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places. Airiiî, l’utilité des lignes à cet égard , ne doit
être de nulle confidération.
30. La facilité que donnent les lignes pour communiquer
fans efcorte d’une place à une autre, eft »
félon M. de Feucjuières, a fiez plaufible pour le
détail de ceux qui veulent aller feuls: mais dans le
fond , 11 c’eft pour la fureté des convois , cette facilité
n’eft qu’apparente : « Au reftè , dit cet
auteur célèbre, fi le prince réfléchiffoit fur la quantité
de troupes que ces lignes occupent pour leur
garde , je fuis très perfuadé qu’il trouveroit ces
troupes plus utilement employées à la garde des
places , aux efcortes des convois , & dans les armées,
qu’à la garde des lignes ; & que s’il fe faifoit
informer de ce que ces lignes ont coûté à fon pays
pour leur conftruâion & pour leur entretien , il
trouveroit que ces femmes extraordinaires, excé-
deroient celles dés contributions que le pays auroit
payées volontairement ». «
4°. Les lignes n’alTurent point les quartiers d’une
armée qui les aura pris derrière elles , parce
qu’elles ne font pas moins que dans tout autre
cas , expofées à être franchies par l’ennemi, qui fe
fera raflemb-lé en dérobant fes mouvements , &
qu’alors ces quartiers ne feront pas moins percés
& enlevés , fur-tout s’ils n’ont pas le temps de fe
ïéunir.
5°. L’ufage qu’on prétend faire des lignes dans
«ne guerre dêfenfive, eft: on ne peut pas plus
mauvais. L’expérience a fuffifamment fait connoître
la fauffeté de ce fyftème, dont on doit être convaincu
par plufieurs raifons incontëftàbles. i° . Les
lignes embraffeut ordinairement plus de terreïn
qu’on n’a de troupes pour les garder. 2°. L’incertitude
du lieu de l’attaque , qui oblige à tenir touts
les portes garnis „ les affoiblit touts.; & les troupes
éparpillées fur un front extrêmement étendu , ne
peuvent plus s’entre-fecourir lorfqu’èlles font attaquées.
30. Si elles font affez courtes & aiffez bien
garnies de troupes pour être foutenues , l’ennemi
donne tant cfattention de côté & d’autre , qu’il parvient
à Jes faire dégarnir. Si l’on y rerte, il exécute
le projet dont il a fait la démonftration, &
qui n’étoit d’abord que pour donner le change. 4°. Le foldat ert moins brave derrière un retranchement
qu’en rafe campagne, & principalement
le foldat français, qui raifonne beaucoup. ç°. Il
furtîtque les lignes foient forcées dans un endroit ,
pour être emportées. « Que dix hommes, dit le
maréchal de Saxe , mettent le pied fur un retranchement
, tout fuira ; c’eft le coeur humain ».
6°. L’ennemi, libre dans fes mouvements, peut
former différentes attaques , & les former dans.les
endroits & dè la manière qu’il lui plaît, avec cette
confiance & cette certitude de réuffir qu’on doit
avoir quand o-n attaque des retranchements d’une I
auflî grande étendue. Repouffé , il peut reco-m- I
mencer 1 attaque autant de fois qu’il juge à propos , I,
& c’eft un de fes plus grands avantages ; au lieu que I
te font prefque. toujours les mêmes troupes qui I <
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t défendent les différents portes des lignes. Les en « *
mis , dit un. auteur anonyme , par des attaques fuc-
- ççffives& multipliées, fe renouvellent fans ceffe ;
» c ert une hydre qui reproduit de nouvelles têtes à
5 chaque inrtant. A la fin , le foldat retranché fent fes
- forces épuifées ; il ne peut plus combattre ; il ne
voit plus que le danger, & il fuit pour Téviter._
t 7 . Enfin , on ne peut pas efpérer de vaincre entièrement
, en éombattant à couvert dés lignes y
r parce qu il n ert pas portable de fuivre l’ennemi
* dans fa retraite , & qui a toujours le temps de faire
i les difpofitions qui doivent Tartiner.
Ce font la plupart de ces raitons qui ont fait dire
J (Iue > quelles que foient la bravoure des troupes , la
1, vigilance Si 1 habileté du général, des lignes attaquées
font des lignes forcées ; Si cette vérité ert appuyée
d’un asîez grand nombre d’exemples qui lui
donnent un nouveau poids.
