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damnés fnivant la rigueur des ordonnances , &
que ceux qui les jouent , foient mis en prifon
pour quinze jours.
Comment une loi auffi précife , auffi modérée ,
auffi fage , n’a-r-elle pas eu tout l’effet qu’on devoit
en attendre ? C ’eft uniquement, fans doute , parce
qu’elle n’a point été mile à exécution. J’ofe avancer
que depuis l’inftanr où elle a été promulguée , il ne
s’eft point pailé de lemaine, peut-être même de
jour, où quelques officiers n’ayent joué des jeux
de hafard, & cependant on ne pourroit citer qu’un
nombre infiniment petit de citoyens punis pour
avoir donné à jouera des militaires; on ne pourroit
peut-être pas citer trois punitions exemplaires
infligées à des offici ers joueurs ; on citeroit difficilement
un feul chef de corps puni par les officiers
généraux, pour avoir manqué de vigilance à cet
égard , & certainement aucun officier général à qui
la cour s*en,foit prife , parce que la garnifon qu’il
commande a joué ces mêmes jeux. Je fais bien qu'il
eft extrêmement difficile au commandant d’une
place de faire enlever une troupe de joueurs, & à
la police de convaincre un bourgeois de leur avoir
donné un afyie ; les formalités nombreufes qu’il
faut remplir avant de pénétrer de force dans la
maifon d’un citoyen, formalités précieufes, qui font
le garant de la liberté publique , donnent prefque
toujours l ’éveil aux joueurs , leur fourniffent le
temps de fe difperfer ou celui de faire difparoître
jufqu’aux indices les plus foifcles de la véritable
caufe de leur réunion. D’ailleurs les grandes précautions
que les joueurs &. ceux qui leur prêtent
leurs maifons prennent pour n’ètre point découverts,
ajoutent encore à la difficulté ; ils changent
chaque jour de repaire ; ils répandent une foule
d’efpions, & n’en ont jamais parmi eux ; ils prodiguent
enfin des fournies fi confidérables, qu’ils
parviennent à éviter les yeux de la police, quelquefois
à les fermer, & fouvent à les détourner. Mais
quelles raifons donneront les chefs de corps, eux
qui doivent connoître les inclinations , & même
les goûts de touts les officiers de leurs régiments ,
qui doivent n’ignorer aucune de leurs adions ?
Ah ! s’ils le vouloient bien ,perfonne ne pourroit,
comme eux, oppofer à ce torrent deftruaeur une
digue affurée; mais à peine en nommeroit-ôn trois
dans l’armée qui daignent tourner leurs regards
vers cet objet important ; quand ils font parvenus
à inftruire leurs officiers dans l’an fi facile de faire
exécuter à leurs compagnies le maniement des
armes , ou quelques évolutions prefcrites par l’ordonnance
, ils-croyent avoir tout fait; ils fe glorifient
de leurs travaux , ou exaltent leurs talents,
ou vantent leur mérite. L’art des exercices & des
manoeuvres eft bien quelque chofe, mais il n’eft
qu’une foible partie des devoirs qui font impofés à
un chef de corps.; ( voye^ Me s tr i-de-camp ,
L i e u t e n a n t - C o l o n i l & Ma jo r ) . Non, qu’on
daigne m’en croire , on ne parviendra jamais à ban-
sir les jeux de hafard, ou pour miteux dire, à pré-
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venir leurs funeftes effets , qu’en punhTant avec
une grande rigueur tout chef dont les officiers feront
convaincus de les avoir joués ; c’eft-là le véritable
efprit de l’ordonnance de 1768 ; c’eft celui
du bon fens & de la raifon.
La dernière ordonnance que nous avons tranf-
crite, veut que fi les citoyens qui donnent à jouer
font des gens notables & qualifiés ; les commandants
des places tiennent une conduite différente
de celle qui leur efl: preferite avec le refie des
bourgeois; j’ai médité longtemps fur les caufes de
cette différence, & je n’ai pu la pénétrer. Un notable,
un homme qualifié me paroît plus coupable
& mériter moins degards, quand il donne à jouer
clandefiinement , qu’un malheureux artifan , un
indigent caffetier qui font aifément féduits par l’appât
d’un gain auffi facile que confidérable. Mais’,,
dira-t-on , le rédaéleurde l’ordonnance militaire à
eu en vue les perfonnes qui, recevant chez elles
la bonne compagnie , lui permettent de jouer les
jeux de hafard ; cela ne peut être , répondrai-je ;
les loix du royaume défendent à tout citoyen de
fouffrir qu’on joue chez lui les jeux de hafard; cette
loi efi générale. Il doit régner, ajouterai-je , l’accord
Je plus parfait entre les loix militaires & les
loix civiles ; c’efi dé cet accord que dépend l’harmonie
des états; fi cet accord n’exifie point, il
faut tout faire pour le produire. Perfuadé de cette
néceflité , je vais indiquer encore deux loix relatives
au jeu, qui contiennent des difpofitions différentes.
