
On examine enfuite les grands projets qui ont
déjà fubi l’examen préparatoire, foie du premier
ingénieur , foit des infpe&eurs généraux. Chacun
eft invité à dire fon avis fans diilimulation , & ils
s’y portent touts avec zèle pour l’honneur de leur
profeffion , & par amour pour le bien public. S'il
y a partage dans les avis , on écrit de part &
d’autre ; les obje&ions & les réponfes font difeu-
tées à loifir, & quand touts les doutes font appla-
nis , le projet eft approuvé avec les reftriâions &
modifications qu’on a jugé à propos^ d’y mettre.
S i , après tant de précautions ; il lurvient aux.Ouvrages
quelqu’un de, ces accidents enfantés par
une belle émulation, c’eft que la prudence humaine
ne peut tout prévoir, ou qu elle eft fou-
vent trompée dans l’exécution de les ordres, par
les .mifères de l’humanité. Eft-il, dans la plus fage
politique , une partie à laquelle cet événement ne
foit pas commun ?
Pour être élevé au grade de premier ingénieur,
ou d’infpeéleur général, il faut avoir une réputation
parfaitement établie fur une longue expérience
, & fur des preuves confiantes de capacité
& d’intégrité. Quelque problème qu’on propofe
fur la conftrudion , un infpeéleur général doit le
réfoudre fur-le-champ par les principes de l’art ,
& par les différentes applications qu’ii en a faites.
Ils font, pour la plupart, également verfés dans
l ’architeélure civile , dont les deux règles font communes
aux deux genres , mais dont le goût ni les
diftributions ne fe reffemblent pas ; & il eft à fou-
haiter , pour le bien public, que les ingénieurs des
ponts & chauffées ne négligent point celle-ci. L’il-
lnftre magiftrat qui les gouverne eft plus pénétré
, que perfonne, de. cette vérité ; auffi a-t-il con-
fidéré comme un objet digne de fa prévoyance ,
d’attacher à l’école qu’il entretient, les plus favans
maîtres en architeâure civile. Ils. y forment les
élèves par leurs préceptes & par ‘l’étude des grands
modèles qu’ils leur donnent à imiter. On eft quelquefois
furpris jufqu’à l’admiration , de voir fortir
du génie des apprentifs,des idées qui feroienr honneur
aux architeâes les plus célèbres. Eh ! quelle
gloire ne reviendra-t-il pas à la .nation , d’avoir ,
dans toutes les parties d’un royaume fi étendu, des
hommes propres à élever, tout à-la-fois , des ponts,
des digues & des aqueducs ; des temples , des palais
, des places publiques , des fontaines, & touts
les autres édifices capables d’exciter le refpeél des
étrangers , en faifant admirer la puiffance & la
fageffe du monarque qui protège fi hautement les
fciences & les arts. Perfonne n’ignore à quel degré
de gloire ce genre de magnificence a élevé les Romains.
Lorfquun infpeâeur général fe met en tournée ,
il donne rendez-vous à l’ingénieur en chef, dont
le département fe trouve le premier fur fa route ;
ils le parcourent enfemble, & il fait fes obferva-
tions à cet ingénieur, fur l’état où il trouve les anciens
& les nouveaux ouvrages; s’il y découvre des
défauts , il eh indique la corre,clion.
Il feroit, je crois, difficile d imaginer un établif-
fement plus utile dans fon genre , ni une administration
plus fage, plus éclairée & plus méthodique.
Tout ce qu’on en pourroit craindre , ce feroit qu’à
force de la perfectionner, on ne la rendît trop
chère, par la multiplication des fous-ordres. L’amour
du commandement fe glifiè avec tant de facilité
dans le coeur humain , qu’il ne feroit pas'fur-
prenant que les ingénieurs en chef fuft’ent trop
dociles à cette voix flatteufe ,.e n demandant plus
de fous-infpe&eurs oc de fous-ingénieurs que le
fervice n’en exigersit , s’ils vouloient* travailler
eux-mêmes, & «moins fe répandre dans le monde.
