
niqué l’art de les multiplier & de les étendre à force
de les exercer. C ’eiï ainfi que , remifes à des
hommes paîtris d’un limon plus .raffiné que celui
des autres , les matières d’état les plus vaftes & les
plus compliquées , s’abrègent & fe Amplifient par
l’analyfe qui les réduit en extraits. Ce tableau perdrait
beaucoup de fon mérite, s’il étoit vrai que
tout va de foi-même dans les détails ; mais je fuis
bien éloigné d’en convenir. Je penfe, au contraire,
que fi on les livroit à leur propre penchant, ils
tomberoient bientôt dans la confufien , & iroient
où Panurge envoie les âmes indignées de ces corps
putréfiés , qui, de leur vivant, n’étoient dateurs
ni préteurs.
Des intendans des provinces.
Nos intendans repréfentent les Mifjî Dominici,
dontl’hifloire fait remonter l’origine jufqu’au règne
de Clovis I I , fils de Dagobert, mais qui ne furent
habituellement employés que fous Charlemagne &
les fucceffeurs de fa race. Je ne trouve, dans cgtte
comparaifon , que deux diffemblances : l’une con-
fifte en ce que l’on n’avoit recours aux Miffi Do-
sninici, que dans le cas preflant, lorfque l’impu-.
ni té avoit laiffé monter fi haut les abus , qu’ils auraient
pu ébranler le gouvernement, fi l’on n’y
avoit remédié; au lieu que les intendans font perpétuels
, & inftitués pour prévenir toute forte
d’excès, en maintenant l’ordre ; la fécondé différence
vient de ce que les anciens délégués étoient
tirés des trois ordres de l’état', erant utriufqne ordi-
nïs proceres ; & qu’au contraire cette place eft depuis
longtemps, parmi nous , affe&ée à une feule
claffe d’un feul ordre. Dans tout le refie, la parité
ne fauroit être plus exaéle ; les anciens députes....
à regibus in provincias cum amplijjîma poteftate tnit-
tebantur ; les nôtres font également départis par le
roi dans les provinces, avec une autorité qui n’a
d’autres bornes que fan tribunal fouverain. Les
fondions des premiers avoient les mêmes objets
que celles de nos intendans de juftice, police &
finances ; referebantur ad juflitiam , & difeiplinam
publicam ,6* ad vefligalium curam. Ils avoient enfin
à.leurs ordres des officiers inférieurs répandus en
plufieurs diftriâs... mijji minores difeurrentes. Ces
fubdélégués, comme ceux de nos intendans, pour-
Voyoient aux cas ordinaires, &renvoyoient à leurs j
fu péri eu fs la décifion des difficultés qu’ils n’avoient
pas l’autorité de réfoudre , & quidquid exïnde quod
commendamus per fe adimplere non poterint, ( dit
Charles-le-Chauve , en parlant de ces délégués inférieurs
) , admiffos majores, per ipfum miffaticum
conflitutos référant ; ut cum illorum confiiio , & auxi-
lio impleant.
L’hiftoire fait un honneur infini à Augufle d’avoir
commis des magifirats provinciaux, qui lui
rendoient compte de tout ce qui fe paffoit dans l’étendue
de fon vafte empire , & fur les avis défi
quels il prenoit ces juftçs mefures, qui, en confervant
la paix dans tout l’univers , lui firent fer»
mer le temple de Janus. Nos hifioriens a’ont pas
moins regardé comme un trait du génie éclairé de
Charlemagne , d’avoir mis en oeuvre les mêmes
moyens pour tenir les loix en vigueur , punir le
crime, réprimer la licence , étouffer les difîenfions
diffiper les cabales, calmer les émotions. Par quelle
fatalité un établiffetnent fi fage auroit-il perdu de
fon mérite , en devenant plus régulier & perrua-
nant, lorfqu’il eft fenfible que nous lui devons la
paix intérieure, qui, depuis plus d’un fiècle , règne
conftamment dans cette monarchie B Peut-on concevoir
rien de plus utile pour un état, qu’une cor-
refpondance v iv e , continuelle , par laquelle le
prince eft teins les jours informé de ce qui fe
paffe depuis le centre jufqu’aux extrémités les
plus reculées de fon royaume , qu’une magiftra-
ture qui doit veiller fur toutes les autres , qui,
fans rien ufurper de l’autorité qu’exercent les cours
fupérieures fur les juges inférieurs, tient ces derniers
dans la règle , & ne fouffriroit pas que les
