
8 L O I
tant; on fe facrifie fans peine"a ce qu’on aime : il
elève lame au-deffus des. petits intérêts perfon-
nels ; il bannit les haines ; il éteint les jaloufies ; il
termine les divisons ; il étend les vues ; il élève ,
il epure le coeur ; en un mot , il fortifie toutes les
vertus & il les porte jufqu’à l’enthoufiafme. Quelles
vertus, quels efforts généreux ne produit point lè
défir d etre eftimé par les autres & de s’éftimer foi-
même ? Combien de fois la religion n’a-t- elle pas
fait d’une troupe de brigands fans loix, des foldats
auffi valeureux que fidèles, au (fi fournis qu’intrépides?
Mais puifque les peuples chez qui l’amour
de la patrie a régné avec le plus de force, qui ont
été les plus fenfibles à l’honneur, les plus fournis à
l’empire de la religion , ont cru qu’ils dévoient ,
pour a durer à leurs loix militaires une obéiffance
fans réferve, joindre à ces fentiments le fecours
d’une fanéfion convenable , il faut bien , à leur
exemple., recourir à ‘ce même moyen.
La trifte vérité m’avoir à peine montré la nécef-
fité d’une fanéfion, qu’une illufiôn nouvelle s’eff
préfentée à moi. Ne feroit-il pas poffible, me fuis-je
d it , de ne donner aux loix militaires que des récompenfes
pour fanéîion ? Séduit Une fécondé fois,
j ’si cherché dans l’hiftoirefi quelque peuple fameux
par la guerre, s’efi borné à propofer des récompenfes
à fes guerriers , 8c. dans les ouvrages des
philofophes, fi quelqu’un d’etix a penfé qu’on peut,
fans faire ufage des peines , affiirer aux loix militaires
l’obéiffance qui leur eff due; l’accord detouts
les hiftoriens 8c de touts les écrivains politiques
ayant détruit ce fécond efpoir , je me fuis dit encore
: puifque fës: récompenfes feules rie fuffifent
pas , puifque pour.conduire les militaires, au but
qu’ils doivent atteindre, il faut quelquefois recourir
aux peinés, examinons au moins fi l’on doit
faire plus fréquemment ufage des récompenfesque
des punitions. J’ai vu-, avec le plaifir le plus v i f , j
dans le code militaire des Romains, qu’ils avoient
multiplié les récompénfes avec une efpèce d’excès,
6c qu’ils avoient été infiniment fobres fur les punitions
: il penfoir avec raifon , ce peuple fage ,
que les récompenfes élèvent , fortifient , agran-
diffent lame, au lieu que les peines la rapetiflènt,
la rabaiffent, l’énérvent ; il croyoitque les récompenfes
légères qu’on a obtenues font un garant certain
qu’on en obtiendra de plus grandes, comme
les premières peines qu’on ‘a fubies font un garant
prefqüe certain qu’on en fubira de plus graves. J’ai
vu , il eft vrai, en continuant mes recherches, un
des plus grands hommes que la France ait produits
, Montefquieu, aflùrer que les loix tirent plutôt
leur force de la peur que de l’efpérance , &
qu’il n’y a que la crainre du châtiment qui les faffe
ohferver ; mais j’ai bientôt rencontré auffi un fa-
vant recommandable „effayer de renverfer le fyf-
tème qui attribue à la peur route-la force des loix',
je me fuîs rangé dans le parti de ce dernier, parce
qu’il m’a paru le plus glorieux pour l’humanité ,
parce qu’il, efifoutemi par des raifons félidés, &
LUX
fur-tout, parce que j’écris pour des militaires, 8t
pour des militaires françois , qui toujours ont été
plus fenfibles à la récompense la plus légère qu’à
la peine la plus grave.
Je n’entreprendrai point de difeuter à fonds cette
queftion importante ; il faudroit, pour la réfoudre ,
faire un gros ouvrage, & je l’ai déjà prononcé, cet
article ne doit être confidéré que comme la table des
matières d’un livre fur les loix militaires. Je me bornerai
donc à dire avec Henri de Jufii, auteur d’un
livre allemand in titu léde la nature & .de l’e(fence
des corps politiques , qu’il y a une infinité de cas où
l’homme , & fur-tout l’homme de guerre n’étant
point fufceptihle de peur, ce fen.tinient ne peut
faire la force & l’efficacité des h ix qu’il doit Cuivre.
Je ne parlerai pas non plus ici de Tefpère de
peines dont le légiflateur doit faire ufage , ni des
récompenfes qu’il doit propofer ; ce fera dans les
articles Peines & Récompenses que nous nous
occuperons rie ces objets importants. Voye^ Récompenses
& Peines.
