7 8 H U M Narfês, fi dans trois jours elle n’eft pas Te courue,
& pour garant de fa parole, elle livre lin grand
nombre d’otages. Le terme de la reddition de la
place arrive , les affiég.’s refufent d’ouvrir leurs
portes , Narfès fait avancer les otages , l'uivis de
bourreaux qui ont déjà le fer levé ; il envoie fom-
mer les Lucquois de tenir leur parole , & leur fait
annoncer que leur réponfe va décider du fort
de leurs concitoyens. Ces menaces font inutiles ;
les bourreaux frappent , & les ôtages tombent ;
auffitôt les regrets des Lucquois éclatent ; ils font
défefpérés d’avoir, par une fermeté cruelle , cauié
la mort de leurs généreux compatriotes ; Narfès
touché de leur repentir, ordonne aux ôtages de fe
relever , & les Lucquois touchés de ce trait à ?hu manité,
introduifent auflitôt ce général dans leurs,
murs. Nai fès, trop humain pour fe fouiller du fang
innocent, avoit fait donner à chacun des otages
lin collier de bois rembonré , & il les avoit inf-
truirs de ce qu’ils dévoient faire quand ils auro.ient
été frappés.
Philippe II fait en 1202 le fiège de Château-
Gaillard ; les habitants mettent hors de leurs murs
400 bouches inutiles. Philippe veut d’abord les
laifler périr de faim & de mifère ; mais bientôt fes
entrailles s’émeuvent, l’ h um a n ité parle à fon coeur ,
& il reçoit ces malheureux dans fon camp.
Je fuis prêt à reconnoître la divinité de la mif-
fion de Jeanne d’Arc , quand je l’entends dire au
moment où les Anglois font obligés de lever le
liège d’Orléans: la i j fo n s - le s f u i r , L’ ob je t ejl r em p li ,
p o in t de carnage in u t i le . Les fa fies de la monarchie
m’offrent cependant une femme encore plus
grande & plus généreufe. C’eft Confiance de
Cezelli. Comment eftril poflible que les poètes,
les peintres ayent dédaigné d’immortalifer leur
génie en retraçant la conduite de cette héroïne ;
du Barri de Saint-Anne, gouverneur de Leucate
pour Henri-le-Grand , fort de fa ville pour aller
communiquer à Montmorenci , gouverneur du
Languedoc , un projet important : il tombe dans
line embufcade que les ligueurs ont dreflee ; les
Efpagnols déterminent les François à conduire du
Barri devant Leucate ; ils preffent ce guerrier d’ordonner
à fon époufe , qui s’eft mife à la tête de
la garnifon, de faire ouvrir les portes ; mais du
Barri efi inébranlable ; ils annoncent alors à Conf-
tance que fi elle ne rend pas la ville , fon mari va
perdre le jour ; cette femme généreufe -leur répond
qu’elle ne croit pas devoir empêcher une
injufilce en commettant une lâcheté ; qu’elle ne
rachètera point la vie de fon époux, en livrant
une forterôffe pour la convention de laquelle il
auroit fait glaire de mourir. Les affiégeants recourent
à la fores ; mais Confiance fe montre partout
, & ils font partout repoufles ; irrités de cette
réfiftance, qu’un ennemi généreux auroit admirée ,
ils lèvent le fiège ; mais ce n’eft. qu’après avoir
fait mettre à mort le généreux du Barri. La garnifon
furieufe de cette barbarie, veut ufer de repré-
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failles fur un des chefs des ligueurs qui a été fait
prifonnier ; Confiance s'y oppofe avec fermeté , &
profère ces paroles à jamais mémorables : jamais
je n imiterai mes ennemis dans leur barbarie. Henri-
le-Grand étoit digne d’avoir de pareils fujets, il
leur donnoit l’exemple des grandes' venus , & les
récompsnfoit dignement. Confiance devint gouverneur
de Leucate.
Jamais la paffion des combats n’étouffa dans
Bayard l'amour de Y humanité ; fa maxime favorite
étoit que la force des armes ne doit être employée
que pour rétablir l’équité , & non pour exercer des
' vengeances & des barbaries.
J’oublie les fautes de Lautrec, & une grande
partie de fes vices , quand je me fouviens que fa
mort fut hâtée par la vive douleur qu’il reffentit de
voir fon armée affoibli'e & prefque détruite par
l’affreufe maladie à. laquelle il étoit en proie.
