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voix entrecoupée de fanglots, quoi ! vous me reru
voyez fans me preffer dans vos bras , votre colère
rfeft donc point appaifée ? A ces mots, mon père
rentre, me ferre contre fon coeur, me baigne de
fes larmes , me prodigue les careffes les plus
tendres; me jure, quoique je ne pu fie l’entendre ,
( j’étoisfans connoiffance & fans mouvement,) qu’il
a oublié mes torts. Lorfque par les tendres foins de
mon père, j’eus recouvré l’ufage de mes fens , je
me jettai à fes genoux , je faifis une de fes mains ,
& je proférai, en rougiffant , la promeffe de fuir
le jeu. Je l’ai tenue, mon ami, cette parole , & jamais
je ne la faufferai. En arrivant à mon régiment
, je racontai, avec naïveté, tout ce qui m’é-
toit arrivé ; quelques jeunes étourdis & quelques
femmelettes traitèrent de barbare la conduite que
mon père avoir tenue avec moi; mais j’eus alors ,
& j’ai toujours eu depuis, la fatisfaélion d’entendre
les militaires les plus fenfés & les hommes les plus
figes , convenir que le moyen dont mon père s’eft
fervi eft bon , immanquable même ; qu’il eft peut-
être le feul capable d’éteindre l’amour des jeux de
ha fend dans le coeur des jeunes militaires, & de
bannir loin d’eux le refie des défordres auxquels
ils font afifez généralement enclins*
§. i i .
Des jeux de commerce*
Nous avons compris fous le nom de jeux de
'commerce, les jeux de combinaïfon , & les jeux
mixtes qui ne font point expreffément défendus
par les loix , & qu’on joue en public dans la
bonne compagnie. Ces différents jeux font moins
dangereux pour les militaires , que les jeux de hasard
; mais ils ne font cependant point fans danger.
Madame de Main te non-difoit de ces/?«* : « fans
donner de grands plaifirs ils dégoûtent de touts
les autres » , & elle avoir raifon ; elle auroit pu
ajouter : lorfqu’on a contraâé pour eux un goût
trop violent, ce goût dégénère bientôt. C e fi ainfi
que Fhomme , habitué de bonne heure au goût de
vins fpîritueux, finit néceffairement par boire à
longs traits les liqueurs les plus fortes; les officiers
frànçois doivent cependant connoître ces jeux , 8c
lavoir même les. jouer avec art. Si quelque mora-
lifle atrabiliaire demandbit les raifons qui rendent
la connoiffance de ces jeux fi importante aux officiers
frànçois, on pourroit lui répondre : dans une
république calquée fur celle de Platon , ou enfantée
par un. ftoïcién févère, les jeux d’adrefTe 8c les arts
académiques feroient, fans doute, tours les plaifirs
des guerriers ; mais en France il n’en peut être de
tiiême. Il faut là que les militaires ,.qui habitent
prefque toujours dans les villes , qui font jeunes
8c peu occupés , qui aiment les plaifirs , qui font
confondus avec le refte de la nation , qui deviennent
alternativement citoyens & guerriers
fréquentent les cercles où la bonne, compagnie s’af-
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femble, tant pour ne point trop s’éloigner de fès
manières & de fes moeurs , que pour n’en point
comra&er de plus corrompues & de plus dange-
reufes. Mais pour être admis dans ces cercles , il
faut s’y rendre utile, il faut contribuer à leurs plaifirs
, & le vrai,, le grand moyen d’y réuffir , c’eft
l’art des jeux. 11 faut donc, jufqu’au moment où-
par vos differtations profondes vous aurez changé'
la nation entière ; il faut, dis-je, que les officiers
frànçois connoiffent ces jeux,8t. qu’ils les jouent
même avec tout l’art poflible. Au lieu de déclamer
contre les jeux de combinaifon & de commerce ,
cherchez plutôt à perfuader aux chefs de l’état militaire
de ne jouer jamais cesjeux qu’à un prix très-
