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peu en diminuant depuis le milieu jufqu’au talon,
où il y a une efpèce de rebord de plomb ou de
cuivre, du poids d’une demi-livre ; la lance d’un
grand pied de long très aiguë & très tranchante,
ae deux pouces ou environ dans fa plus grande largeur
, avec une petite banderolle fous le fer. Les
Maures fe' fervent de cette javeline avec une
adreffe fur prenante; ils la tiennent à la main par
les bouts des doigts & en équilibre ; & le poids
qui eft à 1 extrémité du talon fait que le côté du fer
eft toujours plus long que vers le talon , ce qui fert
à faire porter le coup plus loin.
M. le chevalier de Folard prétend qu’on ne peut
rien imaginer de plus redoutable que cette arme
pour la cavalerie. Le moyen, dit-il , d’aborder un
efcadron armé de la forte, qui au premier choc
jette un premier rang par terre , & en fait autant
du fécond , fi celui-ci veut tenter l’aventure ,
chaque cavalier étant comme affuré de tuer fon
homme ; car il porte fon coup de toute la longueur
de fon arme , en fe levant droit fur les
étriers. Il fe baille 8c il s’étend jufques fur le cou de
fon cheval, & porte fon coup avec tant de force &
de roideur, qu’il perce un homme d’outre en outre ,
avant qu’il ait eu le temps de l’approcher, & il fe
relève avec la même légèreté & la même vigueur
pour redoubler encore. Le lancier n’avoit qu’un
coupa donner, & ce coup n’étoit jamais fans remède
, l’ennemi pouvant l’éviter en s’ouvrant;
mais rien ne fauroit réfifter contre la lance des
Maures, qui charge par coups redoublés , comme
Ion feroit avec une épée. ( Comment. de Polybe ,
par M. le chevalier Folard ). Cet auteur dédaignoit
toutes nos armes. La connoiffance de l’art de
l ’efcrime & de l’ufage de la cavalerie fait voir clairement
que l’épée eft préférable à la lance maure ;
c ’eft l ’opinion de touts les officiers de cavalerie._
JAVELOT. Elpèce de dard dont fe fervoient les
anciens. Foyeç A rm e s .
JEU. On diftingue plufieurs efpèces de jeux :
nous ae parlerons ici que dzsjeux de kafard ,. des
jeux de commerce & des jeux dadrejfe. Nous chercherons
à faire fentir combien il importe d’éteindre
l’amour que les militaires ont pour les premiers
; de modérer celui qu’ils ont pour les féconds
; d’exciter & de fortifier ou de faire renaître
même-celui des derniers.
| I.
Jeux de hafard.
De toutes les paffions dangereufes qui germent
dans l’ame des militaires , la plus funefie , c’efi ,
fans doute , l’amour des jeux de hafard.. Ceux que
cette paffion domine conviennent, eux-mêmes,
qu’en leur donnant chaque jour des inquiétudes
nouvelles, elle les prive du fomnieil, affbiblit leurs
corps , ruine leur fanté, & aigrit leur caraélère ;
qu’en occupant fans celle leur efprit, elle fait qu’ils
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rempli fient a la hâte, fans, goût & fans application,
les devoirs de leur état ; qu’en les rendant
quelquefois poffeffeurs d’une très grofie,femme
d’argent, elle leur infpire le goût du luxe , corrompt
leurs moeurs , & leur donne le défir & la faculté
de corrompre celles des au très; ils conviennent
que cette paffion, loin de céder au temps & de
s affoiblir par la jouiflance, acquiert chaque jour des
forces nouvelles; qu’elle n’enrichit prefque jamais ;
qu’elle renverfe les fortunes les plus folidement
_ établies , & les efpérances d’avancement les mieux
fondées : ils favent qu’elle éloigne de la bonne
compagnie ;'rend la délicatefle moins grande;
dénaturé les liens les plus facrés & les plus doux ;
enfante les paffions les plus viles ; produit les actions
les plus baffes ; altère le bonheur ; flétrit, déracine
& déchire même la réputation : ils n’ ignorent
point qu’elle eft encore , comme elle a été dans
touts les temps , la fource des larmes les plus
amères , des remords les plus cuifants, des inimitiés
les plus ardentes, des duels les plus atroces,
& des fuicides les plus affreux : ils conviennent
enfin que ce vice conduit à touts les autres ; qu’il
efi prefque toujours le moindre de ceux que le
joueur nourrit dans fon ame , 8c cependant ils
vont de fan g froid , mais avec ardeur , s’immoler
eux-mêmes fur l’autel d’une divinité fi malfaifânte.