En vertu d’un édit de Henri III,donné l’an 15 7 7,
d’une déclaration de Louis XIII rendue en 1611 ,
d’une ordonnance de 1629 , & d’un grand nombre
d’arrêts des différents parlements du royaume ,
toutes les promeffes & toutes les obligations pour
le jeu font nulles , foit qu’on ait ou qu’on n’ait pas
diffimulé les caufes, foit qu’elles ayent été faites
par des majeurs ou des mineurs ;& cependant, l’ordonnance
des maréchaux de France du 6 mai 1760 ,
permet aux gentilshommes & aux militaires de fe
pourvoir pardevant eux pour toute foraine perdue
au jeu qui n’excède pas la fomme de 1000 livres.
Quel motif a pu entraîner le tribunal refpe&able
qui a rendu cette Ordonnance ? il n’a pu être féduit
que par l’opinion qui rend facrées les- dettes con-
tradées au jeu. De touts les préjugés , celui-là efl
à mes yeux un des plus funefles ; il autorife, il
fortifie l’amour du jeu. La religion , la morale , la
philofophie font intéreffèes à fa deftrudion, & il eft
de leur gloire de travailler de Concert à fon anéan-
tiffemenr. Ces puiffances réunies ne parviendront
cependant point à le renverfer, tandis que l’honneur
femblera lui fervir d’appui. On peut, je le
fçais bien, avoir perdu au jeu de commerce la
fomme redemandée, mais quel eft le gentilhomme,
quel eft le militaire à. qui fa fortune permet de
perdre cent pifioles dans, un moment ? Et s’en
trouvât-il quelques-uns qui puffent, fans mettre
le défordre dans leur-maifon, liafardérune fomme
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fi confidérable , doit-on , chez un peuple qui fe
hâte d’imiter les riches & les grands, & chez lequel
la conduite des hommes élevés en dignité vi- .
vifie ou détruit les vertus , doit-on , dis-je, leur
permettre de donner un tel exemple ?,
Quand les fouverains font parvenus, par la force
de leurs exemples, & d’une volonté confiante à
faire perdre le goût des jeux de hafard aux hommes
qui les entourent & à ceux qui habitent les grandes
villes, le plus difficile fera donc fait : pour achever
la révolution , ils n’auront .qu’à ordonner au mi-
niftre chargé du département de la guerre, de faire
revivre les jeux d'adreffe & le goût des arts acadé- ,
nuques ; voye£ le paragraphe TlÏI de cet article ;
qu’à lui preferire de ne mettre jamais furie tableau ;
des grâces , un militaire qui aura fubi deux fois la :
punition infligée aux joueurs ; qu’à lui commander ;
de n’y placer qu’après de févères recherches, celui j
qui dans fa jeuneffe aura été foupçonné d’avoir un j
goût fecret pour ce vice ; & qu’à faire punir enfin
les officiers joueurs avec exaditude ; car c’eft la certitude
des peines qui les rend efficaces ; & les punitions
exemplaires font toujours fuivies d’un long
calme. Pour empêcher cette paffion de renaître de
fes cendres, il faudra qu’ils faffent fubir toute la rigueur
des loix à touts ceux de leurs fujets qui don?
lieront à jouer les jeux de hafard. Cette dernière
condition eft effentielle ; car fans maifôn de jeu , il
n’y auroit point, ou du moins il n’y auroit que très
peu de joueurs. J'ai mis ici cette modification ,
parce que j’aivu une fois des officiers à quion avoit
laiffé librement contrader l’habitude des jeux de
hafard dans des maifons protégées , jouer , quand
elles furent détruites, dans le fond d’un fale cul-
de.-fac, à la pâle clarté d’une feule chandelle , &
parce que j’en ai vu dans une autre circonftance,
gagner l’épaiffeur des bois, étendre un manteau fur
le galon, s’accroupir autour de cette table d’un nouveau
genre , & fe livrer là , après avoir placé des
fentinelles fur toutes les avenues , à la paffion dé-
fordonnée qui les ennivroit. Si le gafon verdoyant
Ti’avoit jamais été le îhéatre de plaifirs plus doux ,
plus naturels , & fi l’ombre paifible des bois' n’avoit
jamais fervi de retraite qu’à des joueurs forcenés ,
les poètes n’aureient point peuplé les forêts des
êtres charmants dont leur imagination les a décorées
; ils en auroient fait la demeure des pallions les
plus hideufes & des pâles & fanglantes euménides.
