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tournés, qui me conduifoient à cette porte de
Lentz. > ; • .
Il tomboit une quantité prodigieufe de neige ;
cependant ma marche fut fi fecrette"& fi diligente ,
que j’arrivai à minuit auprès de ce-pont, couvert
rnr la fentinelle qui étoit au-deffus de la porte j
. je lui répondis en allemand, me difant un parti
d ’ u n r-égiment que je favois être en quartier dans
le Wirtemberg, & revenir de la guerre du côté
du fort Louis, & je demandai à entrer, n’en pouvant
plus de froid.
L’officier de garde averti par la fentinelle ,
monta en haut auprès d’elle , & vint me parler ,
en attendant qu’il eût envoyé avertir le commandant
qui logeoit dans le château , affez loin de
cette porte ; pendant cette converfation, on atta-
choit paifiblement le pétard, dont l’officier de la
garde ne s’apperçut que lorfqu’il fut prêt à jouer ;
il fit tirer fa fentinelle & fit battre l’alarme par fon
tambour, mais trop tard ; car la porte fut forcée
dans le moment, & je me trouvai en bataille avec
tout mon détachement fur la place , avant que
perfonne de la garnifon fût en état de défenfe. Elle
fut entièrement paffée au fil de l’épée » en repréfailles
de ce que les Impériaux avoient maffacré
un lieutenant & trente maîtres du régiment de
V ille roi, & plufieurs heures après les avoir pris &
leur avoir donné quartier.
On trouva dans cette ville environ trois cents
chevaux , qui furent diftribués aux cavaliers &
dragons de la Phortzheim ; après quoi je fis brûler
la ville en me retirant, afin que les ennemis
]ôe s’y puffent rétablir.
L’exemple de l’enlèvement & de la deftruéfion
de c e pofte eft rapporté ici avec les circonftances
dont je viens de parler , pour, faire voir qu’il ne
fuffit pas à un officier qui commande dans un
pofte de cette nature, de s’y croire en fureté , en
prenant toutes les précautions raifonnables pour
fe garantir de furprife par la tête de fon pofte du
côté de fes ennemis ; mais qu’il faut qu’il ait les
mêmes attentions pour le côté qui lui paroît le
moins expofé, & fur-tout qu’il ne fe laifle jamais
approcher la nuit d’affez près , pour qu’en puiffe
attacher'un pétard à une porte qui eft découverte ,
& qui n’a intérieurement ni herfe ni proteélion.
■ Car fi l’officier de garde trop confiant n’étoit pas
entré en converfation avec moi, & s’il n’avoit.pas
fouffert que fous prétexte de me garantir de la
neige, je me fuffe mis tout contre la porte avec
mes pérardiers , je n’àurois pu faire attacher le pétard
, & enlever tout ce pofte fans être découvert
& fans perdre confidérablement d’hommes , au
lieu qu’il n’y en eut que deux de tués.
Surprife d'Ent^wahingen dans la même armée.
Quant au pofte d’Entzwahingen fur Lentz au-
deftiis de Phortzheim, petite ville fituée dans un
pays ouvert, fa garnifon étoit do cinq cents che-
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vaux & de cent cinquante hommes de pied ; &
cette garnifon avoit, comme celle de Neubourg,
pendant le jour un parti fur une hauteur proche
de Phortzheim , pour obferver tout ce qui auroit
pu eh fortir..
Après avoir remonté avec les chevaux pris dans
Neubourg,.tout ce que j’avois de cavaliers & de
.dragons à pied , je marchai à Entwahingen des la
nuit fuivante. J’envoyai ma cavalerie par 1 autre
côté de Lentz, pour empêcher que celle des ennemis
ne put fe fauver en paffant la rivière , pendant
que j’attaquerois les doux portes avec mon
infanterie, dont l’une étoit du côté cle Phortzheim,
& l’autre du côté de Heilbron , & je marchai à
mes deux attaques avec fix cents hommes de pied
partagés en deux corps.
