
Détails concernant Us marches des guides.
Don Sancho de Londogno remarque fort à propos
qu’il y a peu de fondement à faire fur les infirmions
que les payfans, qui n’ont pas fetvi de
guides, donnent fur la qualité des chemins ; parce
que leur ignorance & leur rufticité ne leur permettent
pas la connoiffance des ponts , des bois ,
<les marais, & dés autres endroits ou l’on peut paf-
fer , & ceux qui font impraticables.
Il eft important que les guidés foiérit courageux
& prudents ; qu’ils ne foient pas trop intérefles ni
ivrognes. Il eft aifê de favoir quelles preuves ils
ont donné dé leur courage & de leur prudence ; fi
vous les choififfez dans ces profeffions dont je
viens de parler, alors iis auront déjà l ’avantage
d ’être accoutumés au péril, à la fatigue, à la rufe
& au maniement des armes.
Dans le choix des guides, il importe encore de
prendre des perfonnes qui ayent donné des preuves
évidentes de leur fidélité , ou qui foient d’une famille
& d’un pays où chacun eft attaché à votre
iouverain. A mefure que vous entrez fur les terres
ennemies que vos anciens guides ne connoiffent
pas, recrutez-en quelques nouveaux dé ces mêmes
endroits, & ufez de la précaution de choifir ceux
que , par des crimes énormes qu’ils ont commis ,
vous aurez lieu de croire irréconciliables avec leur
fouverain; ou prenez des hommes qui ayent du
bien à perdre dans le pays dont vous vous êtes
déjà rendu maître, ou qui ayent des enfants , des
femmes 8c autres proches parents qu’il faut envoyer :
en lieu de fureté , où ils feront entretenus 8c bien 1
gardés, afin qu’ils fervent d’otages, 8c répondent
de la fidélité de leurs pères , de leurs maris ou de
leurs frères.
Choififfez les officiers delà compagnie des guides
parmi vos meilleurs partifans de cavalerie, quand
il faudra même les avancer & leur faire quelque
autre avantage. Un ingénieur qui aura vifité tout
le pays 8c qui en aura dreffé la carte géographique ,
pourra aufli fervir utilement de capitaine des
guides.
Il eft à propos de connaître le génie de chaque
guide fur le rapport que les officiers qui les con-
duifent ou que ceux de la même compagnie vous
en feront ; parce que fi les guides pèchent du côté
de la timidité , & que la marche foit vers les ennemis
, on peut la fuppofer un peu plus aifée qu’ils
ne la repréfentent ; ou fi ces guides font avides des
occafions 8c du butin qu’ils efpèrent d’y faire ,
l'oyez perfuadé que ces chemins que vous ne con-
noiffez pas, & qu’ils vous propofentpour une expédition
, ne font pas tout-à-fait auffi bons 8c auffi
courts qu’ils le difent.
J’ai entendu dire à M. Sambians » général des
galères de Malthe , que lorfqu’il s’agiffoit de fortir
de ce port, on étoit perfuadé que le temps étoit un
peu meilleur que ne le difoient les pilotes, qui
avoient leurs maifons & leurs familles dans Malthe *
mais quand les galères avoient chargé du bled ou
quelque autre chofe dans les ports de Sicile , 8c
qu’on les confultoit fur le départ , les officiers
ne doutoienr pas que le temps ne fût un peu moins
bon que les pilotes ne l’affuroient, parce qu’ ils
fùppofoient en eux un emprefîement de retourner
à Malthe , tant pour y voir leurs familles , que
pour y trafiquer les différentes marchandifes qu’ils
avoient achetées en Sicile. Jufqu’à ce que lés pilotes
, les commîtes 8c les matelots euffent employé
leur argent, ils difoient toujours que le
temps étoit contraire.
La pratique la meilleure & la plus commune eft
qu’il y ait toujours dans la garde du général, un ou
deux guides avec leurs chevaux équipés -, pour guider
les détachements que les occurrences obligent
d’envoyer fubitement..
