
fin , cette province , où les laines communes font
à très bon marché , où l’abondance des denrées de
première néceffité tient la main-d’oeuvre à un très
bas prix , 8c où les troupes pourroient fournir une
très grande quantité de bras, il n'en auroit peut-
être pas été de même.
Il y a déjà longtemps qu’on a propofé d’employer
les foldats à la fabrication d’une grande
partie des objets qui leur font néceffaires ; mais on
s’en eft prefque toujours tenu à dire que cela fe-
roit avantageux ; rien de plus facile cependant :
Metz , Strasbourg, Lille, & touts nos grands éra-
bliffements militaires pourroient devenir facilement
pendant l’hiver des grandes manufadures. Le
foldatqui, pendant le printemps 8c l’été,auroit
creufé des canaux , rendu des rivières navigables ,
& qui, pendant l’automne, auroit élevé des redoutes
, conftruit des retranchements , fait des
marches militaires & de grandes manoeuvres , pourvoit
, pendant l’h iver, filer de la laine , du coton ,
faire battre des métiers, &c. &c. Au moment où
j ’écris, en janvier 1786, on peut voir à Metz plus
de 200 foldats occupés dans les manfardes de leurs
quartiers à filer des laines qu’on employé dans les
manufadures du .pays ; ils gagnent très peu d’argent
, il eft v ra i, mais il feroit difficile de calculer
ce que l’état gagneroit, fi on rendoit un établi ffe-
ment femblable auffi général qu’il mérite de l’étre.
On doit cet eflai, qui nous paroît fait pour être
imité & pour obtenir des encouragements, aux
foins d’ un officier général commandant dans la
province , qui, joignant aux qualités de l’homme
de guerre , celles de l’homme d’état, embraffe
avec chaleur & fuit avec confiance , tout ce qu’il
croit fait pour augmenter la profpérité du royaume, !
le bien-être des troupes 5 c le bonheur des ci—
toyens,
§. I X.
De Vadminijlration générale & particulière de T habillement
& des réparations.
Il en a été en France de l’adminiftration générale
de Y habillement des troupes , comme d’une infinité
d’autres objets militaires ; elle a éprouvé un très
grand nombre de variations. Pendant quelque
temps chaque capitaine a été chargé de l’achat des
étoffes, de la fabrication 8c de la réparation des
habits ; ces objets ont enfuite été mis en régie,
puis en entreprife ; les capitaines en corps en ont
été auffi chargés ; l’état-major de chaque régiment
a eu auffi cette commiffion ; enfin une ordonnance
du mois de décembre 1784, a créé encore une fois
une régie pour l’adrainiftration générale* de Xhabillement.
Mais de touts ces moyens , il n’en eft qu’un qui
foit le meilleur. Quel eft-il ? Faifons connoître les
raifons qu’allèguent les partifans des différents
fyftêmes, & laiffons le foin du choix aux hommes
q u i, par la place élevée qu’ils occupent, font à j
portée de diftinguer ce qui convient le mieux:
Le 20 décembre 1784, je me trouvai chez un
officier général avec un colonel & un capitaine
d infanterie. La converfation tomba naturellement
fur l’adminiftration générale de Xhabillement. Les
trois interlocuteurs convinrent unanimement qu’il
ne falloit jamais confier l’adminiftration de Xhabillement
à des entrepreneurs. Tout entrepreneur,
dirent-ils, eft un homme qui veut s’enrichir, ou
au moins faire payer fon argent 8c fon temps fur
un pied très haut ; il achète le meilleur marché
qu il le peut, 8c n’ayant aucun intérêt à s’attacher à
la bonté des étoffes, il eft content pourvu que les
marchandifes qu’il fournit ne foient point a fiez
mauvaifes pour être réformé^. Dans certaines parties
du fervice militaire on ne peut guères fe dif-
penfer de recourir aux entreprifes ; mais Xhabillement
n’eft pas de ce nombre; on peut y pourvôir
dans touts les temps de plufieurs manières, toutes
meilleures que celle-ci ; elle doit donc être bannie
pour jamais.
