
3oî PAS PAS
quelque manière que ce fo it, en ne doit rien né* j Si c’eft pour une rivière , il faut ajouter un'
gliger de touts les avantages que ce terrein peut | nombre fumfanc de pontons, fi la rivière n’eft pas
procurer pour s’y mettre promptement en état de guéable, 8c que l’on ait pu mener avec affez de
défenfe ; car il eft certain que fi l’on a en tête un diligence un corps d'infanterie avec les dragons,
ennemi aâ if 8c courageux, il ne manquera pas de j ïlfaut pafler brufquement cette infanterie de l’autre
tomber brufquement fur les troupes qui ont paffé | coté avec des outils pour s’y retrancher , 8c affurer
la rivière pour forcer le retranchement qui couvre I la tête du pont, afin que le pajfage fe puifle faire
le pont 8c interrompre le pajfage. Des troupes va- I furemènt 8c commodément,
leureufes 8c bien conduites on t, dans ce cas , quel I L’armée doit marcher peu de temps après le
qu’en foit le nombre, un grand* avantage dans l’ac- f corps détaché pour cette expédition , afin qu’il ne
tion ; elles, peuvent être foutenues 8c fécondées de
celles qui les fuivent, au lieu que celles de l’armée
qui paffe la rivière 8c qui font parvenues à la
traverfer, ne reçoivent que des fecours lents 8c
tardifs ; elles font d’ailleurs totalement perdues ,
pour peu qu’elles foient pouffées 8c enfoncées ,
inconvénient auquel les autres font moins expo-
fées. Comriie l’ennemi néglige fouvent de profiter
du premier inflant pour attaquer les troupes qui
paffent une rivière, il n’eft pas étonnant que ce
pajfage réufliffe prefque toujours ; en effet, s’il hé-
fïte un moment , s’il délibère 8c qu’il temporife
un tant foit peu pour commencer fon attaque ,
lorsqu’il n’y a encore qu’une petite partie de l’armée
de panée, il donne le temps de fe mettre en
état de lui réfifter , de le combattre, 8c même de
lui faire quitter le terrein.
Lorfqu’une armée fe trouve obligée de pafler
une rivière pour s’éloigner de l’ennemi , elle doit
prendre de grandes précautions pour qu’il ne
vienne point la troubler 8c la combattre, pendant
cette opération. Non-feulément les ponts doivent
être couverts des deux côtés de la rivière par de
grands retranchements bien garnis de troupes ,
mais il faut encore que l’armée fe renferme elle-
même dans des efpêces de lignes du côté de l’ennemi
, qui la mettent en état de lui réfifferi, s’il veut
l ’inquiéter dans le pajfage de la rivière, Ces lignes
peuvent être formées par une efpèce d’enceinte
de plufieurs rangs de redoutes qui fe foutiennent
les unes & les autres , de manière que les troupes
en fe retirant, s’en trouvent couvertes 8c protégées
jufqu’aux ponts ou au bord de la rivière. Les
troupes qui gardent ces redoutes les abandonnent
à mefure que l’armée fe retire ; lorfqu’elle eft
prefque entièrement paffée, elles occupent le retranchement
qui couvre les ponts, 8c lorfqu’on a
commencé à les rompre , elles gagnent le bord
©ppofé dans des bateaux particuliers préparés peur
les recevoir. ( Q. )
Après avoir expofé en général les précautions
qu’il faut prendre dans cette importante opération ,
nous allons donner les maximes preferites par Feu-
quières & Santa-Cruz.
Si l’on veut , dit Feuquières , furprendre lin
pajfage ou de défilés , ou de rivière, on 4e peut
faire avec un corps de dragons, afin de prévenir
l ’ennemi par la diligence de la marche. On le peut
faire auflï avec de petites pièces de canon 8c des
pbarretfes. d’outils, fi c’efi pour un défilé.
foit pas trop de temps fans prote&ion , étant à pré-
fumer que l’ennemi fera un effort confidérable
pour battre ce détachement, 8cfe garantir des inconvénients
dans lefquels il pourrait tomber, fi
l’armée pafîoit, fans oppofirion, cette rivière ou
ce défilé.
Pour prouver, par des exemples » que ces maximes
font fures , je rapporterai ici ce que j’ai vu
pratiquer en pareil cas, ou ce que j’ai pratiqué
moi-même avec fuccès.
