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marche de fix lieues, & tomber Air Ton arrière-
garde avant qu’elle eût paffé le ruiffeau de la Ca-
toire.
. Ce fut cette confiance qui le fit battre. M. de
Luxembourg étoit attentif fur ce décampement,
dont il crut profiter , en cas que M. le prince d’O-
range hafardât de marcher fans les précautions re-
quifes en pareil cas. Lorfque ce général arriva à
Leuze avec fa cavalerie, il vit l’arrière-garde des
ennemis feule en-deçà du ruiffeau de la Catoire ;
il la fit charger avec tant de vivacité, qu’il la battit
entièrement à la vue de M. le prince d'Oraage,
qui ne put remédier à la faute qu’il avoit faite de
n’avoir pas affez de ponts fur le ruiffeau pour faire
cette marche en arrière fur plufieurs colonnes , &
de n’avoir pas placé de l’infanterie fur le bord du
ruiffeau en-delà pour recevoir fa cavalerie , en cas
qu’elle fût chargée.
Le troifième exemple eft celui du combat de
Luzara en 1702 , qui tombe dans le cas d’une armée
qui marche en avant fur fon ennemi, & dont
un corps détaché de l’armée pour éclairer fa marche
, ne fe porte pas affez en avant au-delà du ter-
rein que l’armée veut occuper pour fon camp.
Dans cette occafion, M. le prince Eugène campé
dans le Séraglio, avoit paffé le Pô fur fon pont de
Borgeforte avec toute fon armée , fans que M. de
Vendôme en put être averti ; il étoit même en bataille
derrière une digue du Zéro, prefque à la
tète du terrein que l’armée du roi alloit occuper
pour fon camp , fans que perfonne du corps détaché
pour éclairer la marche, eût fongé à monter
fur cette digue pour connoître le pays au-delà ;
ainfi l’armée du roi alloit être furprife & battue un
moment après fon arrivée fur le terrein de fon
camp ; & fans quelques foffés & des haies qui fe
trouvoient fort près du camp, & qui empêchèrent
l ’ennemi de marcher de front, félon toutes les apparences
, la décifion de ce combat nous auroit
été fort défavantageufe.
Le quatrième exemple eft celui d« la bataille de
Spire, qui tombe dans le cas d’une armée qui
marche en colonne à fon ennemi qu’elle veut combattre
, & qui, cependant, le bat effeâivement
dans cette pofture & fans fe mettre en bataille.
Quoique certe aâion ait été heureufe, je ne laif-
ferai pas de blâmer la conduite de M. de Tallard
en cette occafion , & de dire qu’un bonheur arrivé
fans raifon & contre les bonnes maximes , ne doit
jamais fervir de règle.
Le cinquième exemple eft celui de la bataille de
Caffano, qui tombe dans le cas d'une armée q u i,
cottoyant dans fa marche celle de fon ennemi ,
dont un pays couvert & une petite hauteur lui
ôtent la v u e , croit que parce qu’elle eft couverte
d’un ruiffeau , elle petit impunément s’étendre fi
près de fon ennemi, dont elle ignore les mouvements
, & hafarde de tenir fa ligne féparée par les
branches de ce ruiffeau.
Jl eft confiant que fi l'officier général de l’armée
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de M. le prince Eugène , qu’il avoit laifle vîs-à-vis
de Parme , pour montrer toujours une tête à M.
de Vendôme , n’eut pas marché fitôt pour rejoindre
l’armée de ce prince , & que le corps de
troupes de l’armée du roi qui s’y trouvoit oppofé,
n’eut pas , de fon côté , marché avec une diligence
extrême pour rejoindre M. de Vendôme, il eft
confiant, dis-je , que. M. le prince Eugène , qui
avoit attaqué avec luccès le pont de Caffano , qui
fe trouvoit dans le centre de la marche de l’armée,
l’auroit féparée dans fon centre même, & Uauroit
enfuite facilement battue.
Le fixième exemple eft celui de la bataille de
Ramillies , qui tombe dans le cas d’une armée qui,
marchant en avant, pourtant fur deux lignes , voit
venir à elle l’armée ennemie en colonne, d’affez
loin pour avoir le temps de fe former & de fe
mettre en bataille.