Louis XII , encore duc d’Orléans , étant affiégé
dans Navarre, où les vivres manquoienrà la garnifon
, & fur-tout aux malades , fit diftribuer, principalement
à ces derniers » tours les rafraîchiffe-
ments qui étoient deftinés pour lui. Quoi qu’il fut
dévoré par une fièvre ardente ; il ne fe réferva
rien, il prenoit comme le moindre foldat dans le
magafin commun & par égale portion, fans aucune
difiinéVion ; cette conduite pleine $ humanité
toucha fi fort touts ceux qui s’étoient enfermés
avec lu i, qu’on ne les entendit jamais pouffer le
moindre murmure. La moitié mourut de mifère 5 c
de faim
La défenfe de Landrecies a bien illufiré Montais
mbert ; mais ia prife d’Amblétafé l’a immortalifé.
Il mit fous fa garde les femmes, les enfants & les
vieillards.
D é v ie , gouverneur d’Amiens , cet homme à
qui la nouvelle de la mort de Henri-le-Grand donna
la mort, a mérité , par fon humanité & fa bonté;
d’êrre cité pour modèle aux fiècles à venir.
On fçait que Guftave Adolphe difoit fou vent
qu'on prend plus de villes par la clémence que par
la force ; qu’il blâma hautement un de fes amiraux
qui avoit mieux aimé faire fauter fon vaiffeau que
de le rendre, 5 c qu’il faifoit diftribuer dans le pays
ennemi du pain aux malheureux habitants qui en
manquoient.
Le comte d’Harcourt affiège Turin ; les ennemis
coupent les vivres aux François ; la difette de vin
efi totale. Les domeftiques du général parviennent
cepeadant\à s’en procurer quelques barrils, qu’ils
deftinent à leur maître ; mais le général , plein de
fageffe 8c à'humanité, les fait diftribuer aux malades
& aux bleffés.
Il efi toujours bien beau , bien honorable, de
vaincre, dit le poète immortel , dont l’Italie moderne
fe glorifie avec tant de raifon , & qu’un il-
luftre militaire françois a traduit ; il efi toujours
bien beau, bien honorable de vaincre, foit qu’on
le doive à la fortune , ou que ce foit l’ouvrage de
fon génie ; mais Je général dont la vi&oire efi en-
H U M
fanglantée par la perte de ceux qu’il expofe avec
trop de témérité , perd une partie de la gloire qu’il
en retire. On n’eft vraiment digne de la palme des
héros que lorfque la prudence a fçu s’aflùrer du
triomphe en épargnant le fang des vainqueurs.
Que Vous étiez bien pénétré de cette augufte vérité
; vous Bannier , qui blâmiez hautement les généraux
qui facrifienr * Ic;.r gioîi'ê le fang de leurs
fu’iùars , qui n’aimiez pas à faire des fiçges , parce
qu’ils coûtent trop d’hommes, & qui leviez Tans
répugnance ceux que vous aviez commences ,
quand vous voyiez qu’ils pourroient Vous coûter
trop de foldats ; & vous auflî vertueux Vauban ,
qui, lors du fiège de Charleroi en 1643 , dites
cette parole pleine d’humanité : le fi'egé fera plus
long , il en coûtera plus de poudre , mais nous épargnerons
du fang. )
Avec quel plaifir ne lis je point uneiettre que
le général Schaumbourg écrivoit au miniftre de
l’empereur , relativement aux brigandages .que
commettoient les armées impériales ;« puifquon
ne remédie pas à ces défordres fi dangereux, je
dépofe le commandement, difoit-il, & je prie
qu’on en charge quelque autre que moi, qui ne
puis fouffrir de lemblables barbaries, 8c bien moins^
encore y prêter la main ».
Je fuis certain que le gain de la bataille de
Fleurus ne caufa pas autant de plaifir au maréchal
de Luxembourg , qu’un mot arraché à un des généraux
ennemis par la manière pleine d'humanité
avec laquelle il l’avoir traité. « Qu’elle nation eftla
votre, difoit le comte de Solms ? vous vous battez
comme des lions , & vous traitez les,vaincus,
comme s’ils étoient vos meilleurs amis ».
Ayant parlé d eY humanité de Malbotirough dans
le paragraphe XVII de l’article Général , je pour-
rois me dKpenfer de le nommer ici; niais fa conduite
après la batai le d Hocfteft efi trop belle pour
que je me refufe au plaifir de la retracer. Après
cette bataille, dans laquelle i l ’.avoit donné des
preuves du courage le plus grand , il Te montra
plein de douceur , de-modération & ôéhumanité.