premiers s’en écarraffent fans en informer le -fouverain
; qui contient les officiers municipaux dans
le cercle de leurs devoirs, en ne permettant pas
qu'ils foulent ou qu’ils furchargent les communautés,
foit par des emprunts onéreux , foit par une
mauvaife difpofition de leurs revenus ; qui efl fans
ceffe occupée à redreffer les torts, à pourfuivre
les crimes, à purger la fociété de ces membres
honteux, qui la déshonorent en vivant de rapine
comme des Tartares , & qui font toujours errans,
fans jamais vouloir fe fixer ; à détruire la parefi
feufe mendicité , prefque auffi funefte que le vol
de vive force ; à procurer la fureté aux voyageurs ;
à maintenir l ’union parmi les citoyens ; à faire
naître l’aboadance , en favorifant l’agriculture &
la population ; à garantir les peuples de l’oppref-
fion des traitants ; à protéger les foibles contre les
forts ; à réclamer les grâces du roi pGur des citoyens
utiles ; à intercéder pour les peuples affligés
de calamités ; à faire rentrer les revenus du
fife , fans lefquels le fouverain ne pourrait ni fou*
tenir les charges de la république, ni repouffer les
attaques de l’ennemi; à faire enfin fleurir le com-
■ merce par la vivification des manufaâures, par la
réparation des chemins & la conferyation du lit
des rivières.
Cependant l’auteur m©dern.e que j’ai déjà cité ,
Sc à qui je dois principalement l’idée de cet ouvrage,
femble avoir pris à tâche de décrierje mi-
niftère des intendans. Il va jufqu’à leur donner des
noms burlefques, en les traitant de paffe-partour,
de chryfologues, de juges bottés. Il voudrait, ce
femble, qu’ils ne fe mélaffent pas de la police, &
qu’elle fût uniquement exercée par les cours fupérieures
, lorfqu’ailleurs il met en principe: « que
jamais gens de juftice ne furent propres au gouvernement
en grand». Je doute que ladiftinâion des
êtres fauve ici la contradi&ion. La politique a-t-elle
un reffort plus puiffant. pour régner plus paifiblesnent
que celui dê la police ? Et de tôüts leé 6b- .
îets de l’adminiftration, y en a-t-il un qui exige
une inftruâion plus fommaire , une exécution plus
prompte , ni un regard plus continuel & plus
étendu ? Donc , rien n’eft moins du reffort d’une
compagnie de juges affemblés, & touts occupés
d’ailleurs du pénible & difficile foin de rendre la
juftice contentieufe ; & rien ne convient moins à
des magiftrats créés a i hoc, qui ont le pouvoir
iiéceffaire pour réprimer & pour arrêter les abus a
leur fqurce. Dites qu’ils ne doivent point en abu-
fe r , en le pouffant au-delà des loix vérifiées par
les cours fupérieures , j’en demeurerai d accord ,
& j’adopterai, fans reftri&ion , tout ce que vous
recommandez fur les qualités nécefîîaires aux intendans.
A . ....
Je ne me fuis pas inutilement, ni meme îndil-
tinftement jetté dans cette digreffion, puifqu’elle
a un rapport fi dire# à la matière pour laquelle
j’écris , ôc qu’elle a formé un chef dans^ plufieurs
remontrances des cours fupérieures, même tout-
à-l’heure dans l’enregiftreirfent de la déclaration du
17 avril dernier, qui fufpend-divers privilèges en
ce qui concerne l’exécution de la taille. Je traiterai
ailleurs cette queftion à fond avec tout le refpeâ
que je dois à la magiftrature ; mais avec le zèle &
la vérité qu’un bon citoyen doit à fa patrie. En attendant
, j’ofe mettre en fait qu’il faudrait renoncer
à la réparation des chemins, s’il étoit nécef-
faire d’en foumettre les moyens à la. délibération &
à la diligence des juges ordinaires, comme du
temps de François Ier ; au lieu que par le miniftère
aélif des commiffaires départis, on eft fur d’y parvenir
fucceffivement, non-feulement fans fouter
les pçuples, mais encore en extirpant de la fociete
l’herbe peftilentielle qui en fuffoque le bon grain ,
c’eft-à-dire, en détruifant la mendicité, objet fi
preflant & fi digne de la vigilance du miniftère »
dont je fuis convaincu que nous ne tarderons pas i
à voir les effets. Ce n’eft donc point dans l’intendance
elle-même que réfideroient les inconvénients .