En 1703 f les lignes, qui couvroïent le pays de
- Vaës, où commandoit le comte de la Motte , furent
forcées par le barpn de Spaart.
En 1705 , le maréchal de Villars força celles
de Weiffembourg,
Dans la même campagne , celles qu’on avoit
confinâtes depuis la Méhaigne jufqu’au Demer,.
quoique gardées par toute l'armée du ro i, fous lés
ordres du maréchal de Villeroy, furent forcées parle
duc deMalboroug,
Celles de Stolhoffen , à la conrtru&ion defquelles
le prince de Bade avoit employé un temps considérable
, Si qu’on regardoit comme imprenables.,,
furent forcées en 1707 par le maréchal de V illars
, en très peu de temps , & fans perdre un.
fenl homme.
Celles d’Etlingen , en 1734 » qui avoient été
faites avec autant de foin que celles de Stolhoffen. ,,
n’arrêtèrent pas l’armée du maréchal de Berwick
qui alloit invertir Phiüsbourg.
En 1774 , celles de Weiffembourg furent forcées
par 1 armée françoife, fous les ordres du maréchal
de Coigny, en moins de deux heures.
Si Ton a yu des lignes qui n’ayent pas été forcées,
telles'que celles de la Lys à Ypres, celles de la
Hayne à la Sambre» Si plufieurs autres qu’il eft'
inutile de citer, c’eft parce qu’elles ri’ontpas.été
attaquées , ou parce que les généraux chargés de-
les défendre , ayant connu touts leurs inconvénients
, ont pris le parti- de fe dlfp.o fer comme s’il
n’y en eût point eu. On voit qu’en 16 91, le marquis
de Villars fourint les lignes de Gourtray , en-
portant 8c réunifiant fes troupes- en. avant vers le
centre de ces lignes , fans que l’ennemi ofât les paf-
fer par les flan c sd e crainte qu’il ne tombât fur eux
par derrière.
S’il y. a eu des lignes, attaquées , & qui n’ayent
pas été forcées, c’a été par quejque caufe ou quel-
qu événement imprévu, comme il arriva à l ’attaque
de celles de .Stolhoffen. en 170.3 , où le corps dia
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marquis de Blainville , qi}i; devoi», attaquer la.
pauche s’égara dans les montagnes:., &.ne•_put.de-
conder l’attaque du maréchal de Villars,, rqui fe falloir
vers le centre.
Il réfulte de tout ce qu’on a dit dans: cet article ,
i®. que les lignes font inutiles pour couvrir un
pays St le garantir des contributions ;: que ce qu’on
peut faire de mieux en pare.il qas , e# d’avoir des
points d'appui qui foient.retranchés fuffifamment
garnis dé troupes , avec des patrouilles le long des
portes , qui fe fuccèderir les unes aux autres', Sc
qui fe croifent continuellement , afin qù’ôn foit
averti de Tinftant où l’ ennemi aùra parte , Si qu’on
puiffe fe mettre en devoir de le couper, & de le
faire repentir de fon entreprife.
2°. Que fans lignes , on peut envoyer des partis
dans le pays ennemi, pour y établir des contributions
, en les faifant fortir des places ou de 1 armée ,
félon que Ton jugera à propos ,;ou que les circonf-
tances le permettront.
30. Qq’il n’eft pas néceffaire d’avoir des lignes
pour pouvoir communiquer d’une place à une
autre ; qu’il fuffit de donner des efcortes aux convois
pour affurer leur marche.
4°. Que des lignes ne font nullement propres à
garantir une chaîne de quartiers ; qu’il vaut infiniment
mieux qu’ils foient couverts par dés tetes bien
fortifiées, ou par quelque rivière difficile à pàffer,
en prenant d’ailleurs toutes les précautions nécef-
faires pour pouvoir en cas de befoin les raffembler
promptement.
