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fouverain des règles ordinaires ; & pour Éie fervîr
des paroles de Pierre Corneille dans Cinna :
11 faut, pour déployer le fouverain pouvoir >
Sûreté toute entière, ou profond défêfpoir.
Selon Tacite, ce furent ces deux raifons qui
portèrent Tibère à ne pas pafler en.perfonne en
Germanie, pour y appaifer le foulèvement de ces
légions.
L’empereur Publius-Helvius Pertinax s’ étant
préfenté pour faire un difeours à fes troupes fou-
levées , en avoit déjà ramené à l’obéiffance le plus
grand nombre, lorsqu’un foldat, nommé Trufié,
ayant quitté fon rang, vint le frapper d’ un coup
de lance qui lui donna la mort. C ’eft pour cette
même raifon que l’empereur Antonin n’alla pas en
perfonne pour calmer les foulèvements de la Germanie,
de l’Angleterre 8c de la Dacie ; au contraire,
il demeura dans Rome, & ne fe. Jervit que de fes
capitaines pourétéindre cet incendie.
Ouand les légions fe mutinèrent en Hongrie &
ten Germanie, Tibère faifoit répandre le bruit qu’il
fe mettoit en marche pour aller pacifier; mais il
différoit toujours fon départ fous différents prétextes
, afin que la nouvelle de fa marche calmât les
féditieux, fans s’expofèrau rifque de l’exécution.
G ’eft-là , à mon avis , une fort bonne politique ,
parce que les rebelles fe perfuaderont avec raifon
que le prince ne fe met en marche qu’aptès avoir
pris les mefures néceffaires pour pouvoir les châtie
r , s’il n’ont pas recours au pardon ; au lieu que
s ’ils voyent que fon arrivée n’augmente pas fes
forces , fa préfence fera anfli peu d’impreffion que
fon attente caufoit d’inquiétude. On n’apperçoit
l ’éclair dans la nuit qu’avec frayeur, & plufieurs
ne regardent comme une pierre la foudre qui efl:
tombée fur la terre , que parce que la menace étoit
générale & que le coup n’a eu aucun effet.
Jufqu’ici j’ai traité des révoltes formées de def-
fein prémédité ;.j’ajoute que fi an n’a pas foin d’ar-
téter,dès le commencement, ces différents, que
quelqu’accident fait naître fans y penfer,ils dégénéreront
fouvent en un combat formel des troupes
les unes contre les autres, ou des troupes contre
les habitants. Lorfque la chaleur efl paffée , 8c que
la colère fait quelque place à la raifon, ceux qui
ont commis le défordre pourroient, par la crainte
du châtiment, chercher leur fureté dans la protection
des ennemis , malgré tours vos efforts à leur
perfuader que Vous ne-regardez pas leur crime
comme auffi grave, ou que vous pardonnez aux
coupables. Deville traite fi bien cette matière, qu’au
lieu de parler par moi - même , j*ai cru qu’il valoit
mieux rapporter en abrégé ce qu’il en dît, en y
ajoutant feulement quelques çirconftances pour une
plus grande intelligence.
Les differents encre les foldats 8c les habitants
des places ou des quartiers, viennent pour l’ordinaire
de ce que ces derniers ne fourniffent pas aux
autres tout ce qui efi néceffairç pour le logement,
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& que l’officier, ou le foldat, dédaignant d’avoir
recours à lajuftice contre un habitant, 8t voulant
l’obliger par la force de lui fournir au - delà même
de ce à quoi il efi: obligé , le maltraite de fait ou.de
parole; alors l’habitant fort à la rue, crie aufecours,
que les voifins , intéreffés par l’exemple , lui prêtent
volontiers. Pour éviter cet inconvénient, faites
auparavant publier un ban , par lequel, à peine de
la vie , il foit défendu à tout habitant de. crier aux
armes contre les foldats , 8c à tout foldat contre les
habitants. Perfonne n’ignore que, par les ordonnances
militaires , la même peine efi portée, contre
les foldats d’un corps , d’une compagnie ,ou d!une
nation qui crient aux armes contre une autre. Le
commandant de la place ou du quartier doit aufîi
faire paroître une grande exa&itude à rendre juf-
tice aux uns 8c aux autres, parce qu’ils feront per-
fuadés qu’on peut fans péril la demander, 8c que
l’on punit l’habitant qui donne moins , & l’officier
ou le foldat qui exige plus qu’il n’eft porté par le
réglement, qu’à cette fin on aura fait publier.