Le délire des paffions préfenta-t-il jamais une con-
tradiélion plus menfirueufe }
Si les militaires qui font dominés par la paffion
des jeux de hafard manquoient de lumières , nous
raffemblerions ici les fages confeils que les philo-?
fophes & les moraliftes les plus profonds ont con-
fignés dans leurs ouvrages ; s’ils ignoroient les
maux que cette paffion definiéïivê entraîne après
elle, nous retracerions pour eux quelques-uns de
ces événements affreux & de ces fanglanres fcènes
dont nous avons été les témoins, ou dont le récit,
trop vrai, eft parvenu jufqu’à nous ; mais puifque
les joueurs conviennent, ainfi que nous l’avons
déjà dit, de touts les dangers du je u , puifque per-
fonne n’en parle plus éloquemment qu’eux-mêmes,
nous devons fuivre une autre voie ; nous devons
abandonner les moyens qui font fondés fur la
perfuafion, & recourir à ceux qui font fondés fur
la force.; ces derniers peuvent feuls nous conduire
au but que nous défirons fi vivement d’atteindre.
Gomme il efi reconnu que pour détruire fure-
ment lgs effets , il faut remonter aux caufes, nous
allons nous occuper un inftant de celles de l’amour
du jeu; nous ne chercherons cependant point la caufe
primitive & générale de cette paffion ; cette recherche
appartient à l’écrivain chargé du diftion-
naire de morale ; nous devons nous borner à dire
pourquoi la paffion du jeu eft plus confiante , plus
commune & plus violente parmi les François qui
fe font voués à la défenfe de la patrie, que parmi
ceux qui compofent les autres claffes de la fociété.
En parcourant le récit des hifioriens & celui des
voyageurs, on voit que les hommes qui vivent
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dans l’oifiveté & qui manquent de moeurs, ont touts
une grande paffion pour \&sjeux de hafard ; le Lacédémonien
, toujours ad if, 8c dont les moeurs ètoient
févères, les bannit loin de Sparte ; l’Athénien, le
Corinthien, qui vivoient dans la inollefle 8c dans
l’ina&ion , les accueillirent avec empreffement. Le
délire du jeu ne s’empara point des Romains pendant
les beaux fièclés de la république ; mais il devint
commun , 8c même général parmi eux, dès
qu’ils eurent perdu leurs moeurs & qu’ils fe furent
livrés à l’oifiveté ; le Germain ne porta cette paffion
jufqu’à la fureur, que parce qu’il vécut oifif;
8c le fauvage habitant de l ’Afrique , ne fe joue
lui-même , après 'qu’il a perdu fa femme , fes enfants
& tout ce dont il peut difpofer, que parce
qu’il vit dans une oifiveté profonde ; ces deux
caufes fi puifiantes ne font pas , fans doute, les
feules qui influent fur les militaires François; le
célibat dans lequel ils vivent prefque touts , augmente
encore la rapidité du pënchant qui les entraîne
vers les jeux de hafard. La tendreffe qu on a
pour fes enfants , la crainte de diminuer leur fortune
, de déplaire à une époufe qu’on aime , de
faire couler fes larmes, ah ! touts ces motifs font
bien faits pour affoiblir l’amour du jeu , & même
pour l’éteindre. Si les militaires François vivoient
fous les yeux de leurs parents, des hommes qu ils
ont aimés & refpeftés dans leur enfance , les confeils
de ceux-ci, les vives repréfentations, les menaces
foudroyantes , les tendres prières de ceux-là ,
les élôigneroient prefque toujours des lieux où 1 on
fe livre fans crainte à cette paffion deftru&ive ;
mais l’abfence , l’éloignement de touts ces objets
facrés , ou les rapproche de ces maifons dangereufes,
ou fait qu’ils ne rougiffent point de les fréquenter.