En l’année 167a , les Hollandois ayant' perdu
leurs places du Rhin en fort peu de jours , 8c
voyant que l’armée du roi marchoit à l’Iffe l, ils
en retranchèrent les bords , 8c en gâtèrent ou
crurent gâter les gués depuis Campen jufqu’à
Arnheim , comptant que les places fur cette rivière
étant munies de fortes garnifons , ils pour-
roient, avec le refte de leur infanterie Si toute leur
cavalerie, fouteair au moins quelque temps 1 ïffel
retranché, comme je viens- deie dire.
Comme l’efpace qu’ils's’étoient propofés de défendre
étoit fort étendu , ils fe trouvèrent également
foibles par-tout, & n’y purent faire aucune
réfiftance.
Cet exemple juftifie qu’il efl impoffible de garder
les bords d’une rivière lorfque le terrein à garder
efl d’une grande étendue , parce que l’attaquant
, qui paroît faire effort en plufieurs endroits,
afin de féparcr les forces de fon ennemi, & pour
lui donner des attentions également éloignées les
unes des autres, fe déterminant enfin contre le
lieu où il trouve le moins de réfiftance , l’emporte
toujours fur les travaux & la vigilance de fon ennemi
, principalement lorfqu’il fe fert de la nuit
pour exécuter fon entreprife-, parce que le temps
lui eft favorable pour cacher le lieu de fon princi«.
pal effort.
Je ne parlerai point ici du fameux pajfage du
Rhin au Tolhuis , arrivé prefqu’en même temps
que celui-ci ; parce que c’eft une aclion où la feule
témérité a été la raifon de fa réuffire, 8c qu’elle ne
doit jamais être citée comme un exemple à fuivre.
A la fin de cette même année 1672 , M. le maréchal
de Turenne, qui étoit dans l’éle&orat de
Trêves, du côté de Coblentz, ayant été joint par
les troupes que M. le prince lui avoit envoyées de
là haute Mofelle, réfalut de chaffer de la Weftpha-
lie M. l’éle&eur de Brandebourg , qui, dans cette
fai fon, ne croyant pas qu’il fût praticable à M. de
Turenne de faire faire un pont fur le Rhin, avoit
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donné à fon armée des quartiers d’hiver entre le
Rhin & le Wezer, où il lacroyoït fert en fureté.
Cependant M. de Turenne fit faire un pont a
WéfeL avec tant de diligence , que fon armee paffa
cetie rivière fans que M. de Brandebourg put
avoir !e temps de raflembler fes quartiers, qu il
leva avec allez de confufion , & qu’il fit marcher
féparément jufqu’au-delà du défile de Berkenbaum,
où il n’ofa pas même s’arrêter. U alla encore pat-
fer le WeZer , abandonnant ainfi toute la W ettpha-
lie à M. de Turenne, qui y raccommoda tranquiR
lement, pendant tout l ’hiver , fon armee fatiguée
des marches qu’elle avoit faites.
Cet exemple convient parfaitement aux deux
fuiets de la matière que j’ai traité dans ce cha-
pitre. On ne peut trop louer la diligence de M. de
Turenne à palier le Rhin , avant que M. de Brandebourg
eut pu avoir le temps de raflembler fes
quartiers , & la vivacité avec laquelle ce grand
général fit marcher fon armée julqu’au défilé de
Berkenbaum ; car il eft certain qu’il n’auroit été
d’aucune utilité à M. de Turenne d avoir paffe le
Rhin dans cette faifon , s’il n'avoit chafie M._ de
Brandebourg de toute la Weftphalie, & qu il n au-
roit pu encore établir furemenr les quartiers de les
troupes , s’il n’avott pouffe ce prince au delà dé
ce défilé de Berkenbaum & du Wezer.
Ainfi , dans cette occafion, je trouve le pajfage
d’une grande rivière heureufement exécute par la
diligence dans la conftruélion dun pont, dans une
faifon auffi fâcheufe ; 8c je vois le fruit du pajfage
de cette rivière, en portant l’armée jufquà un
défilé dont la poffefîion donne la tranquillité à des
quartiers féparés que l’on veut faire prendre à cette
armée. . _ 7. .
Au mois de décembre 1688 , je furpris le pont j
de Dilinghem fur le Danube , qui étoit gardé par
cinq cents hommes. Les ennemis avoient coupe j
l’arche du milieu de ce pont, qui étoit de bois ,
& y avoient établi un pont-levis, qui fe levoit du
côté de la Bavière, 8c les cinq cents hommes oc-
cupoient une grande redoute au bout du pont en-
delà. . . .
