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combat malheureux , que dans une fuite précipi- I
tée. C ’eft la réflexion que fournit Plutarquo , lorf-
qu’en décrivant de quelle manière les fuyards dans
là défaite de Tigrane, pour accélérer leur fuite ,
fe renverfoient les uns fur les autres 8c s’étouf-
fôient, s’exprime en ces termes : « C ’eft ainfi que
tant de troupes 8c tant de mille hommes périrent
fans avoir reçu aucune bleffure, ni avoir vuverfé
aucun fang.
Vêts quel endroit les troupes battues doivent faire
retraite.
En traitant des difpofltions avant une bataille,
j'ai dit que vôus devez fecrettement inflruire vos
généraux de l’endroit vers lequel ils doivent faire
retraite avec les troupes qui font reipeéfivement
fous leurs ordres , au cas d’une défaite , & quJils
ne puiffent pas prendre le même chemin que vous.
Je vous ai confeillè aufii d’aflignerà chacun de vos
généraux , deux ou trois retraites différentes ? afin
qu’ils puiffent préférer 8c choifir celle qui leur pa-
roîira la meilleure , pour fe délivrer d’être un
peu plus longtemps harcelé par les vainqueurs.
Dans une égale convenance des autres circonf-
tances , ne faites pas retraite par des chemins coupés
dans un pays dont les habitants peu affectionnés
à votre prince, font naturellement guerriers,
parce qu’ils empêcheroient vos partis de s’étendre
fur les flancs, pour y trouver des vivres & des
fourrages. Ils feroient prifonniers ceux de vos fol-
dats qui , bleffés ou trop haraffés , ne peuvent
fuivre Votre marche. Peut-être même difputeront-
ils à votre gros le paffage des défilés , afin de donner
le temps à l’ennemi de s’avancer pour charger
votre arrière-garde ; c’eft ce que j’ai prouvé par
divers exemples en traitant des batailles.
Je dirai néanmoins dans la fuite, qu’il«ft quelquefois
bon de faire retraite par un pays où il y a
des défilés à paffer , principalement lorfque votre
force confifte dans l’infanterie , parce qu’alors les
ennemis s’abftiendront de vous fuivre par la
crainte de quelque embufcade, ou du moins ils
ne détacheront point leur cavalerie, qui ferviroit
de peu dans ces défilés, contre des bataillons qui
font l’arrière-garde ;cela doit pourtant s'entendre,
dans la fuppofition que vous ayez pu prendre dans
votre retraite affez d’avantage pour que vos dernières
troupes fe trouvent déjà dans le défilé ,
avant que l’avant-garde des ennemis s’en foit approchée.
Tâchez, après une déroute, de conduire l’armée
dans un pays où, par fon abondance 6c par
l ’affe&ion que les peuples portent à votre fouverain
, vous êtes affuré de trouver de la fubfiftance ,
& un paffage libre pour recevoir des recrues des
autres provinces , des remontes , de l’argent, &
tout ce qui eft néceffaire pour refaire votre armée.
Si plufieuis provinces de votre fouyerain vous
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préfentent ces avantages, préférez celle o ù , par
les défilés 6c fes rivières , il vous paroîtra plus aifé
d’empêcher les ennemis de pénétrer plus avant
dans vos états.
Quand même il n’y auroit pas de défilés & de
rivières, il eft à propos de vous retirer dans la
province où les places les plus importantes dé
votre fouverain ont befoin du fecours de votre
armée.
Diodore de Sicile parlant des Perfes, qui furent
battus par Alexandre à la bataille d’Iffo , dit : que
quelques capitaines , après la déroute , s'étant jettés
dans les places importantes , rendirent un grand fer-
vice à Darius.
Ce fut pour imiter ces fages capitaines, dont
Diodore fait 1 eloge , que le prince rio de Savoye
tâcha, par toutes fortes d’ioftances, de porter l’armée
françoife à fe retirer apres la bataille de
'ïWin , pour couvrir l’état de Milan , ou, par fes
places confidérables 8c par fes rivières, on pou-
voit fe maintenir en Italie , 8c en tirer les contributions
abfolument néceffaires aux alliés pour continuer
la guerre, 8c la porter dans les autres provinces.