Ces deux portes étoient fans, pont-levis, & moins
bonnes par leur conftruâion que celle de Neubourg;
elles étoient pourtant couvertes d un redan
paüfiadé , capable de contenir environ quinze
hommes , q u i, la nuit, fe retiroient dans la ville ;
& ce redan faifoit feulement, pendant le jour, la
proteéiion delà garde de la porte.
- N’y ay ant, comme je l’ai dit , que cent cinquante
hommes de pied, je jugeai bien que les
gardes des portes feroient foibles , & qu il falloit
aborder Ces deux portes avec vivacité. Je fis donner
des haches aux gens détachés , qui, protégés
du feu de l’infanterie , eurent bientôt rompu les
barrières & les portes ; de manière que les troupes
entrées en bon ordre malgré .la nuit, toute la garnifon
fut encore paffée au fil de l’épée pour la
même repréfaille ; plus de fix cents chevaux fn-
rent pris & amenés dans Phortzheim, & la vide
pillée & brûlée. '
La raifon qui m’engage à un detail aufti exact,
eft pour faire connoître que comme il eft prefque
impoffible que deux poftes occupés par un ennemi
fe reffemblent parfaitement dans leur fituation ,
dans la nature & la force de leur garnifon , & dans
fes attentions pour fa fureté ; il eft de la prudence
de fe conduire différemment dans leur attaque ou
leur enlèvement , comme les exemples que je
rapporte fur la matière de cet article le prouveront
avec évidence , puifqu’il fe trouve une conduite
toute différente dans l’exécution de ces deux
entreprifes.
Surprife du château eTOrbaffan en 1690.
A la fin de l’année 1600, M. de Savoye ayant
mis dans le château d’Orbaffan, à une lieue de
Turin , une compagnie de fon régiment des gardes
pour couvrir fa promenade du cours de cette ville,
& celle de fa maifon du Valentin , cette compagnie,
quoiqu’à la vue de T urin, & foutenue de 11a'cavalerie qui étok en garnifon dans cette ville
& dans Montcallier , fut fw p n fe & enlevée la nmt
par moi. J’en pétardai la porte , quoique j eut s
été découvert, & malgré le feu des ennemis «
SUR
les fignaux qu’ils faifoient .pour avenir qu’ils étoient
attaqués.
Voici quelle'fut la difppfition que je fis pour
enlever ce pofte avec fureté dans le retour & pendant
cette expédition : je partis de Pignerol à l’entrée
de la nuit avec huit cents chevaux & cinq
cents hommes de pied ; de cette cavalerie j’en détachai
cinquante maîtres, pour aller jufques fur le
bord du Pô vis-à-vis de Montcallier , afin d’être
averti en cas que la cavalerie de ce quartier montât
à cheval pour venir me combattre dans ma retraite
; & quand je fus auprès d’Orbaffan, j’envoyai
le refte de ma cavalerie fe mettre en bataille le
plus près de Turin qtul lui feroit poffible, afin de
s’oppoferà cè qu>i fortiroit la nuit de cette place
pour venir au fecours de ce pofte. Pour moi je ref-
tai avec mon infanterie, que je plaçai avec un
grand filence auprès du château , pour foutenir le
pétardier & entrer de force dans le château après
l’effet du pétard.
Le pétardier ayant été tué par la fentinelle qui
étoit à une fenêtre auprès de la porte , & la garnifon
éveillée , elle fit un grand feu & des fignaux ;
ainfi il n’y avoit plus de temps à perdre pour exécuter
cette entreprife avec fureté pour le retour.
Je fus donc moi même obligé d’attacher le pétard ,
n’ayant trouvé perfenne qui le fût faire.
La compagnie entière forcée dans la première
cour., fie voulut point s’expofer à l’être dans le
principal corps de logis , & fe rendit prifônnière
de guerre.
On voit , par le récit de l’enlèvement de ce
pofte,.une difpofidon toute différente de celles
dont j’ai parlé ei-deffus , puifque les mefures prifes
pour la fureté de l’exécution de cette furprife du
château d’Orbaffan , n’ont été que contre ce. qui.
pouvoit venir à fon fecours , & non pour s’affurer
contre la garnifon qui étoit enfermée.
