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ce charroi, au Heu qu’il leur faudra beaucoup plus
de temps , s’ils doivent faire marcher le gros de
leur armée pour vous fuivre.
Dans la retraite que Cæfar fit vers Afparaga, il
mit en marche à l’entrée de la nuit le bagage ef-
corté par une légion, & il fit partir le relie de l’armée
à trois heures du matin.
Si le temps eft néceffaire pour charger pendant
la nuit le bagage & la grofle artillerie, ou pour
pafler les défilés , 8c à retarder de telle manière la
marche du charroi, que les ennemis puiiTent au
point du jour la découvrir de leur camp, faites
entre les ennemis & la marche du charroi, allumer
des feux 8c courir continuellement des partis, afin
que la fumée & la poufiière empêchent les ennemis
d’obferver votre marche.
La fumée d’un bois auquel Amilcar fit mettre
le feu entre fes troupes & celles de Denys , empêcha
les Syraeufains de découvrir un certain mouvement
qu’Amilcar fit faire à fes troupes.
Si votre armée eft débarraffée du gros train ,
elle confervera toujours l’avantage du chemin
qu’elle aura pris dans fa retraite ; & quand même
les ennemis atteindroient fon arrière garde & la
harcéleroient » elle pourra plus aifément échapper
que fi elle avoit fes malades & l ’embarras des
charrois. Elle fe mettra en marche au fon des tambours
& des trompettes , afin que la retraire n’ait
pas l’apparence d’une fuite, & les ennemis voyant
$»ue vous ne faites pas retraite à la dérobée , auront
lieu de penfer qu’il ne faut pas que vos forces
foient fort inférieures aux leurs.
Après que Caefar eût fait partir fecrètement fon'
gros bagage, il fit retraite p.u fon des trompettes,
afin que Pompée, qui un peu auparavant avoit eu
de l’avantage dans un choc , ne prit pas la retraite
des Romains pour une fuite.
Si vous penfez qu’il y auroit trop de périls- pour
le gros de votre armée de faire retraite à découv
e r t, quand même elle feroit débarraffée du gros
charrois, foit à caufe du petit nombre des combattants,
ou de la proximité d’un défilé , dans le
paffage duquel votre arrière-garde auroit beaucoup
à fouffrir, ainfi que je le ferai voir dans la fuite
par l’exemple de la bataille de Senef ; dans ce cas
faites retirer votre gros bagage à la dérobée, &
joignez-y toute l’infanterie, à l’exception des grenadiers
& de quelques piquets , compofés des fol-
dats les plus robuftes & les plus légers , débarraf-
fés de leurs tentes, de leurs marmites.& des pavillons
des armes.
Quelquefois le pays peut fournir la commodité
de faire en plein jour une retraite fecrette, en fai-
fant marcher les bataillons & le gros bagage derrière
des montagnes. Il fuffit_auffi quelquefois que
les troupes qui refient dans le camp faffent pa-
rôître un front fort étendu d’hommes & de tentes,
tandis que les autres font retraite par les chemins
les plus profonds, afin de n’être pas découvertes.
Eb l'un & l’autre de ces deux cas, prenez la pré-
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caution de mettre des fentinelles avancées , cfg
faire de la poufiière & de la fumée derrière votre,
ligne , & d'y augmenter le nombre des pièces légères
d’arriîlerie que vous avez confervées, afin
que les ennemis foient mieux perfuadés que votre
gros fe maintient dans le camp.
La nuit furvante, ou même de jour, Iorfque v»s
bataillons , votre bagage & votre grofle artillerie
fe feront fuffifamment éloignés , vous ferez faire
retraite à grands pas à vos détachements d’infanterie
, à votre cavalerie & à votre artillerie légère,
pour laquelle vous aurez confervé un double train
de chevaux , afin qu’elle puifl'e mieux futyre.
Je fuppofe que les troupes de la première marche
ne plieront aucune des tentes que les ennemis
peuvent voir ; “cependant, pour éviter l’inconvénient
qu’il y auroit à les abandonner, il feroit à
propos , quelques jours avant la retraite , fous pré-
texte/de donner une meilleure difpofition au camp,
d’avoir mis l’infanterie , les parcs d’artillerie & des
vivres dans les endroits profonds qui ne peuvent
pas être découverts des ennemis ou des hauteurs
voifines.
