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bar v* j’ai dit qu’il ètoit dangereux de fe tenir en
préfence de l’ennemi, lorfqu on a réfolu de ne pas
en venir à un combat ; cependant comme il peut
arriver qu'il vous Toit important de conserver un
terrein que vous êtes enfuite obligé d abandonner
, il faut examiner par quels moyens vous pourrez
faire retraite en fureté. ^ •
Pour cet effet, quand vous faurez -que 1 armee
ennemie commence à manquer de fourrage, donnez
ordre pendant la nuit à votre cavalerie de fe
difpofer au fourrage , & laiffez adroitement la facilité
à quelques-uns de vos prifonniers de s’échapper
, afin que par eux ou de quelque autre ma
nière, les ennemis apprennent que vous vous préparez
pour le fourrage. Le matin votre cavalerie
prendra fa marche, comme fi effeâivement elle
alloît au fourrage , les généraux qui la commandent
auront ordre de lui faire faire halte auffitôt qu elle
ne fera plus vue des ennemis , & de la ramener au
camp à grand pas , lorfqu’ils en feront avertis par
un fignal, de quelques bombes | ou de quelques
fin fées volantes tirées d un pofte a diftance de pouvoir
les découvrir.
Les foldats du flanc ou de la file qui regardent
les ennemis & leurs gardes avancées , iront en
veftes ou en bonnets , afin que fi les ennemis les
obfervent avec des lunettes d’approche, ils foient
perfuadés que cette cavalerie va au fourrage ; elle
aura fes armes & fes felles , fous prétexte^ de
crainte d’être chargés ; mais en effet, pour qu elle
rie foit pas obligée de s’arrêter dans le camp pour
feller fes chevaux , l’endroit vers lequel votre cavalerie
marchera pour faire halte, fera éloigné du
chemin que vous devez tenir dans votre retraite ,
afin que fi les ennemis font avancer cîe ce coté-là
un détachement pour y dreffer quelque embuf-
cade, ils ayent befoin enfuite de plus de temps
pour venir vous incommoder fur votre retraite.
Auffitôt que vous aurez détaché votre cavalerie,
faites fermer les barrières du camp , & entourez-le.
de fentinelles de la manière que je l’ai dit en traitant
des furprifes, afin qu’aucun efpion ou défer-
teur ne paffe vers l’ennemi , pendant que , fans
bruit, vous chargez le bagage , & que vous 1 af-
femblez derrière quelques collines, ou dans des
tavins que les ennemis ne peuvent découvrir.
Vos officiers & vos foldats auront ordre en
même-temps de ne pas s’éloigner de leurs drapeaux
, 8c d’être prêts à lever le piquet quand on
le leur commandera ; dès que vos efpions vous
donneront avis qu’un gros corps de troupes des
ennemis s?eft éloigné pour aller au fourrage, faites
revenir au camp votre cavalerie, & levant promp.
tement le piquet, mettez votre armée en marche.
Alors les ennemis ne fauroient vous atteindre ,
puifque vous avez gagné fur eux le temps nécef-
faire pour charger le bagage , fceller la cavalerie ,
& pour affembler les hommes de chaque régiment
avec ces précautions ; quelque diligence que les
ennemis puiffent faire, ils auront befoin de deux
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ou trois heures, & fi une fois vous avez fur eux
cet avantage, vous le conferverez, en faifant toujours
les plus grandes marches qu’il vous fera pof-
fible, jufqu’à ce'que vous arriviez dans Un pays
qui, par fes places & fes rivières, vous mette en
lureté contre vos ennemis.
Cæfar ayant été battu par Pompée auprès de
Durazzo , fit retraite vers Sappollonie. Dans fa
marche les ennemis s’approchèrent fi fo r t, qu’ils
en étoient déjà venus aux mains avec Jon arrière-
garde; Cæfar s’arrêta dans fon ancien camp d’Af-
paragne, où ayant défendu de décharger le ba-
bage, & à tout foldat de s’éloigner de Fon porte,
il fit fortir fa cavalerie par la porte du camp qui
regardoit les ennemis, comme fi cette cavalerie
étoit commandée pour le fourrage , & il la fit rentrer
par une autre porté que les ennemis ne dé-
couvroient pas. Pompée campa auprès , & croyant
que réellement la cavalerie de Cæfar étoit allée au
fourrage, il permit à fes troupes de s’écarter pour
chercher ce qui leur étoit néceffaire. Cæfar l’ayant
obfervé, fe mit en marche une fécondé fois pour
faire retraite, fans que les ennemis lé puffent joindre
ce jour-là ni le fuivant, parce que Cæfar avoit fait
partir la même nuit fon bagage , que les troupes
avoient fuivies peu d’heures après, en confervant
toujours le même avantage qu’elles avoient pris
le premier jour.
