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garde d'un nombre de piquiers, & au défaut de
piquiers, de former un rang d’officiers avec leurs
i p an tons , 8c de fergents.& de caporaux avec leurs
hallebardes 8c leurs pertuifannes. ;
Quant à moi, s’il y avoit un nombre fuffifant de
piquiers dans mes bataillons, je voudrais faire
marcher l’armée qui fait retraite dans le même ordre
que repréfente mon troifième plan de bataille ,
avec cette feule différence, que la première ligne
de mon plan marcheroit en couvrant la fécondé ,
& au lieu que les détachements de dragons fuivent
les bataillons renforcés, ils les précéderoient, afin
que le front des combattants fut toujours difpofé
de la même manière que dans le plan.
Ce qui vaudroit encore mieux, feroitde former
l’infanterie en brigades renforcées, de placer la
cavalerie entre deux brigades d’infanterie, & de
laiffer entre une brigade & l’autre l’efpace né-
ceffaire pour qu’elles ne puiffent pas fe bleffer en
croifant leurs feux. Dans cette difpofition , je ne
crois pas qu’il fe trouvât des ennemis affez téméraires
pour ofer charger votre cavalerie au milieu
de deux brigades d’infanterie ; il ne leur fera même
guères poffible de défaire votre infanterie, s’ils
ne marchent qu’avec ce peu de hauteur ordinaire
qu’on donne aujourd’hui aux troupes.
Il n’y a prefque point de plaine qui ne fe rétré-
-cifTe dans quelque endroit ; alors , comme votre
front eft moindre, vous pafferez cet endroit ref-
ferré plus promptement que les ennemis ; & fi
vous êtes obligé de défiler par des portions de la
ligne , vos brigades laifferont paffer votre cavalerie
la première.
Au lieu de brigades renforcées, on pourra former
cinq ou fix colonnes d’infanterie. La cavalerie
marcheroit vers la tête dans les intervalles des colonnes
avec une hauteur fuffifante, afin que le
feu de chaque colonne portât de but en blanc juf-
qu’au milieu de l’intervalle ; de cette manière le
paffage des endroits refferrés feroit plus facile , 8c
comme l’éloignement de l’arrière-garde de la cavalerie
à la queue des colonnes d’infanterie feroit
plus confidérable, les efcadrons feront en fureté
contre le feu que peut faire l'avant-garde ennemie
qui fuit de près , ce qui eft un très grand avantage
, ainfi que je l?ai prouvé ailleurs.
Les ennemis peuvent avoir leur arrière-garde
éloignée, & vous fuivre de fi près avec leur avant-
garde feulement, qu’il n’y ait plus qu’une demi-
lieue de diftance de leur avant garde à votre arrière
garde. Dans ce cas , rangez votre cavalerie
fur un front étendu, & faites-lui mettre pied à
terre pour donner l’avoine , ou du moins pour
foulager les chevaux du poids des hommes ; donnez
ordre de dreffer un rang de tentes, & de tirer
quelques volées de canon contre les partis avancés
des ennemis, pour faire voir que vous avez
de l’artillerie ; étendez fur les ailes quelques détachements
de cavalerie, qui empêchent les ennemis
d’obferver par le flanc ce qui fe paffe derrière |
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cette cavalerie, où l’infanterie, le bagage & f*
groffe artillerie continuent leur retraite. Il eft à
préfumer que les ennemis , qui voyent que vous
avez fait halte., 8c qui, par ces apparences, doivent
juger que vous campez dans cet endroit, fe per-
fuadent aufïi que toute votre armée s’y trouve
raffemblée , par conféquent ils n’oferont s’approcher
de plus près , & ils attendront que leur arrière
garde foit arrivée, qu’elle fe foit rangée en
bataille, & qu’elle fe foit un peu repofée ; dans
ces entrefaites votre armée aura eu le temps de
s'éloigner, & alors votre cavalerie levant le piquet
, pliant en un inftant les tentes , & redoublant
le train des chevaux pour la conduite de votre légère
artillerie, marchera à bon pas pour joindre
.votre infanterie.
C ’eft de cette forte qu’en 1706 le marquis de
Las-Minas fauva fon armée , qui, le jour qu’elle
arriva à Guadalaxara , auroit été. jointe par notre
avant garde , fi ce général ne nous avoit pas trompé
par ce ftratagême.
