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outre que leur travail fournira à une partie delà
dépenfe , eltes contribueront à peupler davantage
un pays , parce que Tachant un métier, 8c élevées
dans les principes de la vertu , elles trouveront facilement
un mari : c’eft ce que j’ai obfervé à Gènes,
où il y a différentes maifons & écoles pour les
pauvres filles orphelines ; & non feulement leur
travail fournira leur entretien 8c leur habillement,
mais encore à faire un fonds pour les doter. Je
vois à Turin , où je me trouve à préfent, le même
effet de cette providence : mais je m’écarte fans
y penfer de mon fujet.
De rattention au foupçon fur l'infidélité des peuples.
Lorfque les troupes vivent aux dépens d’un
pays, ou qu’elles y commettent des défordres,
il eft naturel que les habitans fouhaitent qu’on retire
ces troupes , par le feul motif de voir finir le
défordre & la dépenfe ; mais quand elles fubfif-
tent uniquement de leurfolde , elles foulent moins
lès peuples qu’elles ne leur portent de profit,
parce que les peuples s’enricniffent en vendant
cher des vivres, qui peut être fans cela n’auroient
pas de confommation. D’ailleurs, les artifans & les
marchands gagnent beaucoup par la fabrique & la
vente continuelle des armes & de tout ce qui eft
néceffaire pour l’habillement. Par cohféquent, fi
malgré ces avantages le pays agit pour n’avoir pas
des troupes , c’eft une marque qu’il cherche la liberté
, pour pouvoir fe révolter.
Alexandre étant en marche pour aller à la capitale
de Panphélie , la ville d’Afpanda lui envoya
des députés, & lui offrit cinquante talents & quel-
ues chevaux , s’il vouloir bien ne pas lui laiffer
es troupes. Alexandre lui accorda la grâce qu’elle
demandoit ; mais à peine cette ville eut appris que
ce prince étoit déjà un peu loin , & occupé à faire
le fiège de Sillium , qu’elle lui refufa l’obéiffance;
de forte qu’il fut obligé de l’afliéger pour la ré>*
duire.
La ville de Véfel paya cinquante mille écus
pour les troupes de Philippe I I I , afin que l’amirauté
d’Arragon , fon général, ne mît pas garnifon
dans cette place , où les habitants offrirent de laiffer
libre l’ufage de la religion catholique. Mais
auffi-tôt que le duc de Clèves , le comte Palatin ,
& le landgrave de Heffc eurent mis en campagne
leur armée contre les e fp agno ls les habitans de
Véfel recommencèrent de défendre aux catholiques
l’exercice de la religion ; obligèrent le nonce
du pape & les catholiques de fortir de la place , &
firent plufieurs autres- chofes déjà préméditées,
lorfqu’ils avoient payé pour n’avoir pas de garnifon.
Une autre marque de révolte, eft lorfque les
habitants font plus fouvent que de coutume des af-
femblées, fur-tout dans des lieux fecrets où l’on
doit préfumer qu’ils s’affemblent pour prendre des
mefures.
Sur cet indice , le marquis de Los- Velez , vice*
roi de Sicile, découvrit en 1477 une des révoltes
des habitans de Palerme.
Il eft à propos de défendre ces fortes d’affem-
blées, parce que tel qui propofe de vive voix un
projet de foulèvement, n’oferoit peut - être pas
le faire par écrit; d’ailleurs, la follici talion d’un
feul homme ne fait pas tant d’impreftion , que lorf-
. qu’on y eft entraîné parla perfuafion du grand
i nombre de perfonnes qui fe trouvent dans ces
| affemblées , où l’on tâche mutuellement de couvrir
l’énormité du crime, & d’éloigner la crainte du
: châtiment par la confidération de la multitude des
coupables.
Un des réglements que fit Simon Machabée,
capitaine & grand-prêtre d’ifraël, fut que, fans
fa permiftion, perfonne ne pût convoquer aucune
affemblée, à peine d’être déclaré criminel.
