
le bord oppofê, & qui ne put empêcher ce puf-
fige , à caufe de la promptitude avec laquelle les
François fe rendirent fur l’autre rivage.
Alexandre, dans le paffigc du Tigre ordonna
à fes foldats de fe tenir les uns les autres , afin
qu’ils ne puffent pas être entraînés par le courant.
Les efcadrons ou les bataillons ne doivent pas
marcher fi ferrés de l’avant-garde à l’arrière-garde ,
qu'en arrêtant trop le courant des eaux , ils en
augmentent la profondeur.
La meilleure manière de prendre les gués eft de
couper un peu vers le haut, excepté que pour
chercher le fond bas, il ne faille s’écarter de cette
règle ; car quelquefois les rivières ont des bancs
de fable qui ferpentent, alors il faut les fuivre.
Les foldats, pour éviter que leur vue ne s’ébloui
ffe & fe trouble, doivent fouvent regarder
la terre ; & afin que la même chofe n’arrive pas
aux chevaux , qui font de pied ferme dans les gués ,
ceux qui les montent alors à étriers fort courts ,
leur tireront de temps en temps la bride , afin
qu’en leur faifant lever la tête, ils voyent la terre.
Pour faire paflerà une troupe de cavalerie une
rivière à la nage, il fuffit de choifir un endroit où
le courant ne foit pas for t, & où le terrein de
l ’entrée & de lafortie foit plein. On ne doit pas
tirer fi fort la bride aux chevaux qu’ils fe ren-
verfent, ni tant leur lâcher la ras in qu’ils puifient
engager leurs pieds dans les rênes.
Quoique j’ai dit qu’en paflant un gué on a coutume
de couper la rivière vers le haut, c’eft tout
le contraire à la nage , parce que le courant fait
defcendre les chevaux , qui perdent pied ; ainfi il
faut mettre à nager les chevaux plus haut que l’endroit
où ceux qui les montent ont deffein d’aller
fortir.
J’ai fuppofé jufqu’ic i, que vous n’avez ni ponts
ni bateaux propres à tranfporter la cavalerie à
l’autre bord de la rivière. Il fe peut aufiî que la
profondeur de fon lit & le terrein des bords vous
empêchent de pouvoir vous fervir pour la pafler ,
des moyens que je viens de propofer. Les chevaux
mêmes ne pourront peut-être pas la traver-
fer avec des hommes en croupes, à caufe de la
violence du courant & de la difficulté de l ’abordage
fur Tautre rivage, ou à caufe que vos foldats
font peu propres pour une femblable expédition.
En ce cas , vous vous fendrez de petits bateaux
, & à leur défaut de radeaux dont vous pouvez
faire conftruire plufieurs cents en un jour ,
puifqu’ils ne confident qu*en des pièces de bois
ou des branches d’arbres, jointes & attachées par
les deux extrémités , avec des cordes ou des harts j
de quelques branchages qui fe tordent, & foutenus
par-deflbus par d’autres pièces de bois qui tra-
verfent & qu’on attache auflî avec des cordes ou
avec des harts de branchage. Quelquefois on les
garnir d’un morceau de bcis fait en forme de rame
peur fervir de timon ; mais le meilleur eft d'y at-
PAS
tacher à la proue une corde dont quelques foldats
qui favent nager paffent le bout de l’autre
côté de la rivière , & une autre corde à la poupe,
afin que par la première de ces cordes on tirç le
radeau à un bord > & par la fécondé on le retire
vers l’autre.
On met fur ces radeaux les foldats avec leurs
armes & les Telles, & l’on fait pafler à la nage les
chevaux, en les tenant par de longs licous. Je fup.
pofe que s’il y a quelque chofe à craindre des ennemis
, l’infanterie fera déjà à l’autre bord , pour
couvrir le pajfage de la cavalerie. Je fuppofe encore
que chaque radeau pourra contenir quarante
fantamns.
Ce fut ainfi qu’Annibal paflâ le Rhône malgré
les Gaulois. Ayant fait pafler fecrettement à vingt-
cinq mille plus haut , fous les ordres d’Annon
Bomilear , uri détachement qui vint charger les
Gaulois par derrière, tandis qu’Annibal tâchoit de
les forcer par le front de deflùs les radeaux & les
petits bateaux où étoient fes foldats , qui tiroienc
par les licous les chevaux qui paflbient à la nage.