Si le terrein ne fournit point une pareille commodité
, il faudra laiffer dans le camp le nombre
fuffifant d’hommes, de chevaux & de mulets pour
charger & porter les tentes des troupes qui ont
fait retraite , parce que fi l’on donnoit à la cavalerie
le foin de tamaflfer les tentes , 'on agiroit contre la
fin qu’on fe propofe , qui eft d’avoir une troupe
légère pour couvrir l’arrière-garde ; d’un autre
côté, il feroit fâcheux 8c peu honorable d’abandonner
les tentes aux ennemis , puifqüe ce feroit
leur donner un motif, de s'ériger une efpêce de
- triomphe , ce qui augmenterôit leur parti parmi les
peuples & la défertion parmi vos troupes.
En 1706 , le marquis de Las Minas & Milord
Galowai prirent une grande partie des précautions
dont je viens de parler, lorlque leur armée fe retira
d’auprès de Xadraque. A la faveur de certains
ravins qui n’étoientpas découverts par les troupes
du roi d’Efpagne , ils firent dédier furie foir leurs
gros canons, le bagage & la plus grande partie de
1 infanterie dans cet intervalle de temps qu’il y
eut jufqu’à la suit; ils augmentèrent les batteries
de leur légère artillerie , 8c la pointèrent contre
notre camp, & firent des difpofitions comme s’ils
avoient eu deffein de venir nous attaquer ; à la
nuit ils fe retirèrent entièrement, fans que , par la
difpofition du terrein, il fût poffible à nos généraux
d’en rien apprendre , & ce ne fut que plu-
fieurs heures après que nous en eûmes avis par des
déferteurs Angloîs.
Dans la fameufe retraite que dom Michel Pons
fit avec fon régiment de dragon s-depuis Morelle
jufqu’en Caftille, ce colonel s’apperçut qu’un valet
d’officier conduifoit un mulet fans bât, & il lui
en demanda la raifon, le valet répondit qu’il l’a-
voit laide dans le camp, à caufe qu’ il étoit gâté ,
8c qu’il auroit efirepié k mulet , cependant dom
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Michel appréhendant que cette inutile dépouille
ne donnât lien aux ennemis de foupçonner qu il y
avoit eu de la précipitation dans fa retraite , donna
ordre au valet de retourner fur fes pas , & d aller
chercher le b â t , quoique les ennemis fe fuffent
déjà mis en marche pour fuivre les troupes qui fe
retiroient.
D'une retraite,de nuit.
Si c’eft de nuit que vous faites faire retraite au
gros de votre armée ou au refte de la même armée
, vous pofterez les fentinelles dont j ai déjà
parlé , dans les endroits où étoient les gardes avancées
& les gardes du camp , & elles auront le mot
du guet de la même manière que cela fe pratiquoit
les nuits précédentes. Elles parleront quelquefois a
des petits partis d’ofticiers & de foldats d élites qui
feront la fonélion de rondes , & qui auront foin de
vifiter les fentinelles 8i de tenir les feux allumés ,
parce que fi les ennemis obfervoient qu’il n’y a
plus ni feu ni fentinelles , ils connoîtroient que
votre armée eft décampée, & ils fe difpoferoient
plutôt à la fuivre.
Ceftius Gallus , gouverneur de la Syrie pour
l’empereur Néron , & qui étoit campé en préfence
de l’armée des Juifs , mit, pendant une nuit, fur le
toit de différentes maifons , quatre cens foldats,
qui, de temps en temps, crioient: qui valà> afin
que lés Juifs à ces paroles qu’ils entendaient, cruf-
fent que l’armée Romaine fe détenoit dans fon
camp , quoiqu’elle l’abandonnât pendant tout ce
ftratagême.
î Les troupes de Démétrius Nicanor , roi de
Syrie, afin de pouvoir faire de nuit retraite à la dérobée
, laiffèrent leurs feux allumés , & l’armée de
Jonathas qui étoit en préfence, n’eut connoiffance
que le lendemain du mouvement des ennemis,
qui avoient déjà eu le temps de pafler le fleuve
Eleuthère, & de fe mettre par-là en fureté.
