fond & les juger avec juftice ; mais' qûand les colonels
roderaient plus longtemps t leurs corps ,
quand ils mangeraient avec leurs officiers , les ver*
roient dans le monde , les (uivroient dans leurs
jeux & leurs plaifirs , pourraient ils juger quels
font ceux qui mentent décommander aux autres?
Eft-ee à vingt-neuf ans partis à la cour ou à Paris,
continués à des études frivoles, quand ce n’eft
point à des plaifirs iicentieux , eft-ce à vingt-neuf
ans qu'on peut porter un jugement aufli difficile ?
A cet âge un efprit exercé peut pofl'éder la théorie
du coeur humain ; mais il eft: encore incapable de
juger de tel ou tel homme en particulier. A cet
âge on fe laide féduire par un extérieur heureux &
par l'apparence des talents ; à cet âge l’homme le
plus emprefîo à nous plaire paroît le plus digne de
notre confiance ; à cet âge enfin, on n’a pas encore
acquis, par fa propre expérience , la perluafion
malheureufe que les hommes placent fur leur vi-
fage le mafque qu'ils veulent, & on n’a pas appris
à diftinguer au travers du carton épais que l'ambition
fabrique , la voix faâice d’avec la voix naturelle
; les. propos adroits que la dillimulation inspire
jjd'avec ceux que la vérité diéle ; les manières
comparées que Fhypocriiie dirige , d'avec les
maximes naturelles qui font l’expreilion des fend
ments du coeur. Voulez-vous avoir à la tète de vos
régiments des hommes faits pour les commander ,
exigez que chaque capitaine écrive fur un billet
cacheté le nom de celui de fes camarades qu'il
croit le plus digne d’être à la tète d’un corps ; ordonnez
que le major donne deux billets, le lieutenant
colonel trois, le colonel en fécond quatre , le
colonel commandant cinq, & V InfpeEleur fis ; que
le quartier-maitre-tréforier ouvre ces quarante billets
en préfence dn confeil d’adminiftration ; qu’il
transcrive le nom inferit fur chacun d’eux , qu’il
brûle les billets à mefure qu’ils auront été vérifiés,
& foyez certain que le nom qui aura été répété le
plus Souvent Sera celui du plus digne. En nommant
ainfi les chefs Sur la foi de leurs camarades, vous
ne craindrez point de faire de mauvais choix : personne
ne peut mieux juger un officier que ceux qui
vivent continuellement avec lui, qüi ne l’ont jamais
perdu de v u e , & avec qui il ne fe mafque
point, car on ne peut pas toujours fe mafquer.
Croyez bien d’ailleurs que les hommes rendent
juffice au vrai mérite, toutes les fois qu’ils ne gagneraient
rien à être injuftes, ou qu’ils pourroient
même y perdre. En Suivant la manière que je pro-
pofe , manière qui n offre aucune efpèce d’inconvénient
, vous verrez les loix militaires en vigueur,
& celles de la Société refpedées; peut-être bien verrez
vous même les bonnes moeurs renaître. Mais
certainement la concorde & la paix régner dans vos
régiments. Voye[ M a jo r & Lie u t e n a n t -C ol
o n e l .
250. L'état des grâces. Les grâces confident en
retraites & en gratifications. Le premier objet ne
préfeote que peu de difficulté. La volonté du colonel
»’influe-t-elle pas beaucoup trop fur le Second.
f'oye^ Retraites & Gratifications. a6 . Celui des officiers q u i on t d ro it à la c r o ix de
S a in t - L o u i s .
270. L infpeEleur remplirait enfin la note des
moeurs , des talents & du %èlc des différents officiers. De tours les objets donc les inJ'peEleurs doivent
s occuper, nous voici arrivés à celui qui demanderait
le plus de temps, de foins & de recherches.
Quel eft l homme , me difoit un jour un vieil officier
général qui avoit été longtemps infpeEleur quel eft l’homme qui ne doit pas trembler quand
il va par un Seul mot décider de la fortune, &
peut-être de la réputation d’un militaire , d’un gentilhomme
, fur-tout quand il eft obligé de juger d’apres
le témoignage d’autrui. Quand je juge d’après
moi-meme, je puis me rendre le témoignage que
je ne fuis animé ni par la haine , ni par la prévention
; que j’ai cherché la vérité avec zèle 8 c bonne
foi, 8c que fi je n’ai pas dit le vrai ,au moins avois-
je 1 intention de le dire ; mais quand je fuis obligé
de m’en rapporter à un autre homme dont je ne
connois parfaitement ni le coeur ni Fefprit, ma main
fe refit fe à tracer les caraâères qu’il me diéle.