Au lieu de faire femblant de camper , on peut
foire mine de fe former pour combattre ; alors,
laiffez quelque infanterie, & difpofez-là de manière
que, mêlée avec la cavalerie & fans hau-,
teur, elle repréfente, en apparence , deux lignes,
afin que les ennemis , avec des lunettes d’approche,
voyent qu’il y a de l’infanterie & de la cavalerie ,
& qu’ils ne foupçonnent pas que votre armée continue
fa retraite.
Viriado, général des Portugais, pratiqua pré-
ciféinent tout ce que je viens de dire lorfqu’il entra
dans les terres de Tolède ; il arrêta ainfi l’armée
fupérieure des Romains , qui le fuivoient de près.
11 feroit bon de laiffer un tiers de moins d’infanterie
que de cavalerie, afin de faire enfuite retirer
l’infanterie en croupe>. je dis un tiers de moins,
parce que vous aurez befoin de quelque cavalerie
libre de cet embarras ; d’ailleurs , tours les chevaux
ne fouffrent pas qu’on les monte en croupe ,
à moins qu’ils n’y ayent été accoutumés par avance.
Pour mieux réuffir dans l’une ou l’autre de ces
deux opérations , il foudroit que ce fût après avoir
parte un ravin, un ruirteau ou un défilé, que les
troupes feigniffent de camper ou de fe ranger en
bataille , parce que l’avant - garde des ennemis
craindroir davantage de s’avancer, & cet obftaclé
à furmonter retarderoit le gros de leur armée. II
feroit bon auffi de foire halte dans un terrein- couvert
par des bois , pour mieux cacher la marche de
votre infanterie ; d’ailleurs les ennemis oferoient
moins s’approcher par la crainte de quelque em-
bufcade.
Si le terrein ne vous préfente pas ces avantages
, détachez des partis qui, en courant continuellement
du flanc au centre, 8c du centre au
flanc, élèvent de la pouffière qui empêche les ennemis
d’obfefrver la marche du gros de votre
armée.
Epaminondas, capitaine Thébain , ordonna a
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quelques troupes de cavalerie d’é lever, en courant
de la pouffière entre les deux armées , afin
que celle de Sparte , qui étoit en préfence| n’ob-
fervât point certain mouvement qu’il vouloit faire
faire à la fienne.
S’il n’eft pas poffible de mettre un défilé entre
l’avant-garde ennerriie & votre arrière-garde , les
ennemis ne fe laifferont point tromper par ces apparences
, principalement s’ils font plus forts en
chevaux , parce qu’ils feront avancer toute leur
cavalerie pour charger la vôtre , fuppofez qu’iil
la trouvé feule ou peu accompagnée d’infanterie ;
& fuppofez qu’il la trouve foutenue par toute
votre armée, ils fe retireront vers leur gros. Ce
fage raifonnement fut celui de Philippe V & du
maréchal de Berwick , qui étoit d’avis de foire
charger par toute la cavalerie celle du marquis de
Las-Minas , lorfqu’il faifoit retraite à Guadalaxara;
mais malheureufement ce-fentiment n’étant pas
approuvé des autres généraux , il ne fut pas luivi.
Je conclus donc qu’au cas que vous ayez dë
preffants motifs pour éviter une bataille , & qu’il
ne vous foit pas poffible , par touts les moyens que
j’ai propofés jufqu’ici , de vous délivrer d’être
joint dans votre retraite par les ennemis , il ne
refte d’autre recours que celui d’abandonner dès
charrettes & des' mulets chargés de bagages dans
divers endroits un peu féparés les uns des autres ,
afin que les premières troupes de l’armée ennemie
fe débandent & s’arrêtent pour enlever les
mulets & les chevaux , & pour piller & fouiller
dans les bahuts. Dans ce défordre, l’exemple des
premières troupes fera bientôt fuivi des autres
corps ; quelque rigoureufes que foient les dé-
fenfes, les officiers ne feront plus les maîtres de
retenir les foldats , qui, voulant toutS avoir part
au butin , retarderont leur marche, & vous donneront
peut-être le temps de vous échapper.