S’il eft de quelque conféquence pour vous d’être
inftruit des plus petites particularités par rapport à
un chemin, examinez différents guides pour voir
s’ils font d’accord fur les informations qu’ils vous
donnent ; car s’ils ne font pas conformes, c’eft une
preuve que quelqu’un d’eux ne dit pas vrai ,■ &
vous pourriez être trompé en vous fiant aux uns ou
aux autres. Dans cette diverfité de rapports, je
crois qu’il eft néceffaire que vous vous informiez
des autres guides, particulièrement de ceux q u i,
ayant pratiqué ce chemin , doivent Vraifemblable-
tnent le mieux connoître.
Ayant pris l’avis des guides, fi vous devez bientôt
mettre à exécution l’expédition que vous médirez,
vous retiendrez ces guides dans votre maifon ou
dans quelque autre endroit, à vue d?un officier en
qui vous avez de la confiance , qui ne leur permettra
de parler à qui que ce foit ; car les guides font
pour l’ordinaire des hommes de baffe extraélion ,
qui, s’étant montrés fidèles hier, peuvent aujourd’hui
fe laiffer fuborner . & devenir infidèles ea
communiquant vos projets aux efpions que les ennemis
ont dans votre armée , 8c ces efpions ne
tarderoient pas d’en donner avis au général ennemi.
Vous pouvez auffi en même temps interroger
vos guides fur différents chemins , afin qu’une
demande fi générale ne puiffe pas faire comprendre
fi précifément quel eft votre deflein.
A cette première raifon , qui fait voir qu’il ne
faut pas trop vous fier aux guides, ajoutez que la
crainte peut leur faire prendre la fuite , lorfque les
ennemis chargent fur la marche la troupe où ils font.
D ’ailleurs , fi vous les biffez en liberté-, ils ne font
tout le jour que fe promener de l’avant-garde à
l’arrière garde , & dans une occurrence inopinée,
il peut être de conféquence qu’un guide fe fût tenta
à fon pofte ; ainfi il' eft bon de configner chaque
guide à un officier & à deux foldats qui ayent Tellement
attention qu’il ne s’écai te pas de la troupe
jii’on lui a affignée.
Afdrubal, faute d’avoir pris cette précaution ;
i t tfmitya pas le gué de la rivière de Métahfe , &
fon armée fui battue par le conful Claude Néron.
En 1541 , les Allemands fe mirent en marche
pour aller furprendre Rude , ayant compté fur l’intelligence
qu’ils avoient avec Bornemife.qui, en
effet, leur ouvrit une porte ; mais peu après , Bor-
nemife effrayé s’alla cacher pour éviter le ejanger ;
de forte que les Allemands né fâchant plus dans
robfciirité dé la nuit comment s’y prendre pour
pourfuîvre leur deffein ou pour fe retirer » manquèrent
non-feulement la furprife , mais ils furent
encore fort maltraités dans leur retraite.
L’officier qui eft chargé du guide ne le biffera
ni boire avec excès ,.ni dormir » fur-tout lor.fqu on
rencontre deux chemins ; car fi le guide dort, fon
-cheval peut prendre celui qu’il ne faut pas , la
troupe fuivroit le même , croyant que c’eft le
meilleur. . , r , ,t .. 7 ■ ,
Par l’exemple de ce qui arriva lorfqu oli compta
de furprendre Tortofe , vous verrez que dans toute
expédition importante, vous devez mener plus d un
guide , parce qu’il peut être tué par les premières
décharges. Vous trouverez encore cet autre avantage
en ne vous fiant pas a un fèul guide, que, fi
fon infidélité le porte à vous conduire par quelque
mauvais chemin ou par des débours qui retardent
votre marche , les autres guides ne manqueront pas
de vous avertir qu’il ne faut pas prendre cette,
route , & vous éviterez par-là d’être trompé.
Un jour auparavant que votre armee fe mette en
marche , détachez des efpions & des partis qui vous
donnent des nouvelles fures du pofte que 1 armee
.ennemie occupe , & qui fe tiennent a portée d ob-
ferver fes mouvements pour vqus en donner avis;
car autrement, fi les ennemis venoient a faire .une
marche fecrette , vous vous trouveriez expofé à un
danger confidérable ; puifqu’en fe mettant en em-
bufeade fur votre marche, vous leur prefenteriez le
flanc dans le temps que vous croiriez les avoir en
front ; ainfi que je l’ai prouvé en parlant des fur-
prifes & des embufeades.
