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J’ai dit plus haut qu’uhe occafion favorable pour
la furprife d’une place , eft lorsqu’elle a beaucoup
diminué fa garnifon par un gros détachement qu elle
a envoyé dehors. J’ajoute que quand même ce détachement
de la garnifon ne feroit pas confidérable,
un de vos partis, vêtu à la façon des ennemis , &
parlant leur langue , peut furprendre la place, fi
•vous croyez que le gouverneur foitaftez mal avife
pour ouvrir la porte à une petite troupe que vous
faites avancer de nuit, comme fi elle étoit du détachement
qui eft hors de la place.
François To b a , gouverneur de la Goulette pour
Charles V , furprit Tunis avec un détachement
d’Arabes , qui feignit d’être l ’efcorte d’Anido ,
tyran de Tunis, qui revenoit de Biferti. La gar-
ttifon trompée par l’habit que porto.it Abdamélee,
en faveur de qui fe faifoit l’expédirion r tout-a-fait
femblable à celui d’Anido fon ennemi, lui ouvrit
la porte , ne l’ayant pas reconnu au vifage , par la
coutume que les voyageurs parmi cette nation ,
ont de fe couvrir le vifage d’un linge pour fe garantir
de la pouffière, .
Comme il n’eft pas ordinaire d’ouvrir de nuit
les portes d’une place fans connoître parfaitement
quelqu’un de cenx qui appellent aux portes, il
leroit bon que les officiers & les foldats qui font
d’intelligence, tâchaffent d’être du détachement
ennemi, pour déferter & venir vous joindre dans
la place, le camp ou tel autre endroit que vous
leur auriez défignè ; car fi vous pouvez vous mettre
en marche la même nuit pour aller furprendre la
place ennemie, ces/mêmes déferteurs que vous
mènerez avec vou s , étant connus de la garnifon ,
comme étant fortis avec le détachement, donneront
à entendre qu’ils reviennent avec une troupe
de prifonniers.
Pour mieux tromper, ils fer.ont paroitre quelques
- uns de vos foldats dépouillés tic fans armes,
mais qui auront pourtant des piftolets & des poignards
cachés. De cette manière, il eft à préfumer
qu’on ne fera pas trop de difficulté d’ouvrir les portes,
parce que le gouverneur ne façhant pas encore
que ces hommes lui ont défertc, fe fiera à eux
comme à des gens de la garnifon.
Pour éviter que le commandant du détachement
ennemi ne donne avis que ces hommes ont defer-
t ê , ils feront femblant d’être malades, ufant d une
certaine eau pour fe rendre le vifage pale, & quitteront
la marçhe avec permiffion de leur commandant.
Si par cette feinte,ou par quelqu’autre que les
officiers qui font avec vous d’intelligence peuvent
imaginer, les ennemis ouvrent la porte , ces officiers
aidés de vos foldats , s’en rendront maîtres ,
& la défendront jufqu’à ce que vos troupes , que
je fuppofe être près delà en embufeade, foyenf
arrivées.
Guillaupifi-le-Simple, capitaine dans la garnifon
de Lière, ayant traité avec Alexandre Pharnefe
pour lui livrer la place , demanda permiffion au
gouverneur de fortir en parti avec trente Ecoftois
SUR
de fa compagnie qui lui étoient affidés , fous prétexte
d’aller faire quelque prifonnier , afin de l’échanger
avec un autre que les Ei'pagnôls avoient
fait. Dès qu’il fut forti, il alla au-devant des trou- |
pes avec lefquelles M. de Haulrpenne, par ordre
d’Alexandre Pharnèfe, étoit en marche pour venir
furprendre Lière. Le capitaine le Simple les
conduiut de nuit aux portes de cette place ; il s’avança
avec ces trente Ecoftois , & fe fit connoître
à la garnifon qui lui ouvrit les portes. Par ce ftra*
tagême là place fut furprife en 1582.
Charidème furprit de la même maniéré Ilio ,
s’étant fervi pour cela d’un partifan de la place
avec qui il étoit d’intelligence.
