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difficulté d’avoir des piques de rechange en campagne
, n’eft pas une raifon qui ait dû les faire fup-
primer, ni qui puifle empêcher de les reprendre.
Cette arme,qui n’eft pas chère, peut fe faire par-tout,
& fa forme ni fon poids, ( les anciennes piques pe-
foient environ 17 livres ) en la fuppofant réduite
à une longueur fuffifante, ne la rendent nullement
em bar raflante pour le tranfport. Au furplus, dès
qu’elle eft indifpenfableelle vaut bien la peine
qu’on faffe quelqu’effort pour n’en jamais manquer.
Du refte, le raifonnemenrde M. de Puyfégur eft,
comme le dit cet auteur , conforme à celui que fait
Polybe quand il compare l’ordre de bataille des
Grecs avec celui des Romains , & à tout ce que les
plus favants auteurs militaires ont dit fur le même
fïijet; mais pour cela les armes de notre“infanterie
n’en font pas plus parfaites. Nous concluons de
toute sette difcuffion que le fufil avec fa baïonnette
eft très propre pour la défenfe particulière d’un feul
homme ; mais que quand il s’agira d’un corps d’infanterie,
les piques doivent en être inféparables ;
que ce font elles qui en lient toutes les parties, Si
qui le rendent impénétrable, en un mot, qu’elles
fon t, plus qu’au as ne arme que ce fo it, de nature
à1 faire connoître à l’infanterie cette force dont on lui
reproché de n’avoir pas l’idée, & à en aflurer le
feu dans touts les cas, fur-tout fi elles font placées
au premier & au fécond rang , où elles préfentent
un obftacle bien plus difficile à vaincre , que quelques
rangs de baïonnettes , âu travers defquels on
percé toujours.
11 faut abfolument des piques dans notre infanterie
; & fi tout ce qu’on a dit jtifqu’ici-pour le prouver
parcît infuffifant aux yeux de ceux qui ne cef-
ferit de fe faire illufion fur tours les avantages du
fufil avec la baïonnette , qu’on croit avoir examinent
appréciés , nous n’en relierons pas moins fermement
attachés à notre fentiment. Nous ne doutons
pas même que quelque jour, mais maiheureu-
fement peut-être trop tard , la vérité venant à fe
faire fentir fur un articlè d’une auffi grande confé-
quen.ce j- on ne reprenne enfin les piques : neus
ofons le prédire, malgré tout-ce qu’on pourra nous
répî.iquer, qui, à coup fur, ne fournira jamais
une déeifion contraire à ce que nous avons avancé.
Mais fi quelque chofe eft capable de nous ramener
de nos préjugés fur le fufil, & de nous acheminer
à cette heureufe révolution , c’eft fans doute le jugement
que porte de notre infanterie un des plus
grands généraux de ce fiècle : écoutons-le. « Je 111e
trouve dit-il ( Lettre du maréchal de S'axe à M.
d'Arren fon, Paris, février 1750 ) , obligé de dire
que notre infanterie-, quoique la plus valeureufe
de l’Europe, n’eft point en état de foutenir une
charge dans un lieu où elle peut être abordée par
de l’infanterie moins valeureufe, qu’elle , mais,
mieux' exercée & mieux difpofée pour une charge ;
& les fuccès que nous avons dans les batailles ne
doivent s’attribuer qu’au hafard ou à l’habileté que
nos genénéraux ont de réduire des combats, à des
p 1 Q points ou affaires de pofte, où la feule valeur des
troupes & leur opiniâtreté l’emportent ordinairement
lorfque le général fait faire fes difpofitions
en conféquence , c’éft-à-dire, de manière à pouvoir
foutenir Tes attaques. Mais c’eft une chofe
qu’on ne peut pas toujours f a i r e Si que le général
ennemi peut empêcher s’il eft habile , s’il connoit
vos défauts Si fes avantages. Ce- que j’avance ici
eft foutenu par des preuves. A la bataille d’Hochf-
tet, vingt-deux bataillons qui étoient au centre
tirèrent en l’air, & furent diffipés par trois efea-
drons ennemis qui avoient paffé le marais devant
eux : les.ennemis furent repouffés au village de
Blinthem, & les régiments qui le défendoient ne
fe rendirent qu’a près que les armées de France &
de Bavière furent retirées. Luzara en Italie , affaire
de pofte. Ramillies, affaire de plaine. Denain ,
affaire de pofte. Malplaquet, ce qu’il y avoit en
plaine plia; ce qui étoit pofte fe maintint longtemps,
'& coûta beaucoup de chevaux aux Alliés. Parme,
affaire de pofte. Doëttïngen , affaire de plaine.