que déplore l ’auteur du Traité de la population ; il
faudrait, s’ils exiftoient, les attribuer à la médiocrité
des fujets que la faveur aurait élevés à cette
place importante; le remède à ce mal eft facile ,
puifqu’il confifte dans le choix , & peut-être, ( je
ne dis pas dans le retour au principe de l ’ancienne
conftitution, utriufque ordinis proceres ) , mais vrai-
femblablement dans l’admiffion de toutes les premières
claffes de l’ordre judiciaire , fans autre acception
que celle du mérite & de la vertu. Ce
temps arrivera fans doute lorfque nous y penfe-
rons le moins ; que fait-on s’il n’eft; pas prochain ?
O u i, j’efpère voir de mes yeux écrafer les têtes
innombrables de l'hydre des privilèges, qui femble
n’avoir été enfantée par les malheurs de l’état ,
que pour les rendre incurables. U11 foleil nouveau
vient nous luire; il arrive à fon midi fur notre ho-
rifon , pour diffiper touts les nuages , & nous donner
des jours fereins la gloire du meilleur des
rois & de la nation la plus fidelle. Je poufferois
loin mes réflexions fur ce fujet, fi je fuivois les,
mouvements de mon patriotifme. Je me contente
de m’écrier , dans l’extafe où me jettent de fi heureux
commencements , tu quoque Culbertus cris. _
J’ai dit que la carte, fur laquelle le miniflre étudie
les plans 8c les correfpondances des chemins ,
doit-être tirée fur une échelle très courte; j’ai fait
entendre que le fo i-miniftre devoir en avoir
deux : une très grande pour la généralité de Paris .
qu’il conduit directement par. lui-même ; 1 autre ,
moins longue , pour les provinces, qu’il ne regit:
qu’indireélement par les infiruétions qu’il donna
aux intendans, & par les éèlairciffemems qui ré-
fultent de leurs réponfes ; le tout indépendamment
des plans topographiques de chaque route , &
autres chemins dont la réparation eft ordonnée. Je
vais maintenant augmenter encore la fécondé de
ces échelles pour l’ufage des commiffaires députés
, parce qu’il faut l’allonger à mefure que le ter-
rein diminue & fe rétrécit, & que les objets demandent
à'être développés ; à plus forte raifo.n ,
doit-il aufîi être aidé des plans particuliers des projets
qu’il fait exécuter. En un mot, un intendant
eft obligé de connaître non-feulement les routes
& les grands chemins qui traverfent fon départe-,
ment, mais encore leurs naiflances, leurs progrès
& leurs abotitiflànts ; il ne doit pas même ignorer ,
les communications par lefquelles il peut donner
un plus grand débouchement aux denrées & aux
manufactures , en leur facilitant l’abord aux em-,
barquements &aux dépôts. Il doit s’inftruire jufqu’à
la précifion du nombre des habitants de
chaque paroifle, de leurs voitures, bêtes de fomme
& de trait; en faire pafler les-dénombrements par
tant de contrôles & de vérifications , que fes recherches
ne puiffent être mifes en défaut ni par la
négligence , ni par la malice, & donner, a cet ef-,
fit des inftruClions fi claires pour les dreffer, que
les efprits les plus bornés puiffent les entendre; les
dénombrements font fi effentiels à l’objet que je
traite , outre les autres fecours que la politique en
peut tirer , qu’un commiffaire départi n’en peut
Trop faire un de fes foins les plus àfiîdus ; mais par
où y parviendra-t-il, & comment pourra-t-il exer-:
cer dans toutes les autres parties le vafte pouvoir
qui lui eft confié, s’il n’eft fécondé par des fubdé-;
légués intelligents & fidèles , fur lefquels il puiffe
compter pour l’exécution de fes ordres ? Il n’eit
faut donc point choiftr dont la probité ne foit
généralement reconnue, & .qui n’ait allez de lumières
& d’équité pour mériter 1 approbation publique.
Ce choix eft facile à un intendant, par les
occafions fréquentes qu’il a de mettre ces officiers
aux épreuves. Il a dû , en paffant par les villes 8c
par les bourgs , encourager les habitants foibles
& timides à fe plaindre s’ils éteient maltraités. Il a
pu confulter des perfonnes éclairées 8c non fuf-
peCles. Je le répète, la conduite d’tm fubdélègué
ne petit échapper aux perquifitions d’un intendant