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P R I N C I P E S G É N É R A U X .
P r e m i è r e p r o p o s i t i o n .
La taôique ou T art de former & de mouvoir en
ordre les troupes, tjl nécejfaire. ' ^
On réunit des hommes en troupes , afin qu'ils
puiflent concourir d’un même mouvement à un
même effet ; ce qui eft impoffible, s'ils ne font en
ordre.
i »
La dïfcipline ejl nécejfaire.
Sans la difcipline, on ne peut ni former ni mouvoir
les troupes en ordre , ( prop. i . )
1 I I.
Le filence eji nécejfaire.
Tout foldat qui eft fous les armes doit être prêt,
à chaque inftant, à exécuter le commandement qui
peut lui être fait ; & tout foldat qui parle , ne peut
<ni écouter ni entendre un commandement.
I V.
I l ejl nécejfaire d?accoutumer les troupes à fe ranger
dans un certain ordre & aie conferver.
Si on le nie, il faut avouer qu’il eft inutile d’entretenir
des troupes pendant la paix, & de les exercer
à prendre & à conferver cet ordre ; il faut
avouer que les payfans quittant la charrue, feront
auffi utiles à la guerre que les foldats exercés avec
le plus grand foin ; ce qui eft contraire à la raifon
& à l’expérience. ^
Le meilleur ordre ejl celui qui rend également fortes
toutes les parties d’une troupe , relativement au terrein
& aux troupes qui attaquent.
V I.
I l faut placer les meilleurs çfficiers & foldats aux
parties les plus faibles, qui font les ailes, les premiers
les derniers rangs.
v u .
Une ligne ( P R , fig. 3 7 ) , tarit pleine que vuide ,
marche plus facilement qu’une ligne pleine ( B C ,
fig. 373 ).
La ligne pleine formant un feul corps, les mouvements
de chaque partie influent fur ceux de tout
le corps. Si les troupes doivent s’aligner fur leur
droite , & que l’aile gauche ( a ) d’une troupe ( D )
placée vers le centre, refte en arrière, tout-ce qui
eft à la gauche ( de D en B ) refte auffi en arrière,
& prend le faux alignement de cette troupe * on
même-temps les troupes de la droite veulent répa-
TAC
rer le défordre, & quittent, en s’avançant, le V&
ritable alignement ( b d ). Mais dans la ligne tant
pleine que vuide , les mouvements de chaque
troupe font moins dépendants les uns des autres;
fi une troupe ( M ,fig. 374 ) , prend un faux alignement
, celles qui font à fa gauche ne font pas nécef-;
fitées à foire de même;fi la droite ou la gauche
( n ) de cette troupe ( M ) refte en arrière , les
troupes de la gauche marchant indépendamment
les unes des autres , & n’étant pas enchaînées »
pour ainft dire, à leurs flancs , comme elles le fe-
roient dans la ligne pleine, peuvent voir celles de
la droite & s’aligner fur elles. Si cette troupe fort
de la ligne {fig. 375 ) , ou prend tout autre alignement
faux, il eft facile aux troupes de la gauche
de s’en appercevoir.
V I I I .
Il eft donc avantageux de laljfer des intervalles
entre les troupes qui forment une ligne.
Dans la légion, le peu d’étendue du front de
chaque cohorte , & le grand nombre des intervalles
qui féparoient urte cohorte de l’autre, ren-
doient leurs mouvements faciles & prompts dans
toutes fones de terreins.
I X.
Plus les intervalles laijfis entre les flancs des
troupes qui forment une ligne font grands , plus les
flancs de chaque troupe fdht découverts & faibles.
X.
Une ligne ejl doutant moins forte, qu'elle eft plis
mal alignée ; car elle eft moins en ordre {prop. 1 } ,
& plus une troupe ( M , fig. 375 ) , fort de la ligne
& s’éloigne des autres troupes (B , C ) , qui font
à fes côtés, plus les intervalles ( a , c ; augmentent.
{prop. 9 ) , ( il eft évident que a c eft moindre
que c i ) .
X L
Chaque foldat doit aligner fa ligne d épaule, (r
fur~toul fa tête ,fur celles des foldats qui font^ a fa
droite {ou à fa gauche , félon qu'il eft ordonné], fr
la con/erver dans cet alignement, de forte qu'il ne
voie que le foldat qui eft à fa droite {ou à fa gauche ).
Les foldats ne peuvent pas s’aligner par les
pointes des pieds, car ils ont les pieds plus grands
les uns que les autres , & plus ou moins tournes
en dehors ; ils peuvent encore moins s’aligner fur
les talons , puifqu’ils ne les voient pas. Il refte donc
les lignes d’épaule & les têtes : les lignes d épaulé
étaqt confidérées feules, font fautives, parce qu^un
foldat greffier, peu exercé, tel enfin qu’il fout s ar-
tendre à en avoir beaucoup à la guerre, avance
toujours une épaule plus que l’autre; mais s »1
aligne fa tète fur celle du foldat qui eft à fo droite
T A C
f oui fa gauche ) , de forte qu’il ne voie point ta
tète du foldat fuivant, le rang eft auflt bien aligné
qu’il eft néceffaire ; la petite inégalité que peut y
caufer une tête plus ou moins portée en avant (
peut être comptée pour rien dans la pratique ; elle
n’y eft rien en effet pour les foldats accoutumés a
tenir la tête haute. j | %
Je dis qu’en faifant aligner une troupe d apres
ce principe , elle l’eft auffi-bien qu il eft néceffaire;
ceux qui recherchent dans l’alignement une
jufteffe géométrique, & paffent un long temps à
dreffer les rangs comme au cordeau , manquent ,
à cet égard, de tout principe , perdent leur temps
& leur peine, fatiguent, ennuient le foldat , lui
ôtent l’ardeur & la confiance ; ils paroiffent ignorer
ce qui peut & doit fe faire à la guerre ; s’ils le
favent par expérience, on diroit qu’ils l’ont oublié.