En 1580, Davila , meftre-de-camp général d’Ef-
pagne, ne trouvant pas d’autre moyen de pafler le
Douro avec fa cavalerie, pour aller attaquer les
troupes de dom Antoine , roi de Portugal, le lui
fit traverfer à la nage > les foldats qui étoient dans
de petits bateaux tirant les chevaux par le licol.
Pom Bernardin de Mendoza veut, pour
fage des ruifleaux & des petites rivières , qu’on y
traverfe des charrettes , fur lefquelles on fait paf-
fer l’infanterie. Le maréchal de Montluc rapporte
que l’armée de France , où il fervoit , paflâ le Po
de cette manière.
Il n’eft pas néceflaire de s'étendre beaucoup fur
ce point , puifqu’on peut auffi alors faire pafler
l’infanterie en croupe de la cavalerie , ou fur des
ponts , que des pionniers qu’on fait avancer vont
conftruire. J’ai rapporté néanmoins ce fentiment
de Mendoza, pour vous donnera connoîire que
vous ne devez pas, fans néceffité , faire mouiller
votre infanterie, en lui faifant traverfer des-mares ,
des raiffeaux ou des petites rivières. C a r , outre
qu’ils gâtent leurs chaufîùres & leurs habits , vous
en expofez un grand nombre à tomber malades ,
en les faifant entrer dans l’eau lorfqu’ils font en
fueur par la fatigue de la marche ; ainfi il en coûte
moins d’avoir recours à quelqu’un des expédient
propofés*
Quoique vous fâchiez que Tes ennemis fe
trouvent avec un tiers ou une moitié moins de
! troupes que vous n’en avez , & que vous doutiez,
qu’ils foient près de Ta rivière que vous- voulezpaf-
fe r , vous ne devez pas rifquer ce pajfage fans avoir
fait avancer à l’autre bord des partis qui, par les
flançs & par le front, aillent le reconnohre „ & vous
donnent avis fi les ennemis n’ont pas à une certaine
diftance quelque corps confidérable pour venir
fondre fur votre avant* garde, auparavant qu’elle
puifle être Contenue par vos autres troupes ; fi. c’eü
P A S
rtuJt ces partis doivent mener quelques chiens,
cotfme je hPi dit en parlant des embufcades.
Lorfque par une pluie qui commue , ou par les
neiges qui tondent, la rivière croit a chaque tnf-
tant, ne vous engagea pas à la pafler , fi, a proportion
des eau* qu’elle mène, vous netes pas affiné
, avant qu’il cefle d’y avoir des gués , de pouvoir
mettre à l’autre bord toute larmee, 1 artillerie
, les munitions & les vivres que vous croyez
néceflaires pour la détente & la fubfiftance de 1 armée
‘ ce qui fe doit entendre lorfqu’tl y a danger
que les ennemis ne furviennent , & n’attaquent
la partie des troupes qui a paffé , ou qu’ils ne lut
coupent les vivres & les fourrages de 1 autre cote
de la rivière. . . ,
Melata , capitaine des Vénitiens , courut grand
rifque de fe perdre, parce qu’après avoir pâlie
l’Ade avec une partie de fon armée , cette rivière
crut fi fort par les pluies , que te pajfage étoit déjà
fermé à fon arrière - garde , lorfque les ennemis
vinrent attaquer fon avant garde , qui ne trouva
d’autres moyens de fe fauver qu’en repaflant la rivière
à la nage. ,
S’il y a différents gués à telle diftance les uns des
autres I que les troupes qui paffent puiffent fe le-
courir, fuppofé que les ennemis les chargent , di-
viféz votre armée en autant de corps qu’il y a de
gués, afin qu’en paflant par touts ces gués en un
même temps, les troupes fe trouvent plutôt lur
le rivage oppofé. Je dis la même chofe d* pajjage
des défilés.
Charles V , duc de Lorraine, exécuta de cette
forte en 1677, lorfque pourfuivant les François ,
il paflà la Seille avec l’armée impériale qu’il cora-
mandoit. , . ~ ,
Antiochus, roi de S y r ie , dans fon pajjage du
Tigre pour aller chercher l’armée de Moion , divifa
fon armée en trois corps , qu’il fit pafler en meme
temps par trois endroits differents.
