
Lorfque vous croyez que la prife de la partie
t!u lieu que les ennemis défendent fera difficile &
coûtera beaucoup, ou fi vous craignez qu’il ne
lui vienne quelque fecours, vos foldats doivent
crier : quartier, biens & meubles fauves à touts ceux
qui voudront fe rendre ; alors plufieurs des défendeurs
raffurés fe rendront; plufieurs fe défieront de
la fermeté des autres citoyens , & tâcheront de fe
mettre en fureté avant d’être abandonnés de leurs
camarades , & comme ils fàuvent leurs vies &
leurs biens, ils s’embarrafferont peu d’aider à la
«arnifon. Il fe peut même que quelques-uns fe
joignent à vos foldats pour profiter du pillage des
maifons des autres , & cacheront leur avarice fous
une apparence d’affeâion pour leur nouveau
maître.
• Le duc de Guife dit ,-d'ans fes mémoires , que
les Efpagnols, en 1647 ou 1648, entrèrent dans
Naples fans trouver prefque de réfiftance , parce
qu’ils alloient criant ,vive le rot, la paix la paix.
Le diélateur Marcus-Trurius Camilius venant
fondre tout d’un coup fur la place de Strudi, fe
rendit maître de la plus grande partie de la ville ;
voyant que l'autre partie fe défendoit obftinément,
il fit publier un pardon pour ceux qu’on ne trou-
Veroit pas les armes à la main ; ce qui en porta
plufieurs à les quitter. Par-là il fe facilita la reddition
entière de cette place.
Hipocrate & Démofthène , capitaines Athéniens
, à la faveur de quelques partifans qu’ils
avoientdans Mégara,furprirent cette ville. Comme
une partie des habitants & la garnifon fe défcn-
doient, un trompette , de fon pur mouvement, fe
mit à crier: pardon à touts ceux qui fe joindront aux
Athéniens ; & Diodore rapporte qu’à ce cri ceux
de la Morée qui fe trouvoient dans cette place
prirent la fuite, fe perfuadant qu’ils alloient être
abandonnés.
Annibal, dans la furprife de Tarente fur les Romains
, fe fervit de quelques habitants , partifans
des Carthaginois , pour courir dans les rues, criant
liberté; ce qui raffura les autres citoyens , & fit
ceffer entièrement le foulèvement qui avoit commencé
parmi le peuple.
■ Les Pifantins s’étant joints à ta garnifon de la
Morée , fe battoient contre les Athéniens, qui
avoient furprts Bizance. Alcibiade donna ordre de
Crier qu’on ne feroit aucun dommage aux habitants,
dès-lors ils abandonnèrent leurs troupes &
fe rangèrent du côté d’Athènes.
Si , malgré ce que je viens de propofer, les
troupes ennemies perfiftent dans leur réfifiance
opiniâtre > lai fiez-leur libre la porte la plus voi-
ftne, fans qu’aucun détachement fe préfente devant
eux pour leur empêcher le paffage ,- de peur
que le défefpoir ne tes rende plus valeureux;
car quelquefois tels qui n’ont pas voulu quitter les
armes pour fe rendre, fe détermineront à fuir.
Dans la bataille qu’Agis , roi- de Lacédémone ,
gagna près de Maniinée contre les troupes d’A t:
gos i mille Argiens, déjà abandonnés du refle dé
leur armée, & enveloppés par celle de Lacédémone
jg firent voir la réfolution où ils étoient de
mourir en combattant; mais dès que Pharax, con-
feiller de Sparte , s’en fut apperçu , il repréfenta à
Agis de leur laiffer le paffage libre , pour ne pas
fe rifquer, dit Diodore, contre des défefpérés ,
& ne pas éprouver ce que peut la valeur pouffèe à
l’extrémité.
J’ai dit qu’aucun de vos détachements ne doit fe
préfe-nter devant la porte par où vous fouhaitez
que les ennemis achèvent d’évacuer la place ; il
fera pourtant à propos d’avoir fur toutes les avenues
quelque cavalerie en embufcade , pour fe
faifir des couriers qui„pourroient porter la nouvelle
qu’il vient du fecours à ceux qui défendent
la place, ce qui pourroit peut-être rendre leur ré-,
fiftance plus opiniâtre.