Donner à chaque capitaine le foin de vêtir fes
foldats , ce feroit, dit l’officier général, s’expofer
à voir renaître les défordres qui régnoient dans
l’armée. Lorfque j’entrai au fervice, chaque capitaine
faifoit durer le plus longtemps qu’il le pou-
voit les habits de fes foldats ; auffi montroient-ils
touts la corde 8c étoient-ils couverts de taches, de
pièces & de lambeaux ; huit ou dix jours avant la
revue de l’infpedeur, on fe dépêchoit de raccom-
1 moderles habits v ieux , on donnoit quelques ha-
! bits neufs ; mais l’infpedeur parti, on retiroit ceux-
c i , 8c on laiffoit retomber ceux-là dans l’état le
plus déplorable. Pour épargner Xhabillement, quelques
capitaines permettoient à leurs foldats de porter
des veftes & des culottes non uniformes ; ils
les envoyoient même fouvent en femeftre avec des
habits bourgeois. Les chefs des corps qui vou-
loient faire l’avantage de leurs officiers , toléroient
cet abus, 8c beaucoup d’autres encore plus criants ;
le colonel fut de l’avis du général, le capitaine
convint qu’ils a voient raifon. Il ne refte donc, dis-
je alors, que les régies, l’état-major 8c le corps des
capitaines, O u i, direct touts à la fois les trois interlocuteurs
, 8c chacun d’euk ajouta auffitôt : le général
, moi je tiens pour la régie; le colonel, moi
pour l’état-major ; le capitaine, moi pour le corps
des capitaines. Entendons-nous, Meilleurs , reprit
l’officier général, d’un ton qui dil’oit énergiquement
; écoutes-moi ; chacun le comprit, fe tut, 8c
il parla ainfi :
Quand Xhabillement n’eft point en régie, 8c qu’un
régiment change de garnifon , touts les effets non
encore employés que ce régiment a dans les ma-
gafinsfont tranfportés à gros frais d’une garnifon
dans l’autre , au lieu qu’avec la régie, lorfqu’un
régiment part, il remet dans les magafins du roi
les étoffes qui font encore en pièce , on lui en
donne un récépijjé , 8c quand il arrive à fa nouvelle
deftination, on lui rend en étoffes de la même
qualité
-qualité tout ce qu’il a laiffé à fon ancienne garni-
ion. Mais ce n’eft point-là le plus grand avantage
des régies , ni ce qui en démontre le plus évidemment
la néceffité. Comme les troupes rentrent fou-
vent pendant la guerre très tard dans leurs quartiers
d’hiver, comme elles font quelquefois. obligées
de lés quitter de très bonne heure , 8c comme
il eft prefque toujours de la prudence du miniftre
8c du général de ne point faire connoître d’avance
l’endroit où l’armée doit hiverner , on ne peut ,
dans ces circonftances, être affuré que les réparations
de Xhabillement feront faites avant l’ouverture
de la campagne qu’en recourant à une régie.
En effet, lorfqu’une régie eft bien établie, le mi-
• niftre ordonne à celui qui en eft le diredeur de
faire expédier fecrétement pour telle ou telle ville
frontière, tant de ballots de drap, dé toile, 8cc., &
de fe pourvoir de tout ce qui eft néceffaire pour
faire arriver avec promptitude ces ballots à un endroit
qu’il lui défignera tel jour ; ce jour arrivé , le
diredeur reçoit l’ordre de faire partir fes marchandifes
, 8c fans que le fecrer du miniftre ait tranfpiré ,
-les ballots arrivent dans le quartier du régiment le
même jour que lui; d’ailleurs fans le fecours d’une
•régie, comment avoir des magafins de précaution ,
magafins fi importants , 8c que nul gouvernement
fage ne doit négliger? Enfin , ajouta-t-il, que ce
foit l’état-major ou les capitaines qui ayent l’admi-
niftration de habillement , le prix des marchandifes
hauffe chaque année; d’abord parce qu’il y a
concurrence entre les acheteurs , 8c enfuite parce
qu’il s’établit une efpèce de rivalité entre les différents
régiments ; ce feroit peu encore , mais -à me-
fureque les prix des étoffes s’élèvent-, leur qualité
baiffe. Les régiments font peu connoiffeurs , 8c
aiment mieux employer quelques ballots défedueux
que d’entrer dans les longues difeuffions qu’entraîne-
roient la réforme 8c le renvoi d’un certain nombre
de pièces ; avec une régie on n’a rien de tout cela à
craindre ; les régiffeurs ou leurs agents ne forment
qu’un corps, ils n’enchériffent jamais les ‘uns fur
les autres ; ils font connoiffeurs, ils tiennent les
manufacturiers dans leurs mains, 8c ce qui doit être
•calculé, les frais de tranfport 8c d’emballage font
moins chers pour eux que pour les corps, parce
qu’ils font des envois beaucoup plus confidérables.
