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puis fe retournant vers le colonel : la régie offre
des inconvénients que vous avez montrés , il faut
les faire difparoître ; cela eft aifé. Pour y parvenir,
il ne faut que remettre au corps des capitaines de
chaque régiment, l’adminiftration générale de Vhabillement
, modifier quelques-uns des difpofitifs de
l’ordonnance du 19. décembre 1784 , & y en
ajouter quelques-uns qui lui manquent.
Je donnerois donc au corps des capitaines les
4©liv. qui ont été accordées par l’ordonnance pro-
vifoire ; ils en feroient les adminiftratéurs , tandis
que l’infpeCleur & les quatre membres de l’état-
major en feroient les ordonnateurs. De cette divi-
fh\n dans l’autorité naîtroit, je crois , un grand
nombre d’avantages.
Il y aura donc dans chaque corps deux confeils :
un d’infpe&iorr, ce feroit celui des chefs, & un
d exaCFton, ce feroit celui des capitaines. Ce dernier
confeil, compofé de cinq capitaines nommés
par le corps, à la pluralité des voix , & formé par
conféquent de ce qu’il y aura de plus intelligent
dans chaque régiment, fera préfidé par le plus
ancien d'entre eux; ce confeil tiendra un compte
ouvert de toutes les recettes & de'toutes les dé-
penfes que le régiment fera ; il rendra par confé-
qtient le quartier-maître inutile ou peu néceffaire ;
touts les capitaines répondront folidairement des
fommes que les tréforiers auront remifes au confeil
; ils feront refponfables des dépenfes qui excéderont
celTes de la maffe; mais auffi ils feront les
maîtres de réferver pour des oceafions imprévues
les fonds que leur économie leur aura procurés ,
ou de les dépenfer, mais toujours à l’avantage du
régiment. Ainfi le roi ne fera jamais dans le cas
de fe voir demander un fupplément de fonds ; le
miniftre fera débarraffé des foins que lui donne la
régie ; i’infpeéleur n’aura qu’à examiner l’état de
Yhabillement y de l’équipement, des armes , des recrues
, & c ., qii’à réformer ce qu’il trouvera mau- ,
vais , fans examiner fi la maffe eft obérée, ou fi
elle ne l’eft point. Les colonels n’admettront plus
des recrues petites , foibles ou mauvaifes ; ils ne
prodigueront plus les congés de grâce, ce fléau
de J’armée françoife ; en un mot, ils n’auront plus
qu’à tenir la main à l’exécution des ordonnances ;
au lieu qu’aujourd’hui , fans ceffe balancés entre
l’intérêt de la maffe & celui du bien du fervice , ils
refient fréquemment dans une fufpenfion toujours
nuifible. Les capitaines intérefles , d’un côté , à
ménager les fonds de la maffe, & de l’autre, à mériter
l’approbation du minifire, à obtenir un bon
témoignage de* leur infpeCleur & à fatisfaire leur
colonel, ne négligeront rien de. ce qui pourra leur
procurer de'bonnes étoffes , des hommes de recrue
admiflibles, &c. &c. Chaque régiment?animé
par l’efprit de corps , mettra de l’amour-propre à
bien tenir les foldats , & à avoir en avance des
fonds capables de parer aux événements imprévus.
Le confeil d’adminiffration des capitaines nommera
pour veiller à Xhabillement un ou deux capi-
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taînes qui s’en occuperont avec plus de zèle &
avec plus de fuite qu’aujourd’hui H parce qu’ils y
auront un intérêt pécuniaire & un intérêt d’amour-
propre; & il faut meme avec les hommes qui pa-
roiffent les plus* défintéreffés, en revenir toujours
à l’intérêt perfonnel. Ils établiront, fans doute,
dans chaque compagnie , un garçon tailleur q u i,
faifant chaque jour les petites réparations , préviendront
le dèpériffement des habits ,' & rendront les
réparations générales moins coûteufes ; chaque capitaine
veillera à la confervarion des habits avec
plus de foin qu’aujourd’hui, parce qu’il y aura un
intérêt réel ; ils fe garderont bien de faire faire les
habits fur trois tailles , chaque homme prendra me-
fure ; les habits en iront mieux & dureront davantage
; ils n’habilleront point par tiers, ce qui eft
fujet à des inconvénients ; les befoins réels feront
leur feule loi ; ou fi l’on croit néceffaire de les af-
treindre à continuer l’habillement par tiers , ils fau-
ront tirer parti des habits les mieux confervés, foit
en les vendant, foit en les découpant poiir en faire
des gilets, des veftes de travail. Voyc?K T ravailleurs.