Ce qui confirme ma maxime de fe conduire ,
dans cette efpèce d’entreprife, fuivant ce qu’elle
eft en elle-même & fuivant ce que l’on an craindre
du dehors ; car il eft certain que fi j’avois été battu
dans ma te traite après avoir exécuté "mon entreprife
heureufement, j’aurois , avec raifon , été
accufé d’imprudence de l’avoir formée fans avoir
pris les mefures néceffaires pour affurer ma retraite
contre des corps de cavalerie fupérieurs au
mien, qui pouvoient venir de Turin & de Montcallier.
Surprife de Luzerne dans 'la même année.
Ce même hiver j’enlevai dans Luzerne un bataillon
du régiment de Loches , réfugiés françois
que M. de Savoye y avoit envoyés pour couvrir
les Vaudois, qui vôuloient fe maintenir dans le
fond de la. vallée de Luzerne ; l’enlèvement de ce
pofte s’exécuta d’une manière différente des autres
dont j’ai parlé, parce que là fituation en étoit differente.
S U R . * 603
La ville de Luzerne avoit été brûlée au commencement
de la campagne précédente, & fes murailles
rafées ; les décombres formoient donc une
efpèce de retranchement autour de cette habitation
détruite. Ce bataiMon crut que dans une fai-
fon auffi rigoureufe dans les Alpes qu’elle l’eft ail
mois de janvier , il pourroit fe maintenir dans ces
débris , pourvu qu’il y fût fort vigilant pour fe garder
, & que malgré le grand froid il paffât toutes
les nuits fous les armes, avec des rondes conti-"
nuelles qui écoutoient s’ils entendroient quelques
bruits de troupes au dehors du côté de Pignerol.
Mais inftruit de toutes les attentions de ce bataillon
, je pris un grand détour pour l’enlever.
Je me trouvai entre le pied de la montagne &
Luzerne à une heure après minuit ; j’attendis dans
un grand filence que la vigilance des rondes fe
ralentit un peu ; ce qui m’ayant paru fur les deux
heures,-je marchai par fix endroits à ce mauvais
retranchement qui fut forcé, & tout ce bataillon
paffé au fil de l’épée.
Luzerne étoit prefque inabordable de trois côtés,
au moins on n’y arrivoit que par des fentiers à
marcher feulement deux de front, & fur ces fentiers
il y avoit des retranchements gardés. Il falloit
donc, pour faire cet enlèvement avec fuccès
& détruire ce bataillon, qu’il n’eût pas le temps
de fe retirer à la montagne, dont le pied n’étoit
pas à plus de cent pas de la ville ; ce qui feroit
arrivé , fi on l’eût attaqué du côté de ces fentiers.
Ainfi ce fut fur la connoiffance de la fituation de
ce pofte & de la manière dont il étoit gardé , que
je fis la difpofition de ma marche & de mon attaque
, qui fe fit entre la montagne & la ville par où
l’ennemi n’avoit pu croire qu’il pût être attaqué.
Cette furprife fut donc comme un affaut général
donné fans que l ’ennemi pût être préparé à le recevoir
, & dont la nuit favorifoit l’approche des
troupes & l’exécution.
Jufqu’à préfent je n’ai rapporté que des exemples
de fu r p r i f e s de poftes qui ont eu un fuccès
heureux. Dans le récit que je vais faire, on en
verra un qui n’a point réuffi , & dont je dirai les
raifons.
Entreprife fur Veïllane en 1691.
Au mois de janvier 16 91, M. de Catinat qui ;
dans ce temps-là étoit à Suze , voulut furprendre
& enlever le pofte de Veillane, où M. de Savoye
ten'ôit uife garnifon d’infanterie dans le château ,
qui étoit allez bon pour fa fituation , & un régiment
de dragons dans la ville, qui n’éroit pas hors
d’infulte.
Ce pofte eft dans la vallée de Suze , & pouvoit
être attaqué en même temps par le côté de Suze
& par celui de Rivoli. M. de Catinat fe chargea d’y
marcher par le côté de Suze avec un nombre de
troupes & deux pièces de canon de campagne ; &
m’ordonna d’y marcher par le côté de Rivoli avec,
un nombre de troupes & deux pièces de canon.
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