Mithridate faifant retraite vers Cyzique , Jaiffa
quelque bagage fur le chemin, où il fit auffi tir
pandre quelque argent, comme fi cela étoit arrivé
parhafard. Les Romains s’arrêtèrent pour ramaffer
ces dépouilles , & les troupes de Mithridate eurent
le temps d’arriver en fureté.
Trifon, tyran de Macédoine , fe voyant fuivi de
trop près par Anfiochus Sidète, fit femer fur le
chemin une groffe quantité d’argent, & pendant
que fes ennemis s’amufèrent à le ramaffer, il eut
affez de temps pour fe retirer à Apamée.
Atale, roi d’une petite partie de l’Afie , voyant
à la bataille de Chio , que le navire fur lequel il
étoit ne pouvoit éviter de tomber entre les mains
des Macédoniens , donna à travers de la flotte ennemie
auprès d’Erythrée ; mais auparavant il mit
fur le pont de fon vaiffeaw tout ce qu’il avoit de
plus précieux dans fon équipage ; les Lacédémoniens
s’amufèrent à piller & à faire du butin, 8c le
navire arriva en fureté à la place.
A la bataille du Taro, Jean-Jacques Triulce,
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général de l’armée de Charles V III, roi de France,
feignit de faire retraite , & mit fon bagage dans un
endroit où les ennemis puffent le prendre, afin
qu’ils fe débandaffent pour le pillage ; ce qui arriva
comme Triulce l’a voit prévu , 8c les François
taillèrent en pièce une grande partie de l’armée
ennemie.
Trois légions Romaines commandées par Cê-
cinna, 8c inverties par Arminius , fe trouvoieat
dans un défordre extrême & fans efpérance de
pouvoir réfifter plus longtemps, lorfque les Allemands,
leurs. ennemis, fe débandèrent tout d’un
coup pour piller l’équipage des Romains. Cécinna
profita du défordre que caufa le pillage, pour fe
retirer avec fes légions dans un terrein plus favorable
que n’étoit les bourbiers où il avoit été
chargé.
Les Maures , fous la conduite de dom Bêla
furent attaqués par les troupes de dom Bermude I I ,
roi de Léon. Les Maures n’ayant pu foutenir le
choc , fe mirent en défordre & plièrent ; mais
ayant obfervé peu après que l’armée de dom Bermude
s’étoit débandée pour piller le bagage, ils
revinrent à la charge avec une nouvelle ardeur,
& pourfuivirent leurs ennemis jufqu’aux portes de
Léon,
On m’oppofe.ra qu’abandonner le bagage à fes
en n em is c ’eft relever leur courage & abaiffer celui
de fes propres guerriers ; j’en conviens ; mais
comme je fuppofe ici que vous êtes en danger de
perdre l’armée 8c l’équipage fi vous vous engagez
dans un combat, il s’enfuit qu’il faut du moins
fauver les troupes, fi l’on ne peut pas fauver l'équipage
; d’ailleurs n’y a-t-il pas infiniment plus
à efpérer d’une armée feulement un peu intimidée
, que d’une qui aura été battue, & dont les
foldats auront été tués ou faits prifonniers ? Je l’ai
déjà dit dans un autre endroit, u le chien vivant
vaut mieux que le lion mort ».
Moyens d'exempter Varmée d'en venir A un combat,
lorfqidelle ne peut éviter d'être jointe dans fa retraite.
Si vous prévoyez qu’il vous eft impoffible d’éviter
d’être joint dans votre retraite en continuant
votre marche, vous devez faire halte dans le terrein
le plus favorable que vous trouverez, & que
vous pourrez fortifier en peu d’heures par les
moyens que j’ai propofé en traitant des difpofi-
tions avant une bataille , parce que les ennemis ,
quoique fupérieurs en nombre, ne pourroient pas,
fans témérité, vous attaquer dans un terrein avantageux
où vous vous êtes fortifié.
Il fe préfente une difficulté, qui eft que les ennemis
comprendront que vous ferez obligé de décamper,
bientôt faute de vivres & de fourrages, &
par conféquent ils fe tiendront toujours en état de
vous fuivre. Je réponds que les ennemis n’auront
pas plus de moyens que yous de fubfifter dans