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Je ne prétends pas.dire pour cela qu’il faille enfermer
un trop grand nombre de troupes dans des
places mal fournies de vivres , 8c dont les ennemis
pourroient occuper les avenues , parce que
ce renfort de monde ne ferviroit qu’à les faire
prendre plutôt par un blocus.
Cela n’eft point à craindre, fi la place où un
trop grand nombre de troupes entrent eft fituée
fur une rivière qui n’eft pas guéable, 8c qui a des
ponts par lefquels les troupes qui font de trop
pour fa garni fon peuvent fe retirer pendant que
les ennemis font obligés de conftruire quelques
i autres ponts. D ’ailleurs il faudroit quel armée en-
! nemie fût extrêmement confidèrable , fi elle fe di-
vifoit pour former un parfait blocus, parce qu elle
fe mettrait en danger d’être battue fur l’un ou
l’autre bord de la rivière , fans que les troupes
d’un côté puffent fecourir celles de l’autre.
Si vous avez laiffé par-derrière quelques-unes de
vos places avec peu de troupes d_e garnifons , craignez
que les habitants , s’ils font peu affeéUonnés
l à votre prince, ne s’en rendent les maîtres , dès
qu’ils apprendront que vous avez perdu la bataille.
! Suppofé que ce foupçon foit fondé , que votre premier
foin , en vous retirant du combat, foit de
détacher vers ces places un renfort de troupes
qui, par une marche forcée , tache d y arriver ,
s’il eft poftible, avant que la nouvelle de votre
défaite y foit parvenue. Faites même partir en
pofte d’abord après le combat , des officiers de
confiance qui, en entrant dans ce» places „ donneront
des marques de joie, comme fi votre armée
avoir gagné la bataille , afin que les habitants ,
malgré les avis qu’ils pourroient avoir reçus du
contraire, ne fâchent à laquelle des deux nouvelles
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Us doivent ajouter foi ; que dans cette incertitude
ils ne prennent aucune réfolution , & que fur ces
entrefaites arrive le renfort, qui les empêche de
rien ofer entreprendre.
Le maréchal de Staremberg tint cette conduite
à l’égard des Arragonois , après qu’en 1710 Tardée
de la Ligue eut été défaite à Villaviciofa par
celle des deux Couronnes. Dom Ferdinand Pigna-
tellio duc d’Hicar, qui commandoit dans l’Arra
gon, ayant appris la perte delà bataille , fit faire
de grandes réjouiffancès pour l’heureux fuccès du
combat, parce qu’il craignit les premiers mouvements
auxquels cette funefte nouvelle pouvoit
porter les Arragonois, fi elle arrivoit beaucoup
avant que les troupes battues fe fuffent retirées.
tans cette province.
Ariobarfane, défait par Alexandre, fe retira à
Perfepolis avec le refte de fon armée ; mais les habitants
de cette place, quoiqu’ils ne fuffent pas
mal intentionnés pour Darius , leur fouverain, fermèrent
leurs portes à fon général 6c à fes troupes ,
par la feule crainte du vainqueur.
Les Athéniens, qui dévoient leur liberté à Dé-
métrius Poliorcète , ne voulurent jamais lui ouvrir
les portes de leur v ille , lorfqu’après avoir été battu
par fes ennemis , il vouloit fe réfugier à Athènes,
les habitants éloignant tout fentiment d honneur
& de reconnoiffance , refufèrent un afyle au
vaincu , pour ne pas irriter le vainqueur.
De la retraite en déroute,
Contarini, dans fon cours de la guerre , dit
qu’une armée défaite & mife entièrement en détordre,
doit divifer fes troupes en différents corps,
afin que chaciyj faffe retraite par divers chemins,
non-feulement pour ne pas fe renverferles uns fur
les autres , ou trop retarder leur marche en paffant
les défilés , mais encore pour éviter que les ennemis
ne fuivent touts ces divers corps , parce qu’i l .
n’eft pas poftible , dans cette confufion, que le général
vi&orieux faffe autant de détachement affez
nombreux, que les troupes battues prennent de
différents chemins ; je le prouverai dans la fuite
par un exemple du prince de Condé. Les commandants
de ces corps, fans leur faire faire halte
que le moins qu’ils pourront, les conduiront au
lieu d’affemblée , félon l’ordre par avance que les
officiers généraux 8c les brigadiers en auront reçu
en cas d’une défaite.--
Ge que Contarini propofe fut pratiqué par Cer?-
torius, lorfque battu par Métellus, il ordonna à fes
troupes de faire retraité par différents chemins , en
les avertiffant de l’endroit où elles dévoient fe
joindre.
