
pont fur lequel toute l’armée Suédoife paffa de
l ’autre côté.
Remarquez que fi les ennemis ont fur la rivière
des ponts ou des gués par lefquejs ils peuvent
vous venir charger , il eft néceffaire qu après avoir
fait paffer le détachement, il refte encore afi'ez de
troupes dans votre armée pour foutenir une bataille
que les ennemis ne manqueront pas de vous
livrer , dès qu’ils apprendront par leurs efpions ou
par vos déferteurs, que la force de votre armée eft
diminuée par le détachement que vous avez fait.
Judas Machabée , capitaine des Ifraëîires,ayant
fçu que Gorgias s’étoit détaché de 1 armée de
Lyfias , avec fix mille hommes, pour le venir fur-
prendre, il alla par fin autre chemin charger près
d’Emaüs le gros de l’armée de Lyfias, qu'il défit
avant que Gorgias eût pu fe trouver au combat.
Vous n’aurez pas à craindre le même danger, fi
les ennemis , pour venir fur votre armée , ont né-
ceffairement à paffer quelque défilé ; car alors ,
quoique fupérieurs en nombre, ils s’expo feroient
à être battus. Par la même raifon , ils ne s’aviferont
pas auffi de défiler par leurs ponts ou par leurs
gués à la vue de votre armée ; mais fi au contraire
votre armée s’étoit éloignée , ils l’attendroient ,
avant qu’elle eût paffé le pont qu’elle va conf-
truire, s’ils ne rencontroienr pas dans leur marche
ce défilé que vous défendez , pendant que le pont
s’achève.
Dans un pays où il y a des rivières navigables ,
une armée ne peut faire une guerre offentive, fi
elle n’eft pas fupérieure en nombre de bateaux,
qui fervent particulièrement à faciliter aux troupeS'-
le p&flage des rivières , & la conftruâion des
ponts.
Je regarde comme quelque chofe de très difficile,
& qui coûte bien du fang , de vouloir jetter
un pont à la vue.d’une armée ennemie. Cependant
fi le terrein ne vous fournit pas quelque avantage
particulier , commencez par dreffer de fortes &
uombreufes batteries fur le bord que vous occupez
, & à un endroit qui domine le rivage oppofé.
En défaut de quelque éminence favorable, élevez
des cavaliers fort hauts pour y loger vos batteries,
retranchez fur le bord de la rivière une grande
partie de votre infanterie, qui tire continuellement
fur les ennemis qui s’approchent de l’autre
côté. Pour cela il vous feroit avantageux de faire
femblant d’attaquer un pefte, & de commencer
la nuit de travailler à un autre -, afin de pouvoir,
en gagnant quelque temps, couvrir votre infanterie
& vos batteries avant les ennemis , parce que
s’ils font la même manoeuvre que vous faites ,
vous n’aurez pas plus de droit de les écarter de
leur bord, qu’ils n’en aurpient de vous écarter du
vôtre.
Si votre feu oblige les ennemis à fe tenir éloignés
, conftriiifez le pont en vous couvrant, autant
que v.ous le pourrez , par quelqu’une des ma-
soeuvres que je vais décrire , afin de mettre à
cijuvcrt vos travailleurs du fufil & du canon des
ennemis , qui ne manqueront pas de fortifier auffi
près que vos batteries , qui les dominent, & vos
retranchements le leur permettront.
Vous pouvez auffi , avant de commencer le
pont, faire paffer à l’autre bord fur des bateaux ,
un tort détachement de fantaffins d’élite , qui ,
outre leurs armes pour fe défendre , porteront les
inftruments néceflaires pour fe couvrir à la faveur
de votre retranchement & des batteries de votre
flanc. On fait quafiia qu’une troupe fe puiffe fortifier
plus promptement, elle fe précautionne de
gabions, de petits facs de terre, de grands facs de
laine, des chandeliers, de fauciffons , de morceaux
de paliffades de cinq à fix pieux déjà cloués en-
femble, &c.
Il feroit bon pour l’expédition que je propofe
de trouver un endroit où la rivière fit un angle ou
une portion de cercle de votre côté , & où elle fût
étroite , parce qu’alors votre artillerie & votre
moufqueterie flanqueroient le bord oppofé où votre
détachement fe retranche. S’il y réuflit , il n’y a
plus de difficulté ni de danger à jetter le pont.