Fontenoi, ce qui étoiten plaine plia; ce qui étoit
pofté fe maintint. Raucoux, affaire de pofte uni-,
iqüement, quoiqu’il y eût beaucoup de plaine ;
mais on n’attaqua que-les poftes, Lawfeld, affaire
de plaine réduite à des attaques de pofte ».
Nous pourrions citer ici toutes les batailles de la
idernière guerre où nous nous fommes trouvés,
hors une dont nous avons déjà parlé,qui s’eft donnée
en plaine, & où notre infanterie combattit pendant
trois heures avec autant de fermeté que de valeur,
Si finit par enfoncer les ennemis & les difperfer ;
mais les difpofitions du général étoient fupérieure-
ment faites , Si le gain de cette affaire fut-autant le
fruit de fon habileté & de fon courage , que de là
confiance des troupes, Si de l ’opiniâtreté qui en eft
ordinairement la fuite. Ces fortes d’exemples font
fi rares qu’ils né changent rien au fentiment du maréchal
, mais il le feroit bien moins fi le commandement
des armées fe trouvoit toujours „dans de
femblables mains.
Le maréchal de Saxe qui avoit vraifemblablement
déjà fait, du moins en partie, les réflexions qu’on
vient de voir lorfqu’il écrivit fes Rêveries, n’avoit
garde d’oublier la pique dans fa légion. Aufti dit-il
qu’on ne (auroitfe pafferde cette arme dans l’infanterie,
& qu’il en a toujours ouï parler ainfi à touts-
les gens habiles. « Les mêmes raifons, ajoute cet
auteur, c’eft-à-dire, la négligence & la commodité-
qui ont fait quitter les bonnes chofes dans le métier
de la guerre, ont aufti fait abandonner celle-ci.
On a trouvé qu’en Italie,dans quelques affaires, elles
n’avoient pas fervi, parce que lé pays eft fort coupé ;
dès-là on les a quittées par tout, & l’on n’a fongé
qu’à augmenter la quantité des armes à feu, Sc à
tirer ».
Une des grandes objeélions qu’ayent faite contre
la pique ceux qui ne l’aiment pas, & que fes partifans
ne’nous paroiffent point avoir affez completrement
réfutée,, c’eft la diminution de feu occafionnée par
p 1 Q
le nombre des ’piques. Connoiffanf cîimme ces derniers
le cara&ère de notre nation, dont 1 ardeur &
l ’abord font des plus redoutables : egalement per-
fuadés que la vraie valeur ne confifte pas dans les
combats qui fe font de loin, mais dans le choc &
les coups de main qui décident toujours une aéhon
St lui donnent de l’éclat ; nous maintenons que loin
-que les piques puifferit nous ôter rien d’avantageux
dans les batailles qui fe donnent en rafe campagne,
elle? fout tout au contraire un moyen fur de vain-
cre nos ennemis : nous en avons donne ci deffus les
raifons les plus fortes. En même temps nous ne
faurions difeonvenir que dans les pays coupes oi
couverts ces armes-ne foient le.plus fouvént inutiles;
‘mais ce n eft pas encore une raifon pour
n’en point avoir. Le maréchal de Saxe , qui a prévu
cette objection en donnant des piques a- fon infanterie,
dit qu alors on en fera quitte^pour lés pofér
à terre pendant le combat, Si que les piquiers ayant
leurs fufilsen écharpe pourront s’en fërvir. Il feroit
mieux - encore, ce nous femble, de remettre les
piques au parc d’artillerie, toutes les fois qù on pre-
voiroit n’en-pouvoir pas faire ufage, & de R en
garder qu’un petit nombre qui, dans quelque pays
de chicane que ce pùi'ftè être, ne feroit jamais inutile.
Nous ne voyons à cela rien que d’àifé à pratiquer
, & rien de folide à répliquer ; mais pour mettre
complettement d’accord les antagoniftes de la pique
avec fes partifans, nous avons imaginé une arme
qui nous a paru aufti firnple que fûre Si d’une
utilité générale pour l’infanterie. Voyt^ Fusil-
PIQUE.
Les dernières piques dont on s’eft fervi en France
( ordonnance du 16 novembre 1666 ) , étoient de quatorze
pieds, & ne pouvoient avoir moins que treize
pieds Si demi. ( Voyez nos planches de l'Art Militaire
, Armes & Machines de guerre. Pique, fig. i ).