Les prifonniers qu’on avoit faits Styles blefiés
qu’on avoit retirés de deflùs le champ de bataille s
reçurent par fon ordre le traitement le plus doux ; il
ne fe borna pas à donner des ordres humains , il
veilla à ce qu’ils fuffent exécutés. Il vifita les hôpitaux
, les prifons, & par les confolations tendres
& généreufes qu’il prodigua aux vaincus , il leur
fit oublier leurs difgraces & leurs maux. On Te
fouviendra toujours qu’après avoir parlé au maréchal
de Tallard de l’inconflance de la fortune , il
lui dit : la providence ma traité bien favorablement,
puifquelle m’a accordé quelque avantage fur le champ
de bataille ; mais la plus grande joie qu elle m’ait
procurée , c’eft qu elle m’a fourni l’occafon de montrer
le rfpeü & l’eftime que j ’ai pour vous.
Villarsentre en 1713 dans Fribourg, que le gon-;
verneur a laiffé a la diferétion du vainqueur ; il peut
abandonner la ville au pillage & même faire paffer
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les habitants au fil de l’épée, car tel efi le privilège
©u l’abus du droit de la guerre; mais Villars ne
croit pas devoir ufer de ce droit barbare. Sa conduite
en cette occafion n’a pas peu contribué à fa
gloire.
Je n’oublierai certainement point de citer le
duc de Cumberland. Je manquerois à Xhumanïtè &
à la juftice, fi j’omettois de dire qu’après l’affaire
de d’Etteiiiguen, ce prince ayant apperçu un mouf-
quetàire françois grièvement bleffé qu’on avoit
porté proche de fa tente , ordonna au chirurgien
qui alloit le penfer lui-même , de commencer par
foulager l’officier françois ; il efi plus bleflé que
moi, ajouta-t-il, il manqueront de fecours , & je
11’en manquerai pas. Princes, & vous touts généraux
, imitez cet exemple , 8t vos noms ne feront
prononcés qu’avec attendriffement.
Le dernier aéle d'humanité que je retracerai, fera
celui de M. d’Audiffret , lieutenant de roi de
Briançon , & de fa digne compagne , iffue de la
maifon de Montauban ; les François ont reçu à
Exilîes le prix de leur trop grande intrépidité, peut-
être même de leur imprudence. On tranfporte a
Briançon la plupart des blefiés ; les hôpitaux ne
font ni affez vaftes pour les contenir, ni affez bien
approvisionnés pour leur fournir les fecours né-
ceffaires ; la maifon de M. d’^udiffret devient leur
refuge. Après avoir épuifé fa bourfe , il vend fa
vaiffelle d’argent pour ieur procurer ce dont ils
manquent; & fa femme fe dévoue avec tant de
| chaleur à faire régner l’ordre, la propreté & l ’abondance
dans les hôpitaux , elle s’occupe avec
tant de fuite & de confiance à panfer elle-même
les bleffures les plus graves, qu’elle en perd la
fanté, &i>ientôt après la vie.
Si les faits que nous venons de retracer avoient
- eu befoin, pour paroître avec éclat, du fecours
d’une forte oppofition, nous aurions montré Anni-
bal 8c Sertorius qui ternirent leurs viâoires par
leurs cruautés ; Cliffon , à qui Tes contemporains
indignés donnèrent le fnrnom de boucher ; le comte
de Montforr, que fa barbarie a rendu odieux ; le
maréchal de Joyeufe , qui fut puni de fou inhumanité
par une mort cruelle ; enfin T il li, & de deux
ou trois généraux inhumains ; mais quand on peint
Y humanité, on n’a pas befoin de recourir à l ’art des
contraftes.
On n’auroit point été étonné, fans doute, de
voir rangés dans cet article des exemples de bonté,
d’affabilité , de douceur ; l’humanité n’eft point une
vertu particulière ; c’eft , fi l’on peut s’exprimer
ainfi , une vertu colleâive qui comprend la plupart
des qualités morales qu’on doit trouver dans
le coeur des guerriers. Si quelque militaire me reprochoit
jamais d’avoir raflemblé ici trop défaits ,
je lui dirois rfi vous n’avez pas befoin de ces Te-
eours pour avoir de l’humanité, vous avez été doué
Id’un coeur excel'ent, d’un tfprit très jufte; je brûfe
du défir de voler auprès de vous, de n.ériter votre
efiime 5 c votre amitié ; mais êtes vous bien fur que