Je n’ignore pas qu’il faut occuper le foldat ;
mais on peut l’appliquer à plufieurs objets très
utiles & très négligés ,* tels que la marche étant
chargé, la courie, l’art de nager , l’efcrime, foit
avec l’épée, foit avec le fufil armé de la baïonnette,
( art qui le rendroit audacieux à joindre l’ennemi
) , l’art de tirer à un but, ( celui-ci le rendroit
propre à la guerre de poftes & de montagnes
) , le remuement des terres, la conftruâion
des parapets de terre &de fafeinage, ou de pierres
fièches dans les montagnes ; la manoeuvre eft une
grande partie de l’art de la guerre , mais ce n’eft
pas tout.
X I I.
L’art de marcher en ordre ejl nécejfaire ; ( d é f 2 ,
prop. 1 , 3 6 1 1 ) .
Les troupes qui fauront marcher le plus en ordre
, prendront un ordre de bataille le plus promptement
, le conferveront le plus parfaitement, &
par conséquent feront fupérieurs.
X I I I .
Une troupe marche en ordre , lorfqutlle fait chaque
pas enfemble & de longueur égale.
X I V.
Elle doit favoir marcher en ordre fur toutes fortes
de terreins , fait horifantaux, foit en pente , fait gravier
, fables ou terres labeurées.
X V.
Pour atteindre ces deux objets, il faitt que le foldat
fait maître de fan corps 6» de fan pas.
Dès qu’il peut ne porter à terre que lorfqu’il le
veut le pied qu’il a élevé , il peut ne l’y porter
Îju’au même inftant & à la même diftance que le
oldat qui eft à fa droite (o u à fa gauche ) y porte
le fien ; s’il a fait un pas trop grand ou trop petit,
il peut, en le diminuant ou l ’alongeanr, le re-
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mettre en ligne au pas fuivant ; s'il fa fait trop lentement
ou trop vice, il peut, en l’accélérant ou le
retardant, reprendre l’enfemble au pas fuivant, 8c
cela dans un terrein quelconque, pourvu qu’il
foit poffible à un homme de s’y tenir. Ainft, lorf-
que le foldat eft maître de fon corps & de fon pas ,
il fait marcher.
X V I .
Pour que le foldat foit maître de fon corps b de fort
pas , il faut qu'il porte à chaque pas, tout le corps â
plomb ët en équilibre fur le pied qu'il pofe à terre.
Tout fon corps étant en équilibre fur le pied
pofé à terre, il peut conduire l’autre pied à fa volonté
; il peut le porter en avant, ainfi que fon
corps , avec la vîtefie & l’alongement néceffaire ,
( prop. 15.) , ce qui lui feroit impoffible en partant
de toute autre pofition que de celle de l’équilibre ;
car dès que fon corps eft en mouvement, il n’en
n’eft plus maître; malgré toute volonté contraire de
fa part, il eft entraîné jufqu’au point d’appui vers
lequel il tend. Il faut donc néceffairement enfeir
gner au foldat, i ° . à tenir la tête 6* le haut du corps
à plomb fur les reins , fans contrainte 6» fans gêne ;
toute pofition qu’il ne peut pas garder fans un effort
continuel, eft fauffe & mauvaife, fût-elle pruf-
fienne , & vînt-elle même de Scipion , Cæfar ,
Condé ou Turenne ; 20. à fa tenir en équilibre fur un
feul pied.
X V I I .
Lorfqu'un homme ejl en équilibre fur un feul pied
moins fan corps s'éloigne de la perpendiculaire qu'il
occuperait, fi fes deux talons étoient pofés à terre 6»
joints y moins il emploie de force.
On démontre, en méchanique , qu?un corps
( A B ,fig. 376 ) , ayant fon point d’appui fur une
ligne horifontale ( C D ) , moins il eft éloigné de
la perpendiculaire ( A F ) élevée du point d’appui
fur cette ligne horifontale, moins il faut de force
pour le foutenir.
X V I I I .
Le foldat ejl dans T équilibre le plus fimple & le
moins fatiguant, lorfqu'ayant les reins & tout le
corps parfaitement- perpendiculaires ou d'à plomb fur
le pied pofé à terre , il lève l'autre pied de forte qu'il
y ait entre les talons de Jîx à douqe pouces de diftance
, <§» que le genou fait tendu fans gêne.
Dans cette pofition , l’homme emploie moins de
force que dans toute autre où il feroit en équilibre
fur un pied , car alors fon corps eft auffi peu éloigné
qulil eft poffible de la perpendiculaire qu’il
occuperoit, fi fes deux pieds étoient pofés à terre
& joints , {prop. 17) ; l’expérience, ainfi que la
démonftration , peut convaincre de cette vérité.
Si »lorfqu’on eft en équilibre fur un pied, on apporte
l’autre auprès de celui qui eft à terre, de
forte qu’il n’y touche pas & que le genou foit
tendu, on fent que le corps, s’éloignant de la pet