Céfar - Albrige ne fe récrie point tant fur aucune
autre chofe , que contre certaines confrairies
de Gènes, où il prétend que, fous prétexte .de dévotion
, on s’affemble pour traiter de matières
d’état, & peut - être pour machiner contre le gouvernement
de la république.
Si quelque particulier, capable d’afpirer à la
fouveraineté, pour s’attirer l’affeâion du peuple,
fe montre plus libéral que de coutume, & a pour
lui des attentions plus grandes que fon génie 8c
fon naturel l’y portent, c’eft un terrible indice
qu’il médite quelque révolte , parce que perfonne
ne force fon génie & fàw naturel fans quelque vue
d’intérêt. On doit également tenir pour fufpeft
celui qui, dans les conventions, embraffe le
parti & la plainte de ces fortes de mécontens , qui,
ayant en horreur le gouvernement, font aifés à
perfuader de prendre les moyens de la vengeance,
qu’ils chercheront dans un foulèvement contre le
prince. Catilina mit tout cela en pratique pour
réuflir dans fa conjuration.
Cæfar & Pompée ayant propofé de répartir
des terres aux pauvres, Caton d’Utique comprit
d’abord que par-là ces deux chefs vouloient gagner
l’affeélion du peuple, pour parvenir eftfuite à la
fouveraineté.
En 154 7, 1? comte Frifchi-, voulant ufurper
aux Dorias le gouvernement & l’autorité qu’ils
avoient à Gènes, faifoit de riches dons aux pauvres
de cette v ille, régaloit fréquemment la no-
bleffe en feftin, 8c dans toutes les occafions,
donnoit à tout le monde des marques de fon
affeflion & de fa libéralité ; ce qui lui attira un
parti fi puiffant, qu’il auroit réufli dans fon entre-
prife s’il n’avoit eu le malheur de fe noyer en entrant
dans une galère des Dorias.
Le fénat romain comprit que le décemvir Ap-
pîus Claudius méditoit une confpiration en
voyant que ce génie fier & altier , faifoit contre
fa coutume toute forte de courtoifies au peuple.
Abfalon employoit toutes les marques extérieures
d’affe&îoii. poiir engagerfes amis à liii aider, pour
parvenir à la tyrannie.
r Une des chofes qui fit foupçonner à Stenon
§tur, proteâeur de la Suède, que Guftave Troïle.,
archevêque d’Upfal avoir deffein d’exciter une fé-^
dition, fut qu’il remarqua que Troïle protégeeit
ceux qui étoient mécontents du gouvernement.
M. de Balzac obferve qu’ordinairement les rebelles
font précéder la révolte par de fauffes prophéties
fatales au fouverain, qu’ils répandent
parmi le peuple, afin qu’il croie qu’une détermination
célefte, écrite dans les aftres, les portent
à entreprendre quelque nouveauté, excufe
en partie la faute de leur désobéiffance.
Quelquefois ils inventent des miracles , auxquels
on doit ajouter auffi peu foi qu’ils font peu
fondés fur la religion. Les auteurs de pareilles
inventions font ordinairement des hommes pervers
, qui abufent de ce qu’il y a de plus facré,
pour commettre le crime ; ou q u i, par une fauffe
idée de vertu, 8c par une foi mal éclairée, donnent
dans l’extrémité oppofée, croyent aveuglément
tout ce quia quelque apparence de divin,
fans vouloir pénétrer fi ce n’eft point un effet
de l’artifice humain. On doit châtier rigoureufe-
ment les premiers , & exiler les féconds, lorf-
qu’après la corredion ils font encore opiniâtres
dans leur; faute.
On fit fous Tibère une loi qui enjoignoit aux
afirologues 8c aux magiciens de fortir d’Italie,
parce que quelques - uns-d’eux avoient ofé faire
courir des prédirions funeftes à Tibère.
Le roi d’Efpagne , mon maître , chaffa le père
Bulon de Madrid , parce que l’armée des alliés y
étant arrivée, il alloit prêcher dans les rues en
faveur de l’archiduc , s’étant laiffé tromper par de
faux miracles, que quelques rebelles difoient être
arrivés, 8c qu’ils répandoient par tout.
Des fignes de révolte.