Ils ne donneront point les habits au commencement
de l’é té , ce fera au contraire vers la
fin de novembre qu’ils les diftribueronr. Car ils
feront plus intéreffés à la confervation des hommes
qu à celle des habits. Il" eft en effet fort fingulier
qu’on choififfe le temps où le foleil eft le plus ardent
pour donner au foldat l’habit le plus chaud.
Parmi les inconféquences que la manie de la tenue
a produites, celle-ci n’eft pas une des moins grandes
& des moins ridicules. Ils feront avec leurs fabricants
des traités particuliers également avantageux
aux deux parties ; ils tireront leurs étoffes de
' l’endroit où elles feront le meilleur marché ; ne
feront point tranfporter en Alface ou dans les évê-
| chés des tricots de Lodève , quand ils pourront tirer
de Metz ou des environs des eftamettes moins
chères & meilleures ; il en fera de même des toiles
& des ferges quand ils feront en Flandres.; ils traiteront
avec quelques voituriers pour tranfporter au
meilleur marché poflible les objets qui leur feront-
néceffaires-; on ne verra jamais s’élever de contef-
tation entre le fabricant & le confommateur , parce
que le premier voudra conferver la pratique du fécond,
& le fécond acquérir,par une condefcendance
légitime, des droits fur la reconnoiffance du premier.
Les manufacturiers affurés que les régiments
leur payeront leurs étoffes en proportion de leur
bonté , feront des effais heureux , & à l’envi l’un
de l’autre ils fe borneront au plus petit bénéfice
poflible. Les confommateurs fachant enfin que les
fabricants font payer très-cher le crédit qu’ ils donnent,
s’arrangeront pour payer comptant ou même
argent compté , touts les objets qu’on leur fournira.
Ce que vous dites paroît plaufible, die alors
l'officier général ; mais les transports quand les régiments
changent de garnifon , les approvifionne-
ments de précaution , le fecret pendant la guerre,
la furveillance des fabricants : lout cela eft poflible,
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teprit le capitaine , tout cela eft même auffi aifé
avec l’adminiftration que je propofe qu'avec celle
d’une régie.
Les régiments ne changent guères de garnifon
que dans les mois d’o&obre & d avril; à ces deux
époques {'habillement eft fait ou n’eft point encore
arrivé ; ainfi les frais de tranfport auront rarement
lieu, quand des circonftances particulières obligeront
le minifire à faire voyager , un régiment dans
un moment où il n’aura pas fini fon habillement ,
le confeil des capitaines propofera aux corps avec
lefqueU il fera en garnifon, de prendre fes étoffes,
& ceux ci accepteront prefqye toujours ; dans les
petites' places les capitaines calculeront s’il vaut
mieux pour eux payer touts les frais de tranfport,
car le roi n’y entrera pour rien , ou céder, à petite
perte, à quelque négociant de la ville, les étoffes
qui n’auront point été employées ; décidé fur cet
objet, le confeil écrira à fes fabricants de lui adref-
fer à fa nouvelle déftination une nouvelle fourniture.
Les fabricants le pourront aifément , à caufe
des approvifionnements de précaution qu’ils feront
obligés d’avoir en réfer.ve.
Par une loi qui feroit fage , fans être onéreufe
ni.à l’état , ni aux fabricants , on pourroit forcer
chaque manufacturier à avoir toujours dans le magafin
général de Saint-Denis , un approvifionne-
ment de précaution d’un huitième de fa confom-
mation annuelle , & un autre auffi d'un huitième
dans les magafins particuliers à Lodève.
Quand un régiment fe trouvèroit dans le cas
que nous venons de prévoir, fon manufacturier lui
adrefl'e/oit une délégation fur le magafin général
de Saint-Denis ; il feroit en même temps partir de
fonuiagafim particulier de Lodève de quoi remplacer
ce qu’il auroit tiré du magafin général de Saint-
Denis, & il trava.illeroit tout de fuite à remplacer
ce qu’il auroit fait , fortir de fon magafin particulier.