On voit dans la vie de Guillaume III de Naffau,
que le maréchal de Schomberg fit de cette manière
la fameufe retraite de Warén , quoique M. de
Schomberg vînt de fecourir une place ; Guillaume
de Naffau fe faifit de telle forre des partages pour
le retour, que les François auroient peut-être eu
de la peine à échapper fans l’habileté du maréchal
qui les coinmandoit.
Les exemples d’Ifmaël & de Charles V , duc de
Lorraine , que, j ’ai rapportés en traitant des pcca-
làons où il faut tâcher d’en venir à un combat,
font voir qu’au lieu de fourrages , on peut feindre
d’avoir un détachement pour furprendre une place
ou,un porte vers un endroit éloigné du chemin que
yous avez réfolu de prendre pour votre retraite.,
afin que fi les ennemis envoyent un autre corps
de troupes pour s’y oppofer, ils ne"fpient plus en
état de vous fuivre , à caufe qu’ils manquent de ce
corps de troupes qu’ils ont détaché. ,
Si les ennemis foupçonnent que vous avez def-
fein de faire retraite dans peu de jours, il eft à
préfumer qu’ils feront prêts à vous fuivre, parce
qu’à force de vigilance & d’efpions, ils tâcheront
de découvrir vos menées & vos rufes ; par confé-
qiierrt votre premier foin doit être de cacher les
deffeins que vous avez d’abandonner votre camp,
en quoi on peut fouvent réuffir, en- faifant fem-
blant d’en augmenter les fortifications, ou en envoyant
des ordres aux lieux circonvoifins d’apporter
dans ce même camp une groffe quantité de
J vivres 8c de fourrages , en prefcrivant néanmoins
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un terme qui puiffe donner le temps à un contre-
° f Le duc de Luxembourg , maréchal de France.,
ayant eu quelque défavantage dans un choc contre
les Impériaux , vint occuper un terrein favorable ,
& s’y fortifia comme s’il avoit eu deffein de s’y
établir. Les ennemis qui étoient en préfence ayant
cru que c’étoi-t là fon intention , furent un peu
moins vigilans ; & une nuit le maréchal fit à la four-
dine faire retraite à l’armée Françoife.
Dragut, inverti dans les Gelbes par l’armée navale
de Charles V , commandée par le prince Do-
ria, travailloit fecrètement la nuit à s’ouvrir un
canal pour faire paffer des galères dans le golfe
d’Agen, mais afin que Doria fe perfuadât que
Dragut vouloit fe maintenir dans l’ifle ; & par con-
féquent il ne fe trouva pas prêt pour lui donner la
charte de ce côté-là, d’où il fembloir n’y avoir
rien à craindre ; les troupes de Dragut travailloient
tout le jour à fe retrancher dans le porte appelle la
tour de la Cantara, que les Impériaux découvroient,
& qui , trompés par cet artifice, donnèrent le
temps à Dragut de finir le canal 8c fe mettre en
fureté.
On peut auffi entamer un rraité pour l’échange
des prifonniers , pour enterrer les morts demeurés
fur le champ de bataille dans un choc'précédent ,
pour s’aboucher avec le général ennemi, ou pour
convenir d’une fufpenfion d’armes , & pendant
qu’on travaille à des préliminaires de paix , & faire
retraite avant de figner le traité , 8c ayant que
votre artifice puiffe vous faire aecufer d’avoir uïé
de mauvaife foi dans la négociation. c
Philippe, roi de Macédoine, ayant été battu
dans un combat contre le eonful S.ervius Sulpitius
Galba, rentra dans fon ancien camp, qui étoit fortifié,
& afin de pouvoir faire retraite la nuit du
jour que le combat s’étoit donné ,, il envoya demander
au eonful une trêve pour enterrer les
morts, mais en effet, dans la viie> par cette demande,
de donner moins à foupçonner aux Romains.