Dans cette occafion, M. le maréchal de Ville roi
demeura immobile pendant plus de cinq heures
dans l’ordre de bataille où il fe trouvoit, fans fon-
ger à changer fa difpofition fur celle a laquelle il
voyoit prendre touts les avantages du terrein , qu’il
pouvoit lui ôter en changeant (a difpofition.
Touts ces exemples allégués fur la matière des
furprifes d’une armée dans fes marches , dont les
efpèces fe trouvent toutes différentes , juftifient
les maximes que j’établis pour les faire furement,
& font connoître qu’un général ne fait guères de
fautes de cette nature devant un ennemi attentif
& vigilant, fans en être châtié. ( Feuquières ).
Nous allons donner quelques détails plus etenr
dus fur la furprife des armées.
Je fuppofe qu’avant de prendre votre derniere
détermination , vous avez une connoiffance exaéle
du front qu’occupe l’armée des ennemis , des endroits
où une partie de leurs lignes eft coupée par
des ravins , des ruiffeaux , ou par quelque canal ;
de leurs ponts, des poftes du quartier des vivres,
des batteries , du parc de l’artillerie, des magafins
de poudre, des fourrages & du quartier du capitaine
général ; vous devez aufli être inftruit s’il n’y
a point aux environs du camp quelque terrein qui
domine, ou qui foit fort par fa fituation.
Il ne faut pas entreprendre la furprife, lorfque
vous doutez fi les ennemis n’ont pas reçus peu auparavant
de nouvelles troupes qui, non-feulement
augmenteroient leurs forces, mais qui romproient
toutes vos mefures pour l’attaque, puifque l’alignement
du camp des ennemis aura changé.
Je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai dit touchant la
défenfe de ne commencer le pillage que lorfque
l’ordre en a été donné * fi ce n’eft qu’on change le
fignal de la cloche en un certain nombre déterminé
de feux qu’on allumera fur une telle colline
ou fur une telle tour. Il fe rencontre ordinairement
plus de cent hommes dans la maifon d un
général d’armée, en y comprenant les gardes d’infanterie
& de cavalerie, les gens d’ordonnance &
les domeftiquçs, Si cette maifon eft dans un poft«
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dont on puiffe approcher, deftinez cent cinquante
hommes d’infanterie & cinquante cavaliers pour
faire prifonnier le chef des ennemis , afin qu’il n’y
ait perfonne dans fon armée pour donner les ordres,
en attendant que cette nouvelle fe foit répandue
, & que le lieutenant général le plus ancien
ait pris le commandement ; comme aufli afin que
ce bruit divulgué faffe perdre courage aux ennemis.
Dans la furprife que Léonidas entreprit contre
l’armée des Perfes, fon premier foin fut d’aller
droit à la tente de Xercès.
Suppofant que vous pouvez furprendre l’armée
ennemie par l’avant-garde, par les ailes ou par
l’arrière-garde, il faut diftinguer fi elle eft campée
fur une ligne ou fur deux, ouvertes ou fermées ; fi
elle n’eft campée que fur une ligne , le plus avantageux
pour vous feroit de l’attaquer par l’arrière-
garde, parce que vous trouverez moins de gardes
& de partis avancés, & parce que les ennemis
n’aùront pas le terrein aufli libre & aufli propre
pour fe ranger en bataille qu’à l’avant-garde. J’ajoute
que plus vous furprendrez en un même-
temps de corps des ennemis, moins il y aura de
régiments entier en état de fe mettre en ordre de
bataille pour aller au fecours de ceux que vous
attaquez. Ainfi je préfère une furprife par l’arrière-
garde à celle qu’on pourroit entreprendre par le
flanc ; la difficulté eft , fuppofez que les deux armées
foient campées front à front, que vos fol-
dats ayent affez de temps & de vigueur pour pouvoir,
pendant une nuit, faire une marche aufli
coufidérable que celle qu’il faut pour aller prendre
les ennemis par derrière.
Si les ennemis font campés fur deux lignes , on
peut fort bien de même attaquer l’arrière-garde de
la fécondé, & détacher des partis de cavalerie qui
fonnent l’alarme à l’avant-garde & entretiennent
les troupes de la première ligne dans leur terrein ,
de peur qu’elles n’en fortent pour aller au fecours
delà fécondé.
