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les autres troupes qu’Eric avoit fait avancer juf-
qu’à une certaine diftance.
Pour mettre,en ufage ce ftratagême du duc de
Me'cklembourg , il faudroit être affuré auparavant
que les fentinelles de la porte n’ont pas coutume
de fonder avec un long fer poinru toutes les charrettes
qui entrent, pour favoir ce qu’elles contiennent
au milieu ; ou il faudroit que quelqu’un
de ceux avec qui vous êtes en intelligence fût ce
jour-là un des habitants de garde à cette porte, &
qu’il eût adroitement caché ces fortes d'inftru- ;
ments. On doit encore être affuré qu’on n’obferve
pas dans cette ville de ne lai fier paft'er les charrettes
que l’une après l’autre, 8c de fermer la'première
barrière pendant que la charrette paffe la
fécondé, ainfi que je l’ai expliqué plus amplement
en traitant des furprifes.
Si touts les expédients que j’ai propofés jufqn’ici,
8c touts les autres dont je parlerai dans'la fuite ,
ne fuffifent pas pour que votre garnifon puiffe s’af-
furer d’une grande place où elle eft enfermée , 8c
fi n’ayant pas a fiez de troupes pour renforcer cette
garnifon , vous êtes certain que les habitants ont
réfolu de l’égorger ou de la défarmer , la garnifon
doit les prévenir & les furprendre lorfqu’ils feront
affemblés & défarmés , comme cela arrive dans
certaines fêtes, ou dans quelque autre concours
où le peuple a coutume de fe trouver en nombre
& fans armes. L’expédient eft violent ; mais il eft
. péçeffaire lorfqu’il eft unique. On ne trouve pas
qu’il y ait de la cruauté à employer le fe r , lorfque
tout autre remède a été inutile. « On ne remédie à
de grands maux, ditStrada , que par des remèdes
violents ».
Pierre d’Albarado, que Fernand Cortezavoit laiffé
dans le.Mexique avec quelques troupe^ Efpagnoles
qu’il commandoit, apprit que les Mexiquains ,
tous prétexte de célébrer une de leurs fêtes,
avoient pris la réfolution d’égorger fur la fin de
cette fête touts les Efpagnols. Albarado n’ayant
aucune fortereffe où fe réfugier, ni aucune retraite
fure à prendre , prévint Les. Indiens & les
furprit au commencement de leur affemblêe ,
avant qu’ils euffent penfé à prendre leurs armes ,
qu’ils avoient cachées dans le quartier de la ville
le plus proche du temple où ils folennifoient leur
fête.
Lucius Pinarius , préfet Romain, qui, en Sicile,
étoit gouverneur de la ville d’Enna , ( aujourd’hui
Caftro Joanne )_, fachant que les Ennois , fupé-
rieurs en force à la garnifon Romaine, avoient
réfolu de fe révolter , donna ordre à la garnifon de
fe tenir prête le lendemain , pour attaquer les habitants
à un certain fignal qu’il donneroit avec fa
robe, pendant qu’il entretiendroit le peuple dans
une affemblêe générale qu’il avoit convoquée à ce
deffein ; car , difo.it-il à fes troupes , ou il faut les
furprendre, ou ils nous furprendronr. Tout cela
ayant été exécuté, les rebelles furent maffacrés ;
Enna demeura foumife aux Romains8ç cette ré-
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folution de Pinarius fut approuvée du conful
Marc Marcelle.
-Comme le châtiment dégénéreroit en cruauté , fi
la peine s’étendoit fur d’autres que fur les coupables
, forcé d’en venir à cette violente extrémité
, vous devez prendre le plus de précaution
que vous pourrez, pour éviter que vos troupes ne
fe fervent contre les innocents , du glaive qui ne
doit frapper que les rebelles obftinés , 8c vous ver*
rez dans quelque autre endroit de ce traité comment
S. Ambroife reprit l’empereur Théodofe,
qui avoit puni tout un corps pour la faute de
quelques particuliers.
De l'artillerie , des armes & des munitions.