A Barcçîonne , l’appartement que l’officier de
chaque rang doit avoir , efi marqué dans toutes les
maifons.; par - là on a remédié aux perpétuels débats
des habitants avec les officiers , qui préten-
doient toujours peu à peu fe rendre maîtres du
meilleur appartement de la maifon. On doit ce fage
réglement aux foins du prince Pio , du comte de
Montemar 8c de dom Patiguo.
Les différents les pliis dangereux parmi les fol*
dats, font ceux qui furviennent entre les divers
corps, fur-, tout quand ils font d’une nation ou
d’une religion différente; 8c ne Tachant pas réciproquement
leurs langues differentes , ils prennent
pour une injure toute parole qu’ils entendent prononcée
d’un ton haut. Ils difputent fur les aéfions
paffées ; chaque nation s’attribue la gloire des heureux
fuccès, 8c rejette fur l’autre la fautes des malheureux
évènements ; la jaloufie règne entre, les
deux nations , par rapport à la plus forte paye , ou
à la plus grande affeâion du prince, & elles font
des railleries fur leurs coutumes 8c leurs modes.
On peut remédier à cette occafion de défordre-
en faifant publier un ban, par lequel, fous peine
de la v ie , il foit fait défenfe à tout foldat 8c à tour
officier de difputer fur la nation ou fur la religion
avec ceux qui font d’une différente. Pour plus
grande précaution, féparez, autant que cela fe peut,;
ces régiments qui ne font pas d’une même nation
& d’une même religion ; 8c compofez chacune de
vos patrouilles de foldats 8c d’officiers de Tune &
l’autre religion ou nation , afin qu’elles foient plus
refpeâées de ;outs ceux des deux partis qui peuvent
donner lieu'au défordre.
Il faut ufer de ees mêmes précautions à l’égard
des régiments d’une même nation 8t d’une même
religion, lorfqu’ils font fort oppofés les uns aux
autres, parce que dans quelque rencontre prece»
dente ils en étoient venus aux armes 8c aux injures.
. Je me rappelle d’avoir VU deux régiments
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îgfpagnols, quî »voient tant d’antipathie 1 un contre
l’autre, que pour remédier aux querellés 8c aux
morts qui arrivoient chaque jour dans la place où
ils étoient, il fallut néceffairement en changer un. Il
eftdonc à propos de féparer, dans différentes places
ou différents quartiers, ces régiments fi oppofes
Jes uns aux autres.
La plupart des querelles des foldats contre
d’autres foldats , ou contré des habitants, viennent
des difputes qui naiffent aux jeux, aux cabarets 8c
dans les maifons des femmes publiques ; c’eft pourquoi
il ne faut pas permettre qu’il s’établiffe des
tables de jeu , excepté dans des endroits qui font
à vue des corps - de - gardes , afin qu’il y ait toujours
des officiers & des foldats prêts à accourir
pour décider les coups , 8c châtier ceux qui font
du bruit ; mais on ne doit pas fouffrir qu’il y ait
des jeux dans lès corps - de- gardes , fi on veut en
bannir le défordre 8c le trouble. On peut éviter les
deux autres inconvénients en faifant rouler des patrouilles
dans les rues où font ces femmes publiques
, 8c les cabarets les plus fréquentés.
Si malgré toutes ces précautions il commence
à s’élever quelque tumulte, une partie des officiers
de chaque corps doit accourir pour punir 8c faire
retirer leurs foldats ; 8c ayant fait arrêter l’auteur
du trouble , ils promettront de donner fatisfaéfion
à ceux du parti contraire. Les magifirats 8c la no-
bleffe de la ville doivent faire la mêmechofe lorfi-
qu’il y aura des habitants mêlés dans la querelle,
en repréfentant à ces citoyens leur faute , les fuites
qu’elle peut avoir, 8c combien il efi plus sûr pour
eux d’avoir recours à la jufiiee, en la demandant
avec refpeél & fans bruit.