Lorfque j’approchai du Danube , je trouvai le
pont-levis levé, 8c cette garde placée dans la redoute
8c fur les deux côtés du pont derrière le
pont-levis. Voilà quelle étoit la difpofition des ennemis.
Pour les' obliger à abandonner ce pont ,
yo.ici ce que je fis.
Je reconnus, en m’approchant du pont, que les
ennemis n’avoient point percé ce pont-levis ;
qu’ainfi les hommes que j’avancerois fur ce pont ,
y feroient à couvert du feu de l’ennemi place fur
le pont, 8c que fur le bord de la rivière du côté
de Dilinghem ; il y avoit des chantiers de poutrelles
de fa pin ; je plaçai des dragons à pied à
couvert de ces poutrelles, qui, par leur feu fur
les ennemis , qui étoient fur la partie du pont au-
delà du pont-levis, les obligèrent à abandonner
cette partie du pont, la réferve de ce qui pût fe
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mettre à couvert contre le pont-levîs, qui n’étoit
plus protégé que du feu de la redoute, qui étoit
dans un terrein plus bas que le pont, 8c par cette
raifon môn feu fe trouva fupérieur à celui de la
redoute. . . .
Lorfque je fus proche du pont-levis , je vis que
les ennemis, qui n’a voient ^ coupé que depuis peu
de temps l’arche pour y établir un pont-levis ,
avoient laiffé de leur longueur les poutres fur lef-
quelles les montants des baffecules étoient pôles ,
qui excédoient de huit ou dix pieds de chaque coté.
Cela me fit penfer à faire pouiTer des poutrelles
de deffus le pont fur ces poutres , ce qui me donna
deux petits ponts aux deux côtés du pont-levis.; de
ces petits ponts je fis encore pouffer des poutrelles
fur les bords du. pont en-dedans du pont-levis ;
parce que je vis que les hommes qui s’étoient car
chés derrière le pont-levis, abandonnoient cet endroit
, où ils étoient en fureté contre mon feu.
Par le moyen de ce nouveau pont , quelques
dragons , avec leurs haches , rompirent la ferrure
du pont-levis , qui fe baiffa , 8c touts les dragons
marchèrent pour attaquer la redoute. Elle fut abandonnée'par
les ennemis, ce qui obligea la ville
d’Aufbourg , à douze lieues delà, de payerla contribution.
Ce n'eft point par un efprit de vanité, que je
viens défaire un détail circonftancié d’une aélion
que j’ai exécutée ; mais feulement pour faire con-
noître que cette efpèce d’opération de guerre fe
peut exécuter d’une infinité de manières différentes ,
dont il faut faire l’application à la nature 8c à l’ef-
pèce d’entreprife qu’on veut exécuter.
Car dans celle-ci, comment m’auroit-il été pofi*
fible de me rendre maître du pont de Dilinghen 9
fans canon pour battre la redoute , fans infanterie
8c fans bateaux pour faire une diverfion ailleurs
fi je n’avois pas fait attention à ce que l’ennemi
n’ayant point crénelé le pont-levis, il ne pouvoit
pas m’empêcher d’agir fur toute la moitié du pont *
8c fi je ne m’étois pas fervi de ces poutrelles , premièrement
, comme d’un parapet, pour affurer patf.
mon feu le travail que je faifois faire fur le pont 5
fecondement, pour me donner un feu fupérieur à?
celui de la redoute ; troifièmement, pour faire ces
petits ponts, à l’aide defquels je fis rompre la ferrure
du pont-levis ?
Dans l’occafion dont je vais parler, les ennemis
achevèrent Un pont fur le Rhin devant moi, fans
que je puiffe m’y oppofer ; ce fut en l’année 1692.
On fait que lorfque le Rhin déborde 8c fort de
fon l i t , il entre dans de vieux lits qu’il occupe par
fes eaux, qui laiffent pourtant des efpaces de terre
plus élevés , 8c qui demeurent à fec entre le véritable
lit du Rhin 8c ces vieux lits. Ce fut un de ces
temps favorables que les ennemis , campés vis:à-
vis de Tille de Santhoven , prirent pour faire leur
pont.
Notre général , campé à Markeim à neuf lieues
de là , m’envoya prendre le commandement du«