faut-il les diminuer en prenant des moyens
plus avantageux à l ’état, & moins à charge aux
citoyens que ceux dont on s’eft fervi jufqu’à présent.
Précaution d’autant plus fage, qu’en s’attachant
aux différentes ordonnances de 1776 , l’armée ,
fans y comprendre les troupes provinciales , les
carabiniers, la gendarmerie 8c la maifon du roi ,
devroit être composée de 231,464 hommes , tandis
qu’elle a à peine aâuellement 14.0000 hommes ,ce
qui fait un déficit de près de 100,000 recrues qu’il
faudroit fe procurer au moment de la guerre.
Quels font les moyens qui peuvent affurer à l'état des
dèferteurs qui puiffent completter en tout temps les
régiments 9 & combattre pendant la guerre ?
La véritable conftitution de l ’état a toujours con-
fifté dans l’obligation que chaque fujet contrarie
en naiffant, delervirfa patrie & de la défendre.
C e devoir eft le lien de la fociété, & ce concours
pour la défenfe commune eft une des premières
vues de toute affociation politique; mais l’état auquel
il faut continuellement des magiftrars, des
min'iftres de la religion , des laboureurs, des arti-
fans, n’a pas toujours befoin de fe défendre, parce
qu’il n’eft pas toujours attaqué & en - péril.
Malgré cette vérité intéreffante , lesSouverains , ;
depuis plus de deux fiècles , ont fuivi le lyftème !
nuifible d’avoir des armées continuellement fur
pied ; il feroit peut être trop difficile de détruire
un mal devenu néceffaire , mais on doit s’attacher
à le diminuer ; on doit borner au nombre abfolu-
ment effentiel un corps qu’on n’employe prefque
jamais utilement pour lui ou pour l’état ; qui fe
forme en partie, aux dépends des profeffions utiles
à la fociété, & qui dévore fes membres en ne leur
procurant qu’une fubfiftance modique, & en leur
interdifant les moyens de fe reproduire par le mariage
-
Il y a près d’un fiècle qu on s’eft accoutumé à ne
voir la grandeur du royaume que dans de nom-
breufes armées ; on n’a pas voulu réfléchir que cet
état de force nous, affoibliffoit ; en effet , jamais
chez nous la paix ne fait finir la guerre; après la
fignature dès traités, nos laboureurs reftent encore
enrégimentés & nos terres .en friche. Un grand
nombre de régiments font difperfés dans nos garnirons
, & ces troupes accablent l’état autant .par
les dépenfes immenfes qu’on fait mal-à-propos pour
elles, que par le tort qu’elles font aux arts & à
l ’agriculture.
Nous ne fommes donc jamais préparés aux frais
que peut occafionner une nouvelle'guerre, parce
qu’en temps de paix nous ne diminuons que bien
peu les dépenfes qu’on a faites dans la guerre pré-
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cédente. Tandis que nos ennemis refplrent Scre»
prennent de nouvelles forces pour nous combattre
, nous reftons dans l’agitation, & on pourrait
demander à la politique, pourquoi , en temps
de paix, nous renfermons aufli inutilement tant de
foldats dans nos villes de guerre ?
On fait cependant qu’il faut fe préparer des ref*
*ources. On fait qu’au moment de la guerre il faut
pouvoir défendre le royaume, & même attaquer
1 ennemi chez lui. Dans les circonftances les plus
ordinaires , les troupes actuellement fur pied ne
fuffiroient pas ; mais il eft des moments encore
plus malheureux où le royaume, attaqué par des
ennemis nombreux & puiffants, doit avoir befoin
d un beaucoup plus grand nombre de foldats pour
le défendre ; & depuis qu’on fe fert de l ’infanterie
fur les vaiffeaux & dans les colonies pour leur
défenfe , on eft néceffité d’avoir un bien plus
grand nombre de combattants au moment de la
guerre ; d’où il doit s’enfuivre des difficultés prefque
incalculables, même pour porter au complet les
régiments confervés pendant la paix, il faut donc
chercher des moyens fuffifants pour remplir à
propos 1 un & l’autre objet ; ne faudroit-il pas les
chercher , comme on l’a déjà fait, mais d’une maniéré
très différente ,dans un corps de milice qu’on
ne mettrait fur pied en entier ou par partie qu’au
moment de la guerre ; ce corps feroit compofé de
citoyens qui continueroient de vaquer à leurs affa
ire s pendant la paix, & n’en feroient diftraits
que très rarement pour s’occuper des exercices militaires
, ils eomplerreraient les légions clans touts
les temps, & pendant la guerre on en feroit marcher
la quantité qu’on croirait néceffaire pour la
garde des côtes , des frontières , &c.