L’officier de bivac, ou de garde de la place j
s’avancera au premier bruit avec fa troupe , 8c arrêtera
touts ceux qui caufent le tumulte s’ils font
inférieurs en nombre, ou il tâchera de les ramener
à leur devoir par la voie de la douceur s’ils
font fupérieurs.
Le gouverneur fera la même chofe ; 8c pendant
qu'il forttra accompagné de fa garde, les autres
officiers de l’état-major de la place feront, avec
une partie des troupes, occuper les châteaux, les
tours, les clochfers, les parapets des parvis des
églifes, 8c les autres pofies qui dominent la ville
ou le quartier.
Les officiers de garde aux cafernes , les derniers
qui en font fortis , & ceux qui doivent monter les
premières gardes, formeront les bataillons , fans
permettre qu’aucun foldat s’écarte jufqn’à ce qu’on
ait reçu les ordres du commandant de la place. Les officiers de garde aux portes les feront fermer
8c lever les ponts, pour éviter un coup de
furprife, au cas que le tumulte eût été (ufeité pour
favorifer les ennemis.
Toutes ces gardes.8c les autres de la muraille 8c
des baftions , fermeront les barrières qui donnent
dans la ville , pour éviter d’être attaquées par les
Rebelles, 8c ne recevront aucune troupe de gens
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armés, fi elle n’a pas à fa tête un officier bien
connu.
Quelquefois on détache un parti pour donner
l’alarme au dehors de la place , afin qu’en accou-
rant où le danger commun appelle , les foldats
abandonnent leur querelle particulière; 8c fi une
fois on réuffit à féparer ces corps qui conteftoient
enfemble, l’ardeur de la querelle paffera , 8c l’on
pourra en détacher un hors de la place pour aller
reconnoître la campagne , fous prétexte de l’alarme
qui a été donnée. L’exemple de Zilage que
j’ai rapporté , me fournit cet expédient. On peut
enfuite, en fuppofant un mouvement des ennemis
, ou fous quelque autre prétexte , donner
ordre à ce corps que fans rentrer dans la place
d’où il efi forti, il aille renforcer quelque autre
garnifon ; enfin que ce foit par cette voie ou par
une autre, il faut néceffairement féparer ces corps
qui ont été en contefiation enfemble , de peur
qu’il ne furvienne un fécond tumulte entre les
régiments qui ont fufeité le premier. Vous devez
auffi changer les troupes, lors même que le tu-,
multe efi venu d’un démêlé entre elles 8c les habitants.
Je l’ai déjà prouvé.
Lorfque le commandant de la place ou du quartier
voit que malgTêHTs premiers foins , le tumulte
augmente, il doit , le plus fecrètement poffible, Sc
à la hâte , envoyer demander des troupes aux quartiers
, aux places ou au camp les plus proches , afin
de pouvoir foumettre par la force , ceux que l’on
n’a pu appaifer par teuts les autres moyens ; 8c fi
en demandant ce renfort de troupes, il lui efi libre
de choifir les.régiments, qu’il prenne ceux dont il
n’y aura pas à craindre que par rapport à la nation ,
à la religion ou à quelque autre motif 9 ils piaffent
embraffer un des deux partis ,qui forment le tumulte;
car ce feroit, au lieu d’eau, ajouter encore
du bois au feu*
Des précautions a ? égard des commandants.
Cette matière regarde directement le prince, &
nullement le général de fon armée; auffi n’avois-je
pas eu deffein de la traiter. Mais un capitaine général
, dont les avis font pour moi des ordres vénérables
, m’a fait obferver que je -devols au moins
faire connoître au leéleur que le prince a fur ce
point des mefures à prendre , qui , à la vérité » font
moins néceffaires que quelques autres ne le pen-
fent, parce qu’aujourd’hui la tyrannie dans les
royaumes n’efi pas auffi aifée qu’elle l'étoit dans
l’antiquité ; je l’ai prouvé ailleurs. 11 ne laiffe pourtant.
pas de fe trouver quelques précautions utiles à
p rendre qu'il feroit quelquefois dangereux d’igno-
r.er 8c de ne pas mettre en ufage ; car en femblable
matière ,fi une trop grande négligence ou une diffi-
mulation de la part du fouverain peut donner lieu
à de grands défordres , un excès de défiance peut
auffi porter le prince à une conduite qui paroîtroit
approcher beaucoup dti la tyrannie. Cette matière