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copie delà éofrefpondance entière du général fera ]
aux yeux de la puiffance qui lui aura confié fon autorité
, l’apologifte le plus fûr & un ouvrage précieux
à ceux de fa poftérité. Le général aura à
craindre , il eft vrai, l’infidélité de fon fecrétaire 8c
de la perfonne chargée de la garde de ce dépôt ;
mais en choififfant avec foin, en furveiilant avec
attention , 8c en traitant avec bonté les hommes
qui l’entourent, il préviendra les effets que l’éclat
de l’or des ennemis, ou le brillant de leurs pro-
mefies , pourroient faire fur eux. Quelques corrompus
ou aifés à corrompre que foie'nt les hommes,
ils ne conçoivent le projet de trahir que ceux qui
manquent des qualités qui condiment le maître
aimable, 8c des vertus qui le rendent eftimable.
L’hifloïre rapporte que François-, duc de Giiifé,
te duc d’Âlbe , & quelques autres généraux célèbres
, écrivoient eux-mêmes toutes leurs dépêches.
Ces exemples font beaux ; le général qui les imite-
roir préyiendroit beaucoup d’abus & échapperoit
à beaucoup de dangers ; cependant, comme les détails
nombreux que nos groffes armées entraînent
après elles , cônfument infiniment de temps, nous
penfons que le général ne doit point entreprendre
aujourd’hui de faire lui-même toutes fes dépêches ;
qu’il doit fe borner aux plus importantes , & à ne
jamais figner fans les lire, ni les lettres qu’il a dictées
, ni moins encore celles dont il a feulement
donné le difpofitif. Un fecrétaire peut employer
des expreffions faites pour bleffer l’amour-propre
de celui à qui elles font adreffées, 8c c’êft la réputation
du général qui fouffre de cette bleffure ; il
peut encore, ou par erreur , où par crime , tronquer
ou falfifier les penfées du chef de l’armée , 8c
delà des maux fans nombre. Les généraux 8c les
grands ne devroient jamais oublier d’ailleurs ,
que deux lignes écrites par eux-mêmes font plus
agréables aux militaires François, lors même qu’elles
annoncent un refus , qu’une page entière, quelque
favorable qu’elle foit, lôrfqu’elle eft tracée par une
main étrangère.
Si le général ne peut faire lui-même toutes fes
dépêches , au moins ne doit il jamais fe difperifer
de lire toutes celles qu’il reçoit, & de les lire dès
qu’il les a reçues. Un avis très important peut être
configné dans une lettre mal pliée , mal peinte ,
mal écrite & fignée par un inconnu, ou par un
Jiomme du peuple. Il eft des grands qui ont la pe-
titéffe de ne décacheter eux-mêmes que les lettres
-inifés fous enveloppes ; d’autres qui, après avoir
lu la fignarure, difent nonchalamment à leurs fe-
îerétaires : vous me rendrez compte de tout cela ,
-& vous y répondrez. Que le général fe garde de
cette conduite, que l’on peut caraélérifer d’indécente
; qu’il ne cherche point d’exeufe pour la pallier
; s’il employé bien touts fes moments , il en
trouvera allez pour remplir ce devoir indijpen-
fable.
J’ ai dit que le chef d’une armée doit lire (es lettres
auffitôt qu’il les a reçues : une anecdote configure
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dans l’hiftoîre de François Ier vicrlt à l’appui de
cette maxime. En 15-42 , Boutieres, gouverneur de
Turin , reçoit une lettre par laquelle on l’averrit
que les impériaux doivent un tel jour , à telle
heure 8c de telle manière , furprendre la ville
dans laquelle il commande ; Boutieres met fans
l’ouvrir cette lettre dans fa poche & l’y oublie; les
Impériaux arrivent, trouvent la garnifon enfevelie
dans la fécurité la plus grande , attaquent avec ardeur
, combattent avec avantage , & auroient
vaincu , fans doute, s’ils n’avoienr point eu à faire
à des François.
Quant aux lettres qui contiennent des o r d r e s&
à celles quifont deftinêçs à fervir de récompenfe
au mérite , nous nous en occuperons dans les articles
Ordre 8c Récompense. Poye\ ces mots.
§• n .
Des lettres comme Jlratagêmes.