Ces magafins ainfi établis, un événement politique
ou militaire oblige-t-il le roi à faire une confom-
jnation extraordinaire d’étoffes ? Il ordonne au
commiffaire des guerres chargé du magafin de
Saint-Denis , d’envoyer à tel ou tel endroit les
étoffes renfermées dans ce magafin à l’infpeCteur
des manufactures établies à Lodève, de faire partir
pouf Saint-Denis celles qui font en dépôt dans les
magafins particuliers des fabricants , & ceux-ci de
remplacer leurs approvifionnements de précaution.
Le miniftre veut-il pendant la guerre ne pas
divulguer quels font les endroits où l’armée doit
prendre fes quartiers d’hiver , & cependant ne
point perdre un moment pour les réparations de
Y habillement ; il fait vuider à petit bruit- le magafin
de Saint Denis , les étoffes partent, arrivent &
voyagent comme celles de la régie; les régiments
commencent à travailler avec ce premier approvi-
uonnement, & à peine font-ils établis ,.que les. fabricants
qui ont appris par le minifire la déftination
de chaque régiment, lui adreffent les étoffes qu’ils
fe font engagés à fournir. Le premier huitième de
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la confomirtation annuelle de chaque régiment lui
feroit toujours fhurni par le magafin de Saint-
Denis ; le fécond , par celui de Lodève , & les
trois quarts refiants leur feroient adreffés directement.
Ainfi les régiments pourroient avoir fini
leur habillement de très bonne heure ; ainfi les magafins
fe renoùvelleroient touts les ans, & cependant
ne refieroient vuides^que pendant trois mois.
Car les manufacturiers feroient obl:gés de remplir
les: magafins de précaution auffitôt après qu’ils auroient
fourni les corps.
Cette manière de faire les approvifionnements
de précaution ne coûteroit rien à l’état , qui, ne
payeroit que les étoffes qu’il confomtneroit, &'qui
les payeroit alors fur le même pied que les régiments
; elle ne coûteroit rien aux régiments à qui
il feroit égal de tirer leurs marchandifes de Saint-
Denis ou de Lodève-, & enfin elle ne gréveroit pas
les fabricants , car ils ne fouffriroient qu’une perte
d’intérêt peu confidérable.
Pour éviter les frais de tranfport inutiles , les fabricants
auroient l’attention d'envoyer toujours
aux régiments en garnifon dans la Flandres, les
draps qui auroient été dépofés à Saint-Denis , &
de faire partir directement de Lodève ceux qui de-
vroient être çonfommés dans la Franche-Comté ,
l’Àlface, &c. ;
Quant aux précautions relatives à la qualité des
laines &■ à la bonté de la fabrication des draps, on
ne peut guèresirien imaginer de plus fage'que ce
qui eft fixé par les arûcles 8 , 9 , 1 0 , 1 1 , 1 2 , 1 3 ,
14 , 15 & 16 du réglement du 19 décembre 1784.
Le roi continueront donc à nommer un infpeâeur
qui feroit chargé de ces objets, & de veiUer à ce
que lés approvifionnements de précaution fuffent
toujours complets:; de fon côté , l’armée nomme-
roit quatre prepofés , deux militaires & deux manufacturiers.
Ces prépofés feroient chargés des mêmes
fonâions que celui des régiffeurs , & comme ils auroient
à répondre à toute l’armée de la benne qualité
des étoffes , comme ils feroient animés par
l’honneur , comme ils feroient eux-mêmes confommateurs
, on peut affirmer- qu’ils fe condui-
roient de manière à n’exciter aucune réclamation.
Les différents régiments payeroient les appoinfe-
ments extraordinaires des prépofés & les gages des
manufacturiers; ils y centribueroient en proportion
de la quantité d’étoffes qu’ils conibmmeroient.
Ainfi un régiment d’infanterie payeroit deux , tandis
qu’un régiment de cavalerie ne payeroit qu’un.
Le capitaine‘termina fon difeours en di/ant : je
puis fans doute m’être trompé , je puis avoir mal
v u , mais vous connoiffez aflez mon coeur & mes
intentions , pour être perfuadé que je n’ai été
animé que par l'amour du bien. La prévention n’a
point influé fur ma manière devoir , je fais qu’elle
nous diCte plus d’erreur-, que l’ignorance. Si je me
fuis trompé, mon opinion ne peut être nuifible ,
elle fera bientôt oubliée, la vérité efl tou jours vie