Ce fut en obfervant prefque tout ce qui a été
dit jufqu’ic i, que François , marquis de Mantoue,
général de l’aTinée de Louis X I I , roi de France ,
jetta en 1503 un pont fur leGarillan , tandis que
les troupes du roi d’Efpagne, commandées par Je
grand capitaine", étoiem de l’autre côté.
Le chevalier de la Valliere diffère peu de mon
opinion fur ce que je viens de propofer. Il ajoute
feulement qu'aprës avoir fait conftruire une demi«
" lune de l’autre côté de la rivière, il faut élever un
ouvrage à corne , ik tiret delà une ligne qui fe
déterminera à un autre ouvrage à corne, afin que
dans l’efpace des deux & dans cet intervalle que
vous bifferez entre la -ligne St ta rivière , les
troupes (e puiffent loger , fans crainte d'être attaquées
à d.couvert avant que toute l’armée ait
paffé. La Valliere avertit encore que fi vos travailleurs
viennent a être chargés , ils doivent fe retirer
dans les foffés jufqu’à ce que les ennemis écartés
par le feu de la partie de l’ouvragé qui aura été
achevé , ils puiffent revenir aux travaux qiie vous
foutiendrez de loutre bord-, en étendant des bat-:
teries jufqu’où la ligne commence.
Tout ce que dit la Valliere me paroîc fort bien
penfé. J'ajoute que fi vous craignez que les ennemis
ne viennent charger les travailleurs & leur
efeorte par l’efpace qui eft entre la rivière & la
ligne , avant qu’elle foit finie , il faut , à chaque
diftance de cinq ou fix cents pas , tirer une coupure
de cetre ligne à la rivièré, ou conftruire une
redoute qui ferve de coupure.
En traitant de la guerre défenfive , je parle
des moyens pour empêcher que les ennemis ne
jettent un pont à votre vue , d’où vous concluerez
qu’il faut laiffer affez de terrein entre la fortification
&- la rivière , pour que Votre armée puiffe
faire , fans confufion, les mouvements néceffaires,
Sc élever de bonnes contre-batteries, afin que les
pièces de canons que les ennemis deflinent d’un
côté pour rompre les pontons ou les tonneaux de
votre pont, ne puiffent pas faire grand feu.
Lorfque toute votre armée eft enrre la rivière &
la ligne dont je viens de parler, fi les ennemis
font en préfence, vous démolirez cette ligne avant
d’en fortir , pour ne pas vous voir obligé de défiler
; car autrement les ennemis , quoi qu’inférieurs
en nombre , vous chargeroient avant que vous
enfliez rangé en bataille les troupes , fur-tout fi,
par leur front-, ils peuvent attaquer votre flanc.
Ne vous fiez pas à un pont feul, s’il eft fort avantageux
pour votre armée d’avoir un pont qui fub-
fifîe ; car les courants peuvent le rompre,ou les
ennemis le ruiner. Après en avoir conftruit un ,
& vous être rendu maître du terrein de l’autre
côté de la rivière, il eft aifé de jetter un autre
pont. Je fuppofe que vous avez tours les préparatifs
néceffaires pour raccommoder l’un & l’autre
lorfqu’ils font endommagés ; je fuppofe auffi que
Vous fortifierez .leurs têtes , fur-tout celle qui regarde
les ennemis, foit pour mettre à couvert la
garde qui éft de ce côté-là, foit parce que fi le
pont vient à fe rompre , il vous fera aifé d’en
conftruire un autre lorfque vous aurez une troupe
retranchée de l’autre côté; car fi cette garde, faute,
de s’être retranchée, fe retiroit & repaffoit dans
des bateaux , les ennemis ne manqueraient pas de
venir occuper ce terrein & de s’y fortifier.
Quand même cette garde feroit retranchée , les
ennemis l’enleveroient s’il n’y a pas un fécond pont
pour pouvoir aller à fon fecours ; car il y a des
jours où la force du courant ne permet pas que les
bateaux paffent la rivière , quand même ils feroient
tirés par une corde ; & fi l’on veut l’entreprendre ,
il y aura tant de retardement d’un voyage à l’autre,
que le fecours fuffifant arrivera trop tard , fi les
ennemis font une vigoureufe attaque.
