
<4* . . R Ë V de ces nattons, attirés par la nchelîe de notre
commerce, viendroiept en Efpagne s’y établir ;
& en leur accordant enfuite le droit de citoyen ,,
ils peupleroient le royaume. Les Efpagnols naturels
auraient la commodité de s’exercer fur mer ;
& après avoir été quelques années matelots, leur
inclination & le bien qu’ils auraient amaffé les por-
teroient à entrer en part avec les négociants.
Les fabriques des vaiffeaux, des voiles, des cordages
& des canons augmenteroient ; le prince
pourroit fe fervir des gros bâtiments pour la guerre,
& des petits pour le tranfport, & l’argent pour
les frets refteroit dans le royaume , qui autrement
paffe dans les pays étrangers : d’ailleurs, les fujets
fervent toujours mieux, ainfi qu’on l’a éprouvé
dans les dernières guerres de Sicile, où les vaif-
féaux Ànglois de tranfport, qui purent s’échapper
avec les provifions qui étoient fur leurs bords , allèrent
joindre l’armée navale de Tamiral Bing.
L’argent du roi, ni celui des particuliers , ne for-
tiroit pas du royaume pour acheter des vaiffeaux ;
nous pourrions au cont- 're en vendre aux autres
nations ; car , fi aujou nui nos conftruélibns de
vaiffeaux font chères e n’eft pas que l’Efpagne
manque de tout ce qui eft néceffaire pour les conf-
truirè; mais c’eft à caufe que les ouvriers v peu
habiles, & en petit nombre , fe font payer au-
delà de ce qu’il faut ; au lieu que fi les conftrnc-
tions étoient mieux établies , &. qu’il fe conduisît
lin plus grand nombre de bâtiments , le prix baif-
feroit de beaucoup, parce que plufieurs bois qui
relient de la conftruâion des grands vaiffeaux fer-
viroient pour les petits. Les falairës des ouvriers
& les tranfports feroient moindres, f i , comme je
J’ai dit, on ôtoit les impôts fur les vivres, & fi
on rendoit les canaux & les rivières navigables ,
ainfi que je vais le propofer.
Un autre obftacle au commerce d’Efpagne , eft
de n’avoir pas des canaux ou des rivières navigables
, tandis qu’on pourroit en avoir plufieurs à
peu de frais. Ainfi, tout ce qui naît, & tout cc
qui fe fabrique dans le coeur du royaume ne peut
être tranfporté que fur des mulets ou fur des charrettes
, ce qui fait que tout ne fauroit être vendu
qu’à un prix fort cher , & que l’étranger va l’acheter
dans un autre pays où il le trouve à meilleur
marché. Pour cette raifon les fabriques des mar-
chandifes, dont l’étranger a plus de befoin, de-
vroient fe mettre le plus proche de la mer qu’il
feroit poffible ; & il faudroit défendre rigoureufe-
ment de faire fortir du royaume la matière dont
ces marchandifes fe fabriquent, afin que l’étranger
fût indifpenfablement obligé de venir acheter
à nos fabriques , comme cela arriveroit par exemple
à l’égard des draps fins qui ne peuvent fe fabriquer
qu’avec nos laines.
Ces canaux & ces rivières feroient encore infiniment
utiles pour le commerce intérieur du
royaume, pour ce qu’une province a de trop à
çelie qui en manque, §C échanger ainfi refpeâive-
R É V
ment. Hier même j’ai vu des- lettres de Paris qui
marquent que la Seine , par la trop grande fé-
chereffe, n’ayant pasaffez d’eau pour les bateaux ,
on payoit dans cette capitale une piflole ce qui
auparavant ne valoir qu’un demi écu. La raifon
en eft claire , puifqu’un bateau feul porte beaucoup
plus que plufieurs charrettes , & alors même
qu’on fe fert des chevaux pour tirer & remonter
contre le courant de l’eau, il en faut beaucoup
plus qu’aux charrettes à proportion de ce que le
bàtteau tranfporté.
Ceux qui connoiffent avec quelle application
le roi d’Efpagne , mon maître, penfe à tout ce
qui peut tendre au bien de fa monarchie, ef-
pèrent de cet amour de père,qu’il a pour fes peuples,
qu’il rendra un jour en Efpagne quelques-unes
de fes rivières navigables. Mais, je m’apperçois
que je fuis trop arrêté fur une matière qui n’eft
point directement celle de ce traité ; je prie le lecteur
de pardonner à ma plume qui , pour fe délaf-
fer du travail, a fait quelques traits de caprice^
ou .qui, pour parler plus franchement, s’eft laiffée
entraîner où l’amour dé la patrie l’a conduite.
