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ment la marche des ennemis, 8c principalement
celle cle la cavalerie , des charrois & de l’artillerie.
Gafpard Fluhx , général des troupes de Bohème,
en faifant abattre des arbres .pour embarraffer les
chemins, retarda la jonélion des .troupes du roi
Ferdinand & du duc Maurice »avec celles de l’empereur
Charles V ; Végèce, cet ancien écrivain ,
avoit auffi propofè cet expédient.
Lorfqu’il y a dans les bois de la brouflaille fèche,
faites-y mettre le feu par divers parties , après que
votre arrière-garde fe fera un peu .éloignée, ce
qui empêchera les ennemis de traverfer le bois ;
ou s’ils fe réfolvent à le faire , ils feront extrêmement
incommodés par la fumée, qui les mettra en
défordre, & les empêchera même de voir vers
quel côté vous continuez votre retraite. Vos partis
ne mettront point le feu au bois que votre armée
n’en foit entièrement fortie, principalement fi le
vent vient par derrière , parce que les flammes, qui
vont plus vite que les troupes , pourroient les
mettre en défordre 8c leur nuire ; 8c f i , pour éviter
cet inconvénient, on prend fa route par un
des côtés, vous donnez plus de facilité à l’ennemi
de vous joindre.
Baudouin , troifième roi de Jérufalem , marchoit
pour aller faire le fiège de Boftro ; comme il paf-
foit par un bois , les Arabes y mirent le feu, qui
devint fi violent par les flammes que le vent pouf-
foit, que l’armée chrétienne fe vit en danger d’être
entièrement détruite. Dans cette extrémité, Robert,
archevêque de Nazareth, leva en l’air le bois
facré delà croix, fur lequel Jéfus-Chrift avoit accompli
le myflère de notre rédemption , & à l’inf-
tant même le vent ayant changé , l’incendie fe
tourna contre les Arabes. |
En traitant de la conduite d'un général après fa
défaite, j’ai dit en quel temps 8c de quelle manière
vous pourrez, après un combat perdu, empêcher
l ’ennemi viétarieux de vous fuivre dans votre rt*
traite„ foit en inondant un terrein que l’on a paffé ,
foit en détruifant les grains 8c les fourrages que
votre, armée laiffe par derrière, foit en répandant
certains bruits qui obligent les payfans de tranf-
porter ailleurs les denrées que vous n’avez pas eu
le temps de ruiner ou défaire conduire dans des
places fures ; 8c tout cela dans la vue que les ennemis
, faute de trouver de la fubfiftance, ne pniffent
pas vous fuivre dans votre retraite ; ce qui eft beaucoup
plus aifé d’être pratiqué par une armée qui
n’a pas été mife auparavant en déroute. Je dois
pourtant ajouter que l’expédient de ruiner les vivres
& les fourrages n’eft bon que dans la fuppofition
i° . qu’il faut plufieurs jours-de marches avant de
pouvoir arriver à quelque endroit où votre armée
foit en. fureté ; 20. que vos troupes ayent affez de
charrois pour tranfporter les vivres qui leur font
néceflaires, ou pour en aller chercher de temps en
temps dans les places voifines ,car autrement votre
armée ne fouffriroit guères moins que celle des ennemis
»
Du détachement pour difputer aux ennemis les défilés
que votre arrière-garde a pajjes.
Lorfque la fituation du pays ne permet pas de
mettre en ufage les expédients que je viens de
propofer , fi vous avez divers défilés à paffer dans
votre retraite, ayez à votre arrière-garde un détachement
de foldats d’élite, armés à la légère, qui}
après avoir paffé un défilé, fera volte-face , fe rangera
en bataille, 8c fe mettra en difpofition d’arrêter
l ’avant-garde de l’armée ennemie -, pour donner
le temps à votre arrière-garde de paffer le défilé
fuivant, vers lequel le détachement marchera
enfuite pour faire la même chofe, & ainfi d’un
défilé à l’autre , afin que le gros de votre arrière-
garde ne foit jamais obligé de s’arrêter pour corn-
battre.-
Quatidce font dés bois ou de rudes montagnes
qu’on a à paffer, le détachement fera d’infanterie;
mais fi ce font des plaines entrecoupées par de
petites montagnes , le détachement fera de dragons,
parce qu’ils fe fervent de leurs fufils pour
difputer aux ennemis le paffage d’un chemin étroit,
& de leurs chevaux pour fe retirer promptement
d’un défilé à l’autre, ou au corps de l’armée , lorfqu’il
n’y a plus de défilés, ou qu’ils font obligés
de cédera la force fupéri eure4.es ennemis.
