
C ’eft précifément, diront les parti fa ns du bleu ,
du gris de fer , &. c’eft précifément cette aCïion de
foner que nous voulons prévenir. Ne favez-vous
pas que des colonels fanatiques de la tenue rendent
leurs foldats efclaves de leurs habits ; qu’ils
font confumer en fon &,en blanc ce qu’il vaudroit
mieux dépenfer en farine & en légumes ; ne favez-
vous pas que l'aCtion du foner hâte la dégradation
des étoffes ; que les ingrédients dont il faut fe fer-
vir pour enlever les tâcnes brûlent le drap ? Je fçais
tout cela : j’en ai été le témoin ; j’en ai été honteux
pour les chefs qui y attachent une trop grande
importance ; j’en ai gémi pour la nation, & plus
encore pour le foldat qui en eft la viCtime. Mais
cet abus eft aifé à réparer. Q u’il foit expreffément
défendu de foner plus d’une ou deux fois par an ,
c’eft-à-dire vers le 15 d’avril & les premiers jours
d’août ; qu’il foit ordonné de n’employer alors
qu’une très petite quantité de blanc, mais beaucoup
de fon un peu chaud; que pour enlever les
taches on faffe ufage de la compofition fuivante ,
& les reproches qu’on fait.à la couleur blanche
deviendront beaucoup moins graves.
Vous prendrez une livre d’argile bleuâtre, connue
fous le nom de-terre à foulon , & une livre de
blanc de Troye ; vous broyerez ces deux efpèces
de terre; vous les débarrafferezenfuite du principe
de caufticité qu’elles contiennent , en les lavant
dans plufietirs eaux ; vous les mêlerez enfemble ;
vous ajouterez à ce mélange deux gros de fel de
tartre & une" once d’eftence de thérébentine ; vous
ferez de tout cela une pâte que vous laifferezfécher
& que vous diviferez , lorfqu’elle fera à moitié
fèche, en morceaux de lagroffeur d’un oeuf. Quand
vous voudrez vous en fervir, vous humeCterez la
tache avec de l’eau chaude, vous étendrez fur cette
eau une couché légère de votre terre préparée, &
lorfqu’elle fera fèche , il ne reftera aucune empreinte
de la tache, & le drap n’aura point été
brûlé.
Les réparations faites avec du drap neuf bleu de
ciel ou gris de fer fur un habit de la même couleur
à demi ufé, font pendant longtemps un effet dé-
fagréable à l’oeil, au lieu qu’avec du blanc fans apprêt
, fur du blanc aufîi fans apprêt, la nuance eft :
bientôt infenfible. Le drap bleu de roi jouit du
même avantage ; mais combien n’eft-il pas difficile
de la conferver fans pouffière ? Le vinaigre & la
broffe ufent autant le drap bleu que la terre de pipe
& le fon fatiguent le drap blanc.
C ’eft prefque toujours pendant les vives chaleurs
de l’été qu’on fait la guerre ; ainft la couleur
qui fe laiffe le moins pénétrer par les rayons du
foleil eft la plus favorable, puifqu’elle eft la moins
chaude ; ici le blanc n’a point de rival.
Parmi les conditions exigées, une feule manque
donc à la couleur blanche, c’eft d’être peu voyante.
Mais ce défaut eft il affez grand pour faire bannir
cette couleur ? D ’abord le blanc de l’habit du foldat
tirant fur le jaunâtre , ou au moins fur le gris
H A B
cendré , fe confond avec la plus grande partie des
objets qu on trouve dans la campagne; mais abf*
traction' faite de cette considération , l’éclat du
blanc n eft point suffi dangereux qu’on affeCte de
le dire, bi nous faifions encore la guerre homme à
nomme , ou avec des partis très peu nombreux ; fi
es forets immenfes, ou des pays très couverts en
etoient le théâtre; files furprifes noCturnes étoient
auiii ulitees qu’elles l’étoienr jadis , nous devrions ,
comme les fauvages du Canada, teindre nos habits
comme ils,peignent leurs corps en couleur très
approchante de celle de la terre ; mais nos gros
détachements , le cliquetis & le brillant de nos
armes nous trahiffent toujours plutôt que nos ha-
Aux raifons phyfiques que nous venons d’alléguer
en faveur du blanc, nous en joindrons une
morale. Les françois regardent depuis très longtemps
la couleur blanche comme la couleur nationale
; pourquoi changer cette couleur ? Refpec-
tons 1 opinion & l’ufage toutes les fois que nous
n avons pas un grand intérêt à le détruire.