( Ces réflexions ne peuvent avoir échappé à un,
génie auffi perçant que celui qui préfide au détail;
mais il ne fauroit voir que dans la.fpécula-
tion du cabinet, à laquelle il eft facile* d’en impo-
fer ; au lieu que j ’ai fouvent reconnu , de mes
propres yeux , la vérité de ce que j ’annonce , fur-
tout depuis que le luxe a rendu le plaifir fi cher &
fi dangereux ; jamais la règle du ne quid nîmis ,
n’eut une plus jufte application , qu’au fujet qui a
excité mon innocente cenfure. Je dis très innocente
, parce qu’elle ne regarde perfonne en particulier...
Dès tréforiers généraux & particuliers des ponts &
chauffées.
Il y a deux tréforiers généraux des ponts &
chauffées qui réfident à Paris, & un tréforier particulier
dans chaque généralité. Je n’entrerai pas
dans un long détail au fujet de ces comptables ; il
me fuffira de dire qu’ils ont éprouvé, comme touts
les autres, en divers temps, différentes fuppref-
fions,& révocations. Que la finance des uns & des
autres étoit peu confidérable à leur origine , parce
que le fond de leur recette étoit fort modique.
Qu’en 1713 , les premiers furent mis fur un plus
haut ton, & qu’enfin leurs charges font parvenues
au niveau des plus confidérables. Celles des tréforiers
provinciaux ont auffi acquis un accroiffement
proportionnel parles fuppléments de finance qu’on
leur a fait payer en 1743 & en 1758, au njoyen
de quoi les uns & les autres ne peuvent répondre
de leur maniement.
Pavé de Paris.
J’ai obfervé, en parlant des tréforiers de France,
qu’anciennement ' ils dirigeoient feuls le pavé de
Paris. Ils fe fervoierît alors , pour l’indication des
ouvrages , d’un expert en titre d’office fort ancien,
attaché au corps de la maçonnerie , nommé maître
des oeuvres. Il y eut enfuite des contrôleurs du barrage
créés par édit du mois de mars 1636, auxquels,
outre les fondions de contrôler les quittances du
tréforier, on avoit impofé la charge do veiller à
reiitretié#
l’entretien des nies, de vifiter les pavés neufs, &
d’affifter à la.réception des ouvrages ; tant fut
grande dans touts les fiècles l’avidité des traitants ,
qu’après avoir mis à prix d’argent la fcience des
loix & la diftribution de la juftice , elle a fait entrer
les arts dans les tarifs de la vénalité, comme fi
l’on pouvoit acheter les talents. M. Colbert avoit
trop de génie pour ne pasffentir à quels abus un
pareil défordre tendoit ; il 'fit révoquer touts ces
offices par édit du mois d août 1669 » Sc commit
un archite&e pour l’indication & là conduite des !
ouvrages de pavé. Il y a même toute apparence ;
qu’il ne trouva pas que la police y fût maintenue :
de la part des tréforiers de France avec une attention
digne de leur état, puifque fur le rapport
qu’il en fit au roi , fa màjefté s’en expliqua dans
des termes qui autorifent cette opinion, par deux
arrêts qu’elle rendit en fon confeil. Elle commit,
par le dernier , l’un des tréforiers de France , ;
pour avoir , fous les ordres de ce miniftre & les
inftruélions d’un intendant des finances , la direc- ;
tion générale du pavé. Cette nouvelle forme la
mit fur un meilleur ton ; mais elle déchut encore
en 1695 , par le rétabliffement des contrôleurs, &
on l’attaqua plus vivement en 1708, par la création
d’un infpeéteur en titre d’office , aùquel on
attribua , dans cette partie , toutes les fonctions de
l’architeâe, fans exiger que le titulaire fût de la
profeffion. La faveur, qui enfanta ce petit monftre
de finance , le défigura par des traits encore plus
marqués \en lui conférant le droit de procéder à
fon infpeftion, conjointement avec le commif-
faire,& celui d’avoir féance dans l’affemblée des
tréforiers de France , au bureau qu’ils tenoient
chaque femaine pour les affaires du pavé. On ne
penfe pas que l’ordre judiciaire ait jamais été violé
plus indignement , & Ton rie conçoit point que
cette compagnie n’ait pas fait dans le temps les
plus vives repréfèntâtions contre une inj-ure fi marquée
, qui ne pouvoit être que le fruit de la fur-
prife; ou que fi elle en fit , elles n’ayent pas été
favorablement écoutées. Je ferois cependant fâché
qu’on pût m’accufer de vouloir moi-même , par
cette réflexion, témoigner du mépris aux experts ,
& principalement à ceux qui font commis par le
roi ; mais ils ne doivent point s’offenfer, fi je fou-
tiens la fubordination que les loix ont mife entre
eux & les magiftrats , ni qu’en admettant qu’un
jugé peut être ami d’un expert qui procède fous
fes o&dres, je prétende que l’ordre feroit bleffé,
s ils étoient pairs & compagnons. Les chofes
etoient néanmoins encore en cet état en 172.7 ,
lorfque l’arrangement & la réformation générale
du département furent entrepris ; & l’on n’y regarda
pas comme un dps moindres objets de cette
réforme , la néceffité de corriger un abus qui trou*
bloit 1 ordre & préjudicïoit fenfiblement au fer-
vice : 1 infpeéîeur & les quatre contrôleurs du pavé
de Paris furent fup primés. A leur place on fit comr
mettre un ingénieur en chef, à l’inftar des infpec-
. -Art militaire. Tome Ul.