modéré ; ©ffrez-leur pour modèle ce commandant'
d’une de nos grandes provinces , qui ne permettoir
jamais de jouer chez lui les jeux dont la nature eft'
d’être fans bornes ; qui ne jouoit lui-même que le
meilleur marché poflible; qui, par des plaifante-
ries délicates , jettoit un léger vernis de ridicule fur
les femmes renommées par leur amour pour le
gros je u , 8c puniffoit les hommes par un maintien
févère ; qui rompoit avec adreffe les parties que
ceux-ci avoient liées entre eux, & qui fe faifoir un
malin plaifir de placer le plus âpre , le plus gros
joueur, ou à fa propre partie, eu à celle d’une des
femmes renommées par leur modération. Si cet
exemple peut les féduire touts, fi vous parvenez
à le leur faire imiter, vous aurez commencé une
-révolution infiniment heureufe ; pour achever cette
révolution fi durable , recommandez aux chefs descorps
de pourfuivre avec acharnement toutes les
parties de-jeux dé commerce que les jeunes militaires
jouent entre eux ; d’abord ils ne veulent, il
efi vrai, que fe former dans l’art des jeux ; d’abord
ils jouent très bon marché, mais bientôt le gros
jeu arrive , & enfin les jeux de b a fard paroi fient ;;
dites air commandant dé chaque régiment que pour
prévenir ces maux, il doit inviter les officiers à
s’afiembler fouvent chez lui, 8c les engager à apprendre
là, les jeux que l’on joue dans le monde;,
étant fous fes yeux & fous ceux des anciens officiers
, ils n’oferont pas jouer gros jeu; ils ne con-
traéleront point dès manières trop libres , & ils ne
tiendront jamais des; propos que la décence réprouve
ou que l’honneur oblige de venger; per-
fuadez enfin aux militaires fenfés à- qui les parents-
des jeunes officiers ont confié une partie de leur
autorité , d’éloigner leurs pupilles des cafés , des-
billards ;; perfuadez-Ieur de les entraîner chaque
jour dans lès maifons où la bonne compagnie s'af-
femble , d e n e les laiffer jouer que très pe tit jeu ,,
8c de s’affociér avec eiix quand ils font forcés de;
jouer des parties un peu chères ( voye^ M e n t o r ) ;,
crovez bien que fi , par votre éloquence , vous
parvenez-à produire ces effets heureux , l’état militaire
vous devra la reconnoiffance la plus vive
car la révolution' que vous aurez faite lui- fera plus-
avantageufê que celle qui étoit l’objet de vos.
défirs*.
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§, n i .
t)es jeux dadrejfe.
Sous le nom de jeu dadtejfe, nous avons conu
pris ceux qui font généralement défignés par^ le
nom d’arts académiques, & ceux qui amufent lef-
prit, fortifient le corps & ne peuvent corrompre
le coeur: (
Les écrivains qui fe font occupés de 1 éducation ,
ont recommandé l’ufage des jeux dont1 adrefie efi
la bafe ; les phyficiens en ont montre les avantages
, les auteurs militaires en ont fait voir la né-
ceflïté, l’exemple des peuples anciens l’a démontrée,
touts les hommes la reconnoifient, & par une
fatalité fingulière , ces jeux n’ont jamais été dans
un diferédit plus grand que celui dans lequel ils
font tombés aujourd’hui. Il feroit affez curieux
d’affigner les caufes de cette bifarrerie, mais il
vaut mieux cherchera les détruire.
En parlant, dans les paragraphes précédents,
des jeux de hafard & ceux de commerce, nous
nous femmes uniquement occupés des officiers
frànçois', parce que les foldats jouent peu ces
jeu x , & qu’ils n’engendrent point parmi eux des
maux auffi grands que parmi leurs chefs ; mais
d a n s celui-ci nous devons nous occuper des uns &
des autres, parce que les jeux d’adreffe font au
moins auffi néceffaires aux foldats qu’à leurs officiers.
