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tailles, n’en ont pas moins été regardés comme de
grands capitaines, & qui l’étoient effeéfivement.
Ils commandoient , au moins les premiers,des
troupes dont ils n’étoient point abfolument les
maîtres;, ils a voient différents intérêts à concilier ,
différents chefs avec lesquels il falloir fe concerter
; ce qui eft fufceprible de bien des inconvénients
dans le commandement des armées ; mais
la manière dont ils fe tiroient de leurs défaites ,
• mettoit leurs talents militaires dans le plus grand
jour ; delà cette réputation jufleaaent acquife &
méritée de grands capitaines.
Nous avons obfervé, article Ba t a il l e , que
M. le maréchal de Puyfégur penfoit que les batailles
étoîent allez fouvent la reffource des généraux
peu. intelligents , qui, fe fentant incapables de
fuivre un projet de guerre fans combattre , rif-
quoient cet événement au hafard de ce qui pou-
voit en arriver. Des généraux de cette efpèce peuvent
gagner des batailles , fans que leur gloire en
loit plus grande.
Le gain d’une bataille ou la victoire étant toujours
incertaine, & la perte des hommes toujours
très confidérable la prudence & l ’humanité ne
permettent de fe livrer à ces fortes d’a&ions que
dans le cas de néceffité abfolue, & lorfqû il eft
impoffible de faire autrement fans s’expofer à quelque
inconvénient fâcheux. Lorfqu’on le peut, on
ifeft point excufable de hafarder îa vie de tant de
braves foldats , dont la perte eft irréparable.
Cependant la plupart des généraux d’armées ,
dit M. de Folard , n’y font pas allez d’attention.
« Il fembte qu’ils comptent pour rien la vie de
leurs foldats & de leurs officiers ; qu’ils foient af*
fommés par milliers, n’importe ; ils fe confolent
de leur perte s’ils peuvent réufltr dans leurs en- j
treprifes, exécutées fans conduite ou fans néceffite.
Augufte ne put feconfoler de la défaite de fes légions
taillées en pièces en Allemagne. Il fentit fi
vivement cette perte, qu’il s’écrioit a tout moment
: Varus, rends-moi mes légions, & Varus avoir
péri avec elles ; tant il reconnoiffoit qu’il n’eft pas
au pouvoir des plus grands princes de rétablir une
infanterie d’élire qu’on vient de perdre; on ne la
recouvre pas avec de l’argent ».
» Il y a un art de ménager la vie des troupes ;
mais il s’eft perdu avec M. de Turenne. Il y en a
lin autre de les rendre invincibles, de former de
bons officiers, & des hommes capables d’être à la
tête des armées par l’excellence de la difcipline militaire
; feroit-il enterré avec les Romains B Ne
feroh-il pas plus aifé de le reffufciter, que de
trouver des gens affez dociles pour approuver ce
qui n’eft pas forti de leur tête » ?
» Le général Banier, qui étoit, fans contredit ,
un des plus grands guerriers de fon fiècle , ne
penfoit jamais à aucun deffein tant foit peu confidérable
, qu’il ne fongeat en même-temps à ménager
la vie des foldats. Il déteftoit les voies meurtrières
, & blàmoit hautement les généraux qui fav
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crinoient tout à leur réputation. Il fe vantoît de
n'avoir jamais hafardé ni formé aucune entreprise
fans une raifon évidente. Encore que Cæfar
dans la guerre d’Afranius, fût alluré de la victoire,
il ne voulut jamais hafarder une bataille contre
lu i, pour épargner la vie de fes troupes , que
lorfqu’il s’apperçut que l’armée, ennemie tiroir à fa
ruine , lui ayant non-feulement coupé les vivres ,
mais encore l ’eau ; il la réduifit enfin par une fage
circonfpe&ion, à mettre les armes bas ». ( Corn-
ment. fur Polybe, tom. IP, pag. 4 1 1 ).