Lyque , capitaine de Lyfimaque . gagna un certain
corfaire d’Ephèfe , qui, pour furprendre Cette
place , lui demanda quelques-uns de fes foldats. I
Le corfaire les couvrit d'une efpèae de tunique,
; & leur ayant fait mettre les mains de façon qu’elles
paruffent être liées , il les fit.entrer dans Ephèfe,
comme s'ils avoient é.té des prifonniers; ces foldats
étant arrivés au château, tirèrent les épées qu’ils
tenoient cachées ; tuèrent les gardes tic ouvrirent
les portes aux autres troupes de Lyque, qui acheva
de fe rendre maître de la place.
L’officier avec qui vous êtes d’intelligence , peut
auffi fuppofer un voyage; & la nuit concertée pour
la furprife, il s’approchera d'une porte avec quelques
hommes, qui paroîtront être fes domeftiqnes;
tic prétextant d’être tombé malade , ou d’avoir
quelque chofe d’important tic de preftam à communiquer
au gouverneur, il demandera qu’on lui
ouvre.
Annibal projettant de furprendre Tarente ,. fu-
borna un habitant de cette v ille, appellé Philo-
mène. 11 l’engagea à aller fréquemment chaffer dans
la forêt, & de régaler toujours le gouverneur &
les gardes d’une partie de fa chaffe , afin de s’attirer
leur affeétion. Comme il arrivoit très fouvent tard,
il les accoutuma à ouvrir la porte ; à la fin , Anni*
bal s’approcha fecrètement de Tarente avec dix
mille hommes , tic fit marchér un peu devant Phi-
lomène, qui arriva à la porte avec un fanglier, &
quelques hommes qui lui aidoient à le porter ; la
garde lui ouvrit, & pendant qu’elle s’amufoit à
confidérer le fanglier, Philomène tic fes camarades
fe rendirent maîtres de la garde tic de la porte, &
donnèrent entrée à Annibal.
J)es furprifes par des officiers £* des foldats qui
feignent de déferter.
Faites déferter deux officiers 8c quelques foldats î
q u i, fous prétexte de défertion, le rendront à la
place que vous avez deffçin de furprendre , & qui
à une heure convenue du jour ou de la nuit, attaqueront
la garde d’une porte , lorfque vos
auront été mifes en embufeade au voifinage. 11 ejt
vrai qu’un gouverneur fage ne gardera pas dans la
place tant de déferteurs. Cependant la confiance
" trio®phe
triomphe fouvent de la précaution ; tic il n’eft que
trop ordinaire de voir prévaloir les inftances que
font les capitaines , afin qu’on leur permettent de
prendre ces déferteurs pour recruter à peu de frais
leurs compagnies.
Marie , reine d’Angleterre, prit en 1353 le château
où le duc de Suffolck s’étoit fortifié, y ayant
fait entrer cent hommes armés , qui publièrent
hautement de fuivre le parti du duc , & qui firent
paroître un défir ardent de s’enrôler à fon fervice.
Dans la furprife de Lière dont j’ai parlé, un lieutenant
de Guillaume-le-Simple, qui étoit dans la
place , ne fut pas d’un petit fecours aux Efpagnols
avec qui il étoit d’intelligence ; car, avec quelques
foldats de fa compagnie, il attaqua la porte, &
l’ouvrit dès qu’on eut fonné l’alarme.
J’ai déjà dit comment ces déferteurs peuvent
trouver dans la maifon d’un habitant, des armes
& tout ce qui eft néceffaire pour abattre les barrières
tic les portes.
Parmi les officiers & les foldats que vous faites
déferter , choififfez Ceux qui font d’une fidélité
éprouvée, qui ont du bien à perdre dans votre
pays , ou dés enfants , des pères & des femmes ,
qui vous fervent d’otages fecrefs.
Ne choififtez point pour ces faux déferteurs ceux
que vous jugerez capables de déclarer le fecret.
Cependant comme il fe peut, nonobftant toutes
vos précautions , que quelqu’un de ces foldats
vous foit infidelle, tâchez qu’aucun d’eux ne fâche
rien de la commiffion des deux officiers , ni de ce
qui regarde fes camarades ; c’eft affez que les foldats
ayent ordre d’obéir à celui qui leur nommera
iin tel faint, & que les officiers ayent la lifte de
touts les foldats. Je m’étends davantage fur ce point
en traitant des efpions.
