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parce qu’il favoît que fa perfonne étoit fufpe&e à
Rome.
Quelques-uns tâchent de faire de leur caufe
propre la caufe commune ; c’eft encore ce que Sa-
lufte rapporte de Catilina & de ceux de fon parti ;
par-là leur défenfe devient généraLe & leur crime
moins connu.
Quelques autres ont pouffé plus loin leur artifi-
cieufe malice : non contents de feindre d’avoir recours
aux armes pour fauver leur vie & pour con-
ferver les privilèges du pays , ils ont tâché de
perfuader qu'ils prenoient les armes pour le fer-
vice du prince, & que ce q u i, à l’extérieur , pa-
roiffoit une défobéiffance , étoit, dans le fond ,
un véritable zèle. Par cette voie, iis groffiffoient
leur parti d’ignorants & de méchants lujets. Ces
derniers connoiffoient toute l’énormité du crime ;
mais portés à la révolte , ils affeéloient de fuivre
feulement la beauté du prétexte ; & les premiers ,
aveuglés par le motif qui .leur paroiffoit jufte, ne
regardoient pas par quel chemin périlleux leur
chef les conduifoit, jufqu’à ce que s‘y étant engagés
bien avant, ils venoient à regarder touts les
pas dangereux qu’ils avoient faits , & trouvoient
alors moins de péril à continuer qu'à fe retirer.
Charles, duc de Sudermanie, qui, en l’abfence
du roi Sigifmond , fon couftn , alloit avec les gens
de fon parti s’emparer des meilleures places de la
Suède , n’oublioit rien pour autoriferfa conduite,
proteftant n’avoir é ’antre vue que le fervice de
Sigifmond & le bien du royaume ; & pour y faire
ajouter plus de foi , il défendit au miniftre Eric
de mal parler de Sigifmond dans fes fermons. Le
duc , par de femblabies artifices y fe fit un gros
parti de Suédois , qui ne connurent la révolte qu’ils
favorifoient, que lorfqu’ils s’y trouvèrent fi engagés
, qu’il n’étoit plus poffible de reculer ; alors
même il continua de difîimuler, faifant femblant
de ne pas vouloir la couronne qu’on lui offroit ,
afin qu’en l’acceptant dans la fuite, il pût faire
croire qu’il cédoit par complaifance aux infiances
des Suédois, pour donner à la tyrannie une fauffe
apparence de juftiçe.
Quand même les féditieux n’auroient d’autre
mauvaife intention que celle qu’ils font paroître
contre le commandant, leur crime , qui approche
de celui de lèze-majefté , eft digne d’un rigoureux
châtiment, parce que, félon la remarque d’Ame-
lo t , ils perdent le refpeâ au prince dans la per-
fonne du commandant. -
«Celui qui vous écoute m’écoute, difoit Jéfus-
Chrift à fes foixante-douze difciples , & celui qui
vous méprife me méprife, & celui qui me méprife
méprife celui qui m’a envoyé ».
Sous Tibère, quelques Romains de l’armée qui
étoit en Frife, allèrent pour tuer Mennius leur
officier; celui-ci les voyant approcher, s’écria: ce
n’eft pas à moi que vous venez faire violence y
mais à Germanicus , votre général y & à Tibère,
votre prince légitime.
Les féditieux qui veulent fe faire rendre jiiftice
par la force , q u i, les armes à la main , demandent
la confervation de leurs privilèges , ou qui, par
quelque autre voie violente , veulent obtenir ce
qui paroît même raifonnable » doivent auffi être
punis ; c’eft ce que je prouverai dans la fuite en
parlant des foulèvements des troupes.
Des troupes levées Avant la révolte dans une province
qui Je Joulève,
Les troupes levées dans un pays qui s’eft fou-
levé doivent être un peu fitfpeéles , parce que
leur propre intérêt, le defir de rendre quelque (er-
vice à leur patriè , l’amour & les perfuafions de
leurs parents & de leurs amis, peuvent beaucoup
pour faire changer de fentiment & de parti à ces
particuliers , q u i, dans une autre province, vous
feront des gages de la fidélité de leurs concitoyens
, comme je l’ai déjà prouvée II eft donc à
propos, fans néanmoins faire paroître la moindre
défiance , d’envoyer ces troupes dans une armée
ou dans les places les plus éloignées de leur province
, d’où il ne leur foit pas facile de déferter
pour fe rendre en leurs maifons , & d’avoir des intelligences
avec les révoltés de leur pays.