Frontin, dans le chapitre XIII de fon livre fécond
, donne le même confeil , 6c il ajoute que
Viriate, général des Portugais , après avoir été défait
par les troupes Romaines dans fa retraite, a
obferyé la même conduite que Certorius,
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Cette forte de ftraragême eft foft ancien , puifi*
que nous lifons dans nos livres facrés , que Jacob
appréhendant d’être attaqué par fon frère Efaü, di-
vifa fes gens 6c fes troupes en deux parties, afin
que ii Efaü faifoit main baffe fur l ’une , Jacob put
fauver l’autre.
Dans cette confufion générale d’une défaite , il
n’eft pas aufti aifé de rétablir les lignes que de
former des bataillons quarrés , ou des bataillons
renforcés. J’ai fait voir combien ces derniers
étoient avantageux, lorfque j’ai traité des moyens
de réparer un combat prefque perdu.
Il eft extrêmement important que ues officiers
généraux tiennent fecret le lieu où ils conduifent
les troupes , 6c que chacun d’eux donne à entendra
que c’eft votre armée qui les fuit ; de cette manière,
les peuples , quoique mal intentionnés pour votre
prince , n’oferont pas prendre les armes pour vous
difputer les paffages , 8c le général ennemi ne
pourra pas apprendre par les déferteurs 6c les pri—.
fonniers , ou les efpions , vers quel endroit 8c en
quel nombre il doit faire marcher fes détachements
pour atteindre vos troupes , ou pour les couper ;
les troupes elles-mêmes marcheront avec plus
d’affurance 8? déferteront moins , fi elles croyenc
que celles qui fuivent font des troupes amies.
Malgré toutes les précautions que j’ai confeillè
de prendre pour arrêter 8c rallier les fuyards , fou-
vent on n’y réuflit pas , parce qu’ordinairement,
après une défaite , les foldats fuient à la débandade,
8c dans une marche longue 8c forcée, plu*
fieurs, qui ne peuvent plus réfifter à la fatigue ,
s’enfoncent dans les bois , ou entrent dans des ravins
, afin d’éviter d’être faits prifonniers. Dans ce
cas , fi le pays vous eft affe&iohné, envoyez d’un
côté 6c d’autre des payfans en nombre pour retirer
ces foldats des bois 6c des ravins , 8c les con-»
duire par des fentiers cachés 8c furs au pofte que
vous leur aurez marqué.
C ’eft de cette manière que Philippe V , roi de
; Macédoine, ramaffa plufieurs foldats qui s’étoienc
perdus dans les montagnes, après que fon armée
eut été battue par le conful Titus Quintius Flami-
nus , auprès du fleuve Aoo.
Afin que ces payfans s’acquittent fidellemerff de
leur commiffion , mettez à leurs têtes des fergents
ou des officiers ; par-là vous empêcherez que lês
payfans n’affaifinent les foldats pour les dépouiller,
lorfqu’ils les trouvent défarmés 8c en nombre inférieur
; 8c les foldats n’oferont pas refufer d’aller
joindre leurs régiments. Il faut par confisquent que
ces payfans 8c ceS officiers portent au chapeau la
marque de leur nation , 8c qu’en langage de la
même nation ils appellent de temps en temps , 8c
invitent les foldats dont ils pourront être ouïs , à
les fuivre, parce qu’autrement les foldats ne for-
tiront pas de l’endroit où ils font cachés , dans l’ap-
préhenfion que ce ne fût une troupe ennemie qui
veut les fiirprëndre.
Il ne feroir peut- être pas inutile d’envoyer ordre