Ce qui peut x fuivant M. le maréchal de Puyfégur
, contribuer à la victoire , c’eft l’avantage de la
fituation des lieux pour attaquer & pour fe défendre
; la fupériorité du nombre ; la force dans
l’ordre de bataille ; le fecret de faire combattre à
la fois un plus grand nombre de troupes que l’ennemi
ne peut le faire ; le plus de courage dans les
troupes, & le plus d’art pour combattre. Quand
ces differentes parties fe trouvent réunies , on peut,
dit cet illufire maréchal, être affuré,de la victoire ;
mais elles fe trouvent fouvent partagées ; d’ailleurs
il eft peu de généraux qui ne faffent des fautes
plus ou moins importantes , qui donnent beaucoup
d’avantage à l’ennemi qui fait en profiter, &
qui décident quelquefois de la victoire. En effet 9
félon M. de Turenne , i l arrive fouvent à la guerre 9
aux capitaines les plus expérimentés, des accidents
fur lefquels on aurait raifon de difeourir beaucoup, Ji
Cexpérience ne fai foit pas voir que les plus habiles
font ceux qui font h moin's de fautes’, fautes que ,
comme H l’obferve, il eft plus aifé de remarquer
que de prévenir. Cæfar lui-tnême n’en eft pas toujours
exempt ; c’eft ce que M. le maréchal de Puy-
fêgur entreprend de démontrer dans fon livre de
Y Art de la guerre, tom. I l , chap. 11 , art. 4.
Il n’eft pas rare de voir des victoireséquivoques,'
ou que les deux partis s’attribuent également ;
mais le temps & les fuites font bientôt découvrir
quel eft le parti qui eft véritablement vi&orieux.
Chez les Grecs , le fuccès des batailles n’éroit pas
également incertain. L’armée qui redemandoit fes
morts s’avouoit vaincue ; alors l’autre avoir le
droit d’élever un trophée pour fervir de monument
de fa victoire.
Lorfque la victoire eft acquife , il y a un art de
favoir en profiter & d’en tirer touts les avantages
qui peuvent en réfulter. Peu de généraux favent
cet art ou veulent en profiter. Tout le monde fait
ce que Maherbal dit à Annibal , voyant que ce
grand homme ne marchoit point à Rome après la
bataille de Cannes. Vincere fcîs , Annibal , fed
viâoriâ uti nefcis. On a fait le même reproche à
Guftave Adolphe, après le gain de la baraille de
Léipzic , de n’avoir pas marché à Vienne dans
l’étonnement où cette bataille avoit jette la cour
impériale.
Il eft certain que pour peu qu’on donne de loiftr
à l’ennemi vaincu, il peut, avec des foins & de la
diligence, réparer fes pertes, faire revenir leçon-
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ïa g e à fes foldats, à fes alliés, & trouver le moyen
dereparoître pour arrêter ou fufpendre les progrès
du viélorieux. Mais il eft vraifemblable que dans
le moment de fatisfaftion que produit une victoire
y on s’en trouve pour ainfi dire enivre ; que
comme on n’a pu compter abfolument fur cet événement
, les mefures qu’il faut prendre pour en
tirer tout le fruit poffible, ne fe préfentent pas
d’abord à l’efprit. D’ailleurs , on ignore fouvent la
grandeur & l’importance de la victoire » la perte
qu’elle a caufée à l’ennemi, & quel eft le découragement
& la difperfion de fon armée. On vient
d’acquérir une très grande gloire; on craint de la
compromettre par de nouvelles entreprifes dont
le fuccès ne paroît pas affuré. Telles font peut-
être les différentes confidérations qui empêchent
quelquefois de tirer des victoires , touts les avantages
qui devroient en réfulter. Lorfqu’on eft bien
informé de tout ce qui concerne l’ennemi & qu’on
veut agir contre lu i, on trouve qu ’il n’eft plus
temps. Les efprits font revenus de leur première
frayeur; l’ennemi a reçu de nouveaux fecours ;
fes foldats difperfés font raffemblés fous leurs drapeaux,
Alors , s’il n’eft point affez fort pour tenter
de nouveau l’événement d’un combat, au moins
peut-il fe foutenir dans un bon pofte , ou fous la
proteâion du canon de l’une de fes places. Par-là
on fe trouve arrêté & gêné dans toutes les opérations
qu’on voudroit faire, & il arrive que la victoire
ne produit guère d’autre avantage que le gain
du champ de bataille , & la gloire-, fi l’on veut ,
d’avoir battu l’ennemi. On n’éprouve point cet
inconvénient lorfqu’on pourfuit , comme le dit 1
M. le maréchal de Saxe, l’armée ennemie à toute
outrance , & qu’on s’en défait pour une bonne
fois ; mais bien des généraux , dit-il , ne fe foucient
pas de finir la guerre fitôt.