S’il y a effeâivement à craindre qu’il n’arrive
un puiffant fecours aux ennemis , & s’il vous pa-
roît avantageux & poffible de conferver la place ,
vous devez en toute diligence , fans craindre ni
périls ni fatigues , vous emparer de toutes les
portes de la ville , les faire fermer, baiffer les
ponts , & vous fortifier contre les ennemis qui
défendent un pofle extérieur de là place ; s’il n’eft
pas poffible de réuffir, retirez-vous à temps.
Charles Haranguer, gouverneur de Bréda pour
les provinces-unies, furprit Lière fur les .Efpagnols
; mais Âlphonze de Luna, gouverneur de
la place, s’étant toujours confervé une porte, le
fecours des autres places voifines y entra, & ceux?
qui étoient venus furprendre Lière , & qui s’é-
toient en défordre abandonnés au pillage , furent
chaffés avec perte.
Des moyens de furprendre une place par des troupes
travejlies*•
Il y a des places qui ne font expofées ni au pétard
ni à l’efcalade tout ce qu’on peur entreprendre
contre elles coûte extrêmement. C ’eft ce
que prouvèrent les Impériaux dans la furprife
qu’ils tentèrent contre Tortofe durant la dernière
\guerre de la ligue contre l’Efpagne & la France ;
il faut done alors avoir recours aux ftratagêmes.
Commençons à parler de ceux qu’on ne fonde pas
fur des intelligences..
Je rie trouve pas de furprife plus infiruéfive que
celle qu’Hernan de Tello Portocarrero , gouverneur
de Dourlens pour Philippe I I , roi d’Efpagne,
tenta fur Amiens contre les François» Je raconterai
comment la chofe fe paffa, me réfervant d’ajouter
dans la fuite diyerfes circonftances que je
crois utiles pour rendre une femblable entreprife
encore plus facile*.
Hernan Tello ayant,, pendant la nuit, mis ers
embufcade un nombre de troupes auprès de
place ennemie, détacha, fur le point chi jour ,,
trois foldats revêtus en payfims qui parloient 1»
langue & favoient les ufages du pays ; ils entrèrent
dans la-place avec des lacs de légumes & de
fruits qu’ils feignirent de venir vendre ; ces trois
foldats étoient ïuivis de dix ou douze autres dé-
guifés de la même manière , dont quelques-uns
conduifoient une charrette-quipar dehors , pa-
roiffoit chargée de bled, mais qui", par dedans ,
portoit de groffes planches , afin que Venant à s’arrêter
fous la porte , elle empêchât que cette porte
ne pût fe fermer, 6c que la herfe quedes ennemis
baifferoierit ne pût venir jufqu’en bas. Les foldats
qui portoient les fruits, & les faux charretiers ,
avoient eu foin de fe munir de piftolers & de poignards
qu’ils tenoiént cachés ; lorfqüe les trois
premiers eurent paffé la porte , ils laiffèrent ,
comme par hafard, répandre les fruits de leurs
facs, les foldats de la garde coururent pour en
amaffer, en même-temps les charretiers, quand
la charrette fe trouva fous la porte, dételèrent
les chevaux, de peur que venant à s’épouvanter ,
ils ne la tiraflent plus avant ; 6c à un coup de pif-
tolet qui étoit le fignal dont on étoit convenu , les
autres foldats vêtus en payfans, fe faifirent des
armes de-la garde , &eonfervèrent la porte juf-
qu’à l’arrivée du détachement qui , dès la nuit,
avoit été mis en embufcade partie dans une abbaye
à un quart de lieu de la place , & partie dans
un autre pofte plus proche.
Lorfqu’Hypocrate & Démofthène , capitaines
Athéniens ,furprirenr Mégara, des perfonnes affidées
qu’ils avoient dans la place avoient traverfé
une charrette devant la porte , afin que la garde
ue pût la fermer lorfqu’elle découvrit les troupes
d’Athènes.
Pitho furprit de la même manière la place de
Calzpniénie.
On peut fe pafier de charrette , fi vos foldats
déguifés étayoienr les hèrfss avec des planches
qu’ils feignent d’apporter pojur vendre ; de cette
manière, les troupes du détachement- qui çft en
embufcade trouveront le paflage plus libre que fi
on avoit traverfédes charrettes devant la port'e.
Dans la prife de Caftelnovo de Naples , Nugno
d’Ocampo entrant pèle mêle avec.les François ,
étançonna la herfe avec quatre hallebardes.