Puifque le blanc mérite la préférence fur toutes
les autres couleurs, je demanderai s’il ne feroit pas
a propos de le -donner à tout le militaire françois ?
Il mefemble que cette grande uniformité feroit
utile. Voye^ uniformité. Si on perfifte à vouloir
diftinguer les armes par la couleur de l’habit, ce
qui peut avoir fes avantages , je demanderai pourquoi
1 artillerie , qui eft une arme très-diftinCie de
toutes les aurres , n’a pas fa couleur particulière ?
Mais fur-toutjjourquoi toute notre infanterie, tant
nationale qu’étrangère', n’eft pas réunie fous la
meme couleur^? Le foiffe vêtu de blanc n’en fera
pas moins brave que vêtu de rouge , & il fera plus
françois; il en fera de même de l’allemand, de
1 irlandois & de'l’italien. Nous tâcherons de démontrer,
dans l’article uniformité, qu’il réful-
teroitun grand bien pour l’état d’une parfaite éga-
lite entre toutes les parties qui compofent notre
armee. Voye^ uniformité ; voyeç auffi batter
ie , nous y avons préfenté quelques preuves des
avantages de cette uniformité.
§. y 1 1 1.
Des étoffes qui fervent à /’habillement des troupes;
L’habit militaire françois eft fait avec du drap
de Lodeve ; il eft doublé avec du cadis canourgue ;
la vefte eft de la même étoffe que l’habit, elle eft
auffi doublée de cadis ; la culotte eft de tricot de
Lodeve , ou d eftamet qu’on fabrique principalement
dans le pays Meffin & la Lorraine ; la toile
ecrue pour les poches, la doublure des culottes,
& e ., eft prife prefque toujours dans les évêchés ,
dans la Flandres ou dans les environs des villes où
les régiments font en garnifon.
On fabrique k Lodève des draps de deux qualités
: 1 une appellee à 1yaitts 9 & l’autre à 24aias ; c’eft
la première efpèce que les troupes employent, &
peut être ne devroient elles faire ufage que de la
féconde.
Les draps 2 4™ durent beaucoup plus longtemps,
font plus chauds & plus impénétrables à
l ’eau que les draps 173ms. C ’eft l’expérience qui
nous a prouvé la vérité de ces trois proportions.
Mais n’euffions-nous pas fait cette expérience ,
nous n’en pencherions pas moins vers les draps
24ains ; le raifonnement fuivant que M. du Hamel
nous a fourni auroit Suffi pour entraîner notre
opinion.
« Ce ne font pas les draps les plus épais & où il
entre beaucoup de laine qui durent davantage.
Cette qualité vient principalement d’un tiffage ferré
bien condenfé ; or , le gros fil eft contraire à ces
deux opérations , en voici la raifon : quand le fil
de la chaîne eft filé gros , il ne fe croife pas fur le
métier, & il empêche par là les fils de la trame de
s’approcher parfaitement ; ils laiffent entre eux un
intervalle que l’opération du foulon ne peut remplir
exactement ; tout ce que cette opération peut
faire, c’eft d’enfler les fils, mais fans parvenir à les
lier & à les feutrer les uns avec les autres ; d’où il
arrive que les draps faits de gros fils , faute de
liaifon, fe caffent plus aifément que ceux dont la
filature eft d’une moyenne groffeur; parce que la
chaîne de ces derniers fe croifant mieux fur le métier
, & la trame s’approchant davantage,le foulon
alors a plus de facilité à les lier 8c à les condenfer
enfemble ; ce qui rend le drap bon ».
Quanta la dépenfe, je la crois moindre lorf-
qu’on employé des draps a4ains, que lorfqu’on fait
ufage des draps 1 yains • la première mife dehors eft
fans doute bien plus confidérable avec les 243ms ,
mais les. réparations dédommagent amplement de
ce premier débourfé. Il eft absolument néceffaire
de mettre dès le commencement de la troifiéme
année , & fouvent vers la fin de la fécondé , des
manches neuves à toüts les habits faits avec du
drap ^ains ; fl eft auffi indifpenfable de mettre à
la même époque des devants aux vefies faites avec
cette efpèce de drap, au lieu qu’avec le drap 24ains
fl eft infiniment rare qu’on foit obligé d’en venir à
une extrémité ficoûteufe.