.Le fécond expédient propofé par Fracheta, dont
j’ai parlé plus haut, paroît renfermer un inconvénient,
puifqu’au lieu de châtier les peuples qui
ont été rebelles, on les récompenfe par le commerce
qu’on établit parmi eux : cette maxime de
les enrichir, pour les rendre moins guerriers, pa-,
roît contraire à celle que j’ai auparavant confeillée,'
qui eft d’appauvrir par des voies fecrettes ceux
dont la fidélité vous eft fufpeéte. En effet, je crois
qu’avant de mettre en ufage ce fécond expédient
de Fracheta., il faut examiner les circonftances ; &
s’il ne paroît pas convenable pour un pays, il
peur l’être pour un autre dont la fidélité n’eft pas
iùfpeéfe.
On pourroit peut - être aufli éprouver ».pendant
quelques années , fi cette meilleure fortune que le
prince leur procure par le commerce augmente en
eux leur affe&ion pour le fouverain , ou attendre
que le prince ait fini une guerre qu’il a avec fes
voifins , ou quelqu’autre affaire importante qui Po-
blige à tempori/fer& à ménager'les rebelles ; car,1
fouvent on. fait par politique ce qu’on détruit en-
fuite par raifon ; & pour fortir d’embarras on a
recours à des moyens que la feule nécefîité fait
' prendre. « 11 y a un temps pour planter, dit l’Ec-
cléfiâftique, & un temps pour arracher ce qui a été
planté » ; & l’écriture fainte nous apprend dans un
autre endroit, « qu’il faut régler le préfent fur le
préfent, & l’avenir fur l’avenir ». D ’ailleurs le
prince, par les contributions, peqt toujours tirer
l’argent des fujets ; & pour établir dans un autre
pays le commerce qui dans une province n’a pas
tout le fuccès qu’on en attendoit, il fufïit, fous
quelques prétextes qui cachent la fin qu’on fe pro"
pofe , de diminuer dans cette nouvelle province
les droits d’entrée & de fortie fur les marchandifes,
& de les augmenter dans la première $ dès
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ïers touts les négociants accourront à "endroit ou
ils trouvent cet avantage dans leur trafic, & peu
à peu l’argent fortira de celui où le commerce ne va
^ L a profeflion des lettres eft encore plus tranquille
& plus attrayante que celle du commerce ;
il fera donc à propos d’établir dans les villes que
vous voulez rendre moins guerrières des écoles
& des univerfités, y fonder des chaires & des
grades , afin que l’honneur & l’intérêt qui y font
attachés donnent de l’émulation à la jeuneffe pour
s’exercer dans cette carrière.
Presque touts les écrivains conviennent que le
motif des Turcs, pour ne pas permettre aux fu-
jets l’étude & le commerce, eft que fi une fois ils
étoient attirés parla curiofité des fciences, ou par
l’avidité du gain, ils n’auroient plus cette même
inclination pour les armes ; c’eft la fin que fe pro-
pofa ce prince Goth q u i, ayant trouvé dans un
pays de fes conquêtes une fameufe bibliothèque,
la fit brûler, en difant que s’il laiflbit fubfifter tant
de livres , les foldats deviendraient des étudiants.
Moyens d’appaifer les rebelles,
Xai parlé de l’avantage politique qu’on retiré en
tifant de clémence. J’ajoute qu’après avoir mis en
pratique les moyens que j’ai propofés jufqu’i c i ,
vous devez vous montrer aufli bon à l’égard des
fujets qui fe font fournis , que vous aviez paru fé-
vère à l’égard des rebelles. On lit dans le Deutéronome
:* Je tuerai & je ferai vivre ; je. frapperai
•& je guérirai ». Nul prince de la terre ne peut
exiger autant d’obéiflàtice de fes fujets , que le roi
du ciel a droit de -prétendre de foumiflîon de touts
les mortels v & cependant, par un effet de fa mi-
ïéricorde divine, « il promet d’écouter & d’être
propice aux péchés de ceux qui, s’étant convertis,
invoqueront fon nom , rechercheront fa face, 8c
auront fait pénitence ».
