
544 R Ê V
Sous le confulat de Titus Vétufius 8c Daulus
Virgidius, les Eques attaquèrent le pays des Latins., |
qui dépendoient alors de Rome ; les Latins demandèrent
la permiflion de prendre les armes pour le
défendre , ou que Rome leur envoyât du fecours.
Les Romains acceptèrent ce fécond parti, le regardant
moins dangereux que celui de permettre
aux Latins de reprendre l’exercice des armes,
parce que le fénat Romain fe fioit peu à leur fidélité.'
Lé continuateur de Forefti rapporte que les derniers
rois de Danemarclc fe fervent beaucoup d’étrangers
, & font charmés de voir le peu d’inclination
que la nobleffe du pays a pour la guerre ,
parce qu’ils confidèrent que fi, avec l’exercice des
armes cette nobleffe redevenoit guerrière, comme
elle l’étoit précédemment, elle poùrroit entreprendre
de rentrer dans les privilèges dont les rois
prédéceffeurs l’ont dépouillée.
Il ne faut plus permettre la fabrique des armes
dans une province qui a été rebélle , afin que les
habitants ayent moins de commodité d’en acheter,
dans le deffein de les cacher , ou de faire raccommoder
celles qui font devenues inutiles par la longueur
du temps qu’elles ont été cachées.
Après la dernière réduction de la Catalogne ,-le
roi d’Efpagne fit faire défenfe aux armuriers de
vendre ni rufil ni pifiolet fans un billet du commandant
général de^ cette province, qui ne don-
noit cette permiffion qu’à des perfonnes de confiance.
Il eft vrai qu’il n’y eut pas d’ordre d en
tranfporter les fabriques dans une autre pays , afin
de ne pas priver les troupes du roi de l’avantage
que les armes de Catalogne ont fur celles de^Bif-
caye , ce qui vient beaucoup des eaux ou de 1 air.
Les Daces s’étant fouleVés contre Trajan , une
des conditions du pardon , que cet empereur leur
accorda , fut qu’ils lui rensettroient toutes les machines
de guerre, & tours les ouvriers qui les
fabriquoient.
Fracheta propofe deux expédients pour rendre
un pays moins-aguerri; le premier eft d’éloigner la
guerre de cette frontière, afin que dans une longue
paix les habitants s’adonnant à l’oifiveté & au plai-
Tir , oublient la fatigue & les exercices militaires.
Il confirme ce fentiment par l’autorité de Végèce ;
en effet on remarque que les provinces du coeur
du royaume font moins guerrières que celles des
frontières, où les habitants peu à peu s’accoutument
aux incommodités & aux périls de la j
guerre: d’ailleurs, le voifinage d’une armée ennemie
peut porter à la révolte des fujets mal intentionnés.
Le fécond expédient que Fracheta propofe, eft
d’établir le commerce dans ce pays , afin qùe les
habitants »venant à s’y adonner, n’ayent pas d’autre
penfée ; d’ailleurs, le gain qu’on y fait procure une
.certaine commodité qui, à grands pas, mène à la
- poltronnerie ; & j’ai prouvé au commencement de
pe traité que le commerce n eft jamais fi bon en
R È V
temps de guerre ; par.conféquent ceux qui en vivent
feront touts leurs efforts pour conferver la
paix’. ;
Selon faint Thomas, les hommes adonnés au
commerce ne font nullement propres pour les
armes.
Il refle à fa voir par quelle voie on peut infpirer
aux habitants cette inclination pour le commerce.
Cette matière n’eft pas de ma profeftion , & elle
eft fi vafte , qu’un plus gros volume que celui - ci
ne fuffiroit pas pour en dire affez ; cependant;(jxmr
fuivre l’orclre que je me fuis prefcrit dans tout cet
ouvrage, qui eft de donner quelques moyens pour
parvenir aux fins que je propofe, je dirai en abrégé
ce qui me paroît le plus important.
Le commerce fans les fabriques , eft comme un
jet d’eau fans fourcê q u i, à force d’artifice, dure le
peu d’heures qu’on : emploie à le faire jaillir.