Nous allons rapporter ici quelques opérations
militaires dont des lettres écrites ou interceptées
ont fait le fuccès ; nous nous réfolvons à tranfcrire
ces événements, parce qu’on ne peut guères donner
de principes généraux fur l’art des üratsgèmes,
8c parce que l’hiftotre eft prefque toujours le meil-
t leur infiirureur qu’on paille fournir aux guerriers.
Gelon, roi de Siracufe , ayant appris par des
dépêches faifies fur un courier dont un détache-'
ment de fon armée s’ëft emparé, qu’Amilcar , général
des ennemis, doit le lendemain offrir, dans
fon camp un grand (acrifice, & qu’un renfort de
cavalerie que ce général attend doit le joindre le
même jo u r , conçoit auffitôt le projet de furprendre
fon ennemi, en employant une rufe de
guerre. Il choifit dans fon armée un détachement
de cavalerie de la même force que-celui qui eft
attendu parles Carthaginois, & il donne à l’officier
qu’il met à la tête de ce corps, les -infiruâions
les plus détaillées fur la conduite qu’il doit - tenir.
Le détachement part, arrive devant le camp des
ennemis, y eft introduit àla faveur de fon déguife-
ment; à peine y eft-il entré , qu’il fond fur les
Carthaginois , défarmés & occupés du facrifice ; il
en tue un grand nombre, 8c fe retire dès l’inftant
où les ennemis , revenus de leur étonnement ,
commencent à lui oppofertine vive réfiftance.
Marcellus vient d’être tu é , fon cachet tombe
entre les mains d’Annibal ; ce général, auffi adroit
qu’habile , s’en fert pour donner aux troupes Romaines
& aux villes voifines du champ de bataille ,
des ordres favorables à fes projets. Ce ftratagême
auroit eu , fans- doute , le fuccès le plus grand , fi
Crifpinus , collègue de Marcellus, ne-s eroit hâté
de défabufer les troupes 8c les commandants des
places , en leur apprenant la mort de Marcellus ,
& en leur défendant d’obéir aux ordres qui fe-
! roient fcellés du (ceàu de ce général. tomme il n’êft aucun militaire François-qui
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n’ait lu ou qui ne doive lire la vie du chevalier
Bayard , nous nous difpenterons de rapporter la
manière pleine d adrdle elont il fe tervit pour faire
tomber entre les mains des ennemis qui l’affié-
geoient dans Mezières, des lettres propres à femer
entre eux une grande méfintelligence.
L’intrépide détenteur de Metz connoiflbit bien
fans douté la vie de Bayard ; il réuflit à tromper
Charles-Quint, en employant un moyen prefque
femblable a celui dont le chevalier (ans peur 8c
fans reproche avoit fait ufage. Il fit tomber avec
adreffe entre les mains de l’empereur, une lettre
qu’il paroiffoit avoir écrite pour inftruire fon roi de
, la fituation dans laquelle il fe trouvoit ; il témoi-
gnoit fa joie de ce qu’on l’avoit attaqué par la partie
de fa place qui étoit la plus forte , 8c il couve-
noit qu’il auroit eu moins d’avantage , fi on avoit
ouvert la tranchée vis-à-vis un autre point qu’il
défign'oit. Charles-Quint donna dans le piège; il
changea le lieu des attaques , abandonna le point
levplus (bible , attaqua le plus fort , 8c Metz fut
fauve.
Les Impériaux, aux ordres du marquis du Guaft,
affiègent Mondovi ; malgré la vivacité de leurs attaques,
leurs progrès font fi lents , qu’ils font fur le
point de faire leur retraite. Cependant un de leurs
partis te faifit d’une tenrequé Boutières, gouverneur
de la province , adreffe au commandanr de là place;
du Guaft apprenant, par cette lettre, que Boutières
exhorte cec officier à fe défendre jufqu’à l'extrémité
, 8c lui annonce un prompt (ecours ,fe réfout
à lever promptement le fiège ; mais voulant cepen- ;
dant effayer fi la ru te le tervira mieux que la force,
il fuhftirue! à la lettre de M. de Boutieres , une lettre
entièrement contraire : elle contient en effet un
ordre de capituler le plutôt poffible. Le commandant
privé , par cette lettre, dé l’efpoir du fetours
fur lequel il comptoir, bat la chamade 8c fe rend.