Dès qu’il fit nuit, Philippe abandonna fon
camp , & fe retira à la fourdine.
Nicias, capitaine d’Athènes , fe voyant fuivi
de près par l’armée de Lacédémone , commandée
par Gilipe , envoya un trompette au général Lacédémonien
, pour lui offrir de fe rendre fous certaines
conditions ; pendant que Gilipe s’entrete-
noit avec le trompette , Nicias fit retraite , & gagna
affez de chemin pour arriver avec fes troupes en
un pofte fort par fa (îtuation , où il n’y avoit plus
rien à craindre.
S’il ne paroît pas vraifemblabie que vous puif-
fiez vous maintenir longtemps dans votre camp , à
caule que vous, y manquez de vivres , de fourb
e s , &c. , donnez ordre à votre armée de marcher
le jour fuivant, & après qu’il fe fera parte
affez de temps, pour que cet ordre puiffe être connu
des ennemis, vous donnerez un fécond: ordre ,
afin que votre aTmée farte retraite la même.nuit.
Art militaire. Tome III.
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François Sforce mit utilement ce ftratagême eu
pratique pour furprendre le partage de l’Oglio ,
que Nicolas Piccinino lui difputoit.
Cortès qui étoit inverti dans le Mexique, & qui
favoit que les Indiens ne l’amufoient fous prétexte
d’une capitulation , que pour faire confumer les
vivres des Efpagnols , feignit,d’ignorer leur défi*
fein , 8c envoya une fécondé ambaifade à fes ennemis
, afin de conclure le traité , en leur donnant
à entendre qu’il avoit réfolu de partir dans huit
jours , & il fit retraite la même nuit.
Avant le fécond ordre pour charger le bagage
& pour fe préparer à marcher, il faut pofer des
fentinelles, dreffer des embufeades , & preferire
tout ce qui peut favorifer la marche; j’ai parlé de
toutes les précautions à prendre fur ce fujet, en
traitant des furprifes & des marches , je ferai voir
bientôt combien il eft important que votre cavalerie
porte quelque fourrage de réfervé pour la halte
qu’elle fera, fur-toiit lorfque vous- n’avez pas pris
un affez' grand avantage pour être .affiné que les
ennemis rie vous atteindront pas le premier jour
de votre marche.
De quelle manière les malades , les convalefcens , g*’
les gros bagages doivent prendre quelques heures-de
' chemin , afin que le refie de Varmée fajfe retraite
fans danger & fans apparence de fuite.
Il fuffit quelquefois d’avoir feulement le plus
petit avantage de chemin pour mettre une armée
en fureté , pourvu qu’elle marche fans l’embarras
des malades , du bagage & de la groffe artillerie >
mais il n’en eft pas de même , lorfqu’elle eft obligée
de marcher au pas de ces trois corps pefans ,
qui caufent beaucoup de retardement, principalement
dans les chemins bourbeux & dans les défilés*
En ce dernier cas , comme auffi lorfque par des
rivières qui ne font pas guéables , par des montagnes
inacceffibles, ou par une unique avenue
que vous avez eu là précaution d’occuper , vous
êtes àffuré que les ennemis ne viendront point par
un flanc fondre fur votre charriot, dans touts ces
cas, détachez pendant la nuit ce gros charroi avec
beaucoup de filence, & quelques heures ayant
que le gros de l’armée fe mette en marche pour la
retraite, faites ôter les fonnettes aux mulets 8c aux
boeufs, ordonnez qu’on grairte les effieux , afin
qu’on ne les entende pas de loin , & défendez
qu’on allume des falots & qu’on pouffe des cris.
Les nuits où régnent de grands vents font favorables
dans cétte oçcafion , pour empêcher que ce
bruit inévitable des valets & des charretiers ne
foit entendu des ennemis.
Il n’y aura que les généraux 8c les principaux
officiers de i’efeorte qui fauront l’endroit où l’on
va. Ils donneront à comprendre que ce charroi éft
fuivi de près du refte de l’armée, parce que fur
üavis de quelque dè.ferteur, les ennemis pourroient
fe déterminer à envoyer un détachement contre