Les Portugais qui fervoient en Eipagne, & qui
étoient en Catalogne fous les ordres du marquis
de Los-Velez, déferlèrent & paffèrent prefque
touts aux ennemis, dès qu'ils apprirent que le
Portugal s’étoit foulevé , & que le duc de Bragance
avoit été mis fur le trône.
Dans la guerre de Catalogne, une cohorte de
Tortofe fervoit fidellement Pompée ; mais à peine
eut-elle fu que leur ville avoit abandonné le parti
de Pompée , que toute la cohorte qui étoit de
garde au camp d’Afranius , paffa à celui de Cæfar.
Quand on eft affuré que ces régiments nationaux
fodt d’une fidélité à toute épreuve , il eft à
propos de les laiffer pour faire la guerre contre
les concitoyens , parce qu’ils connorffent particulièrement
le génie de chaque habitant, & on peut,
par leur moyen, avoir des intelligences. & des
avis ; comme ils favent touts les chemins & touts
les fentiers, ils font plus propres pour les courfes ;
par leurs continuelles perfuafions, ils retiennent
dans leur devoir leurs parens & leurs amis, &
recrutent des hommes de la province , qui pren-
droient peut-être parti parmi les ennemis r s ils
n’avoient pas ces régiments nationaux dans leur
voifinage.
Le roi d’Efpagne , mon maître, a éprouvé touts
ces avantages dans les régiments de dragons Catalans
de dom Michel Pons , ( aujourd'hui de dam
Bernardin Marimon ) , & de dom Jofeph Gnman ,
qui fervirent avec beaucoup de diftinâion dans la
grande guerre de la Catalogne, loulevée contre fa
majefté catholique.
Si touts les principaux feigneurs d’un pays qui
fe révolu l’abandonnent peur fe retirer à la cour
3u prince, letrêfor royal eft chargé des penfions
qu’il eft néceffaire de leur faire, & les ennemis
s’enrichiffent de leurs biens , qu’ils confifquent*
C ’eft pour cette raifon que le roi mon maître,
avant l’évacuation de l’Italie , donna une déclaration,
par laquelle ceux qui voudroient demeurer
dans leurs familles , ne laifferoient pas pour cela
d’être regardés comme bons fujets. « Si vous venez
avec moi vous me ferez à charge, difoit David
à Chufaï , lorsqu’au lieu d’accepter les fervices
qu’il lui offroit contre Abfalon & Architophel, il
lui ordonna de demeurer parmi les rebelles ».
Ce faint roi nous apprend qu’il y a encore deux
avantages à laiffer les principaux & les plus fidelles
fujets parmi les rebelles , parce qu’en fe conciliant
l'amitié des révoltés , ils peuvent détourner un
mauvais deffein contre vous , & vous donner à
propos des avis dont vous pourrez tirer de grandes
utilités. David éprouva ces deux avantages par le
moyen de Chufaï, qui diffuada Abfalon de fuivre
un confeil d’Architophel, qui tendoit à la perte
de David , & qui, d’un autre côté, l’avertit de
paffer au plutôt le Jourdain , avant que les troupes
d’Abfalon , beaucoup fupérieures aux fiennes „ fe
miffent en marche pour le pourfuivre ; l’écriture
fainte nous apprend que David avoit prévu qu’il
tireroit ces deux avantages de Chufaï , par le
difeours qu’il lui tint & que le texte rapporte.
Les grands de Suède, quoique ennemis de la
reine Marguerite , ne purent faire aucun progrès
confidérable contre cette princeffe , parce qu’elle
avoit au milieu des mécontents, des perfonnes affidées
qui lui donnoient à propos les avis nécef-
faires pour renverfer touts les deffeins de fes ennemis.
Des fervices qiCun prince peut tirer des fujets attachés
à fon parti, qui demeurent parmi les rebelles.
