
feront pas relâchés, jufqu’à ce que les rebelles fur
lefquels ils ont quelque pouvoir fe foient rendus.
En ce cas , vous leur offrirez un nouveau pardon
f i , dans l’efpace de certains jours déterminés , ils
viennent le demander ; ce terme paffé , fi les révoltés
continuent dans leur obftination, ces pa-
rens & amis payeront de leurs propres biens les
dégâts que les rebelles cauferont aux autres.
M. le maréchal de Villars en ufa ainfi en 1704
aux environs d’Ufez , à l’égard des parents des rebelles,
dont plufieurs fe rendirent à linftance de
ces mêmes parents , qui, pour ne pas refter toujours
en prifon , 8c ne pas voir perdre leurs biens ,
leur perfuadèrenc efficacement de remettre les
armes & de vivre tranquilles.
Les habitants ont toujours quelque ennemi particulier
parmi leurs propres concitoyens ; il faut
par conféquent ufer de beaucoup de prudence 8c
de circonfpeélion par rapport a ceux qu’on açcufe
de donner des avis ou des fecours aux rebelles;
au refte , je fuppofe que le crime des foulevés ne
doit pas faire punir ceux'de leurs parents, ou de
leurs amis qui n’ont point de part ni au commencement
ni à la continuation de la révolte. L’écriture
Larme parlant d’Amafias, roi de Juda , dit: « qu’il
fit périr fes ferviteurs qui avoient tué , fuivant ce
qui eft .écrit dans le livre de la loi de Moïfe ,
comme Dieu le lui avoit ordonné, en difant : les
pères ne mourront pas pour leurs fils , ni les fils
pour leurs pères ; mais chacun portera la peine de
ton crime ».
Du ehdtitnent des rebelles.
J’ai déjà donné divers avis à un commandant
qui fait punir un fujet ; j’ajoute à préfent que dans
la condamnation d’un rebelle, excepté que fon
Crime ne foit certain,& qu’il ne puiffe point être
n ié , vous ne devez pas vous fervir du droit de la
guerre, mais employer, au contraire, les formalités
& les preuves, afin de ne pas donner lieu de
douter fi c’eft un jùfte jugement ou une vengeance
, comme il arriva à Galba par rapport à la
mort de Cingonius Varron & de Pétrone Turpi-
lien , où les défenfes 8c les formalités accoutumées
ne furent pas obfervées/
Sans cette précaution , vos ennemis regarderont
votre févéricé comme une tyrannie ; 8c ceux même
qui ne fe font pas déclarés contre votre prince ,
douteront fi l’énormité du crime fuppofé a mérité
là rigueur du châtiment , parce que , pour me fer->-
vir des termes de Tite-Live , « on ne croit pas
qu’il y ait de crime lorfqu’il n’a pas eu fon effet ».
Une feule des défobéiffancesde Pharaon fuffifoit
à Dieu pour le punir ; mais il voulut le rendre
obftiné malgré les plaies-, les fignes 8c les prodiges
que Dieu multiplioit en Egypte , afin qu’on vît
plus clairement que fa perte1 étoit jufte.1 f
Donnez à entendre que c’eft pour le bien commun
que ces particuliers font punis, en publiant
que les rebelles font moins condamnés poîir avèî#
manqué à la fidélité due au prince, que pour avoir
altéré la tranquillité de leur pays , 6c avoir donné
occafi.cn aux ravages indifpenfables dans la guerre.
La peine, « félon le langage de Cicéron , ne doit
jamais être rapportée au bien de celui qui punit
mais feulement à l’utilité de la république ».
Dans une province où le fouverain eft haï,1a
confifcarion des biens du fujet fera regardée comme
un effet de fon avarice. Si ce fujet, en mettant
perfonne en fureté, ne fouffre pas dans, la pauvreté
de fes enfants le châtiment de fon crime,
faute de punir 8c de donner cet exemple , on fera
une infinité d'autres coupables..
Au lieu de tomber dans l’un ou l’autre de ces inconvénients.