Un des premiers foins que la clémence & la
bonne politique exigent, eft de tâcher de faire revenir
dans leurs maifons ceux que les malheurs de
la révolte ont obligé de les abandonner :je parle
ailleurs des moyens qu’on doit mettre en ufage, afin
que les citoyens ne refufent pas de retourner dans
leurs anciennes demeures. Imitez en quelque manière
l’ offre qui eft faite au peuple de Dieu q.ui,
repentant des fautes qui l’avoient difperfé dans les
terres étrangères, vient implorer la fouveraine
clémence.
Faites femblant, par le bon traitement dont vous
«ferez à l’égard des particuliers & des peuples ,
d’avoir oublié 1e crime de leur révolte , afin qu’ils
étouffent peu à peu les remords de leurs conf-
ciences, & que la crainte d’un châtiment ne leur
feffe pas rechercher un autre maître. On eft, dit
Strada, jamais en fureté parmi ceux qui ne fe
froyent pas en fureté parmi vous ».
Les Hongrois qui étoient en garnifon à Saint-
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Job, »utfês pofles de Hongrie , retournèrent, en
1688 , au fetvice de Tékeli avec plus d’empreffe-
ment qu’auparavaut, parce qu’ils virent qu’on châ-
tiroir en eux la plus petite faute comme le crime
le plus énorme, ce qui leur fit croire que fous la
domination de l’empereurLéopold ils feroient toute
leur vie expofés à la crainte de divers châtiments.
Edouard Ler, roi d’Angleterre, mit fon principal
foin à perfuader aux Anglois qu’il avoir oublie
leurs précédentes révoltes. Par-là il fut bien
fervi & aimé généralement de touts. Cafimir I I I ,
roi de Pologne , en ufa de la même manière après
être remonté fur le trône d’où fes fujets révoltés
l’avoient çhaffé. Jacques IV , roid’Ecoffe, fit publier
une amniftie générale fur touts les foulève-
ments précédents. Dom Ferdinand-!e- Catholique
tint la même conduite, lorfqu’après la mort de l’archiduc
Philippe, il vint gouverner le royaume dont
on lui avoit honreufement refufé le gouvernement,'
après que Jeanne de CafiiUe , fa fille, & femme
de Philippe, fut devenue entièrement folie.
Je crois encore qu’il faut faire ôter ces inferip-
rions & ces autres monuments qui perpétuent dans
le pays à préfent fournis le fouvenir de fa révolte é
parce que ces marques de honte,.qui ne peuvent
qu’irriter , fervent plus à porter la vengeance qu’à
détourner du crime, c’eft pour cette raifon que
le ro i, mon maître, fit à Meffine effacer une inf-
cription qui, au bas de la ftatue de Charles I I ,
rappelloit le fouvenir de la précédente révolte des
Metunois.
On voit dans l'hiftoire du Pays • Bas que les
Flamands furent extrêmement choqués de la fu-
perbe ftatue que dom Ferdinand de Tolède, duc
d’Albe, fit élever à Anvers avec des inferiprions
& des figures, qui repréfentoient le pays rebelle
abbatu à fps pieds, _ .
Amelot donne pour maxime de ne pas faire
reffouvenir les vaincus de leur difgrace , & il cite
I l’endroit où .Diodore de Sicile rapporte qu’au-'
ciennement les Grecs ne permettoient pas que les
trophées fuffent d’autre madère que de bois, afin
que ces monuments de difeorde , ainfi que Diodore
les appelle, fuffent plutôt détruits.
Tacite pariant du trophée que les troupes de
Gcrmanicus dreflèrent fur les terres^ des Allemands
que ces troupes venoient d’achever de
vaincre, s’exprime ainfi: «ce monument caufaplus
de douleur & de rage aux Allemands , que la
honte de leur défaite. Ceux qui ne penfoient qu’à
abandonner le pays & à fe retirer de l’autre côté
de l’Elb e, courent aux armes, & veulent en venir
à un fécond combat ; le peuple , la nobleffe, les
jeunes gens & les vieillards fondent tout d’un
coup fur notre nation & la mettent en déroute ».
Ne permettez pas qu’on faffe le procès à ceux
que vous (avez avoir fecrètement favorifé la révolte,
ne faites pas même femblant d’avoir con-
noiffance de leur crime , parce qu en foumettant
des rebelles armjs , ee feroit faire prendre le*
Z z 11)