Pour éviter que la défertion de vos officiers ne
faffent entrer dans quelque foupçon les ennemis ,
il faudra longtemps avant la furprife les avoir fait
arrêter fous quelque prétexte vraifemblable , tic
leur avoir donné extérieurement toutes fortes de
marques de mécontentement, jufqu’à ce qu’ils fe
fauvent de prifon, afin qii’ils puiffent dire qu’ils
ont été forcés d’abandonner le fervice de votre
prince , à caufe de l’injuftice que vous leur fai fiez.
Iis pourront auffi prétexter que n’ayant pu cacher
l’affeétion qu’ils avoient pour leur nouveau maître :
qu’ils ont choifi, leurs vies n’étoient pas en fureté
fans changer de pays.
Darius Hyftafpe furprit Babylone par le moyen
de Zopire , fils du Satrape Mégabyfe. Zopire fe
coupa le bout du nez & des oreilles , tic fe rendit à
la place, publiant que Darius âvoit ufé de cette
cruauté envers lu i, parce qu’il lui confeilloit de
lever le fiège. Les Babyloniens ajoutèrent foi à fa
plainte , tic lui donnèrent affez de maniement dans
les affaires pour faciliter à Darius la furprife de cette
place.
A r t militaire. T ome JJl.
Afin que vos officiers s’acquièrent plus de réputation
dans la place, 8c qu’on leur donne par con-
féquent un plus grand commandement, vous leur
ferez favoir le jour auquel.ils peuvent vous enlever
un convoi, ou remporter fur vous quelque autre
petit avantage , ils en avertiront le gouverneur,
comme fi cet avis leur étoit venu des perfonnes
affidées qu’ils ont laiffées dans leur pays. Faites
attention à l’exemple fuivant fans l’imiter dans ce
qu’il y a de cruel.
Contre ce que j’ai propofé un peu plus haut, on
peut m’objeâer que les gardes des cafernes ne
permettront pas aux feints déferteurs , ni aux autres
foldats de fortir de nuit, fur-tout avec des
’ armes. Je réponds que les défe*teurs , quelques
jours avant la furprife, peuvent aujourd’hui deux ,
demain trois, s’aller cacher dans les maifons des
deux officiers , qui, à cet effet, auront pris des
maifons où ils foient feuls, tic qui auront donné
le faint à ces foldats pour fe faire connoître.
Le foir, avant .,1a furprife, les officiers auront
foin de donner ou d’envoyer le faint à touts les
autres foldats qui n’auront pu fortir de leurs poftes ;
tic ils le$ avertiront qu’en entendant fonnerl’alarme,
ils tâcheront de s’échapper avec leurs armes des
cafernes & des gardes, où ils fe trouveront pour
s’aller joindre en toute diligence, à ceux qui atta-,
queront une telle porte.
Si le terrain vous donne la facilité de tenir en
embufeade , même pendant le jou r, les troupes
néceflaires pour la furprife, qui fouvent réuffit mieux
de jour que de nuit, ainfi que je l’ai déjà d it, vous
ferez favoir à vos faux déferteurs à quelle heure
du jour ils doivent fe trouver auprès d’une telle
porte , s’étant infenfiblement échappés de leurs
cafernes tic des gardes où ils étoient, & quoiqu’ils
n’ayent d’autres armes que leurs bayonnettes ou
leurs épées , c’en eft affez pour furprendre les
fufils de la garde , qui ne fe défiera pas de ces
hommes, qu’elle connoît pour gens de la garnifon.
Alaric furprit Rome de la manière qu’on vient
de dire , en plein jour , après avoir fait femblant
de lever le fiège.
Que l’heure concertée pour la furprife ne foit
pas celle à laquelle les foldats ont coutume de
pafferen revue dans les cafernes , ou de manger
dans les chambrées, parce qu’on pourroit alors
s’appercevoir que touts vos déferteurs manquent.
Des furprifes des places qui ne font défendues que
par Les habitants.
Les habitants ignorent la plupart des ftrata-
gêmes de la guerre ; tic fatigués par le travail auquel
la plupart font forcés de s’adonner le jour,
ils font peu difpofés à veiller la nuit ; ainfi ils fe
laiffent aller aifément à la confiance , lorfque les
ennemis cachent leur artifice fous les apparences
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