J’ai entendu dire à différents officier« que l’armée
d’Efpagne avoit fait retraite de la même manière
, Iorfque fous la conduite du prince de Vaude-
siont, elle fe vit obligée de fe retirer de fon camp
d’Irffelles, nonobftant que les François 'fuffent en
préfence & fupérieurs en force.
Avertiffez les fentinelles & les petits partis dont
je viens de parler, de prendre garde de ne pas découvrir
l’artifice par trop de précautions , c’eft-
â-dire-, que les fentinelles ne doivent pas crier qui
vive, plus fouvent qu’à l’ordinaire , ni les petits
partis allumer plus de feu qu’on avoit accoutumé ;
ils doivent, au contraire , les laiffer éteindre peu
àpeu,àmefure que d’heure d’apprêter à manger
paffe, & que les foldats s’étant retirés pour dormir
avoient coutume d’éteindre les feux, à l’exception
de ceux des corps-de-garde pendant une faifon
froide.
Polien rapporte qu’Euménée donna le même
ordre à ceux qu’il avoit chargé de faire des feux
fur des montagnes pendant que fon armée faifoit
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retraité , afin qn’Antigonus , fon ennemi , crût
qu’elle étoit toujours fur les montagnes.
Vous laifferezauffidans le camp quelques boeufs;
des chevaux inutiles & des mulets de peu de prix ,
difperfés le long du front, attachés fortement à
des piquets, 8c qui auront enduré la faim , afin
qu’à leur meuglement & à leur gémiffement, les
ennemis fe> perfuadent que le bagage y eft, &
par conféqucnt que l’armée y eft auffi.
Agis, par ce ftratagême, fit décamper fes troupes
fans que fes ennemis , qui étoient à vue , en
enflent connoiffance. Polien , qui le rapporte , dit
que par l’ordre d’Agis , ces animaux avoient refté
longtemps fans manger, afin qu’ils fiffent plus de
bruit.
Les feux que les Perfes entretinrent toute la
; nuit, & les gémiffements 8c les cris de phîfieurs
bêtes de charge que Darius Hiftafpe avoit laiffé
dans fon camp , favorifèrent fa retraite , que fon
; armée fit à la dérobée vers l’Hélefpont ; car par
cette rufe celle des Scythes qui étoit en préfence ,
ne s’apperçut que le lendemain que Darius étoit
décampé. - ^
Si vous penfez que peut-être au point du jour
: vous n’avez pas encore fait affez de chemin , lai ffqz
dans le camp un bon nopibre de tambours 8c de
trompettes, qui , difperfés dans le terrein que
votre première ligne a abandonne, Tonneront la
diane ; de cette manière vous cacherez encore
votre retraite pendant cette demi heure , ou ces
trois quarts d’heure qu’il y a depuis le point du
jour, jufqu’à ce que les ennemis découvrent qu’il
n’y a plus ni tentes ni troupes. Ils feront encore
trompés un plus longtemps, s il y a à cette matinée
du brouillard.
J’ai appris de plufieurs officiers , que le dernie*
duc de Vendôme avoit mis cette rufe en ufage
avec beaucoup de fpccès.
Les commandants de ces petits partis qui font
demeurés dans le camp pour vifiter les fentinelles
& pour entretenir les feux allumés, auront foin
défaire retirer ces mêmes fentinelles, les tambours
8c les trompettes ; toutes ces perfonnes feront
bien montées , afin qu’elles puiffent fuivre
au pas des partis qui doivent être de cavalerie.
J’ai dit dans un autre endroit de cet ouvrage ;
qu’il faut mettre trois hommes en fentinelle à chaque
pofte j que ces hommes doivent etre d une nation
différente, afin que fe défiant davantage les uns
des autres , ils ofent moins déferter. On doit choir
fir\pour ces fentinelles des foldats ou des fergents
de confiance. Si nonobftant ces précautions, quelqu’
un vient à déferter, le premier parti qui en
aura connoiffance, fera battre par tes tambours ,
ou fonner par le^ trompettes la retraite , ce qui
fera répété par les autres partis, & en même-temps
ils fe joindront touts dans l’endroit qui leur aura
été défigné , afin de le retirer enfemble. Le commandant
des partis, lors même qu’il n’y aura point
de défertion, pourra de la même manière avertir
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