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en faifoit ufage, l’ouvrirent, & introdùifirent une
colonne d’intanterie & de cavalerie , qui marcha
jufques fur la grande place , où il y av^ù u" e
garde d’infanterie 6c une de cavalerie auffi négli-
gentes fur la régularité du fervice , que celle de
la porte furprife, & q u i, par conféquent, fut encore
faifie fans bruit.
La fécondé colonne des troupes ennemies qui
avoit été conduite par une partie des hommes cachés
chez le prêtre , lefquels s’étaient faifis du
petit corps*de garde qui étoit fur la porte , qu ils
avoient enfuite demeuré avec leurs outils de maçons
& en avoient rangé les matériaux, pour ouvrir
un paffage commode à l’infanterie deftinee a
entrer par cette porte. - . ■
Oette infanterie , après fon introduction dans la
place, dcvoit, fuivant les ordres donnés pour la
conduite delà furprife, marcher le long des rem-
^arts à gauche, pour aller fe laifir de la porte du
Pô & de fa garde , l’ouvrir enfuite , pour faire entrer
dtns la place un autre corps de troupes qui
étoit au bout du pont du côté du Modenois, 6c
q ui, dans l’ordre donné pour la furprife, ne de-
voit attaquer la garde qui étoit dans 1 ouvrage qui
couvroit le pont, qu’à un fignal qui devoir fe faite
de la porte du Pô , après que l’on s’en feroit rendu
ïhaître. . .
Par ce que je viens de dire , on voit un corps
ennemi de fept mille hommes au milieu d’une
"placé de guerre maître de deux portes , & la cavalerie
en bataille fur les places de la ville & fe
promenant librement par-tout , fans qu il y eut
encore un feul homme éveillé, ni qui eut donne
l ’alarmé. _
Cependant un incident que M. le prince hugene
n’a voit pu prévoir, fit manquer un projet fi bien
‘ concerté & fi heurêufement conduit jufqu’au moment
de le croire exécuté. v
Le marquis de Crenan , direfleur de 1 infanterie
, arrivé de Milan avec M. le maréchal de Vil-
le roi, vouloit voir ce matin-la une partie de 1 infanterie.
Il avoit, pour cet effet, ordonné que les
bataillons qui fe trouvoient logés du côté de la
porte du Pô , fuffent fous lès armes pn peu avant
le jour, pour commencer à les voir à la petite
pointe du jour.
Quand les nuits font longues, il eft aile de le
tromper fur l’heure de l’approche du jour. Ces
bataillons fe trouvèrent donc fous' les armes auprès
de la porte du Pô plutôt qu’il ne leur avoit
été ordonné ; les troupes ennemies qui venoient
le long du rempart pouf fe faîfir de la porte du
Pô , trouvant ces bataillons fous les armes , crurent
la furprife decouverte & les chargèrent. Ces
troupes chargées fans faVoir par qui, tirèrent aum
de leur côté ; elles fe reconnurent enfuite pour
ennemies , 8c ce feu commença un combat qui
éveilla tout le monde.
Les bataillons que M. de Crenan devoit avoir
après çes premiers, logés fort loin de ceux-çi,
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commençoient à fe remuer dans leurs cafernes,
& furent bientôt prtès ; quelque cavalerie que M.
le maréchal de Villeroi avoit commandée le foir
précédent pour aller du côté de Plaifance, fc
trouva auffi prête à monter à cheval.
Toutes ces trôupes marchèrent aux ennemis qui
étoient en bataille fur les places , qui en occu-
poient même les avenues, & qui ne croyoient
plus que rien leur pût réfifter , d’autant plus
qu elles avoient pris M. le maréchal de Villeroi ,
qui étoit monté à cheval au premier bruit, l'intendant
de l’armée , & beaucoup d’autres officiers apparemment
livrés par leurs hôtes.
M. de Crenan, forti de chez lu i, s’etoit heures
fetîient jetté à la tête de quelque infanterie , avec
laquelle il marcha à la petite place , qu il fit abandonner
aux ennemis , qui fe retirèrent à leur gros
qui étoit fur la grande place, ce qui ddnna moyen
aux troupes du ro i, logées dans les quartiers éloignés
, de fe rejoindre.
