
j o S P A S
En parlant de la guerre offenfive, j’avertis de’
quelle manière l’infanterie qui paffe au gué une
rivière doit éviter de mouiller fes armes 8c fes munitions
, 8c comment les troupes qui ont paffé
doivent fe ranger en bataille. Si vous traverfez une
grande rivière dans des bateaux , ce que je dis dans
le me.me endroit des débarquements par mer',
vous fournira des avis que vous pourrez appliquer
à un debarquement d’une rivière navigable.
Lorfque les ennemis fe trouvent fur 1 autre bord
d ’une rivière que vous voulez palier , examinez fi
à quelques lieues de leur camp cette rivière eft
guéable ; ou fi, fans être entendu des ennemis , il
y auroit moyen de conduire au pofte où vous avez
deffein de la paffer, affez de bateaux ou de radeaux
pour , dans une nuit, mettre à 1 autre bord
toute l’infanterie, ék fi auprès de ce pofte il y a
quelque endroit de la rivière où votre cavalerie
puiffe paffer. Si cela eft , après qu’il fera nuit, en
montant, par exemple , vers le haut de la rivière ,
Vous ferez marcher .avec quelque bruit le long du
rivage, tout le bagage avec une bonne efeorte.
Vous ferez remonter auffi quelques bateaux, dont
les batteliers ferofit entendre le bruit des rames
dans Te au.
Peu après vous marcherez en grand filence, en
vous écartant de la rivière avec le refte des troupes
vers le bas ; & lorfque vous ferez arrivé au lieu
prémédité , qui doit être à. une diftance raifon-
nable des dernières gardes des ennemis , vous fe-
jrez palier en toute diligence vos troupes au gué,
ou dans les bateaux ou dans les radeaux que vous
y aurez fait tranfporter. ~ .■
C eft ainfi que Labiénùs paffa la Seine, en trompant
l’armée de Camulogène, qui tâchoit en vain
de l’obferver.
Le bruit- dans cette fauffe marche ne doit pas
être fi grand qu’il faffe connoître le ftratagème, ni
fi petit que les ennemis ne ^entendent pas.
Pour éviter qu’un déferteur ou un efpion ne
porte la nouvelle aux ennemis, de l’opération à
laquelle vous vous difpofez, 3 c du lieu où vous
marchez , qu'il' n’y ait que les officiers généraux
que vous devez employer dans cette aéfion qui
fâchent votre projet ; avant que les troupes faffent
aucun mouvement pôur marcher vers l’endroit où
elles doivent effeâivement palier la rivière, donnez
à entendre que votre deffein eft de la paffer
dans un endroit tout différent. Les ennemis fous
cet avis que leur donneront leurs efpions , ne
douteront peut-être pas que votre fauffe marche
ne loit réellement pour, exécuter le projet dont
le bruit s’ eft répandu.
En traitant des lurprifes -, j ’ai prouvé que les
ennemis gardent ordinairement avec moins d’exactitude
les poftes qui font forts par leur, fituation.
Dans cette fuppofition, il me paroît qu’on.trompera
plus aifément les ennemis , en faifant fem-
1)1 ant de forcer un gué où il y a peu d'eau , tandis
qu’une grande partie de votre armée paffe à la
PAS
foürdine par un autre où il y a plus de Ôouraftt &
plus de fond. . , .
Cléarque franchit ainfi le pa£age du Rhin , que
les ennemis lui difputoient.
H feioft bon de choifir un endroit où à l’autre
bord fur le chemin par lequel les ennemis doivent
néceffairement venir, il y eût un étroit défilé ;
alors vos premières troupes qui paffent l’occuperont
, afin qu’en attendant que les autres arrivent,
elles puiffent faire tête à la cavalerie ennemie, qui
fera la première qui s’approchera pour vous difpii-
ter le pajfiigc ; car plus les ennemis trouveront de
défilés fur leur chemin, .plus il leur faudra de
temps pour leur marche.
Comine Ventura dans fon difeours pour exciter
une révolte dans le pays des Turcs, veut que le
débarquement fe faffe dans un terrein rude &
coupé; parce que, dit i l , que la force des infi-
delles confifte dans la cavalerie , qui courroit d’abord
pour s’oppofer, 8ç qui né fauroit bien manoeuvrer
dans un femblable terrein.