Pour établir dans un pays des fabriques de mar*
chandifes que les étrangers viennent acheter, ou
que les habitants de ce même pajs aillent vendre,
il . faut indifpenfablement ôter les impôts qui font
la cherté des vivres les plus communs , & exempter
d’impofitions certains lieux où il n’y a prefque
que dés familles de fabricants, parce qu’il n’eft
pas poffible qu’ils puiffent vendre à bon marché fi
les vivres font chers, & s’ils mettent à trop haut
prix leurs marchand;fes , perfonne n’achète de leur
fabrique, qui tombe enfuite d’elle - même lorf-
qu’on ne retire pas de la vente les frais de la dé-
penfe.
Ces confidérations devroient porter les princes à
ne pas.furcharger d’impôts les marchands, parce
qu’il eft certain qu’il faut qu’ils tirent de l’acheteur
ce que le fouverain leur fait payer. Dailleurs,
quand une chofe eft trop chère , il s’en ufe moins,
èc l’bn en apporte d’un autre pays où elle eft à
meilleur prix ; ce qui fait tomber votre commerce,
fur lequel,par un faux calcul,vous établiffez de gros
revenus par les impôts eonfidérables que vous y
aviez mis. En vain vous voudrez y remédier par la
défenfe des. marchandifes étrangères , parce que
certainement on n’empêchera pas la contrebande
quand ily aura un profit confidérable à faire.
J’entendis dire , en. 1716 , à un habile miniftre,
qu’en règle d’arithmétique deux & deux étoient
quatre ; qu’en matière d’impôts deux & deux font
. trois ; quatre & quatre font deux, & que huit &
huit ne font rien. Je fus furpris de la nouveauté de 1
cette propofition ; mais l’expérience, ne tarda guères
à m’en donner l’explication. Un ordre du roi
ayant été diverfement interprêté à Cadix & au port
Sainte Marie, un gouverneur augmenta l’impôt
fur certaines marchandifes , & l’autre le rabaifta»
& quoiqu’il n’y ait que deux lieues 'de diftance
d’une ville à l'autre, quand on vint à faire le calcul
du produit, il fe trouva que les droits du roi
avoient augmenté dans l’endroit ou l’impôt avoit
été diminue; & au contraire, que l’impôt a voit
moins'produit dans celui où il avoit été augmente-
R É V
La raifon eft que les marchands gagnant a „peine
ce qu’il leur faut débourfer pour l’achat, rembarquement
oa le débarquement de ces marchandifes ,
ne font plus ce commerce dès que l’impofition eft
trop confidérable. Au contraire , on trouve une
farte davantagelorfqu’elle eft mife fur ce qui vient
de dehors du royaume , parce qu'en évitant par-la
que l’argent ne forte, on donne auffi plus de'cours
aux marchandifes du pays , dont les fabriques
augmentent à mefure que le gain qu’on y fait eft
plus grand, & fur lefquelles on ne de voit pas
mettre un denier d’impôt ; les exemples frayants
en feront voir le motif.
Barcelonne venant d’être prife par les troupes
du roi, un officier du régiment de dom Antoine
d’Oribe, acheta une paire de bottes fix éeus ; huit
jours après, le colonel ayant voulu en acheter une
paire , on lui en demanda huit écus, & comme il
repréfentoit à cet artifan qu’un de fes officiers ne
les lui avoir payées que fix, il lui répondit : » quand
j’ai vendu mes bottes le prix que vous me dites,
on ne nous avoit rais aucune impofition; car , Mef-
fieurs , ne vous y trompez pas , & foyez très persuadés
que c’eft à vous de payer , en ce que vous
achetez , les contributions dont on nous charge ».
Depuis plus de deux cents ans que l’Efpagne a
les Indes , à peine avoit - on déclaré dans les ports
du roi une livre d’o r , parce que le droit du roi
étant fort gros, le négociant trouvoit mieux fon
compte à payer un contrebandier, pour le faire
entrer par les défilés des montagnes ; mais le roi
ayant, i l y a quelques années, diminué ces droits
à une fomme fort modérée , on a vu que le marchand
aime mieux payer que de donner le deux ou
le trois pour cent au contrebandier , & de courir le
xifque de la contrebande ; & depuis cette modération
on a déclaré tout l’or qui eft venu des Indes.
Le roi ayant auffi baiffé le droit fifr l’argent, l’impôt
a produit beaucoup davantage par. la plus
grande déclaration qu’on en a fait.