S’il n’eft pas poflible de faire le tour dont j’ai
parlé pour attaquer les ennemis par l’arrière-garde,
ni même par le flanc , vous détacherez de petits
partis de cavalerie qui fonnent l’alarme à l’arrière-
garde de la fécondé ligne, afin que, parla même
raifon , elle ne. vienne point au fecours de l’avant-
garde de la première ligne que vous attaquez.
Si c’eft par les ailes que vous voulez furprendre
les ennemis , vous chargerez les deux lignes , afin
qu ; vos troupes qui attaquent la première ligne ne
foi ent pas prifes en flanc par celles de la fécondé.
Si les ennemis font campés fur deux lignes
avec des troupes qui, en faifant face à la campagne,
couvrent les flancs, alors tout eft front.
Dais ce cas , vous devez attaquer telle ou telle
pairie de l’armée par celui des chemins qui vous
fait tomber fur les ennemis le plus promptement
& le plus fecrètement.
.Votre armée fe diyifera en troupes qui doivent
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faire diverfion, & en celles qui doivent brûler ,
attaquer Ôç foutenir. Il fuffit que les troupes de
diverfion foient chacune de vingt-cinq cavaliers
ou dragons , de deux tambours pu trompettes ;
quatre de ces foldats porteront les chofes nécef-
faires pour meitre le feu, comme je le dirai un
peu plus bas.
Pour attaquer chaque corps de cinq cents hommes
, je deftinerois deux cents cinquante foldats
d’infanterie & cinquante cavaliers diftribués de la
manière qui fuit :
Cinquante fantaflins & cinquante cavaliers pour
battre le piquet, après quoi quarante de ces cavaliers
pourfuivrpnt les fuyards , & les cinquante
fantaflins fe joindront à ceux du premier parti
dont je vais parler, pour fervir de corps de ré-
ferve au relie de ce détachement ; les dix cavaliers
de plus demeureront avec l’infanterie pour vous
porter les nouvelles de ce qui fe paffe , & pour
faire prifonniers quelques foldats qui prennent la
fuité fans armes.
Cinquante fantaflins pour s’emparer des faif-
ceaux d’armes, & qui, après s’être fervi de ces
armes pour tirer contre les tentes , les mettront en
pièces ; ces mêmes fantaflins feront un détachement
de quinze ou vingt hommes pour prendre
les timbales, les drapeaux ou les étendards de ce
bataillon, ou de ce régiment de cavalerie ou de
dragons.
Cent trente foldats d’infanterie pour attaquer
les tentes.
Vingt foldats d’infanterie avec des fufils &
des pierres à feu , de la mèche , des allumettes
& des fafeines poiffées pour mettre le feu aux
tentes, aux barraques , aux mangeoires des chevaux
& aux tas de fourrages, de fafeines & de
bois, afin d’augmenter ainfi le défordre parmi les
ennemis, & afin que les chevaux épouvantés, ne
fe laifferit ni prendre ni feller. Vos troupes feront
plus aifément toute cette manoeuvre , fi les ennemis
, faute de tentes ou à caufe du froid , campent
fous des barraques couvertes de paille ou entrelacées
de branchages qui font fecs en fort peu de
jours.
C’eft de ce dernier avantage dont Scipion l’Africain
profita pour mettre le feu en même-temps
aux deux camps d’Aftrubal & Syphax , & les flammes
maltraitèrent fi fort leurs armées & y mirent
tant de défordre, que Scipion n’eut prefque rien à
faire pour les tailler en pièces.
Vous tâcherez fur tout de mettre le feu aux magafins
des provifions de bouche & de guerre, s’ils
fe trouvent à portée ; car alors , quand même vous
ne réufliriez pas à battre l'armée ennemie , vous
en tireriez plufieurs avantages confidérables que
je détaille en parlant de la guerre offenfive.
Q u ’un corps de mille hommes d’infanterie &
de cinq cents chevaux ne perde point de temps à fe
rendre mai re du terrein dominant & avantageux
où les ennemis ont quelques batteries , & ou Us