Ce fut avec ces mêmes précautions-que le duc
de Mayence & le comte de Mansfeldt firent vers
la Fère cette fameufe retraite , que les écrivains
louent fi fort, puifque fans engager jamais le gros
de leurs troupes contre celles d’Henri IV , roi de
France , ils mirent leur armée en fureté à la faveur
d'un détachement compofé d’un grand nombre
d’officiers 8c des plus braves foldats , 8c qui , fous
les ordres du même duc de May e Ace & de dora
Auguftin de Mexia, meftre-de-camp Efpagnol ,
difputa les paffages à l’armée du ro i, jufqu’à ce
que celle de la ligue fe fût affez éloignée.
Le cardinal archiduc Albert, en décampant d’auprès
d’Amiens., tira grand avantage, d’un corps
volant de deux mille hommes d’é lite, qui, feus
la conduite de dom Diego Piinentel, faifoient face
aux François toutes les fois qu’il étoit néceffaire,
afin de donner le temps au gros de l’armée Efpa-
gnole de continuer fa marche fans inquiétude.
Votre détachement pourroit conferver quelques
légères pièces de campagne tirées par un double
train de chevaux, afin de mieux arrêter avec cette
petite artillerie l’avant-garde/les ennemis, pendant
que votre arrière-garde gagne du chemin. En commençant
à tirer avec ces pièces avant que les ennemis
s’approchent à diflance de rëconnoître la
marche de'votre armée , ils pourroient peut-être
penfer que c’eft-là votre grosi au. lieu d’un détacher
ment ; alors les troupes de l'avant-garde ennemie
feront alte pour attendre le.refte de leur armée,
ainfi que je le ferai voir bientôt par un exemple'du
comte de Las Minas, ; : - ‘-V? ■ ' ,
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S’il n’y a pas une grande diflance entre le détachement&
l’armée, les ennemis n’oferont pas faire
avancer des troupes pour couper le détachement,
parce que fi votre arrière-garde revenott fur les
pas & fi détachement préfentoit deux fronts ,
fun’ pour détenir l’avant-garde ennemie, & l’autre
pour tnveftir la troupe qui s’avance , cette troupe
mife ainfi entre deux feux & chargée des deux
côtés, ne pourroit guères éviter fa défaite ; lorf-
nu’au contraire votre arrière-garde s’éloigne beaucoup
de votre détachement, à caufe que la dtf-
tance d’un défilé à l’autre eft grande que le
détachement veut conferver le défilé , dont il dif-
pute le paffage aux ennemis , jufqu’à ce que votre
arrière-garde ait paffé le défile plus avancé , alors
le commandant du détachement jettera des partis
fur les flancs, pour obferver fi quelque troupe fu-
périeure d’ennemis vient pour le couper ; dans ce
cas , le détachement fe retirera, à moins que les
avenues de l’arrière-garde & du flanc ne fuffent fi
étroites , que le commandant fe crût en état de
les défendre toutes les deux jufqu’a ce que les ennemis
euffent envoyé quelques autres de leurs
troupes pour renforcer celles qu’ils avoient fait
avancer pour couper vo;tre détachement. Dans ces
circonftances on peut prendre les précautions fui-
vantes. - ,
Pendant que les ennemis s’avancent vers le de-
filé, votre détachement tâchera d’embarraffer leur J
paffage, en abattant des arbres , en coupant les 1
ponts, en efearpant les chemins , ou en brûlant la
brouflaille , ainfi que je l’ai dit un peu auparavant.