# .
Pour arracher les officiers à l’inaâion , a 1 ennui
& à la molleffe dans laquelle ils vivent, & qu il
importe tant de bannir, ( voye^ Moeurs ) , je ne
dirai point, comme les partifans outrés du bon
vieux temps, qu’on doit les forcer a donner toutes
leurs journées aux jeux d’adreffe & a 1 exercice des
arts académiques ; je ne demanderai pflirit qu’ on
rétabli fie ces fêtes brillantes où nos ancêtres ve-
noient montrer à grands frais, qu’ils avoient con-
fumé les loifirs de la paix à des plaifirs purement
militaires ; ce ne font point des temps fi éloignés
qu’on doit prendre pour modèle , des moeurs auffi
antiques qu’on doit chercher à faire revivre ; mais
pourquoi ne rappellerions-nous point ces temps affez
rapprochés du nôtre,où nos guerriers jouoient
fouvent à la paume , aux barres, au mail 8c au
battoir, &c. ? Et pourquoi ne ranimerions-nous
pas fur-tout le goût qu’ils avoient pour la chaffe,
ce plaifir noble & pur dont un grand nombre d’écrivains
militaires ont montré les avantages. La
chaffe , nous difent ces écrivains , étoit chez les
Spartiates le feul divertiffement qui fût toujours
permis aux jeunes gens ; elle a procuré de grandes
viâoires aux Romains ; un nombre confidérable
de généraux habiles à différentes nations ; 8c à
toutes des guerriers célèbres ; elle forme le eoup-
d’oe il, elle apprend à reconnoître & à juger un
pays , à braver la rigueur des faifons, 8c à fuppor-
ter l’àrdeur des befoins les plus vifs. ( Voye^ la
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Ciropédie., tomeI,page 11 ; les infiitutîons militaires
de Végèce , tome I , page 37 ; les commentaires
de Folard fur Polibe , tome I , pages m &
122 ; les réflexions de Santa-Crux, tome l ,p . 12 ).
Je n’ignore point qu’un prince, que l’Europe entière’
admire avec raifon , a dit dans -fon Anti*
Machiavel, qu’il n’efl point néceffaire d’être chaf-
feur pour être graqd capitaine ; je fais bien quil
cite de grands exemples à l’appui de fon opinion ,
& qu’il montre qu’on peut, en fe promenant feul,
faire fur l’art de la guerre des réflexions plus judi-
cieufes & plus folides qu’au milieu d’une chaffe où
l’on eft prefque toujours entraîné, ou au moins
diftrait par le bruit des cors, les cris des chiens, &c.
Mais comme ce grand prince , en écrivant contre
la chaffe, étoit plus occupé des rois que des fimples
guerriers , fon opinion , de quelque poids qu elle
foit, ne doit pas , dans ce moment , emporter la
balance ; la chaffe ne procurât-elle nêanmoins-
qu’une foible partie des avantages qu’on lui a at-
i tribués, elle ne mériteroit pas moins d’être vivement
encouragée. Ce ne font point, a dit fenfé-
ment un moralifte moderne , les reproches d une
mère, les ordres d’un père , les avis d un ami ,
qui attiédiffent les défirs fougueux de 1 adolef-
cence , c’efl la fatigue ; plus un jeune homme tranf-
pire & dépenfe d’efprits animaux dans les exercices
du corps & de l’efprit. moins fon imagination
s’échauffe, & moins fon amour pour les femmes^
eft excéflïf; quand la chaffe ne produiroit donc que
cet effet, c’en feroit affez pour la rendre précieufe ;
faifons donc renaître le goût de cet exercice utile ;
. pour y réuffir, il ne faut que procurer aux officiels ,
dans chacune de nos garnifons, un vafte pays de
chaffe ; & pour avoir ce terrein , il fuffiroit peut-
être d’obliger les perfonnes qùon accufe d avoir
ufürpé les plaifirs des garnifons , à les leur refti-
tuer; fi cette reftitution ne fuffifoitpoint, le gouvernement
pourroit, avec facilité , rendre plus
confidérables ceux qui exiftent déjà, ou en créer
de nouveaux. Que les officiers généraux & les
chefs de corps fe livrent enfuite à cet exercice ;
qu’ils en vantent les charmes , & bientôt il fera
auffi chéri qu’il eft aujourd’hui délaiffé. Les moyens
faits pour ranimer, parmi les officiers , les jeux
d’adreffe & ie s ans académiques ,font auffi fimples,
auffi faciles que ceux que nous avons indiqués
pour la chaffe ; avec un peu d’art, de foin & de
dépenfes, on parviendra bientôt a faire aimer , aux
officiers frànçois , les exercices qui font l’objet de
ce paragraphe ; exercices bien moins dangereux
que les plaifirs auxquels ils font livrés, dont les
inconvénients font rachetés par les avantages , &
qui peuvent feuls éteindre 1 amour des jeux de
hafard.
Pour prouver qu’il faut auffi faire revivre, parmi
les foldats frànçois, le goût des jeux d’adreffe , tels
que la paume à la main , le battoir, le mail ,
palet, les boules ; les quilles , &c. , pour démontrer
qu’il eft néceffaire de les exercer à la couric ..
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