Il faut, fous quelque prétexte, faire tranfporter
dans les citadelles ou dans quelque autre pofte de
défenfe , toutes les armes qui fe trouveront dans
les magafins des grandes villes dont la fidélité eft
fufpe&e, afin que les habitants xne s’en fervent pas
contre le prince. Je dis« la même chofe des munitions;
mais il fera riéceffaire d’ufer de beaucoup d’a*
, dreffe pour y réuflir, fi votre garnifon eft petite à
proportion du nombre des habitants, parce qu’ils ne
feront point affez ignorants pour ne pas connoître
la fin qui vous faita gir ; ainfi cherchez des prétextes
qui, fuivant l ’occurrence , pourront mieux cacher
votre intention, afin que le peuple ne s’irrite pas
de la réfolution qu’il vous voit prendre.
Il ne fera pas befoin de garder tant de mefures,
fi votre garnifon eft forte ; il fuffira de la mettre
fous les armes, fous prétexte d’une revue ou d’un
exercice général, d’envoyer enfuite quelques partis
pour fé faifir des magafins ; de tenir Je refte de
-la garnifon en état de fondre fur les:habitants, qui
feroient quelque mouvement pour empêcher le
tranfporr des armes 8c des munitions , 8c d’avoir
des patrouilles dans les rues pendant tout le temps
du tranfport.
La première précaution que prit le chevalier de
Croé en entrant dans Tortofe pour en être gouverneur,
fut de faire fortifier la maifon où étoient
les armes , parce qu’il avoit lieu de fe défier de la
fidélité de plufieurs habitants qui étoient nouvellement
conquis.—
On peut voir dans l’hiftoire des guerres civiles
de Naples , quel avantage les révoltés tirèrent des
armes qu’ils trouvèrent dans divers magafins de
cette ville; & dans la révolte-àe* Portugais, de
quel fecours fut la provifion d’armes que le duc
de Bragance avoit faite.
Toute l’artillerie qui eft dans les lieux dont on
foupçonne la fidélité, & dont les habitants pourraient
fe fervir contre la garnifon , doit être portée
fur les baftions, dont on fortifiera promptement
les gorges-, fans fe mettre en peine fi la
figure & la conftruélion de cet ouvrage font imparfaites
j parce que contre des habitants la moindre
fortification fuffit. Vous pourrez même leur péril
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fuader que les coupures des gorges ne font ouvertes
que contre la campagne, à caufe de la
crainte "que vous feindrez avoir que les ennemis
n’attaquent la place. Pour une plus grande fureté
des baftions, vous y ferez conduire la même nuit
une bonne quantité de vivres 6c de munitions,
afin que fi le peuple fe foulève, vous publiez le
réduire avant que ceux qui défendent les baftions
manquent de vivres, & afin d’empêcher que les
rebelles ne s’emparent des canons des courtines ,
fi vous n’avez pas oféles faire conduire dans la citadelle
, ou en cas qu’il n’y ait point de citadelle.
Syracufe a Ion artillerie dreffée-de la manière
que je viens de propofer, c eft-à-dire, fur l'es
baftions 8c dans les gorges où elle eft braquée
contre la ville ; en forte qu’une petite troupe de fa
garde à chaque baftion met en fureté l ’artillerie 8c
tout ce qui eft fur les baftions.
Chacun fait que pour mettre à couvert des in-
fijltes des habitants les gardes des portes , les ca-
fernes, les magafins.8c lès autres poftes importants
, on Les couvre toujours par de bonnes palif-
fades ; quelquefois on y ajoute un parapet avec fa
banquette & fon foffé, afin que ces gardes Ôc les
endroits où elles font placées * ne foient pas expo-
fés à une furprife des habitants. Si dom Adrien
Vetancur , gouverneur de Tortofe , n’avoit pas
pris cette précaution , les habitants de cette ville
n’auroient peut-être pas été auffi tranquilles & fournis
qu’ils le furent là nuit que le comte de Sta-
remberg tenta une première fois de la furprendre,
puifqu’il ne manqua aux Allemands pour réuflir ,
que de paffer une mauvaife coupure ; quoique les
trois quarts des habitants fuffent extrêmement affectionnés
pour nos ennemis, aucun d’eux ne fit
le moindre mouvement, parce qu’outre les patrouilles
qu’on mit dans toutes les rues , ils fe
voyoient ento.urés de gardés retranchées contre la
ville, qu’il n’étoit pas aifé de pouvoir forcer.