Il feroit même bon de laiffer dans les paffages les
plus étroits 8c les plus profonds , un ou deux chevaux
à qui on auroit coupé le jarret, ou des amas
de bois allumé ; car quoiqu’il paroiffe que toutes
ces manoeuvres conviennent mieux à un partifan
qu’à un général d’armée, il eft pourtant certain
que le moindre obftacle imprévu retardera^ beaucoup
la marche d’une armée , parce qu’il n’y aura
peut-être pas à la tête de l ’avant-garde les outils
& les inftruments néceflaires pour ôter à l’inftant
cet embarras qui arrête le premier corps. Les
autres, qui ignorent cet inconvénient, continuent
à marcher. Les premiers , pouffés fucceflivement
par ceux de derrière, tâchent de furmonter l’obf-
tacle fans s’amufer à l’ôter, 8c il ne paffé plus qu’un
foldat pendant qu’il en auroit paffé trois. Il ne fuf-
fit pas même alors que le général envoie demander
au train de l'artillerie des inftruments 8c des
matériaux , parce qu’il faudroit trop de temps pour
aller 8c pour retourner, à càufe que les troupes fe
font ferrées extraordinairement.
Deux charrettes que la cavalerie d’Alexandre
Farnèfe trouva rompues fur le chemin , lui cau-
fèrent un grand préjudice, lorfque les troupes
d’Henri IV , roi de France , la pourfuivoient.
Démétrius Phaléréen étant fuivi de fort près par
les Lacédémoniens, les retarda dans leur marche,
en mettant le feu dans un paffage étroit, à quelques
■ drt militaire. Tome III.
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charrettes de fon arrière-garde. Brafiaas fit faire
dans le même paffage des tas de bois , 8c il ordonna
d’y mettre le feu ; ce qui arrêta les ennemis,
& donna à fon arrière-garde le temps de s’éloigner
affez pour n’être plus infùltée , 8c pour fe retirer
en fureté.
Des moyens £ arrêter V avant-garde ennemie.
Votre détachement d oit, fur les flancs de la
marche des ennemis, mettre en embufeade , pendant
la nuit, des petits partis d’infanterie dans les
terreins rudes 8c coupés , 8c de cavalerie dans la
plaine, avec un tambour8c un trompette à chaque
parti, afin de donner l’alarme par le flanc aux ennemis
, qui, vraifemblablement, fufpendront leur
marche jufqu’à ce qu’ils ayent reconnu fi ce n’efl:
point-là quelque groffe embufeade.
C’ eft par un femblable flratagême que M. de
Sérillac fauva le maréchal de Strozzi 8c l’évêque de
Sienne , qui, après avoir été défaits par les Efpa-
gnols, faifoient retraite entre Sienne 8c Montal-
cino. Sérillac donna par le flanc avec quatre trompettes
l’alarme aux vainqueurs. Le comte de Mari-
gnano qui les commandoit, s’arrêta , 8c craignant
une embufeade, il fe retira par un côté, tandis que
le maréchal de Strozzi continua fa marche par un
autre.
Au haut de la première montagne où le détachement
de votre arrière-garde fera halte de jour , il
fe formera fur un feul rang , afin de faire croire
aux ennemis , en préfenrant un plus grand front,
qu’il eft beaucoup plus confidérable.
L’armée des deux Couronnes marehoit en 1708
pour aller faire le fiège de Tortofe ; quatre mille
hommes, qui faifoient l’avant-garde, firent halte
pendant plus d’une heure ; à la fin on reconnut que
ce qui y avoit donné ©ccafion , étoit une rangée
d’arbriffeaux d’une même hauteur plantés au-deffus
d’une montagne pour prendre des grives , & qui,
de loin , paroiffoient effeélivement des efeadrons ,
à caufe qu’on les voyoit plus obfcurs 8c plus ferrés
par le haut, ainfi que cela arrive par rapport
aux corps des hommes 8c des chevaux, qui, rangés
, forment une ligne , dont la partie inférieure
eft plus claire à caufe du jour que laiffent les pieds
des chevaux.
C ’eft par cette raifon que dom Bernardin de
; Mendoza , dit que pour juger de loin du nombre
d’une troupe de cavalerie, il faut regarder aux
pieds des chevaux , 8c que fi l’on voit du jour au
travers , on doit inférer qu’elle n’a pas beaucoup
de hauteur. Il feroit aifé d’être trompé , en ne fuivant
que cette règle , fi les cavaliers laiffoient tomber
par derrière leurs manteaux étendus prefque
jufqu’à terre. Il eft à fuppofer, que pour avoir recours
à.cet expédient, la cavalerie eft poftée fur
quelque hauteur fupérieure à l’endroit d’où les ennemis
l’obfervenr ; car autrement on ne diftin-
gueroit pas ce jour plus d^ir entre les pieds des