, vous tirerez, des avantages importants
de, ces confifcat-ions. Si vous diltribuez ces
biens confifqués partie aux officiers 8c aux foldats
de vos troupes , 8c partie aux communautés 8c aux
particuliers qui fe font confervés fidelles dans le
pays qui s’eft foulevé , la confifcation ne pourra
plus être regardée comme l’effet de l’avarice du
prince i 8c autant de familles ou de peuples que
le fouverain achève de fe rendre, ennemis par les
biens qu’il leur ôte, autant en affure-t-il dans fon
parti par cès mêmes biens qu’il donne aux autres,
'parce que celui qui reçoit les maifons , les terres
8c les autres biens qui étoient aux révoltés , comprend
aifément qu’il jouiroit bien peu du don que
le prince lui fait, fi les rebelles étoient vainqueurs
8c les plus forts.
L’empereur Sévère diftribua à ceux.de fes fujets
qui lui étoient affeéïionnés , les biens confifqués de
plufieurs chevaliers 8c fénateurs Romains qui ma*
chinoient contre lui en faveur d’Albinus.
Guillaume-le-Conquérant en' ufa de la même
manière à l’égard des biens des féditieux d’Angle*
terre , qu’il donna pour récompeufe à ceux qui l’a*
voient bien fervi;. 8c l’empereur Probus diftribua
à fes vieux foldats les terres d’un certain pays voi-
fin de la Crlicie qui s’éroir révolté.
Charles, duc de Sudermanie., 8c enfuite roiXÏ
du nom en Suède , afpirant au trône de Sigifmond»
fon coufin , confifqua les biens- des Suédois qui
fuivoient Le parti de Sigifmond j 8c- afin que cette
confifcation , dit l’hiftorien, ne fût pas regardée
comme un effet de fon avarice , il diftribua ces
biens à fes officiers , dont p^r ce moyen il s’affura.
l’affe&ion. ,
Henri VIH , roi d’Angleterre „affermit dans fon
parti divers feig-neurs 8c plufieurs communautés,,
en leur donnant les biens confifqués aux couvents
8c aux autres eccléfiaftiques.
Par une même raifon, 8c dans une même vu e , le
prince peut accorder aux peuples qui lui confer-
ventla fidélité , les. privilèges 8c les prérogatives
dont les rebelles jouiffoienr, quand même cette
grâce-anticipée, ne devroit avoir fon ,effet qu’après
la réduction entière du pays.
Charles I.fI » roi d’Angleterre , ayant été maltraité
par les habitants de Londres , & bien reçu
par ceux d’Y o rk , déclara que dorénavant les cours
de la juftiee ne fe tiendroienf plus à Londres, mais
à. York. * , .
Vous m’objeûerez peut-être qu on ne doit pas
imiter la conduite d’un prince qui perdit le trône
& là vie par la main de fes fujets. Le comte Bifac-
cioni , parlant des révoltes d’Angleterre , me fournit
maréponfe, en difant que cet expédient 8c les
autres que Charles Ier. employa étoient fort bons ,
mais qu’il les mit trop tard en ufage.
Les peuples fidelles à votre prince eftimeront
beaucoup plus les privilèges qu’on ôte à leurs voi-
fms , que d’autres plus honorables 8c plus utiles
que le fouverain pourroit leur accorder, parce
qu’on éprouve chaque jour que par rapport à la
jurifdiflion , aux pâturages oc aux bois , il y a
entre les lieux voifins une certaine antipathie à laquelle
rien n’eft comparable'; 8c dans cette fup-
pofition, non-feulement vos bons fujets eftinae-
ront le don par lui-même, mais encore parce que
vous en privez leurs voifins.
Les habitants de Borxa, ennemis de ceux de
Magaillon qui s’étoient révoltés, n’oublièrent rien
pour donner au roi d’Efpagne, mon maître , des
preuves d’une extrême fidélité. Pour faire voir
; qu’ils étoient prêts à tout fouffrir pour fon fer-
vice, ayant été avertis par nos généraux que nous
ne pouvions pas les fecourir, 8c qu’ils euffent à
capituler avec les ennemis qui les affiégeoient, ils
I répondirent qu’ils nevouloientpas perdre la gloire
de fe facrifier pour leur roi, 8c fe biffèrent prendre
d’affaut 8c faccager. Sa majefté ayant recouvré le
royaume d’Arragon , b première grâce que les
habitants de Borxa lui demandèrent, fut de leur
accorder certaines eaux que ceux de Magaillon
avoient, 8c certaines prééminences fur les peuples
de ce même lieu. Tadèle de Navarre, ville fort
affe&ionnée au r o i, demanda.à-peu-près la niêinê
chofe contre celle d'Exëa de los Cavalleros, à caufe
d’une ancienne inimitié qui régnoit entre elles ,
par rapport à leurs différends touchant le bois appelle
Bad'ene ; ce que le roi mon maître accorda à
ces deux villes fidelles , ainfi que quelques habitants
de ma connoiffanee me l’ont alluré.