L’amour du fafte & du luxe, l’efpèce de
jeu que l’on joue en expofant fa vie pour le fer-
vice de l’état, donnent des nouvelles forces à la
paffion que touts les hommes ont naturellement
pour les jeux de hafard ; l’efpèce de gloire attachée
au nom de gros joueur la fortifie encore ; o u i, j’ai
entendu cent fois des militaires nommer ave*c com-
plaifance, & montrer avec affeélation celui de
leurs camarades qui avoit la témérité d’expofer fur
la même carte la fomme d’argent la plus groffe ;
c’eft un gros joueur , difoit-on , & fon apologie ,
fon éloge même étoient faits. L’exemple vient
achever enfin ce que le concours de tant de caufes
avoit fi puiffamment commencé. Que peut-on répondre
à celui qui vous dit : vous me blâmez de
jouer ic i , 8c vous me loueriez peut-être , vous
m’enviriez du moins, fi vous me voyiez dans la
capitale , à la cour même, affis autour d’une table
de jeu , entre les premiers pérfonnages de l’état ,
admis à leurs plaifirs 8c devenu leur égal ? Que dire
à celui qui peut vous citer des fortunes militaires
dont l’unique bafe eft beaucoup d’art dans les jeux
de combinaifon , ou beaucoup de bonheur dans les
jeux de hajard ? . . . . Que leur répondre ! qu’il faut
détruire toutes çes caufes ; qu’il faut contre-bala!}'
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cer la force de l’exemple par celles des loix févères;
celle des préjugés funeftes par des préjugés
heureux ; & celle de l’bifiveté & du luxe par celle
des bonnes moeurs. Oui fans doute , jamais on ne
parviendra à éteindre l’amour des jeux de hafard
dans l’ame des guerriers françois, qu’en employant
ces différents moyens. Entrons dans quelques détails
; l’importance de l’objet qui nous occupe nous
les fera pardonner.
Il y a très longtemps que nos rois rendent des
ordonnances fevères contre les gens dé guerre q u i,
dans les camps ou dans les garnifohs , jouent les
jeux de hafard , donnent à jouer chez eux , ou
fouffrent feulement qu’on joue dans leurs maifons.’
François Ier voulut que ceux qui joueroient aux.
dés ou aux cartes, fuffent fouettés pour la première
fois, 8c fouettés , efforillés & bannis pendant dix
ans pour la fécondé. Ce prince confondit dans font
ordonnance ceux qui joueroient fans manquer aux
loix de la probité, & ceux qui faifoient faux jeux
& piperies. Henri II renouvella cette loi en 1557.
Henri IV & Louis XIII imitèrent leurs prédécef-
feurs. Louis XIV défendit très expreffément aux
officiers de fes troupes , par un édit de 16 9 1, les
jeux àt hocq , de pharaon , de barbacole , de baf-
fetté , pour 8c contre , &c. En 1698 , il changea
les peines pécuniaires en peines capitales, & il défendit,
fous peine de la v ie , de jouer dans les
camps. Louis XV voulut aüfli bannir les jeux de
hafard de fes armées : il promulgua en confé-
quence, le premier juillet 1727 , une ordonnance
rigide contre les joueurs ; & enfin en 1768 il rendit
l'ordonnance que nous allons faire connoître ,
parce qu’elle eft encore en vigueur ; fa majefté
preferit, par cette lo i, aux officiers généraux &
aux commandants des places, de veiller avec la
plus grande attention à ce que les troupes qui font
fous leurs ordres ne jouent aucun jeu de hafard ;
elle leur ordonne de s’en prendre aux commandants
des corps fi cela arrive ; comme elle s’en
prendra à eux fi fa volonté, à cet égard, n’eft pas
exactement fuivie ; le roi veut encore que les commandants
des places s’informent des bourgeois ou
autres habitants qui , dans leurs maifons , donnent
à jouer les jeux défendus ; qu’ils les faffent arrêter
& remettre aux juges des lieux pour les punir fui-
vant l’exigence du cas ; il veut auffi {[lie, fi les contrevenants
font des gens notables & qualifiés, les
commandants des places les faffent avertir la première
fois , & en cas de récidive , qu’ils en informent
le fecTétaire d’état ayant le département
de la guerre, pour qu’il en foit rendu compte à fa
majefté ; il veut de plus , que tout officier, de
quelque grade qu’il fo it , qui eft convaincu d’avoir
joué, foit mis, la première fois > en prifon pour
trois mois, la fécondé , pour fix mois , & pour la
trpifième , qu’il foit caffé 8c renfermé pour deux
ans dans une citadelle, un fort, ©u un château : il
veut enfin, que les foldats ,le s cavaliers & les dragons
qui tiennent des jeux défendus, fbient con