Quand il n’y auroit pas de défilé , fi le terrein
de l’autre côté de la rivière eft couvert de bois,
coupé par des ruiffeaux, des haies , des murailles
de jardins, ou par des ravines , faites paffer votre
infanterie la première ; mais fi le pays eft en plaine,
que ce foit la cavalerie, que l’infanterie ie muniffe
de chevaux de frife , de la manière que je le dis en.
parlant de la guerre offenfive.
Pour franchir le paffage d’une rivière fans combattre
, il faut faire courir le bruit que vous allez
attaquer une place ou quelque pofte important., 8c
faire des mouvements qui perfuadent que c’eft là
réellement votre deffein * afin que les ennemis ,
pour accourir au fecours, quittent les bords qu’ils.
gaYdoîenf.
S i , lorfque toute l’armée a paffé , votre deffein
eft d’attaquer celle des ennemis, faites vers eux
tout le chemin que vous pourrez avant qu’il foit
jour , de peur qu’ils ne reconnoiffent où eft le gros
de vos troupes ; car jufqu’alors le croiront-ils peut-
être avec le bagage , qu’ils ont entendu marcher
vers le haut de la riviere ; 8c probablement pour
obferver cette marche , ils auront détaché une
bonne partie de leurs troupes, qui leur fera faute fi
vous les chargez avant qu’elle foit revenue joindre
leur armée.
Si l’armée ennemie eft campée fur le bord op-
pofé de la rivière fur laquelle vous avez deffein de
jetter un pont, vous vous précautionnerez de plu-
fieurs bateaux de toile, ou des pièces dé bois 8c
des cordes néceffaires pour conftruire les radeaux
dont on a parlé.
Vous ferez charger fur des charrettes touts ces
préparatifs, comme auffi des fafeines , des piquets,
des malles, des pieux avec les pièces de bois' & les
chevilles néceffaires pour les paliffades , des pèles .,
des pioches» des hoyaux , des pics , des hôtes -, des
ferpes, &c.
. Ces charrettes fe mettront en marche pendant la
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«mt - & le convoi marchera avec beaucoup de
filence & toujours loin de la rivière afin que les
«ardes, 'les patrouilles & les batteurs d'eürade que
les ennemis auront fans doute à quatre ou cinq
lieues de chaque côté , n’entendent aucun bruit. _
Le lieu du rendez-vous de ce convoi fera vis a-
vis quelque polie avantageux , & s il fe peut^ vis-
à-vis quelque petite montagne efearpée ailee à défendre
, qui fe trouvera fur le bord oppofé.
C’eft en droiture de cette-mqntagne qu’on déchargera,
qu’on-amènera les. petits bateaux de
toile, & qu’on conftruira les radeaux dont les
pièces de bois auront été tranfportées déjà unies
^enfemble , autant que la longueur des charrettes
aura pu le permettre. ✓ ....
Vous ferez paffer fur ces bateaux & lur ces radeaux
un détachement d’infanterie d elite , q u i,
avec deux ou trois ingénieurs, fera forti de votre,
camp ou de vos places , pour arriver au rendez^.
* vous à peu-près dans le même temps que ces préparatifs.
. .. . . J .
Ce détachement fe munira de touts les initi u-
ments de pionniers dont on vient de parler , 8c
dès qu’il fera à l’autre bord , il fe retranchera avec
toute la célérité poffible fur la montagne ou dans
le terrein avantageux qui aura ete choifi , afin de
fe trouver .entièrement couvert avant que l’ennemi
fupérieur en force furvienne. A la faveur de ce
pofte retranché J il fera aifé de jetter un pont; principalement'
fi après que le gros de votre armée ferà
arrivé , vous prenez une partie des précautions
dont je parlerai un peu plus bas..
, Cæfar fit paffer le Sègre à un de ces détachements
fur de petits bateaux dont le fond étoit d’un
bois très léger , & les côtés de liège couvert de
peau. Il avoït fait tranfporter ces bateaux fut* des
chàrriots jufqu’à un certain endroit du bord de la
rivière ; 8c le détachement s’étant emparé d’une
montagne qui étoitde 1 autre cote ^ Cæfar conf-
truifit là'fon pont fans que l’armée voifine d’Afra-
îiius pût l’en empêcher.