Quand on a tout lieu de craindre une furprife
de la part des habitants, touts les officiers & le
gouverneur même fe logent auprès des cafernes
dans un endroit où ils fe retranchent, prenant pour
prétexte que c’eft pour mieux faire obferver la
difcipline aux foldats, 8c les empêcher de fortir la
nuit pour aller chercher des femmes ou commettre,
quelque autre défordre.
Si vous croyez qu’on court rifque dé faire fou-
lever le peuple en faifant paraître qu’on a deffein
de tranfporter dans la citadelle ou fur les baflions
l’artillerie des villes dont les'habitants font plus
forts.que la garnifon, il feroit peut-être à.propos
de faire enclouer touts les canons par vos propres
fentinelles , qui fe retireront après , 8c feront courir
le bruit que quelques hommes inconnus les ont
fürpris , 8c qu’en leur défendant de crier, fous
peine d’être maffacrés fur le champ ,' ces mêmes
hprames inconnus ont.encloué l’artillerie; alors
faifant femblant de croire qu’un tel excès ne peut
&YP.ir .été commis que par quelque parti du peuple,
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vous vous en plaindrez fortement aux habitants ,
afin qu’ils ne s’apperçoivenc pas que toute cette
manoeuvre n’eft qu’une invention pour diminuer
leurs forces. Ce ftratagême fervira encore
pour femer la divifion entre les citoyens , parce
qu’il s’en trouvera plufieurs qui défapprouvcront
une pareille aélion , 8c blâmeront fortement ceux
de leur parti qu’ils ïoupçonneront en être les auteurs.
Si vous m’objeélez que contre Ja maxime
déjà établie, je confeille ici de femer la divifion
parmi le peuple, je vous prie de faire attention
que je parlois alors des fujers fidelles à leur
prince , & qu’à préfent il s’agit des fujets fufpe&s
8c tacitement rebelles; 8c on ne doit pas, avec
les ennemis , établir les mêmes règles qu’avec les
amis.
Cette, rufe fera peut-être que les habitants , pour
fe difculper de la faute qu’on leur attribue , vous
accorderont quelque autre chofe dont vous pourrez
.avoir befoin pour une plus grande fureté de
vos troupes.
Dioclèsle Mède mit, pendant une nuit, avec l’aide
de fes amis , une groffe quantité de pierre tour autour
de fa maifon ,8c le lendemain il fe plaignît fortement
de ce qu’on avoit afîiégé toute la nuvt fa
maifon à coups de pierres. Les Mèdes , eu fatisfac-
tion d’une injure qu’ils crurent certaine , donnèrent
à Dioclès , leur juge , un lieu fort 8c de défenfe
pour y loger, 8c lui accordèrent autant de gardes
qu’il fouhaitoit ; avantages dont il fe prévalut
dans la fuite pour affujettir les Mèdes fous fa puif-
fance.
Pififtrate, pour faire tomber fous fa domination
Athènes, fa patrie , fe fit fecrètement plufieurs
bleffures , 8c fuppofant de les avoir reçues de fes
ennemis , il obtint du peuple d’avûir pour garde
un certain nombre de gens armés, avec lefquels
s’étant emparé de la citadelle, il fe rendit maître de
la ville.
Moyens pour défarmer des' habitants peu fidelles &
f upérieurs en force à vos troupes.
Avant qu’une province dont la fidélité eft fuf-
pefle vienne à fe révolter ouvertement , feignez
d’avoir befoin de fon fecours * 8c demandez aux
lieux dont vous vous défiez le plus , un certain
nombre d’hommes armés, qui auront ordre de fe
rendre dans un tel endroit déterminé. Lorfqu’ils
feront entre vos mains, fous prétexte d’un nouveau
motif de défiance, faites-les arrêter, & après
les avoir défarmés , qu’ils foient conduits .dans différents
poftes bien furs. Ces armés 8c ces hommes
feront faute à ces mêmes lieux pour pouvoir exécuter
leur révolte.
Céfar Borgia , duc de Valentinois , voulant
s’emparer des états du,duc d’Urbin , lui demanda
un fecours d’artillerie-8c de troupes pour faire la
guerre aux Camériniens. Le duc de Valentinois
l'ayant obtenu, revint fur fes pas pour attaquer le
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