LUNETTE. Petite demi-lune. On confirait cet
ouvrage fur le prolongement delà capitale , d’une
demi-lune, ou d’un angle rentrant du chemin couvert
au-delà du glacis. On le fait régulier ou irrégulier,
fuivant le ïerrèin, & le plus fouvent de terre,
fans revêtement, avec un foffé & un chemin couvert.
Ces fortes d’ouvrages fervent à éloigner de
la place l’affiégeant ; il faut absolument qu’il s’en
rends maître avant d’attaquer le chemin couvert.
On nomme au (fi lunettes deux petits-ouvrages
qu’on met fur les deux faces d’une demi-liiné pour
les couvrir & la fortifier ; (• V. FORTIFICATION",
Construction des lunettes , fig. 190 ). Les
grandes lunettes couvrent én entier les faces ;-les
petites ri en couvrent qu’uné partie. Depuis le
fiège de Lille en 1708, on donne le nom de tenailles
aux grandes lunettes.
LUXE. Il ne nous appartient point d’examiner fi
le luxe augmente ou diminue la population où les
richeffes des états ; s’il adoiieit ou corrompt les
moeurs & les vertus des paifibles citoyens ; s’il fortifie
ou affoiblit leur bonheur ; & enfin, s’il ne fait
point fleurir les arts agréables aux dépens des arts
utiles : ces queftions imp.ortantes feront difeurées
dans les dictionnaires de morale & d’économie politique
; quant à nous nous devons uniquement
chercher à fçavoir s’il augmente ou diminue la
force des armées ; s’il fortifie on affoiblit les vertus
néceffaires aux guerriers ; s’il eft favorable' ou
nuifible aux progrès de l’art de la guerre ; Seenfin ,
s’il influe fur le bonheur des militaires.
L’homme qui, pour fçavoir fi le luxe efi utile ou
nuifible aux états »interroge les écrivains politiques,
ne fçait fouvent, après de longues études , & des
méditations profondes , ni ce qu’il doit penfer, ni
ce qu’il doit croire : il a vu des écrivains illufires
prodiguer des louanges au luxe , & d’autres, lui
faire les reproches les plus graves. Comment rie
flotteroit-il pas, d’après cette diverfité d’opinions,
L U “X
4 ans .11 rte grande incertitude ? Celui qui Veut confi- 1
dérer le luxe fous un aipeft militaire , efi bien plus
heureux ; les écrivains didactiques de touts les âges ■
& de toutes les nations , lui difent d’une voix una^-
nime : l’amour du luxe 8c des fuperfiuités, caufe
toujours des revers, ou empêche du moins d’avoir
de grands fuccès. Les armées compoféesde.. guerriers
que l’amoûr du luxe domine , font, ajoutent-
ils »infiniment difficiles à mouvoir , parce qu elles
font furchargées 'de ■ bagage ; à nourrir ,. parpe
qu’elles ont à leur fuite un nombre imrhpnfe de
bouches inutiles ; à tenir raffemblees , parce
qu’elles exigent des dépenfes auxquelles , ni les
revenus de l’état, ni les fortunes des particuliers
ne peuvent Suffire ; à loger, parce qu elles ne
peuvent trouver dans les camps & dans les quartiers
, les mêmes commodités quau fein des
grandes villes ; à difcipiineti, parce que le luxe
dénature le (prit militaire , 8c afFoiblit ou détend le
refiort de la Subordination ; à faire combattre avec,
fuccès , parce que le luxe découragé celui- qui le
traîne après lu i, & augmente l’ardeur de celui qui
le convoite; parce qu’il corrompt les moeurs, énerve
le corps » affoiblit les facultés de l efprit & détruit
celles du coeur; en un mot,, difent-ils , la frugalité
ôç la fimplicité militaires , triomphent toujours du
lutte 8c des fuperfiuités -, 8c - s’emparent de leurs
trophées. Quelques ouvrages militaires, qu il parcoure
, il trouve par tout les mêmes affertioiis ; il
les rencontre encore dans les livres des philofophes
anciens. Suit-il Homère dans le camp des Grecs,, il
n’apperçoit fur la table des généraux que de greffes
viandes rôties , fans apprêt ; parcourt-il la république
de Platon , il voit le légiflateur bannir de.fa;
ville ces guerriers recherchés., amis des feftins.de
Sicile , que le luxe a introduits ; il trouve dans les
ouvrages modernes , le luxe condamné en termes,
encore plus pofitifs. Le luxe , difent-ils , ne peut
manquer de pervertir les guerriers plus l’ame
multiplie fes rapports, plus, elle s’affoiblit. I l ;ne
faut pas , ajoutent-ils. encore, que le guerrier puiffe;
trop regarder derrière lui : le courage veut être
libre; & l’homme abandonné au luxe , efi: un,ef-
cîave efféminé, commandé à la fois par mille ty rans.