On combattit ainfi par toute la ville , par la
feule bonne volonté des troupes 8c celle des officiers
particuliers; car M. le maréchal de VilleroiI
étoit pris , comme je viens de le dire, ©c M. de
Crenan avoit été bleffè a mort dans les charges
qu’ il avoit faites ; deux des colonels meme de ces
régiments qui s’étoient trouvés fous les armes a la
.porte du Pô, avoient été tués.
Cependant la mort de deux officiers des ennemis
fut caufe que M. le prince Eugène fe trouva, |
quelques heures après , forcé à abandonner fon
entreprife 8c à fortir d’une ville , après avoir cru
pendant plufieurs heures en être le maître.
L’officier général des ennemis qui conduifoit la
colonne qui étoit entrée par la porte demeurée,
étoit chargé de faire le fignal de la porte du Po ,
pour avertir les troupes qui venoient du Modenois
d’attaquer l’ouvrage qui couvroit le pont; il
avoit feul cet ordre, 8c etoit charge des fufces qui
dévoient être le fignal. Cet officier ayant été tue
roide par le feu des bataillons que le hafard avoit
fait trouver fous les armes à la porte du Po , ne
put communiquer à un autre officier le fecret dont
il étoit feul chargé < de forte que le fignal ne fut
i point fait, ni le pont attaqué dans le temps qu il
auroit dû l’être , pour que le corps du Modenois
paffanr le Pô ,-en cas qu’il ne pût être introduit par
la porte du Pô , dont les ennemis ne purent jamais
fe rendre maîtres , pûrau moins entrer dans Crémone
par l’une des deux portes occupées par les
ennemis , en faifant le four de la ville parie
^ L ’officier général même chargé du commandement
des troupes qui dévoient attaquer 1 ouvrage
qui couvroit le pont , 8c qui avoit aufii feul |
fecret de l’entreprife, ayant eu la jambe emportée
d'un coup de canon tiré de l’ouvrage , ne tut g |
en état de donner aucun ordre, de forte que
eut le temps de défaire le pont.
M. le prince Eugène d ailleurs, fort affoibn
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le dedans de la ville par les pertes de ce long
combat, devoir raifonnablcment craindre que M.
le marquis de Créqui, averti de ce qui fe paffoit
à Crémone, n’y marchât fur le champ avec toutes
fes troupes , 8c ne l’empêchât, par ce mouvement,
de reffortir de la place 8c de fe retirer.
Ainfi cette crainte bien fondée , détermina ce
prince à fonger à la retraite pendant qu’il eroyoit
en avoir encore le temps. Il fit donc retirer fes
troupes du centre de 1a ville vers les deux portes
dont il étoit encore le maître , ce qu’il ne put exécuter
que par la perte de prefque toute l’infante-
tie qu’il avoit menée avec lui 8c de beaucoup de
cavalerie. Il emmena pourtant avec lui M. le maréchal
de Villeroi, M. l’intendant, 8c plufieurs
autres officiers pris dès le commencement de la
furprife.
Par ce-récit , on doit demeurer convaincu qu’il
ne faut jamais Ce négliger dans aucune des atten-
-tions ordonnées pour le fervice des places , ni par
rapport au dedans , ni par rapport au dehors ; car
fi dans Crémone le hafard feul n’avoit pas fait
trouver fous les armes les bataillons trop tôt prêts
pour la revue qu’ils dévoient faire , 8c cette cavalerie
commandée auffitôt prête à monter à cheval,
il eft certain que la place auroit été prife , 8c les
troupes qui y étoient, enlevées par un corps inférieur,
parce qu’elles n’auroient pu fe mettre en
état de faire la moindre réfifiance. ( Mémoires de
Feuquières ).
Des eonnoijfances néccjfairet avant et entreprendre la
furprife d'une place ou d’un lieu fermé.
Je fuppofe qu’avant de vous déterminer à vouloir
furprendre une place ou un lieu fermé, vous
avez une connoiffance particulière de fa fituation ,
de fes ouvrages 8c de la hauteur de fes murailles ,
afin de porter des échelles d’une jufie mefure, des
pétards 8c le refie de l’attirail néceffaire, félon que
l’endroit foible de cette place le demande.