Quels font les moyens les plus avantageux pour tétat
& les moins à charge aux citoyens, pour lever 6*
entretenir le corps de milice quon croit nécejfairc
. en France ?
La levée des hommes deftinés à completter nos
milices , la manière dont on les entretient , J’inf-,
truâion qu’on donne aux officiers & aux foldats
la formation de ces corps , enfin tout ce qui en dépend
ou ce qui y a des rapports , paraît exiger des
changements devenus néeeffaircs pour le citoyen
& pour l’état.
Comment expliquer l’inconféquence de la nation
furies idées qu’elle a prifes & confervées de nos
milices'} Comment concevoir qu’on ait attaché une
efpèce de mépris à des corps compolé de citoyens
choifis ? On eft forcé dé louer la fermeté & la bra^*
voure qu’ont montré ces troupes dans toutes les
occafions ; & par un contrafte qui tient à Tefprit
de la nation , on s’arrête à l’extérieur & on s’y attache.
On ne paffe pas à un foldat de nos bâtât lions
provinciaux, la manière ;dont il eft vêtu & la
maladreffe avec laquelle il fait fon fervice loffi*
qu’on les affemble, On les compare à nos foldats
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fi bien tenus & fi bien dreffés ; en ne veut pas voir
que ces derniers ne font que des hommes fubor-
nés, que le' temps & la difeipline ont formés , &
dont, pour la plus grande partie , rien ne peut répondre
de la valeur & de la bonne conduite ; tandis
que le foldat provincial eft un citoyen qui
quitte la bêche, la charrue ou fon métier, pour
vêtir un inftant l’uniforme , fe mettre, au^ nombre
des défenfeurs de la patrie, manier peut-être gauchement
fes armes , faire pefamment des manoeuvres
, mais dont les moeurs & la profeflion répondent
de la fageffe & de la bravoure.
Il eft vrai que des caufes bien connues ont inf-
piré au peuple pour le nom & l’état de milicien ,
une horreut & un éloignement malheureufement
trop bien fondé ; trop fouvent on 'a fait éprouver
aux miliciens des traitements cruels; on en a fa-
crifié une grande quantité à la guerre ; on a trop
multiplié les exemptions ; on a mis trop peu de
foins dans la manière dont on lève les milices ; les
personnes choifies pour préfider à ce travail s’en
font fouvent occupés avec partialité & injuftice ;
tout enfin a femblé concourir à augmenter les abus
qui pouvoient nuire à cette partie précieufe de
notre militaire.
Cependant il eft utile, il eft même néceffaire
d’avoir des citoyens qui puiffent toujours fe raffem-
bler pour combattre au premier befoin : mais l’exécution
de ce projet femble fufceptible de plufieurs
tempéraments q u i, fans l’exercer , corrigeraient
les inconvénients aâuels , & rendraient les milices
plus avantageufes à l’état, & moins à charge aux
citoyens.v
Dans chaque fociété , il eft effentiel de con-
noître le nombre des hommes qui la compofent,
pour en faire le meilleur ufage poffible.Ce dénombrement
eft néceffaire à la politique , pour les différents
objets qui intéreffent le gouvernement r il
feroit très utile pour la levée des milices \ il aiderait
à claffer les habitants du royaume ; & on s’en
fervir'oit pour diftinguer les citoyens q u i, par leur
emploi dans l’état, ne pourraient fervir que par des
avoués, d.e ceux qui pèuvent & doivent foutenir
cette charge par eux-mêmes : enfin , on diftingne-
rôit dans cette dernière claffe, les hommes occupés
aux travaux de la campagne , de ceux employés
à des objets moins utiles pour la fociété.