Immédiatement après la bataille, ou dès que la
victoire eft affurée, le général fait partir un officier
de marque avec une lettre pour apprendre au fou-
verain l’heureux fuccès du combat, & l’inftruire
fort en gros des principales circonftances de l’action.
Vingt ou trente heures après , on fait partir
un fécond officier avec une relation plus détaillée,
> où l’on marque la perte qu’on a „faite & celle de
l’ennemi.
La politique ne permet pas toujours d’employer
l’exaéfe vérité, à cet égard , dans les relations que
l’on rend publiques. Il eft affez ordinaire d’y diminuer
fa perte & d’augmenter celle de l’ennemi ;
mais comme chaque parti publie des relations du
même combat, il eft aifé, en les comparant les
unes avec les autres, de juger à peu près de la
vérité.
Nous obferverons à cette occafion , qu’une relation
bien faite , bien dair-e & bien précife , fait juger
avantageufement des talents du général. Si
elle eft mal dirigée & mal conçue, on a de la peine
à croire qu’il ait eu des idées bien nettes de fa be-
fogne. Cette forte de travail , au refte, ne doit
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être fait que par lui feul. Ce ne doit point être
l’ouvrage d’un fecrétaire , mais de celui qui a été
l’ame de toute i’aüion. On a vu des relations q u i,
bien entendues , imputoient elles - mêmes des
fautes d’inadvertance à ceux qui les avoient fait
dreffer. Avec un peu d’habitude de penfer & d’écrire
, on n’agraveroit pas au moins fes fautes, en
les avouant fans s’en appercevoir. Q u’il nous foit
permis de citer ici une relation qui nous a paru
répondre à la beauté de l’aftion ; c’eft celle de la
bataille de Berghen.
Il eft du devoir du viélorieux après la bataille#
de retirer les bleffés du champ de bataille , de les
faire conduire dans les hôpitaux, & de veiller à
ce qu’ils foient bien traités. On doit avoir également
foin de fes foldats & de ceux de l’enriemi ;
c’eft un devoir que prefcrit l’humanité , & qu’on
n’a pas befoin de recommander aux généraux fran-
çois. On fait auffi enterrer les morts le lendemain
de la bataille, afin qu’ils n’infeétent point l ’air par
leur corruption.
Pendant que les gens commandés pour cette
opération y procèdent, on fuit l’ennemi, & on le
fait harceler autant qu’on le peut par différents détachements
de l’armée, qui le pourfuivent jufqu’à
ce qu’il ait pris quelque pofition où il foit dange-
ceux de le forcer.
Ce qui doit caraélérifer une victoire complette 8c
en être la fuite, c’eft l ’attaque des places de l’en-;
nemi. Le gain de plufieurs victoires , dit M. le che-;
valier de Folard, ne fert de rien, s’il n’eft fuivi de
la prife des forterefles ennemies. Ce n’eft que par-
là qu’on peut compter fur un établiffement folide
dans le pays ennemi, fans quoi une feule défaite
peut faire perdre les avantages de plufieurs v/c-
toires. .
Quel que foit le brillant d’une victoire, oa ne
doit pas s’en laiffer éblouir , & fe livrer à ce
qu’elle a de flatteur , fans fonger aux fuites d’une
défaite.
Polybe fait, fur ce fujet, les réflexions • fiu-
vantes, par iefquelles nous;.terminerons cet article.
« La plupart des généraux & des rois, dit cet
auteur célèbre , .lorfqu’il s’agit de donner une bataille
générale , n’aiment à fe repréfenter que la
gloire^& l’utilité qu’ils tireront de la victoire ; ils
ne penfent qu’à la manière dont ils en uferont avec
chacun, en cas que les chofes réuffiffent félon
leurs fouhaits ; jamais ils ne fe mettent devant les
yeux les fuites malheureufes d’une défaite ; jamais
ils ne s’occupent de la conduite qu’ils devront garder
dans les revers de fortune ; & cela, parce que
l’ua fe préfente de foi-même à l’efprit , & que
l’autre demande beaucoup de prévoyance. Cependant
cette négligence à faire des réflexions fur les
malheurs qui peuvent arriver, a fouvent été caufe
que des chefs, malgré le courage 8c la valeur des
foldats , ont été honteufement vaincus, ont perdu
la gloire qu’ils avoient acquife par d’autres exploits
, & ont paffé le refte de leurs jours dans la
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