Les pafquinades & les libelles contre le prince,
ne fe font que pour tâcher de diminuer dans les
fujets la fidélité & l ’obéiffance qu’ils lui doivent ;
infpirer de la haine pour le fouverain , c’eft vouloir
ouvrir un chemin à la rèvoke : celle d’Angleterre
, contre Charles I.cr, fut précédée de fem-
blables écrits.
Si de pareils libelles courent dans des pays,
défendez à toute; perfonne de les lire & de les
garder ; ordonnez que touts ceux qui en auront
des exemplaires , les portent auflï-tôt au commandant
ou au juge du lieu ; ne permettez pas même
quon s’entretienne du contenu de ces libelles;
obligez touts ceux qui en auront oui parler de
venir le déclarer au commandant ou au juge , afin
de faire arrêter comme féditieux, celui qui en
aura'élevé le difcours. Il eft important d’empêcher
que de pareils écrits ne fe divulguent, parce
que leur malignité*ne laiffé pas de faire impreiîion
fur quelques perfonnes. Touts ces auteurs de: li-
belles , de pafquinades, de fatyres infolemcs font
dignes de châtiment, & Tibère, les déclare criminels
de lèfe - majefté.
Je fai qu’il n’eft pas aifé d’arrêter entièrement
le cours de ces fortes d’écrits ; tâchez du moins
d’éviter qu’ils ne fe répandent parmi le peuple,
q ui, plus fufceptible de fauffe impreiîion , donne
plus aifétnent dans le piège, & remue plus facilement.
Le parlement d’Angleterre s’étant foulevé contre
Charles I.er, fit-arrêter un juge de Londres , &
le comte de Brillol ; le juge pour avoir reçu un
mémoire, que ceux de la province de Kent
l’avoient prié de remettre entre les mains du
comte ; & celui-ci pour s’être chargé du mémoire,
qui, contenant un nombre de raifons en faveur
du ro i, contre le parlement, auroit pu diminuer
le parti des parlementaires, fi cet écrit étoit devenu
public,
A l’égard des pafquinades faites fur des bagatelles
, j’ai déjà prouvé qu’il falloit totalement les
méprifer.
Si les ennemis, pour tâcher de rendre votre
prince odieux à fes fujets , font courir des bruits ,
qu’il importe qu’on ne croye pas, il doit, par des
manifeftes , juftifier fa conduite, & faire voir la
faufferé des bruits que fes ennemis répandent : je
le prouverai dans la fuite par les exemples du
duc d’A lba, de Fernand Cortez, & de l’empereur
Tite.
Lorfque les affaires d’Efpagne étoient en mauvais
état, les ennemis du ro i, mon maître * publièrent
qu’il alloit abandonner le royaume , 81 fe
retirer en France. Le roi voyant que ce bruit
caufoit quelque défordre parmi les troupes & les
peuples qui lui étoient fidelles, fe hâta de le détruire
par un manifefte , où il fit voir la malice &
la fauffeté de l’invention.
Un indice de révolte plus clair que ceux dont
on vient de parler, eft lorfque les citoyens perdent
le refpeét qu’ils doivent aux miniftres du
prince, 8c n’exécutent plus avec la même ponctualité
leurs ordresprincipalement ceux qui
pourroient contribuer à la tranquillité du pays.
Si quelques-uns de ceux qui vous font déjà
fufpeéîs, ceffent de vous v o ir , & fe retirent entièrement
de vous ; fi lors même , que fous un bon
prétexte vous les faites avertir pour vous venir
parler, ils cherchent une excufe frivole pour ne
pas venir, c’eft une marque qu’ils efpèrent de
pouvoir dans peu faire leur coup, & qu’ils font
occupés à difpofer toute chofe. D’ailleurs leur
confidence les fait craindre que leur vifage &
leur contenance ne les accufent. La préfence du
juge n’eft pas un fpe&acle agréable pour un criminel
; & celui qui fait mal craint la lumière.
Cæfar ayant convoqué les états des Gaules ,
les provinces de Sens , de Chartres & de Trêves ,
refusêrenr d’y envoyer-, Cæfar regarda leur exf