En s’appliquant à faire un fort doux & tranquille
aux laboureurs , l’état en eft toujours récorr/penfé
par l’augmentation de fes richeffes en hommes &
en produ&ions. Cette vérité fi importante, a été
ignorée bien longtemps parmi nous : Inexpérience
$k. le temps l’ont démontrée d’une manière bien fen-
fible ; mais le gouvernement y a fait trop peu d’attention.
On a pris la plus grande partie de nos miliciens
parmi les gens de la campagne ; on a forcé,
fans d'iftinélion , nos laboureurs à tirer au fort ;
On a infpiré à nos jeunes cultivateurs , une crainte
qui les a fait fuir de la maifon paternelle. Le fils du
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fermier un peu aifé, a préféré à fon état toute pro-
feffion qui pouvoit éloigner de lui un pareil fa orifice
; & le fils du cultivateur pauvre , a déferté fes
foyers au moment où fon travail pouvoit dédommager
fes parents de la dépenfe de l’avoir élevé ,
8c leur a caufë par fa fuite une perte irréparable.
Ne pourroit-on pas , pour parer à ces inconvénients
ne pas faire tirer au fort les gens de la campagne
qui font attachés à l’agriculture , & leur permettre
, dans chaque paroifle , d’enrôler librement
le nombre d’hommes qu'ils devraient fournir &
d’en répondre ; ce moyen affureroit, ce femble, la
tranquillité des laboureurs , la population 8c la culture
des terres.
Quant à la claffe des citoyens que leur naiffance ,
leur état, ou leur emploi éloigne de la profeffioiï
des armes , elle contribuerait en argent propor-
tionnément à la fortune de fes membres, & ces
contributions ferviroient à enrôler librement le
nombre d’hommes que devroit fournir cette claffe.
La troifième claffe, au contraire , qui contiendrait
touts les autres citoyens, tireroit au fort,avec
la liberté cependant à celui de cette claffe que le
fort aurait fait foldat , de fe remplacer par - un
avoué.
On concevra arfément combien la formation de
ces différentes cîaffes exigerait la plus févère impartialité
.La fureur des privilèges & des exemptions
eft une maladie qui tourmente notre nation depuis
400 ans. Elle relâche fans ceffe les reffôrts du gouvernement
; elle fait beaucoup de tort à la levée
des troupes qui font fur pied , & beaucoup plus
encore à celle des m ilic e s ; le fatal exemple de
prefque touts les ordres de Tétât qui ont voulu
avoir des privilèges , n’eft pas perdu ; dans les
campagnes le payfan , s’il ne peut acquérir des
exemptions, fe preffe du moins d’aller partager, erï
les fervant, les privilèges des hommes exempts ; il
acquiert la liberté par fa fervitude ; & le maître
qu’il prend dans les villes le délivre de mille tyrans
dans les campagnes; l’impôt, la corvée , la m i l i c e
font des maux qu’il laiffe fous le chaume de foiï
père ; un autre eft chargé de le protéger & de le
nourrir; il partage fon pouvoir, fes plaifirs & fois
luxe; il en imite les moeurs, & bientôt il commande
à fes pareils , & méprife des profeffions
pour lefquelles il étoit deftiné ; au moins en éta-
bliffant des diftinâions pour la milice , on aurait d&
s’attacher à n’en pas fouffrir de fufceptibles de
fraudes , d’onéreufes & d’humiliantes pour les
hommes qu’on foumet à tirer au fort.
Enfin, en commettant les fubdélégués pour la le-1
vée des milices , on a ouvert une porte de plus â
Tinjuftice ; eh ! quels font les hommes qui en one
été les viélimes ? de malheureux payfan s fans pro*»
teneurs , qui paffent leur vie à travailler pour Tétât,
ne formant d?alitres voeux que pour le bonheur
de leur roi, & ne' connoiffant d’autres biens
que de payer le tribut avec exa&hude».