Au lieu de charrette à la tête du pont-levrs , vos
foldars traveftis y mettront lesjcharges qu’ils portent,
fur lefquelles ils -pourront s'afieoir comme
pour fe délaffer, ayant foin de.laiffer libre le paffage
du milieu du pont; fi le fentinelle, ne leiveut
pas fouffrir, ils tâcheront de le gagner, par- des
fruits ou par du. vin qu’ils porteront à ce deffein ,
/& le prieront de les laifler repofer un moifient.:.
Quelques antres foldats traveftis peuvent faire
la même chofe avec leurs charges ; qu’ils mettront
devant les deux manteaux de la porte ; au lieu de
hottes 6c de fardeaux ,1 quatre- ifoidats d'égurfés :eo
ouvriers peuvent porter fur une civière une groffe
pierre qu’adroitement & par quelque forte d'aidci-
ïtent ils laifferoat tomber contre la porte.
Je fuppbfe que vous avez une entière confiance
aux foldats que vous choififfez pour les traveftir
en payfans & en ouvriers ; car autrement il n’en
faudroit qu’un q u i, à la porte de la place découvrît
le fecret, pour que touts fe.s camarades ref-
taffent prifonniers;; & q u e la furprife fût manquée*
Les ennemis pourroient encore s’-affurer de touts
vos foldats: traveftis , 6c.après avoir mis la garnifon
fous les; armes & chargé leurs pièces d’artille-
; rie , ils fonneront eux-mêmes l’alarme, & continueront
pendant quelque temps à tirer , pour faire
approcher les troupes de l’embufcade &. leur faire
eflùyer tout le feu de la place. On évitera ce danger
en faifant refter dehors deux ou trois de vos
foldats à vue les uns des autres, habillés en payfans
& à cheval ; puifqu’alors quelqu’un vous donnera
avis fi les ennemis arrêtent les foldats que vous
envoyez pour furprendre la place.
L’exemple de Tello fait voir que les troupes
travefties doivent favoir la -langue, s’habiller à la
mode & affeéler les manières & les façons des
payfans du ;pays dans lequel on tente la furprife.
J’ajoute que chaque homme de ces troupes ne doit
1 pas héfiter fur le faux nom & furnom qu’i l prend;
que les denrées qu’il apporte, comme fi c’étoit pour
vendre , doivent être de celles qu’ont coutume de
produire la ville , le bourg, le village dont ces
hommes fe difent. Ces lieux ne feront pas les plus
voifins de la place , afin qu’il ne paroifle pas
étrange que vos faux payfans ne foiçnr pas connus
de celui qui, dans toutes les places d,e guerre bien
gouvernées ,-eft de garde à chaque-polte pour pb-
ferver qui entre & qui fort ; j’aY-ertis enfin que
pour ce rraveftiffemeritsjiil faut choifir des foldats
& des officiers qui foienti les moins embarraffés
dans leur réponfe , afin que fi fon vient à leur
faire:quelque demande..à là porte,, ils ne fe troublent
point, & ne jettent-pas. les ennemis dans
quelque foupçon. Voyez l’exemple de Zénophane.
Les foldats.traveftis ne;çîoiyènt pa$ aller-enfeiri-
ble en grand nombre , de peur^de -donrer ïrop à
foupçonner; mais : - dès qu’ils-auront doublé un
coin, & que la garde les aura; perdu de vue ils
s’arrêteront dans jes diverfes rues voifines , mettront
leur charge à terre & feront femblant de fé
délaffer, jufqu’à ce qu’entendant Tonner l’alarme
par;ceiix qui attaquèipt la garde de la porte , ils
accourent toutsAla hâte.-
S i , pour réuffir îdans votre furprife , vous avez
b.efojo d’un .nombre un peu plus confidéràble de
troupes travefties habillez en payfannes quelques
jeunes foldats qui n’ont point encore de barbe;
ayant égard , dans le choix de ces foldats, à la
taille:& au fon de voix qui peuvent mieux convenirà
ce .traveftiffernent ; ces fauffes pàyfannes por-
terontàda ville ennemie lés panniers de fruit-, le
pain»i ;lès^herbages- 6c autres chofes que les villa-
gépifes.-d alcntoiir.ppt coutume d’aller vendre*
Je trouve , dans un pareil déguifement,, plufieurs
avantages ; on cache mieux fous des jupes que