Quelque perfuadé que je fois de la néceffité de
changer la qualité de nos draps, je dirai cependant
qu’i: feroit imprudent de faire un changement auffi
confidérable que celui là , avant d’avoir été éclairé
par des expériences plus longues & plus répétées
que celles que j’< i été à portée de faire.
ïnftruus par l’adage qui enfeigne qu’on n’a jamais
bon marché de mauvaifes marchandifes ,
nous demanderons encore s’il ne feroit pas fage de
doubler nos habits avec des étoffes beaucoup plus
fo rtes que nos cadis ? Ce qu’il y a de.certain , c’eft
que la doublure de nos habits & celle des bafques
de nos veftes ne dure jamais une année enrière. On
fent combien ces réparations fi fréquentes devien- I
nent coûteufes au roi & fouvent aux foldats; car [
on répare à leurs dépens la doublure qui n’a pas
atteint le terme d’un an.
Quelques régiments font leurs culottes avec de
l’eftamet, & quelques autres avec du tricot; laquelle
de ces deux étoffes eft préférable ? C ’eft encore
à des expériences répétées à nous l’apprendre.
Celles que j’ai été à portée de faire m’ont en feigne
que l’eftametméritoit d’être préférée au tricot.
Les ordonnances militaires ont tantôt permis &
tantôt défendu aux régiments de tirer leurs draps
des manufactures du royaume qu’ils jugeroient à
propos de choifir. Le réglement qui eft actuellement
en vigueur nous paroît contenir les difpofi-
tions les plus fages à cet égard. Voici comme il
s’exprime.
Article V. L’intention du roi étant que toutes
les fabriques du royaume puiffent concourir à la
fourniture des marchandifes propresà \'habillement
de fes troupes , fl fera-envoyé à touts les fabricants
8c ouvriers qui en demanderont, des échantillons
ou modèles ; & fi lefdits fabricants ôc ouvriers font
en état de s’y conformer, tant pour la qualité que
pour les proportions, les poids & les mefures , ils
en exécuteront un modèle qui fera envoyé à l’effet
d être examiné & jugé par comparaifon.
Art. VI. Si les modèles préfentés font jugés de
bonne qualité & convenables au fervice des troupes
, les manufacturiers, fabricants & ouvriers feront
leurs foumiffions de la quantité des efpèces de
marchandifes qu’ils offriront de livrer à des époques
déterminées ,aux prix & conditions de payement
qu’ils demanderont , en remettant à leurs
frais , leurs fournitures au magafin d’approvifion-
nement le plus prochain de la fabrique.
Si l’on perfifte à refufer à la manufacture de Lodève
le privilège exclulîf de fabriquer les draps à
i’ufage des troupes , on verra les autres fabriqués
du royaume faire des efforts pour atteindre le
point de perfection defiré ,les fabricants de Lodève
chercher à fe furpaffer eux-mêmes , & les régiments
avoir des étoffes meilleures & à meilleur marché
que celles qu'ils employent. Je fais bien qu’un écrivain
i^rès verfé dans toutes les connoiffances relatives
aux manufactures , M. Roland de la Platière a
dit : « les fabriques de Lodève fe font toujours
foutenues avec diftinCtion , quelques faveurs qu’on
ait accordées à d autres fabriques du même genre ;
faveurs doublement avanrageufes aux unes & oné-
reufes aux autres , puifqu’elles confiftoient, d’une
part, à payer plus cher les objets du même genre ,
de l’autre , à être plus difficile fur des qualités fem-
blables ».
, « On fent que je veux, parler des fabriques
d’Ainboife*, où l'on avoir voulu forcer le cours des
choies, 8c où ces mêmes fabriques , livrées au fort
commun , font réduites fi bas , qu'elles ne valent
pas la. peine d’être mifes en ligne de compte ».
Mtis ceft précif nient parce qu’on a voulu forcer
le coins des.thofes , qu Us encouragements ont
été inutiles. Si on les avoit yerfés fur le pays Mef