En traitant des campements , je fais voir qu il y
a beaucoup d’avantage de finir une marche, en
forte qu’il y ait encore affez de jour pour recon-
noître le terrein , pour pofter favorablement les
gardes , pour envoyer à chaque corps fon bagage ,
pour diftribuer les parcs d’artillerie & les vivres ,
pour aller chercher de l’eau, du bois & quelque
fourrage. Comme il y aura toujours plus de confufion
dans 1 pajfage d’une rivière que dans une
marche ordinaire, il eft encore plus néceflaire
.qu’il y ait quelque refte de jour lorfque 1 armée
achève de pafler. Ainfi quand vous ne croirez pas
en avoir affez pour finir ce pajfage » attendez au
lendemain matin.
J’excepte cette règle , lorfque vous favez certainement
qu’en ne perdant point de temps de votre
part, les ennemis ne peuvent venir s’oppofer à
votre pajfage, au lieu qu ils le pourroient, fi vous
leur donnez un jour de plus, parce qu’ils ne font
qu’à une certaine diftance.
David paffa la nuit le Jourdain, car s’il ayoit attendu
jufqu’au lendemain matin, il coufoit rifque
d’être chargé par les troupes d’Abfalon, fupérieures
en nombre aux fiennes.
Vous pouvez auffi pafler de nuit, s’il n’y a pas
de danger de trouver une forte oppofition de la-
part des ennemis , & s’il n’y a pas à craindre qu’il
le noyé plus de gens de nuit que de jour; fur-
tout fi en retardant cepajfage 1 il peut fe rencontrer y
quelque inconvénient plus confidérable que celui
de la confufion , què l’obfcurité caufe telle que
feroit celui de ne pas profiter d’une furprife, d’une
embufcade , d’un fecours, &c.
Si le pajfage de la rivière fe commence de jour,
& ne peut finir que de nuit, le quartier-maître gé-
néral de camp , ou le maréchal de camp doit aller
avec les premières troupes pour pofter les gardes
avancées , & reconnoître le terrein avant que la
nuit vienne. Si votre armée doit camper auprès ,
détachez avec le même officier, les fourriers & les
autres perfonnes dont je parle en traitant des campements.
t |$ ||
Au pajfage d’une rivière vous défendrez à tout
officier , foldat, ou valet du fécond régiment, d’entrer
fur le pont ou dans le gué y que tout le régiment
qui doit le précéder fuivant l’ordre de la
marche n’y foit, & ainfi des autres. Car fi une
fois ils étoient mêlés, fur-tout de nuit, il y auroit
un extrême défordre , beaucoup de difficulté à les
divifer & à les ranger de nouveau.
Par cette raifon les colonels & les capitaines
donneront leurs foins à faire obferver cet ordre &
tout le filence poffible , la confufion étant inévitable
où il y a beaucoup de bruit.
Q u’on ne laiffe approcher de la rivière ni équipages
ni vivandiers, que toutes les troupes-n ayent
paffé , car il n’eft point d’officier qui ne voulût
que fon équipage fût avec fon régiment, & quel
embarras, quel défordre, quelle confufion ne fé-
roit-ce pas pour le pajfage des troupes , qui fe
trouveroient parmi des mulets qui tombent, des
: charrettes qui Fe rompent, & des valets qui ne
font que crier l F-J! v l ,
Afin que ce qui vient d etre prefcru loit obferve ,‘
les officiers généraux de jour fe tiendront à 1 entrée
& à la fortie du pont & du gué , ou quelques
autres principaux officiers, lorfque ces premiers
officiers iront pour ranger les troupes à mefure
quellesfortent dupont, ou du gué , ou du défilé ,
& qu’ils les étendront vers le front ou vers les
flan cs , afin qu’elles n’embarraffent pas le pajfage
des autres. , ’ .
S’il y a divers pontsou divers gués , il,elt mieux
d’en dèftiner un pour le bagage , apr.es qu il aura
paffé affez dé'troupes pour le couvrir.
Xercès ayant à traverfer certaines eaux avec
! fon armée, fit pafler fes troupes fur un pont & le
bagage fur un autre.
Il eft aifé de comprendre que s il y a un pont
f ou un gué, l’infanterie doit pafler par le pont Sç
la cavalerie par le gué. ..
p H H