S’il ouvre enfin un des plus grands 8c des
meilleurs, ouvrages de Montefquieu , la grandeur
& la décadence des Romains, il y trouve le
paffage fuivant , qu’il ne peut appliquer, qu’aux
militaires : Le malheur n’eft pas .9 dit ce génie immortel
, que le luxe règne dans un état $ mais qu’il
règne dans des > conditions q u i, par la nature des
chofes, ne doivent avoir que le néceffaire phy-
fique.
Suppofons cependant que ces affermons uniformes
8c réunies, n’ont point convaincu cet homme
défireux de s’inftruire; fùppofons qu’il'dife : Il
peut fe faire que les écrivains militaires , entraînés
par l’exemple de quelques moraliftes,, ont porté
plus de morofité que de raifon dans leurs écrits
contre le luxe ; il peut fe faire qu’ils ayent cru né-
L U X 219
ceffaîre à leur gloire d’affeéler un rigoureux ftoi-
cifme. Je veux , avant de mé décider , interroger
les événements dont l’hiftoire ancienne nous a tranf-
mis le Souvenir. Suivons-le dans fes recherches , le
fpeâacle dont il fera le témoin, nous offrira fans
doute quelque grande leçon.
En parcourant rhiftoire des Egyptiens, il verra
que ce peuple riche , fut fubjugué d abord par un
peuple nomade, forti des déferts de 1 Arabie, 8c
pauvre par conféquent ; il verra l’orgueilleux Sé-
lofiris planter des colonnes triomphales dans toutes-
les contrées riches qu’il parcourut , mais ne pouvoir
en éleve^fur le territoire des Thraces, pauvres
& fans luxe. Les Scythes pénètrent dans la riche
Egypte : l’or efi cette fois, utile à fes poffeffeurs ;
; il paye la retraite des ennemis. Les Perfes 8c les
Egyptiens font depuis-longtemps en guerre ; la victoire
paffe alternativement d’un parti à. l’autre ;
Tachos , Roi de ce dernier peuple , implore le fe-
: cours' des Lacédémonisns ; Agéfilas arrive en
Egypte ; il ne traîne après lui ni riçheffes ni luxe ^
8c le parti qu’il embraffe efi vainqueur.
En tournant fes regards vers l’Aflyrie, il voit'
Ni nus concevoir le projet infenfé de conquérir
le monàe ; il le voit pouffer fes conquêtes très
avant : mais il s’appe.rçoit que ce prince a eu la
t fageffe de s’allier avec des Arabes suffi pauvres que
ceux qui avoient conquis l ’Egypte : il s’apperçcit
encore que ce prince efi arrêté , dès qu il marche
contre les Badriens, peuple auffi chargé de luxe
que les Arabes. L’hifioire des premiers Affyriens ne
lui offrant aucun autre détail fur les opérations militaires
, il paffera au fécond empire des Affyriens ,
toutefois après avoir vu le luxe renverfer le trône
de Sardanapale : il, verra le fécond empire détruit,
• par les Mèdes , qui, fous Cyrùs , étoient pauvres
8c fans luxe ; il rencontrera bientôt les Perfes conf-
| tamment battus par les Scythes errants 8c fubjugués,
tout chargés d’or qu’ils étoient, par les Macédo-
; niens couverts de fer. En fuivant Alexandre dans
fes conquêtes , il verra ce héros repouffé par ces
mêmes Scythes,-., il découvrira que 1e luxe fut la
caufe des troubles qui.arrivèrent dans l’armée de ce
prince après fa conquête d’Àfie ; que les prières ,
ni les ordres, ni l’exemple de ce conquérant, ne
purent rétablir l’ancienne fimplicité macédonienne ;
8c qu’il fut obligé , poiir décider fon armée à le
fuivre dans .les Indes, 8c pour lui procurer des fuccès
, de faire cnn fumer parle feu les riches dépouilles
dont - elle' s’étoit..chargée. Dans l’hifloire
de Syrie, il verra un Àntiochus qui fut tué , 8c donc
l’armée .fut détruite par les Parthes , parce qu’elle
traînoit après elle un luxe exceffif & une quantité
innombrable d'hommes plutôt defiinés à l’entretenir
qu’à, combattre l’ennemi. Quand il jettera un
coup-d’oeil fur les républiques de la Grèce, il verra
Lacédémone s’anéantir, dès qu’au mépris des fages
infiitutions de Licurgue, elle eut admis dans fon (cin
l’o r , & avec lui le luxe , qui en efi une fuite
prefque inévitable ; Athènes., perdre fa force &