50. Que l’ufage des lignes eft tellement dangereux
, qu’un général chargé de défendre une frontière
avec des forces inférieures , ■ ne doit jamais
s’y renfermer; qu'il faut au contraire qu’il fe tienne
toujours près de l’ennemi, pour le fatiguer , le
harceler par des alarmes continuelles , lui couper
fes communications , fes vivres Si fes fourrages,
Si faifir Toccafion de le combattre avec fupériorité ;
qu’il choififfe unepofition avantageufe que l’ennemi
ne puiffe éviter pour pénétrer plus avant ; qu il la
fortifie, de manière à ne pouvoir y être attaqué
fans faire craindre à l’ennemi un malheur inévitable
, comme fit le marquis de Villars en 1.691 ;
que s’il ne petit conferver fa pofition , il en ait reconnu
plufieurs qu'il puiffe occuper les unes apres
les autres, afin -de gagner du temps , & de forcer
l’ennemi après une campagne fatiguante , d’aller
hiverner dans fon pays ; qu’il faut enfin qu il
cherche à imiter le maréchal de Créqui dans fa campagne
en Lorraine & en Alface en 1677 -, dont la
conduite eft une fource inépuifable d’inftruâion.
Pour ne rien omettre de ce qui doit faire réprouver
le fyftème des lignes pour toujours , nous dirons
qu’il n’a jamais été connu des anciens ; que ,
.ni Turenne, ni Condé, ni Créquy , ni Luxembourg
, n’en ont jamais eu la penfée, & que ce
n’a été que dans la guerre de fuccefiion qu’il a
été le plus fuivi. Or , nous remarquerons que
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dans cette guerre , le génie de Louis XIV n’étant
plus le même , que Louvois n’étant .plus fon mi-
niftrq, que la nation n’étant plus guidée par les
grands hommes que nous avons cités, & qu’un ef-
prit de timidité s’étant emparé du monarque , du
miniftre & des armées , Ton s’en tint fur prefque
toutes les frontières , à une dêfenfive ruinêufe par
l’entretien & laconftruélion des lignes, qui, bien
loin d’opérer des avantages , occafionnèrent au
contraire toutes fortes de malheurs.
Nous ajouterons que ces fortes d’ouvrages ont
eu le meme fort en Allemagne qu’en France, Sc
que le prince de Bade , qui en avoit conftruit pour
couvrir fon pays, en a reconnu à fes dépens Tinu-
tilité. ; que ni Montécuculli, ni le prince Eugène,
n’en ont jama'is fait ufage ; & que de nos jours , le
maréchal de Saxe n’en a parlé que pour les condamner.
u Je crois toujours entendre parler des murailles
de là Chine., quand j’entends parler des
lignes , dit ce général ; les bonnes font celles que
la nature a. faites-, Sc les bons retranchements font
les bonnes difpofitions Si les braves troupes ». Mes
Rêveries, tom. I l , çhap. 9. ( M. D. L. R .\ Cependant
, l’art ne peut-il pas quelquefois aider la nature
- r.
De l’attaquedes lignes qui couvrent lut pays.
Avant que de parler de l’attaque des lignes qui
couvrent un pays, comme cet ufage ne s’eft introduit
que dans ces derniers temps , & que je ne
puis l’approuver que dans un feul cas, je commencerai
ce chapifrepar rapporter ce que difent ceux
qui les ont introduites & miles en ufage pour de
prétendues utilités , la manière dont on les conf-
’ truit, Si enfuite celle dont on les attaque avec
! fuccès.
Ceux qui ont introduit l’ufage des lignes pour
couvrir un grand pays , ont prétendu par-ià garantir
de contributions le pays couvert, en établir
dans le pays ennemi, & faciliter les communications
fans efcortes d’une place à une autre. Voilà les
trois objets principaux.des.lignes.
A cela je réponds , ( & l’expérience ne nous en a
que trop convaincus), qu’elles n’empêcheront point
le pays de contribuer ; puifqu’il ne faut. pour établir
la contribution , qu’une feule fois avoir trouvé
Toccafion de forcer cette ligne pendant tout le cours
d’une guerre , pour qu’elle foit établie ; après quoi 7
' quand même les troupes qui ont forcé les lignes ,
auroient été obligées de fe retirer promptement, la
contribution fe trouve avoir été demandée; & dans
un traité de paix , pour peu qu’elle fe farte avec
égalité , il faut tenir compte des fommes impofées ,
; quoique non levées ; enforte qu’elles entrent en
compenfation avec celles q u i, au temps du traité,
fe trouvent ducs par le pays ennemi. Ainfi , les
lignes ne font de nulle utilité pour garantir de la
contribution»