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au plus haut de la montagne, un peu avant des
colonnes qui marcheront au-dertous ; de maniéré
que fi l’ennemi eft porté fur le plus haut, il puifle
craindre que pendant que les détachements l’occuperont
en tête, il ne foit tourné, 8c enveloppé par
le corps qui marche au-deffous.
Que fi l'ennemi a barré toute la gorge d une hauteur
à l’autre , il faut l’attaquer de nuit , dans tout
cet efpace , par plufieurs endroits ; parce qu’il luf-
fît d'en forcer un feul pour fe rendre maître de
tout le front qui fe trouve féparé , & dont la droite
& la gauche de l’endroit forcé ne peuvent fe rejoindre
pour former un'corps capable de réfifter au
corps qui a forcé Sc qui eft enfemble.
Comme il ne fe peut pas aulïi que cette gorge
n'ait des revers, l’infanterie qui aura été conduite
dans les gorges vôifines , 8c à qui il aura été pref-
crit de tâcher de monter fur les revers de la gorge
qu’on a réfolu d’attaquer férieufement , occupera
ou déplacera furement l’infanterie ennemie qui
tient la hauteur de l’un des deux côtés , & rendra
par conféquent l’attaque du front plus praticable j
ce qui eft d’autant plus fûr , que l'ennemi forcé en
un endroit,ne pouvant plus (e rejoindre avec le
refte des troupes portées furie front qu’il a voulu
défendre , fera contraint de fe retirer en détail pour
tâcher de fe rejoindre ; pendant lequel temps les
détachements qui auront été envoyés pour gagner
le haut, en étant les maîtres , 8c marchant en
avant , toujours en fe foutenant , faciliteront la
marche du gros corps qui s’avance par le bas.
Je fais, par expérience , qu’il y a des natures de
pays où les gorges fe trouvent tellement rerterrées
par des rochers , qu’elles forment une chaîne inac-
ceflible jufqu’au plus haut de la montagne. En ce
cas, pour en déporter l’ennemi, il n’y a de parti à
prendreque celui de gagner les revers.
Si ces défilés font caufés par des marais qui
barrent abfolument le pays ,8c que , par exemple,
les marais d’un côté tiennent à une rivière, & de
l’autre à une place, & qu’enfin on ne les puiffe
tourner, il n’y a de parti à prendre pour les paffer,
que d’y faire des chauffées de fafcines , & d’efpace
en efpace des redoutes dans les lieux du marais
qui feront les plus fecs , & où l’on pourra placer
quelque infanterie, & même du canon , afin que
la colonne qui fera en marche fur cette chauffée foit
protégée, & même couverte parle feu du canon
& de la moufqueterie qui fera dans ces redoutes.
Après touts ces foins , fi l’ennemi qui veut empêcher
le partage de ces marais fait fe placer ,
comme nuis de vos mouvements 8c de vos ouvrages
ne peuvent échapper à fa vue, il lui fera
bien aifé d’empêcher qu’on ne rétifliffe dans cette
çntreprife.
Si ces défilés font caufés par une forêt dont le
fond foit marécageux , & où il n’y ait que quelques
chemins fecs , dans lefquels l’ennemi auroit fait des
abattis & placé ae l’infanterie, comme les déblais
de ces abattis font longs à faire fous le feu de l’en-
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nemi, cet ouvrage coûtera bien des hommes & du
temps. Il n’y a d’expédient que de bien fouiller
toute la forêt par fon travers , eflayant de trouver
quelque partage ou négligé par l’ennemi, ou éloigné
de fes principaux abattis , afin d’en pouvoir
prendre les flancs ou les derrières ; auquel cas on
le dépoftera aifément,après quoi il ne reftera d’où»
vrage que celui de ranger ces arbres coupés, pour
faciliter la marche des premières colonnes d’artillerie
ou de cavalerie.