A ces mots le général fe tut; le colonel prit la parole
, 8c s’exprima à-peu-près en ces termes : fi
mon opinion fur les régies eft fauffe, il n’en eft
pas moins vrai quelle exifte ; ainfi en la foutenant,
j’aurai fourni une nouvelle oocafion de la combattre ;
fi elle eft vraie, pourquoi la diffimuler ?
La .plupart des militaires françois ont conçu une
idée peu avantageufe de l’établiffement d'une régie
pour Xhabillement des troupes. Sur quoi cette idée
eft-elle appuyée ? C ’eft fur l’expérience du pafle,
8c c’eft cette expérience qui leur infpire de la défiance
pour l’avenir. En effet, toutes les étoffes
que nous avons reçues des régies qui ont précédé
Celle-ci'., ont toujours duré beaucoup moins que
dirt militaire• Tome III.
celles-qui ont été fournies diredement par les fabricants
ou les marchands ; la nouvelle régie fera
tout fans doute pour ne point mériter de pareils
reproches; mais malgré les foins qu’elle prendra ,
je crains qu’elle ne puiffe réuffir à les empêcher
d’éclater ; les obftacles naîtront pour elle de fa
conftitution 8c de l’opinion des troupes.
Les militaires font en général peu éclairés ; ils
confondent prefque toujours une régie avec une
entreprife ; ils ne favent pas, ou ils ne croient point
que les régiffeurs fe contentent des appointements
que le roi leur donne; ils penfent qu’il y a ou
qu'il peut y avoir de la connivence entre les fabricants
8c les régiffeurs ; cette connivence fuppo-
fée, le roi , difent-ils, paye les étoffes plus cher
qu’elles ne coûtent ou qu’elles ne valent, car on
peut avec facilité groffir les articles des pièces justificatives
ou en faire de faüffes. Les militaires les
plus raifonnables 8c les plus inftruits qui connoif-
fent la différence qui exifte entre une régie 8c une
entreprife, qui favent combien le miniftëre eft attentif
à empêcher les malverfarions, 8c même à les
prévenir, en n’employant que des agents fidèles ,
font d’autres objedions : il^cjhfent que les appointements
des régiffeurs 8c des prépofés , les frais de
bureau, le loyer des magafins , la paye des gardes ,
8cc., occasionnent des dépenfes affezconfidérables
pour rendre Xhabillement fourni par une régie beau-
coup plus cher que celui qui eft adminiftré par l’état
major de chaque corps ; voici la preuve qu’ils
en fourniffent : avant que M. de Saint-Germain
eût établi la maffe générale , celle dq Xhabillement
étoit formée par une retenue d’un fol par jour pour
chaque homme,abftradion faite des grades, au
lieu qu’aujourd’hui on paye à la régie deux fols
pour chaque adjudant, 8c autant pour chaque fer-
gent, tambour 8c muficien. Cette augmentation
fait environ 1920 liv. par chaque régiment. Multipliez
ces 1920 liv. par le nombre des régiments ,
8c vous trouverez une fomme très confidérable. Ce
n’eft pas tout ; les régiments faifoient un bénéfice
a fiez grand fur leur habillement ; 8c ce bénéfice,
dont ils ne fe permettoient jamais de difpofer autrement
qu’en améliorations , tournoit en entier
au profit du roi. Il feroit aifé de prouver, ajouta-
t-il en finiffant , qu’une régie n’eft point indifpcn-
fable aux progrès d e l’induftrie, à l’entretien, ainfi
qu’à la perfedion des fabriques propres à Xhabillement
des troupes. Q u’eft ce qui peut en effet augmenter
l’adivité 8c hâter les progrès des manufactures
? c’eft l’augmentation des ventes 8c la concurrence
parmi les acheteurs ; or , la régie n’achetant
pas un plus grand nombre de pièces d’étoffe
que les régiments, 8c ne formant qu un feul acheteur
, nuira aux manufadures , ou au moins ne contribuera
en rien à leur progrès 8c à leuradivité.
A ces mots , le colonel le tut ; le capitaine parla
à fon tour , 8c s’adreffant à l’officier général, il lui
dit : la régie a des avantages précieux, vous les
| avez mis dans tout leur jour, il faut les conserver,;