Le prince dont vos fujets rebelles ont réclamé
la proteâion , ne manquera pas, tôt ou tard , de
s’aflùrer des places, par des citadelles ou par de
fortes garnifons qu’il y mettra. Il ne tardera pas
non plus longtemps à tromper une partie des efpé-
rances que les révoltés ont conçues des paroles ,
ou du moins des démonftrations de ceux qui ont
ménagé les intelligences , q u i, pour l’ordinaire ,
ont le défaut de promettre beaucoup plus que le
prince ne peut tenir, parce qu’ils ne vifent qu’à
réuffir dans la négociation pour en avoir la ré-
compenfe, & fe repofent enfuite fur le prince
pour tout ce qui peut arriver. On croit aifément
ce que l’on fouhaite ; ainfi les habitants prennent
pour argent comptant toute forte de petites offres ;
mais quand la chaleur du fang vient à fe réfroidir,
& qu’ils viennent à comparer la grandeur du
crime avec la petiteffe de la promeffe, ils con-
noiflent qu’ils ont été trompés, & commencent à
sen repentir. C ’eft alors que ces perfonnes qui
vous font attachées & qui font parmi eu x , peuvent
vous rendre le fervice confidérable de leur faire
obferver avec adreffe, que leur nouveau maître a
de la défiance, qu’il les furcharge & les opprime,
& qu’il les trompe, en ne leur tenant pas fes promettes.
Faites en forte que ces perfonnes qui vous font
affidées, & qui paffent pour être des plus attachées
au parti des féditieux, vous propofent en
leurs noms, fous de fpécieux prétextes, quelque
chofe que vous fouhairez , & que vous n’obtiendriez
peut-être pas, fi vous n’étiez le premier à
en parler ; car outre que le peuple eft groffier &
défiant, il regarderoit comme fufped tout ce qui
lui feroit propofé de la part de fon ennemi.
Le cardinal Trivulce, vice-roi de Sicile , mit
en ufage cette politique , lorfque par des fujets de
confiance qui faifoient femblant d’être amis du
peuple de Palerme, & qui alléguoient des raifons
apparentes pour le bien de la v ille , il fit en forte
qu’en 1676 on lui demanda de remettre les gabelles
fur l’ancien état que l ’année précédente les
révoltés de ce même peuple avoient fait ôter.
Homère fuppofe qu’Agamemnon , général des
Grecs qui attaquoient T ro y e , les voyant dégoûtés
de l’entreprife & réfolus de l’abandonner, à caufe
de la longueur d’un fiège de neuf ans, fit courir
le* bruit qu’il alloit fe retirer ; mais il fit agir fe-
crètement Uliffe & Neftor, pour perfuader à ces
mêmes Grecs qu’il falloit continuer le fiège, eu
leur repréfentant quelle honte ce feroit pour e«x
de le lever. Paj cette voie , Agamemnon fe vit
fupplié d’accorder ce qu’il fouhaitoit ardemment t
& ce qu’il n-auroit pas ofé propofer.
Ces perfonnes affidées peuvent auffi , fous pré-;
texte d’éviter que vos partis n’infultent le pays
foulevé , confeiller aux rebelles de ne pas en tirer
les troupes qu’ils ont levées , ou celles qu’fis ont
reçues de quelque autre prince ; ce qui fervira certainement
à infpirer aux habitants de la haine
contre ces troupes ; car quelque bien difeiplinées
qu’elles foient, on ne pourra jamais empêcher
l’embarras des logements , le dégât du bois & des
fourrages , & quelques autres défordres qui feront
encore plus fenûbles aux habitants qui n’ont
pas éprouvé les fuites d’une guerre. Ces défordres
feront plus confidérables , fi ces troupes des rebelles
font de nouvelles troupes , parce qu’elles
s'imaginent que c’eft fe donner un véritable air de
foldat que de voler , d’être fans honte & fans retenue
, & d’être cruel. Je le prouverai ailleurs par
les exemples des empereurs Honorius, Cæfar &
Théodofe.
Quelqu’un de ces hommes qui vous font affectionnés,
en affeélant d’avoir des fujets de mécontentement
contre vous, & en fe conciliant l’amitié
des rebelles par des dons & despréfents, doit fe
faire choifir pour leur chef, afin de les engager en-
fuite dans quelque mauvais pas, d’où ils ne puiffent
pas fortir fans fe rendre ; pour donner plus de
croyance à ces prétendus piécontentements, il