Les princes , les chefs de l’état militaire , les ma-
giftrats de cours fouyeraines& ceux qui font chargés
de maintenirJa police dans les camps & dans lés
villes , feront cependant de vains efforts , s’ils ne
font feconclés par l’autorité paternelle. Avec de
l ’art & des foins , un joueur peut échapper à la vigilance
des magiflrats & de fes chefs ; mais tôt ou
tard , il efi obligé de fe jetter aux pieds de fon père,
d’y confeffer Ces fautes , & d’en demander pardon.
Si le père, entraîné par le préjugé , croit devoir
faire . honneur aux engagements de fes enfants ,
qu’il fe garde d’avoir la foibleffe de ne point les
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punir avec rigueur : c’efi de cette rigueur que dépend
leur amandement, leur félicité , leur honneur
même. Plus févère , plus inexorable que la lo i , il
doit, fermant fon coeur à la pitié, aux follicita-
tations & aux larmes de la mère des coupables,
n’écouter que la voix d’un fentiment févère , dur
même , fi ceux d’un père peuvent prendre ce caractère.
J’ai bien eu de la peine à tracer ces derniers
mots ; plufieurs fois je les ai effacés je les
laiffe néanmoins fubfifter :des expériences fouvent
répétées , & l’efpoir d’être utile, m’en font également
la loi. Quoi l dès la première faute, s’écriera
un père facile , je dois être plus févère que la loi 1
Avez-vous oublié que la première faute n’eft jamais
qu’une erreur ; qu’on doit pardonner la fécondé,
& ne punir que la troifième ? Il y a longtemps qye
je connois ce vieil adage ; mais je fçais auffi depuis
longtemps, qu’il efi: la caufe de maux fans nombre :
je fçais qu’au jeu , plus que par-tour ailleurs , une
chûte entraîne toujours une chûte nouvelle ; qu’on
ne peut prévenir la fécondé , qu’en s’armant de la
févériré la plus extrême contre.fa première ; & que
les pères préviendroient même ce lle -c i , s’ils
a voient réuffi à convaincre leurs enfants qu’elle
fera punie avec rigueur. Comme ils leur ont ap-
pris , au contraire , qu’un fupplice léger fuflït à
leur colère , même lorsqu'elle efl la plus vive & la
plus jufte , il n’eft point étonnant qu’ils abufent de
cette connoiffance. Si vous aviez le bonheur d’être
appellé du tendre nom de père, répliquera-t-on
peut-être, vos principes feroient moins auftères, ou
au moins , votre conduite les démentiroit. Non ;
jamais: je détournerois la tête, je verferois des
larmes ; mais je frapperois avec afi'urance. Ne nous
faifons point illufion : un père qui pardonne ce
qu’il devroit punir , penfe bien plus à lui-même
qu'à fes enfants : ce n’eft: point fa teudreffe qui le
rend foible , c’ efi fon égoïfme ; & voilà la véritable
caufe des vices dont la génération future fera entachée,
& dont celle qui vit aujourd’hui, porte déjà
de profondes empreintes. Irai-je, dira enfin un père
éclairé , en m’armant d’une févérité trop grande ^
faire perdre à mon fils, par une longue prifon ,
Feftime des chefs de fon corps , & celle de fes camarades
? Crainte vaine & pufillanime. L’intérêt des
chefs & des çamarades de votre fils , efi qu’il foie
plein d’honneur & de vertus ; & qui peut leur pré-
fager plus fûrement qu’ils trouveront en lui ces
qualités heureufes , que votre haine pour le jeu Sc
pour touts les défordres qu’il enfante? Non, ne
redoutez rien de votre févérité ; elle tournera au
profit de votre fils, par les réflexions- qu’elle lui
infpirera & à votre honneur même, par l’opinion
. avantageufe qu’elle donnera de votre amour pouf
la vertu , & de la folidité de votre jugement. S’il
vous faut des autorités pour vous déterminer , je
vais vous en offrir. J’ai connu un militaire que fes
qualités fociales , fon efprit agréable & fes talents
1 avoient rendu cher & précieux même à fes carra-
; rades ; & b i e n j e l’ai vu , au bout de quelques a%