Mais comme dans ces cas l’ennemi ne tient ces
abattis que par de l’infanterie détachée , 8c qu’il fe
fera apparemment porté dans la plaine avec fon
armée, à diftance d’empêcher qu’on ne puiffe déboucher
du front, lorfqu’on eft parvenu au bord,
de la forêt, il faut s’étendre autant qu’il eft pof-
fible ; déborder le front de l’ennemi s’il fe peut
placer du canon à plufieurs endroits ; gagner du
terrein fur la plaine par des ouvrages qui teront garnis
d’infanterie & de canon; lier enfuite ces ouvrages
les uns aux autres , afin d’y placer toute une
ligne. Après cela , fuivant la conftitution du pays ,
la fécondé ligne retranchée, foit pour gagner par
la droite ou la gauche le flanc de l’armée ennemie »
foit pour marcher de front & attaquer l’ennemi ,
après avoir pendant la nuit rafé touts les ouvrages
qu’on aura faits les nuits précédentes , afin qu’il ne
refte aucune féparation entre les deux lignes d’une
armée qui s’avance pour combattre.
Si ce défilé pour aller à l’ennemi eft une rivière ,
elle a des gués ou elle n’en a point. Si elle a des
gués qui foient féparés & dans une diftance hors
de la vue , il en faut fnrprendre quelqu’un par des
mouvements de nuit, & avoir difpofé des troupes
de manière que pendant qu’elles partent à ce gué ,
on paroiffe occuper fortement l’ennemi en quelque
autre endroit éloigné de celui où l’on parte, & que
ces attentions éloignées que fon donne à l’ennemi
ne finiffent qu’avec la nuit.
Il faut beaucoup de Vivacité dans ce mouvement
, parce qu’il faut être en bataille de l’autre
côté de U rivière, en état de recevoir l’ennemi,
avant qu’il ait eu le temps d’y marcher avec un
front capable de culbuter ce qui auroit parte, ôcqui
fe feroit étendu pour former un front plus grand
que celui de l’ennemi, qui n’y peut d’abord arriver
qu’en colonne.
Souvent ces gués peuvent fe trouver vis-à-vis
d’une hauteur. En ce cas, il faut faire paffer toute la
cavalerie la première, afin de s’y placer. Souvent
aufli ils peuvent être près de quelque défilé , qu’il
faudroit que l’armée ennemie paffât devant vous ;
& en ce cas il faut faire paffer l’infanterie la première
, afin qu’elle garde le défilé, & foutienne un
combat pendant que la cavalerie parte , & fe reforme
derrière l’infanterie ou fur fon aile , fuivant
le terrein.
Si la rivière qu’on veut paffêr n’a point de gué,
il faut obferver fi les bords en font hauts 8c efcar-
pés, & de quel côté eft la fupériorité des bords ;
MAR
parce que fi elle fe trouve du côté de l’ennemi, il
eft inutile d’en tenter le partage, on n’y réufliroit
^ Il faut obferver encore fi la riviere a plufieurs
îles, & fi les îles font couvertes de bois: en ce ca s ,
on peut fe rendre maître de quelques-unes- de ces
îles, faire un pont fur la branche > de la rivière
jufqu’à l’île ; voir de quelle nature eft le terrein du
côté de l'ennemi ; s’il eft de maniéré qu on n y
puiffe prendre aucun établirtement pendant que
l ’on conftruit le pont entre Pile & le bord ; & fi
l’armée , à la faveur de cet établirtement, peut
paffer par la droite ou la gauche du retranchement,
fans pouvoir être combattue pari ennemi,
avant qu’elle foit entièrement paffée , fans quoi
l’entreprife ne réuflira pas. ,
Que fi ce font des ravines confidérables oc difficiles
qu’on veut paffer, 8c que l’ennemi foit à
portée de s’y oppofer, il faut encore obferver de
quel côté eft la fupériorité'du terrein , fans laquelle
certe opération ne peut réüffir.
Il faut obferver la nature du fol : fi elle eft de
ïoche, elle eft prefque importable ; ft elle eft de
terre que l’on puifle renverfer des deux côtés &
réduire en talut , cela peut devenir praticable.
Mais dans ce cas , la plus grande difficulté eft que ,
comme cette elpèce de travail eft fort longue , il
peut être détruit en un moment par le. premier
orage. Je n’en parlerai ici que pour ne rien
omettre de toutes les opérations de guerre.
Sur toutes les différentes manières de cette lep-
tième nature de marche, il n’y en a aucune fur laquelle
on puifle s’affurer de la réuflite , fans une
grande fupériorité de force fur l’ennemi , qui fait
qu’il ne peut pourvoir à tout, Ou fans avoir a faire
; à un général 'borné dans fes lumières, & qui ne
fera pas pUfté dans une diftance qui ne fera pas
convenable , pour empêcher fon ennemi d’ofer ,
hafarder de défiler près de lu i, fans craindre d’être
forcé à combattre avant que d’avoir eu le temps de
-fe former. . . .