P O N 425
tèurs généraux des ponts & chauffées , & on établir
fous lui quatre fous-infpeéleurs de l’art, pour vifiter
fans ceiïe le pavé de Paris , divifé en quatre
quartiers , avec les banlieues qui en dépendent.
Ils veillent en même temps fur les contraventions ,
& font tenus d’en dreffer leurs rapports pour les
remettre au commiffaire. Cet officier donne pareillement,
furies rapports de l’infpeéteur, l’alignement
des maifons& murs^de clôture qui abominent
ou qui ont leur face fur les grands chemins de la
banlieue ; mais fes fondions ne s’étendent pas aux
maifons de la v ille, ni à celles des faubourgs de
Paris. Ces derniers alignements font réfervés au
bureau des finances.
C ’eft ici le lieu de dire que par édit du mois de .
mars 1693 , portant un on de la chambre du tréfor
au bureau des finances, le roi créa quatre com-
miflaires de la grande & petite voirie pour fa capitale.
Par la grande voirie , on entend les alignements
des maifons pourlefquels ces commiffaires
fervent d’experts. La petite voirie confifte dans
l’exécution des réglements rendus en divers temps ,
pour empêcher les particuliers d’anticiper, fans
permiffion , fur la voie publique, par des bornes , (
feuils , ou autres corps faifant faillie ; & pour prévenir
les accidents qui pourroient arriver , fi chaque
propriétaire avoit-la liberté d y élever à fon gré
des balcons , auvents , enfeignes , Sec. ; la jurif-
diétion & la police de l’une & de l’autre de ces
voiries appartiennent auffi aux tréforiers. de France,
& quoiqu’elles foient diftinâes de l’adminiftratioa
du pavé , j’en parlerai relativement à la largeur
des rues , qui dépend de l’alignement des maifons ,
& intéreffe par conféquent la fureté & la commodité
des habitants , de même que la facilité du
commerce. S i, -depuis un fiècle, il a paru au gouvernement
qu’il fût effentiel de commettre un tréforier
de France permanent, pour la direélion générale
du pavé de Paris, combien n’étoit-il pas*
plus effentiel d’en établir un pour donner les alignements
dés maifons fur les rapports d’un habile
archite&e , uniquement attaché à cet emploi ? Ne
devoit on pas prévoir qu’en laiffant cette dire&ion
à des eommiliaires que le bureau des finances nom-,
meroic à tour de rôle , ils ne feroient pas touts
également exaéls & intelligents , & que les
mêmes caufes auxquelles on imputoit le dépériffe-
i ment du pavé de Paris, n’influeroient que trop fur
les alignements dont la conduite eft tout autrement
difficile , & port croient enfin des coups mortels,
à la décoration de cette capitale , objet fi pré-,
: cieux au gouvernement. L’expérience a fait voir
plus d’une fois que cette prévoyance eût été fage ;
mais on a plus fait que d’y manquer. Il femble
qu’on ait travaillé à mettre des obftacles au redref-
'fement des rues, en multipliant les infpe&ions qui
doivent y veiller, & en les remettant à des autorités
indépendantes. Je traiterai cet article à fond
dans la troifième partie de cet effai. Je reviens au
pavé.
Hhh