Folard qui a défendu la pique, Si avec chaleur, après
en avoir fait remarquer touts les défauts , propofe
d’y fubftituer une pertuifane de onze pieds, y compris
un fer dedeux pieds Si demi de long, fur cinq
pouces de large par le bas^ tranchant des deux côtés
, & fortifié jufqu’à la pointe d’une arrête relevée
d’environ une ligne Si demie. Une telle arme
(fig- 2 ) , comme le dit cet auteur, eft bien plus
forte & plus avantageufe que la pique, pour réfifter
à un grand effort, & au choc de la cavalerie ; outre
qu’elle n’eft pas moins redoutable par la pointe que
par le tranchant , elle fe manie bien plus, facilement
, il n’eft pas aifé d’en gagner le fort ; enfin la
vue feule de cette arme peut donner de la terreur
; un feul coup étant fuffifant pour mettre le
cavalier & le cheval hors de combat. Le détail que
fait ici le chevalier des avantages de fa pertuifane,
n’eft affurément point exagéré. Nous femmes per-
fuadés même que le foldat pouvant raccourcir ou
alonger cette arme, Si frapper de toutes manières ,
on n’en gàgnçroitpas le fort aifément, 8cque dans
une mêlée elle feroit bien plus de ravage que le
fufil avec la baïonnette. M.-de Mefnil-Durand, qui
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à fait fur cette arme, comme fur beaucoup d autres
chofes, d’excellentes obfervations , trouve qu’elle
eft encore trop pefante, & pas affez maniable : « il
faudrait, dit-il ( projet de TaSiquc, ch. 4 , art: 6 ) ,
en allégeant la pertuifane, non-feulement charger
un peu le talon, mais y mettre un véritable contre»
poids , comme au bâton de coureur , alors on,
pourrait s’en fervir fans - laiffer prefque aucune
longueur pour le branle ; & pour peu qu on la retirât
dans la main , ce qui alongeroit le levier du
contre-poids, on la relèverait avec grande facilité
même d’une main » ; avec cela M. de Mefnil-
Durand voudrait donner au piquier un petit couteau
de chaffe, ou plutôt un grand poignard q u i,
félon cet auteur, feroit fort utile lorfqu’ii fe trouverait
combattre corps à corps , & un piftolet de
ceinture, dont il ne le ferviroit, que dans la plus
grande néceffité ; mais qui, dans ce cas, ajoute-t il ;
; ferait d’un grand feeours, & en attendant rendrait
plus ferme encore cet homme qui fe verrait emre
les mains tant de moyens de fe défaire deffon en-
nemi.
On ne voit rien de trop à ce que-propofe M. de.
Mefnil-Durand , dès que la pique fera légère & aifée
à manier. On ire rejette poind’idée du pifiolet
mais il femble que cette troifième arme eft affez.
fuperflue. Il fuffiroit donc que le foldat pût faire
ufage en même temps de la pique & du couteau de
chaffe ; fans doute cet exercice qui a été pratiqué
tant de fois , ne feroit pas difficile à lui apprendre.
On fait que les Ecoffôis favent parfaitement fe fervir
à-h-fois du fabre & du poignard. Il eft vrai qu’il
y a dans cette forte d’eferime quelque chofe de.
différent de celle dont il vient d’être qiuftion „mais
on ne croit pas moins cette dernière très, poffible,,
puifque nous en avons l’expérience.
Bottée eft auffi d’avis de raccourcir la pique ; il
la réduit à douze pieds, & veut que la hampe foit.
. plus groffe, pour qu’elle foit moins fujette à caffer
par le milieu; du refte il admet, comme autrefois,
, la néceffité de donner une épée au piquier.
htipique du maréchal de Saxe ( ^ . 3 ) » qu’il appelle
pilum ou demi-pique , a treize pieds de long,
fans le fe r , qui doit être léger & mince, a trois
quarts, & de dix-huit pouces de longueur fur deux'
de largeur par le bas; la hampe en eft creufe , de
bois de fapin, & enveloppée d’un parchemin avec;
un vernis par-deflus ; elle e ft, dit cet auteur, très
forte & très légère, & ne fouette pas comme les-
ariciennei piques. Celle-ci ferait, à:notre avis, pré-.,
férable à toute autre , parce qu’elle"n’empêche pas
le foldat de porter fon fufil, & qu’il a une longue
baïonnette qui lui fert d’épée. Nous croyons pourtant
que dans une mêlée elle ne feroit pas fort ma—
niable ni trop folide, à caufe de fa longueur. Nous :
voudrions donc qu’en adoptant la hampe creufe de
fopin, b 11 la raccourcît de'quelques pieds pour pourvoir
liii donner plus de groffeur, & rendre cettej
armed’un méili-eur ufage. ; , ;
Le nombre des piques q u i, autrefois etoit conu-
T t i i