Il s’en fallut peu que Cæfar ne perdît les troupes
commandées par Plancus , le courant des eaux
ayant rompu le pont fur lequel elles avoient paffé
le Ségre. Elles n’auroient pas été fecourues, fiFa-
fcius , fur un fécond pont qu’il avoit fait conftruire,
n’étoit venu avec deux légions pour fecourir Plancus
, qui , en attendant , s’étoit fortifié fur une
montagne.
On peut inférer de cet exemple, qu’il vous fera
avantageux d’avoir tiré une ligne d’une fortification
à l’autre de la tête de deux ponts , pour empêcher
que les ennemis , quoi qu’inférieurs en
nombre , ne chargent votre armée qui défile, lorf-
qu’elle paffé par quelqu’un de ces ponts pour aller
fecourir les troupes qui gardent la tête de l’autre
qui s’eft rompu.
Pour ne pas vous expofer à ce danger , il eft
important de fortifier les ponts des deux côtés de
la rivière , lorfque les ennemis en ont d’autres
pour venir attaquer fur l’un & l’autre bord quelques-
unes de vos troupes qui fe trouveraient plus
foibles après les détachements que vous auriez
faits.
En traitant des attaques des places fituées fur les
rivières, je parle des précautions dont on peut
ufer, afin que les ennemis ou les eaux qui croiffent
ne ruinent pas vos ponts , qui font déjà conftruits.
En parlant des retraites des troupes , vous trouverez
de quelle manière il faut paffer une rivière à la
vue des ennemis, qui font du même côté que votre
armée , fans que votre arrière-garde faffe une perte
considérable , quand même les ennemis feroient
fupérieurs en nombre.
Dom Bernardin de Mendoza, dans fa théorie &
pratique de la guerre, & Antoine Lupicini, dans
fes difcoùrs militaires , difent que pour faire paffer
la rivière à l’artillerie qu’on ne peut conduire fur
fes affûts à caufe de la boue , ou de quelque autre
obftacle qui fe trouve au fond , on doit démonter
le canon , & ayant fait traverfer de l’un à l’autre
bord Hn cable bien tendu par des moulinets, il
faut fufpendre le canon à ce cable , &. le foutenir
par trois noeuds de corde affez lâches , afin que le
canon puiffe gliffer le long du cable ; il faut enfuite
attacher au dauphin du canon de bonnes cordes ,
que de l’autre côté de la rivière on tirera fortement
avec des moulinets ; Mendoza rapporte l’avoir vu
lui-même pratiquer ainfi, & que le canon allant
entre deux eaux , ces mêmes eaux aident à le foutenir.
Pour moi, j’avoue naturellement que je crain-
drois que ce cable ne rompît avant de pouvoir l’étendre
affez pour faire paffer à l’autre bord la pièce
lorfqu’elle fe trouveroit au milieu du cable. Je
penfe qu’il y auroit moins de danger & moins de
difficulté fi , du bord où l’on commence à fufpendre
le canon au cable, on attachoit bien furement
ce cable au haut d’une longue & groffe
poutre plantée en terre. De cette manière le canon
pourrait couler plus aiférnent vers l’autre côté de
la rivière, fur-tout fi fur le bord où l’on veut faire
aller la pièce , on charge le cable d’un autre poids
très lourd pour contre-balancer celui du canon , 8c
empêcher le cable de courber fi fort dans le
centre.
On conçoit aiférnent que ces noeuds de corde
doivent être doubles, ç’eft- à-dire, que la corde
dont chacun eft fait, doit premièrement entourer
le cable , & s’attacher enfuite au canon par un
fécond noeud entrois endroits , c’eft-à-dire, près
de la bouche du canon au milieu , & près de la
culaffe. Les cordes qui compoferont ces trois
noeuds différents & le cable , feront bien garnis de
fu if, afin que ces noeuds coulent plus facilement
le long du cable.
Lupicini propofe un autre expédient en la manière
qui fuit : « qu’on attache, dit-il, le canon à
deux cables , qui vers l’endroit de ces tourrillons le
tient à fon affût ; qu’on étende au-delà de l’autre
bord un de ces cables , qui doit être affez long
pour que deux mille hommes puiffent y être appli