Si le gros de l’armée ennemie eft de pied ferme,
celui de la vôtre ne doit faire auçun mouvement,
jufqu’à ce que vous puiffiez croire que votre détachement
eft retranché ; parce que fi îes,ennemis. fe
mettoient en marche pour vous omeryer, ils arri-
yeroient plutôt pour incommoder les travaux du
détachement. Il faut pourtant que votre armée foit
prête à décamper fi les ennemis, fur la nouvelle du
pajjage de ce détachement, marchent vers ce pofte.
En ce: cas il faut tâcher d’arriver à temps pour
dre.ffer les batteries , 8ç pour vous retrancher de la
manière que je le dirai dans la fuite ,* afin de flanquer
le pied de là montagne où le détachement
s’eft fortifié , & afin* de relever les troupes dû
détachement déjà fatiguées de la marche 8c du travail
continuel.}
Afin que votre marche fût plus courte que celle
que les ennemis auroiènt à faire, ihfaudroit choifir
un endroit où la rivière fît un coude .du côté des
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ennemis, parce qu'alors ils feroienf obligés d’aller
par la circonférence , tandis que vous irez par le
diamètre.
Au lieu de fairé de nuit le détachement dont
nous venons de parler, & de tenir , votre armée
campée,, vous pouvez marcher de jour avec l’armée
, & laiffer le détachement caché , qui pourra
paffer & fe retrancher de la même manière , dès
que l’armée ennemie fe fera, éloignée , ce qu elle
fera probablement pour obferver les mouvements,
de la* vôtre. Comme les ennemis ne manqueront
pas alors de faire paffer quelque petit parti fur des
bâteaux, au gué ou à la nage , pour venir r.econ-
noître les environs d» camp que vous avez abandonné
, poftez votre embufeade loin de la rivière
& du chemin que vous tenez dans votre marche,
car peut-être le parti ennemi fnivra la. même route
pour continuer à vous obferver , fur-tout fi le long
de la rivière il y a dés gués par où ils puiffent repayer
, fi vous vouliez le charger.
Afin que les ennemis ne s’apperçoivent pas que
votre armée a fait quelque gros détachement, on.
ne doit pas ferrer la marche , 8c il faut porter le
même nombre de drapeaux & d’étendards, comme
fi ce détachement ne manquait pas.
L’auteur du dialogue entre le grand capitaine &
le duc de Naxera, qui. rapporte de quelle manière
Cæfar paffa une rivière, à la vue d e . l’armée de
Ver.cingentorix, que Cæfar marcha quelques jours
le long dé cette rivière ,& que fon ennemi mar-
choit auffi fur le bord oppofé pour l ’obferver.
Cæfar ayant trouvé un terrein couvert de bois ,
il y campa. Le lendemain s’étant remis en marché,
Vercingentorix, /qui vit que toutes les légions Romaines
continuoient à marcher comme les. jours
précédents, fe mit en marche ; mais Cæfar avoit
lajffé en embufeade trois cohortes de chaque légion,
avec ordre de jetter un pont fur la rivière ,
8c de fe fortifier de l’autre côté , dès que l’armée
de Vercingentorix fe feroit éloignée. Les cohortes
laiffées en embufeade exécutèrent l’ordre , 8c.
Cæfar ayant fait une contre-marche , vint paffer la
rivière en cet endroit.
Vous pouvez auffi , par tout l’appareil nécef-;
fairé »faire femblant de vouloir forcer un gué, ou
de conftruire un pont, pour détenir dans ce pofte
l’attention 8c la force des ennemis, tandis que ie
détachement dont on a parlé paffe par un autre
côté.'
Guftave ‘Adolphe , roi de Suède, ayant deffein
de, paffer lé Lee', fit femblant de vouloir forcer le
pajjage dans Tendrait où l’armée impériale, commandée
par le comte de T i l ly , étoit fur le bord
oppofé. Pour cela il commença à battre avec 70
pièces de cation, le bois où les Impériaux étoient
campés, 8c tandis qu’ils donnent là toute leur attention
, un détachement de Guftave traverfe la
rivière dans un autre endroit, fe retranche avant
que lés «nnemis s’en apperçoivent-8c cofiftruitim