Le cardinal de Granvelle employa auffi pour
fendre Charles-Quint maître de la vi'le de Saint-
Dizier, un ftratagême du même genre. Ce politique
habile ayant intercepté la clef du chiffre dont
le duc-de Guitete tervoit dans fa comffpondance
avec Sancerre, gouverneur de la, place , -fabriqua'
un e lettre par laquelle-le général François paroiffoit
ordonner ail gouverneur, de capituler,. Le toi, lui
difpit-il, quoique très fatisfait de votre conduite, 8c
jaloux de conterver Saint-Dizier , fe voit obligé de
l'abandonner ; il ne peut point, pour tecourir cette
place , courir le hafàrcl d’une bataille ainfi , 8cc.
Sancerre reçoit cette dépêche , il affemble Te con-
feil de guerre , déchiffre la lettre fous 'le,urs yeux ,
ÿ trouve-l’ordre de capituler, 8c malgré toute fa
répugnance , eft forcé de s’y fôumettre.
Il eft prefque impoffible de favoir fi Guftave
Adolphe avoit lu dans l’hiftoire de Siracufe, la conduite
de Gelon avec Amilcar 8c les Carthaginois ;
mais il y a tant de teffemblance entre ce que fit ce
prince pour fe fendre maître de la ville de Davesker,
8c ce que le roi de Syracute avoit exécuté
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pour furp rendre le camp des Carthaginois, qu on
peut, ce me femble, citer le fait que nous allons
rapporter , comme une preuve évidente de futilité
de la leéture de l’hiftdire. Ê _
On amène au roi de Suède un Danois dépêché
■ au roi de Dannemarck, par le commandant de la
ville de Davesker ; ce Danois eft porteur d’une
1 lettre par laquelle le commandant de la place prie
fa majefté Danoife de lui envoyer cinq cents chevaux
, dont il a befoin pour arrêter les courtes des
Suédois, 8c les empêcher de mettre le pays à contribution.
Guftave a lu à peine cette dépêche , qu’il
conçoit le projet de s’emparer de Davesker pa*
ftratagême; il fait prendre l’habit Danois à cincj
cents cavaliers Suédois choifis parmi l’élite de fes
: troupes ; il fe met à leur tête , marche pendant la
nuit avec promptitude , 8c il arrive de très bonne
heure proche de la ville. La conformité d’habits &
de langage trompe les Danois, les portes s’ouvrent,
Guftave entre, met le fabre à la main , tômbe fur
la garnifon défarmée, 8c s’empare de touts les
poftes importants avant que les. troupes Danoifes
ayent le temps de revenir de leur frayeur 8c de
leur étonnement.
La vie du prince Eugène nous fournit encore un
exemple célèbre d’un ftratagême tonde fur des
lettres ; nous ne le tranferirons pas ici ; nous avons
eu occa.non de le rapporter dans le paragraphe VI
de la fesHon première de l'article Général.
Nous ne mettrons pas fous les yeux de nos lecteurs
les réflexions qui découlent des exemples
que nous venons de rapporter, elles font trop naturelles
, trop (impies pour avoir befoin d’être
exprimées.
§. m .
Des lettres faites pour interpréter les loix.
Si touts les miniftres qui avant M. le comte de
Saint-Germain ont été chargés en France du département
de la guerre, avoient comme lui rendu à
la nation un compte détaillé de leurs projets, de
leurs opérations 8c de leurs erreurs ; s’ils avoient
peint, après leur retraite , les obftacles qu’une intrigué
auffi baffe que fecrette, leur a oppp.fées , les
difficultés que l’ambition ouverte des grands a prodiguées
fous leurs pas, 8cc., le miniftère de la guerre
feroit aujourd’hui ou moins envié, ou certainement
environné d’écueils moins considérables & moins
nombreux. Quel eft en effet le minîftre qui, après
avoir lu dans lés mémoires de M. le comie de
Saint-Germain le détail des maux que les lettres interprétatives
firent à fa réputation 8c au grand ouvrage
qu’il avoit voulu édifier , ne tremblera pas
toutes les fois qu’il fera obligé d’en figner une de ce
genre ? Tranferivons les expreffions de M. de Saint-
Germain , elles le méritent ; dans un court eipace
elles renferment de grandes leçons; elles apprennent
ce me femble , aux miniftres j, que les loix qu’ils
promulguent ne peuvent être trop long-temps mé