Lorfque le général aura conduit fon projet juf-
qu’au point de faire marcher fon armee pour invef-
tirune place , qui eft la huitième des manières de.
marcher, il- y a plufieurs chofes à obferver, tant
par rapport à la fituation de la place qu on veut
invertir, que par rapport a la connoiffance-de ce
■ mouvement , qu’il faut dérober à 1 ennemi.
Comme dans la fuite de ce difeours , il fe trouvera
un chapitre particulier de la manière d invef-
tir une place , je ne parlerai ici que de celles d'y
marcher :. il y en a deux.
Ou l’armée eft affemblée précédemment, ou
«lie eft encore dans les places & pofles voifins.
Elle eft affemblée, proche de celle des ennemis, ou-
elle eft hors de portée : fi elle eft proche , il faut
que la marche foit vive , faite avec précaution , dé-
barraffée d’équipages, & l’inveftiture fi bien reconnue
, que la marche feule de 1 armée la faffe.
Cette manière d’inveftir une place, eft fouvent
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dangereufe , parce que l’armée qui invertit, peut
avoir été fuivie d’affex près pour n'avoir pas le
temps de fe rejoindre 8c de s’oppofer à l’ennemi
qui vient en bataille ; ainfi je ne la confeillerai
jamais.
Il eft bien plus fûr d oppofer toute” l’armée à
celle de l’ennemi , en tenant la place que l’on
veut invertir derrière , & en couvrant ainfi le corps
deftiné à faire le fiège ; ce qui tombe dans le cas
de faire un fiège avec deux armées , l’une d’obfer-
vance, qui eft celle que j’ai placée au-devant de
l’ennemi , 8c l’autre qui doit fe renfermer dans des
lignes, 8c faire le fiège.
Si on eft hors de portée de l’ennemi, il y a moins
de précaution à prendre ; 8c en ce cas-la, le général
peut garder les menus bagages avec lu i , fi la
conftitution du pays par lequel il doit marcher le
lui permet.
Si ce fiège fe fait à l’ouverture de la campagne ,
8c que l’armée foit féparée feulement par de gros
corps, il faut que toute la cavalerie qui compofe
l’armée , par-tout où elle fera , ait des ordres fe-
crets pour marcher à différentes heures , fuivant
la diftance où elle fe trouvera de la place qu’on
veut invertir ; que le terrein que chaque corps de
cavalerie doit occuper dans l’inveftiture , lui foit
précifément marqué, 8c que toute la cavalerie fe
trouve en même temps autour de la place.
Il faut tâcher de prendre fes mefures de manière
que l’inveftiture fe faffe avant le jour , afin qu’à la
nointe du jour , il ne puiffe plus rien fortir de la
I place, 5c qu’il n’y ait qu’à marquer le terrein cfes
camps 8c des lignes. L’infanterie doit,’ autant qu’il
fe peut, avoir fuivi la cavalerie de près , afin de
pouvoir, dès fon arrivée , marcher fur les ter-
reins qu’elle doit occuper dans la circonvallation.
La neuvième manière de faire marcher une armée
, eft quand elle a pour objet de garantir une
place d’être invertie.
Lorfque dans la fuite je parlerai des fièges , on
y trouvera les précautions qui doivent être prifes
par le prince , tant pour les approvifionnements de
vivrès 8c munitions de guerre , que *de troupes
pour la défenfe de la place.
Il ne s’agira donc ici que de ce qui regarde le
général, qui doit veiller de fi près au mouvement
de l’ennemi, qu'il ne puiffe lui dérober une invefti-
ture. Il faut, pour cela qu’il fe place de manière
qu’ il couvre toujours , ou au moins tienne de près
les places qui peuvent être les objets d’attaque de
l’ennemi.
Que fi l’inveftiture de ces places eft coupée par
une rivière ou ruiffeau difficile à paffer, une forêt,
ou des défilés , il faut qu’il fe campe de manière à
pouvoir arrivera cette place par le côté par lequel
l’ennemi n’en peut pas avoir fait rinveftiture avant
fon arrivée , ou n’y puiffe pas être placé avec un
corps Supérieur à celui qu’il peut y mener avec
diligence ; qu’il marche à l’ennemi fans aucun bagage
de l’armée, fe retire derrière les places pour