Choififfez pour ces partis les foldats qui con-
noiffent mieux le pays, afin que » de quelque pofte
que leurs officiers les détachent** ils fâchent le chemin
que vous rencontrerez ; il faut auffi quils
ayent un peu de capacité , pour qu’ils rie vous
jettent pas dans l’embarras par la relation qu ils vous
feront de ce qu’ils auront v u , & qu’ils ne changent
pas 1a fubftance de ce que l’officier vous ynv.oye
dire par eux; ils doivent être d’une fidélité reconnue,
fâchent ou vous adréffer les avis qu’ils auront à
vous donner fur ies mouvements que les e.nn^nis
feront. r ' ,
Il feroit bon que le commandant du parti portât
une montre, du papier & de 1. encre, afin de pouvoir
de peur qu’au lieu de vous porter la v is , ils
ne paffent chez les ennemis , & que vous ne foyez
par-là expofé à apprendre trop tard le s , mouvements
que l’armée ennemie aura faits. Le meilleur
eft de laiffer à l'officier le choix des foldats qu il
voudra avoir avec lui. .
Je fuppofe que les Officiers de ces partis con-
noiffent parfaitement l,e pays , & que vous les ipf-
truifez de l’heure à laquelle votre,armée fe mettra
f a marche, & du chemin qu elle, tiendra, afin qu’ils
vous marquer l’heure à,laquelle ils obfervent
quelque mouvement confidérable , fans craindra
quelque équivoque dans la relation que vous feroit
un fcldat chargé de vous porter un avis de vive
v p ix ..
Xorfque l’officier détachera un fold.at pour vous
inftruire de ce qui fe paffe, il lui apprendra en fe-
cret l’endroit où il doit vous aller trouver, cachant
toujours aux autres que votre armée foit eh marche
afin que les ennemis n’en foyentpas informés par
quelques-uns d’eux qui déferteroient. Si ce dont l’of-
ficiéV du parti ébus‘donne avis eft d’une grande
conféquence, il dépêchera par différents chemins
deux ou trois foldats, afin que l’un vienne jufqu’à
vous, quoique l’autre par malice pu par malheur
tombe entre les mains des ennemis.
Il eft abfcrlument néceffaire de choifir pour cotnt
mandants de ces partis , des officiers d’une valeur
reconnue & d’une prudence éprouvée ; car il y a
dés hommes q u i, malgré ce quJils voyent de leurs
yeux , fe laiffent frapper par des'imaginations que
leur timidité leur préfenffe j ou qui, pour ne pas
s’expofer au danger , ne s’approchent pas autant
qu’il le faudroit pour faire une véritable découverte.
Il y en a d’autres qui, avides de gloire, fans
aucune prudence, tâchent, par tomes fortes de
voies , de perfuader à leur chef d’en venir à un
combat. Croire les premiers , c’eft rifqtter de ternir
fa réputation , en ne réuffiffant pas dans une occa-
fion favorable ; & fe régler fur les avis des féconds,
ç’eft fouvent fe mettre dans le danger de perdre
fori armée. •
QuinteCurce parlant des efpions de Darius ,
d i t , « que lorfqu’ils ne peuvent pas découvrir
quelque chofe de v ra i, la crainte leur fait imagi-,
ner cè qui. eft faux i,.1 .
Le maréchal ,de,Montluc rapporte que lorfqu’il
fervoit fous ie maréchal de Briffac , les François
manquèrent Toccafiôn de battre une partie de
leurs ennemis , parce que M. de Caftegiac ayant
été chargé d’aller reconnoître un vallon voifin ,
rapporta qu’il avoit découvert dans ce vallon plus
de 400'chevaux ; de forte que le maréchal de Brif-
f3c.,,àiiptféhend;ant tthe groffé èthbufcade, fit halte,
& ljon apprit enfuite qu’il n’y avoit point de
troupes dans ch vallon, & que ce que Caftegiac
avoit vu , étoit des payfans & des femmes qui fe
retiroient a Calais.
Me trouvant à Tudelie de Novarre avec mon régiment,
je vis un homme qui venoit de Borgia ,
& qui affuroit à don Charles de Saint-Gils, lieutenant,
général, qu’il y avoit des milliers d’ennemis
aux pétries de Tudelie. Comme on lui répondit
que cela ne pouvoit pas être, parce que’ nos patrouilles
n’en donnojent aucun avis , il juroit iq
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