Je fuppofe auffi que vous avez connoiffance du
nombre de ceux qui la défendent ; de la manière
dont les gardes font difiribuées ; de combien
d’hommes chacune de ces gardes eft compofée, 8c
de quel endroit les cafernes fe trouvent plus éloignées
, parce que c’eft par celui-là que vous devez
attaquer , fuppofe que vous y trouviez une
égale commodité , puifque les troupes qui font
dans les cafernes font la plus grande force des
places ; car plus les troupes , à caufe de leur éloignement
, tarderont à arriyer pour la défenfe , plus
vos foldats auront de temps pour fe rendre maîtres
des poftes qu’ils attaquent.
Enfin vous calculerez bien fi vous pouvez vous
retirer en fureté du pofte que vous voulez furprendre
, eu égard aux heures dont vous avez be-
foin pour la marche , pour l’expédition 8c pour le
retour , 8c par rapport à la diflance des ennemis ,
Art Militaire. Tome III.
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qui peuvent venir au fedours ou vous couper 1«
retraite.
Le conful Romain Caïus Cornélius vint de Me£
fine pour furprendre Lipari. Annibal, qui fe trou-
voit à Palerme, fupérieur à lui en vaiffeaux , en
ayant eu connoiffance, détacha Boode , fénateur
Carthaginois, qui furprit le conful dans le port
même de Lipari , le fit prifonnier , & fe rendit
maître de la ilote Romaine. Ce fut cet Annibal
que les Carthaginois firent mourir fur une croix ,
à caufe des différentes pertes qu’il avoit faites fur
mer.
Par les précautions que prend Deville dans fon
livre de la Charge d’un gouverneur pour délivrer une
place de Vefcaladc, on peut comprendre qu’on ne
doit pas fonger à efcaladcr celle ©il il feroit néceffaire
d’éloigner beaucoup le pied des échelles, à
caufe du grand avancement que les murailles de
pierres ont coutume d’avoir depuis le fol jufqu’à
la moitié de leur hauteur ; à caufe du talut des
ouvrages de terre, ou à caufe de la cunette qui
fe trouve au dedans du grand foffé , 8c qui ne permet
pas de poiiVoir pofer les échelles entre elle 8c
la muraille. Il eft encore impoffible d’efcalader les
murailles trop hautes , parce que fi vous appuyez
les échelles trop droites, on ne peut pas y monter
; 8c fi vous leur donnez beaucoup de pied, elles
plient à chaque mouvement 8c. fe rompent.
Polybe fait l’une 8c l’autre de ces obfervarions*
8c dit que Scipion l’Africain avoit éprouvé cet
Inconvénient dans la première efcalade qu’il donna
à Carthagène.
Il eft vrai que l’on pourroit faire des échelles
fi groffes, que même en éloignant beaucoup le
pied elles ne romproient pas ; elles ne feroient pas
m|me trop embarraffantes pour le tranfport, parce
qu’on pourroit les faire 8c les porter en pièces réparées.
Mais comment élever avec promptitude
amant de ces pièces jointes enfemble , qu’il en
faut pour atteindre au bout d’une muraille fort
haute ?
Les murailles fans terre-plain, qui en ont un
foutenu par une autre muraille inférieure , &
celles qui répondent à des précipices du côté de la
place , ont cet inconvénient ; favoir , qu’après être
même monté au haut de la muraille , on ne peue
defeendre dans la place , s’il y a des coupures qui
empêchent d’arriver jufqu’aux efcaliers ou aux
rampes qui fervent à la garnifon pour monter fur
celte muraille, ainfi qu’il arriva aux Vénitiens ,
qui, après être montés fur la brèche à Négrepont,
ne purent pas defeendre dans la place , 8c furent
contraints de lever le fiège.
Les foffés-pleins d’eau , lorfqu’elle ne gèle pas,
font un obftacle aux efcalades , à caufe du bruit,
du retardement 8c de l’embarras qu'il y auroit à
apporter des bateaux ou des ponts flottants , 8c à
les jetter dans les foffés , pour affurer fur eux les
échelles 8c y faire paffer de front un nombre rai?
fonnable d’affaillans.
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