M’entretenant un jour à Gènes avec dom Pierre
Morano , homme de beaucoup d’habileté en matière
de commerce , il me dit que l’Angleterre
payoit cinq écus pour* chaque barril de hareng que
touts Anglois embarquoient pour les étrangers ;
que la vue des Anglois en cela étoit d’animer les
pêcheurs & les négociants , 8c que ces cinq écus,
dont on gratifioit chaque particulier, retournoient
avec ufure au bien de l’état, par l’avantage de tirer
l’argent des autres royaumes, d’avoir beaucoup
de mariniers expérimentés, & un grand nombre
de vaiffeaux qui, à leur retour, rapportent des
marchandifes , dont les droits qu’elles payent dans
les douanes d’Angleterre furpaffent l’équivalent
des cinq écus pouf chaque barril de hareng. Dans quelques' provinces , par une loi .établie
en faveur du commerce, le gentilhomme qui
l’exerce ne perd ni fa nobleffe ni fes privilèges.
Dans quelques autres provinces il fe fait comme ,
pour ainfi dire, une parentée de nobleffe, afin que
Art m ilita ir e * T om e 111v
R É V 545
, les fnaîfons illuftres qui font devenues pauvres ,
puiffent fe relever par les gains du trafic ; alors ,
ces gentilshommes remettent dans les archives publiques
leurs titres & papiers de nobleffe pour la
laiffer dormir, qui. eft le terme dont on fe fert ; &
pendant tout ce temps qu’ils trafiquent, ils né
jouiffent pas de certains emplois honorables ; mais
ils y rentrent dès que la nobleffe , s’étant réveillée,
‘ ils retirent leurs papiers, & s’abftiennent du commerce
, fans que cette fufpenfion de nobleffe puiffe
être un empêchement à toute forte de preuves.
| O11 voit beaucoup fleurir le commerce en Angleterre
, à Gènes „ & dans quelques autres endroits
du Nord & de lltalie, par cette grande émulation
qu’on donne à la nobleffe pour le trafic ;
puifque prefque touts les gentilshommes négocient
en gros , fans préjudicier à aucune de leurs
-prérogatives. • *
Nous avons en Efpagne les plus abondants &
les plus riches fruits de l’Europe ; une heureufe fi-
tuation entre la mer Méditerranée & l’Océan , &
un chemin ouvert au Mexique & au Pérou , où
font les minés de l’or & de l’argent: avec tout
cela il n’y a point de royaume ou il y ait fi peu
de commerce , parce que le fils du marchand veut
devenir noble, & le noble méprife entièrement le
comrherce , qui, par conféquent, n’eft plus exercé
que par des perfonnes qui,n’ayant pas un bien fuffi-
fant pour le foutenir , fe fervent de l’argent des
étrangers , qui tôt ou tard emportent dans leur
pays tout le gain.
Je fais fort bien que, par une loi d’Efpagne, ceux:
qui chargent pour les Indes ne perdent point leur
nobleffe ; mais , l’extravagance d’un ridicule point-
d’honneur eft fi fort enracinée dans notre nation ,
que pour y remédier il feroit befoin de nouvelles
ordonnances du ro i, qui accordaffent certains privilèges
à touts ceux qui auroient des vaiffeaux
comires ou marchands de quarante pièces de canon
, & ainfi à proportion jufqu’aux vaiffeaux de
ligne ; car il faudroit piquer par le point - d’honneur
notre nation, puifqu’elle n’eft pas fenfible â
l’intérêt. A #
Ces vaiffeaux marchands & autres bâtiments
plus petits devroient être néceffairement conftruits
en Efpagne , avoir le pavillon du r o i , & au moins
les deux tiers de l’équipage de la nation. Vous
m’objeâerez peut - être que le commerce en fouf-
frirpit par le danger des corfaires ennemis , qu’on
ne craint pas quand on charge fous un pavillon
neutre.
Je réponds, que même en temps de guerre avec
les Anglois & les Hollandois , on affuroità Gènes
à un & demi pour cent d’Efpagne en Italie ; ce
qui peut être indemnifé à nos négociants, en ra-
baiffant dans les douanes l’équivalent fur les marchandifes
qu’on embarque fous notre pavillon.
Le r o i, bien loin de perdre , gagneroit beaucoup
, parce qu’au lieu que nos matelots vont
feryir fur les vaiffeaux des autres nations,ceux
Z z z