Du pardon.
I Après avoir défait les rebelles , ou ayant ob-
Ifervé que , fatigués de la guerre 8c abattus par la
■ mauvaife fortune , il n’y a plus à craindre qûe la
clémence que votre prince leur offre foit mépri-
Ifée, c’eft alors la conjonélure favorable de faire
I publier un pardon , qui fera accepté volontiers ,
■ parce que. chacun.appréhende d’être abandonné de
; es camarades ; chacun craint que le nombre de-
■ venant plus petit , les derniers n’ayënt .plus de
i peine a avoir leur grâce, 8c tours s’ëmprefferit à
Ipuir de l’amniftie dans le temps preferit.
i G eft ce que > dans un pareil cas ,, éprouvèrent
R Ê V - 541
1 l’E cho, furnommè le Noir, XIIIe roi de Pologne ,
8c Sigifmond , roi de Bohême, dès qu’auprès de
Broda ils eurent mis en déroute touts les rebelles
' qui s’y étoient réunis.
Dans l’amniftie que vous accordez aux révoltés,
déduifez les raifons que vous auriez de les punir ,
8c combien il vous feroit aifé-de les exterminer,
afin que la vue de leur crime 8c de vos forces les
rende plus fenfibles à la clémence de votre fouverain.
Le pardon que l’empereur Claude , à l’inftance
d’Ennon , fon confédéré, accorda à Mithridate,
portoit que Mithridate avoit mérité de fervir
d’exemple aux autres , & que l’empire Romain ne
manquoit pas de forces pour le châtier.
Solis parlant de la paix 8c du pardon que Cortez
accorda aux peuples de Tabafco , après les avoir
vaincus dans une guerre opiniâtre, s’exprime
ainfi: « Fernand Cortez répondit, en leur repré-
fentant touts les fujets qu’il avoit d’être irrité, afin
de rendre plus, eftimable le pardon qu’il accordoic
à la vue des offenfes qu’il oublioit ».
Les conditions du pardon ne doivent pas être
auffi dures que celles que vous pourriez leur impo-
fer par b'force de vos armes, parce que les révoltés
auront moins de répugnance à s’expofer à
un danger à venir J qu’à accepter une rigueur pré-
fente, 8c peut-être dans leur défefpoir ils feraient
des efforts qu’ils n’avoienr efé tenter pendant la
guerre , ainfi que je le prouverai ailleurs par un
exemple de b reine Marguerite d’Anjou, contre'
les révoltés de Londres.
Ces mêmes coupables voyant que votre clé-?
mence ne leur impofe qu’un châtiment modéré »•
donneront pa.r leur foumiffion exemple aux autres £
8c dans leur repentir ils fe tiendront peut-être à
eux-mêmes ce langage de l’écriture: « ne penfons
plus à nous venger pour ce que nous feuffrons >
faifons attention que ces châtiments font moindres
que nos crimes , 8c que le feigneur , qui nous
punit comme fes ferviteurs , aime mieux notre
amendement que notre perte.
Quand même vous ne retireriez pas cet avantage
politique de votre clémence, vous en recevrez
Ce fruit intérieur 8c bien confolant, donc
Dieu , félon nos livres facrés , récompenfe toujours
cette vertu.
Ce feroit au contraire une erreur oppofee à ce?
que je viens de dire, f i , par un défir imprudent
de la tranquillité du pays, vous accordiez aux ré- *
vokés quelques articles qui leur biffaffentune voië’
ouverre pour fe foulever une fécondé fois ; en ce
cas, votre viâoire ne leur auroit point donné la
lof* elle leur auroit feulement procuré un repos *
pour pouvoir enfuite courir aux armes aVec plus
de violence. Perfuadés qu’ils feroient que leur défaite
n’a eu d’autre(fuite qu’une tranquillité qui leur
éïoit néceffaire pendant quelques mois, ils vien-
droient revoir leurs familles 8c faire de nouvelles,
proyiûons; 6c toqî cela, s’il m’eft permis de m’es.»