Quand je faifois la note dès moeurs-,des talents 8 c du zèle des différents officiers ,je craignois toujours
que le colonel plaçât ceux qu’il voyoit le plus fou-
vent au rang des plus inftruits ; ceux qu’il aimoit
au rang des plus zélés ; ceux qui lui reffembloient
au rang des meilleurs ; qu’il eût confondu l’homme
plein de modeftie avec l’homme inepte ; qu’il eût
oublié celui qui étoit affez vertueux pour n’attendre
rien que de fes fervices ; & qu’il eût dénigré
celui qui n’étoit ni courtifan, ni flatteur; oui,
je n’ai jamais remis aux miniftres qui m’ont employé
en qualité d'infpeEleur, la note des moeurs ,
des talents & du zèle des officiers de mon infpec-
tion, fans me fentir vivement ému , & cependant
j’avois toujours pris le foin d’adoucir toutes les
expreffions défavorables. En agi fiant ainfi , je trom-
pois le miniftre , je le fais “bien , mais j’aimois
mieux commettre une faute qu’un crime ; fi j’en
avois été le maître , voici, me difoit ce militaire
aufli refpedable par fon âge , fa naiflance , fes ta-
lents , que par la pureté de fes intentions & la fa-
gefle de fes vues, voici ce que j’aurois fait. J’aurais
remis à chaque capitaine-commandant un état
à cinq colonnes. La première aurait eu pour titre ,
nom & furnom des officiers de la compagnie de N ; la
fécondé, moeurs ; la troifième , caraftcre ; la quatrième
, connoijfances 6» talents ; la cinquième, \èlei Le capitaine en fécond, les quatre lieutenants 8c le
fergent major auraient eu une café dans chacune
de ces cinq colonnes , & le capitaine-commandant
aurait été obligé de les remplir ; par cette première
opération , j’aurais donné aux capitaines-
commandants une autorité d’opinion infiniment
forte, & une confidération que les ordonnances
leur feront acquérir avec peine , quelqu’autre
moyen qu’elles employent. Les deux chefs de bataillon
taiHon auraient reçu chacun un état aufli à cinq
colonnes, femblable à celui de chaque capitaine-,
commandant ; mais les cafés en auraient été a fiez
nombreufes pour que touts les capitaines , les lieutenants
, fous-lie il tenants , porte drapeau , adjudant
& fergents-majors de leur bataillon refpeclif
pu fient avoir chacun la fie nue ; le major , le lieutenant
colonel , le colonel en fécond 8c le colonel-
commandant auraient aufli rempli chacun une
feuille divifée comme les précédentes, 8c dans laquelle
chacun de leurs fubalternes aurait eu fes
cinq cafés. J’aurois exigé la parole d’honneur de
chacun de ces officiers , qu’ils ne communiqueraient
à perfonne, ni la manière dont ils fe pro-
poferoient de remplir leurs feuilles , ni les feuilles
elles mêmes , lorsqu'elles feraient remplies. Aufli-
eôt que j’aurois eu toutes ces notes , je les aurais
dépouillées moi-même , & ce travail facile , qui
aurait été celui par .lequel j’aurois commencé mon
infpeélion, m’aurait donné une connoiffance approfondie
des différents membres du corps ; car il
eût été prefque ihipoffible qu’un fi grand nombre
de perfonnes différentes fe fuffent réunies à louer
un homme qui n’aurait point mérité de louanges ,
à blâmer celui qui n’auroit pas donné prife à la
cenfure, ou à laiffer inconnu celui qui fe ferait
diftingué par fa négligence ou fon aâiviré , par de
bonnes ou de mauvaifes moeurs. Les' obfervations
que j’aurois faires pendant la durée de mon infpec-
tion ^ m’auroient aidé à reflifier les notes qu’on
m’aurait données. J’aurois remis une copie de ces
notes au miniftre de la guerre, & j’en aurais laiffé
un double cacheté dans le porte-feuille particulier ,
que chaque infpeEleur devrait avoir pour chacun .
des-régimeurs de for> infpedion ; ce porte feuille 1
remis fiiccèffivement aux différents tnfpeEleurs, les
aurait mis à portée de juger les membres des différents
régiments , même avant de les connoître par
eux mêmes. Voilà , me dit l’officier général en finif
fant, ce que j’aurois fait, fi j’en avois été le maître.
Ah ! repartisse avec chaleur , vous auriez rendu à
l’armée françoife le fervice le plus fignalé ; vous
auriez mérité d’ê:re inferit parmi fes bienfaiteurs ,
& votre projet, aufli firr.ple que facile , vous aurait
obtenu le prix le plus doux , le plus flatteur
pour une ame fenfible , Fanion ri de touts.
Après, que VmfpeEleur a ainfi examiné les differents
objets qu'il importe au miniftère de connoître,
il arrête fa revue , & il en rend compte au fecré-
taire d’état de la guerre , en lui envoyant des étars
conformes au modèle que ce miniftre lui a fait remettre.
Tels font les devoirs des infpeEleur s. Ils font im-
menfes. Pour peu que Fon connoiffe l’état militaire
, on eft convaincu que ceux qui rempFflVnt
ces devoirs dans toute leur étendue rendent à l’état
le fervice le plus précieux. Comme ils peuvent
connoître les corps jufques dans les derniers détails
, comme ils doivent pofféder l’entière confiance
de touts les membres qui les corapofent
Art militaire. Tome III,
I N S 97
comme ils font revêtus d’une grande autorité ♦ &
qu’ils font les difpenfateurs des grâces , ils peuvent
facilement réprimer touts les abus, corriger touts
les défauts, extirper touts les vices , en un mot, donner
à la fubordination fa continuité , à la difcipline
fa force, & aux loix leur vigueur.
g. IV .
Obfervations fur Us infpe&eurs.
Parmi les différents écrivains militaires qui fe
font occupés des tnfpeEleurs , on doit placer M. de
Feuquières, & Fauteur de l’examen critique du militaire
françois. Ce que dit M. de Feuquières ne
pouvant nous être aujourd’hui d’une grande utilité,
nous paflerons tout de fuite à M. le JB. D. B. :
nous croyons devoir faire connoître les principales
opinions de ce militaire , & y joindre quelques
obfervations particulières ; les devoirs des infpec-
teurs font un de ces objets fur lefquels on ne peut
trop répandre de lumières.
M. le B. D. B. commence par critiquer les divi-
fions de M . de Saint-Germain : u M. de Saint-
Germain , dit-il, avoit fupprimé les infpecleurs ,
pour former des divifions commandées par des officiers
généraux, qui y feraient une réfidencecontinuelle
, efpérant, par cette afîiduité, donner plus
de connoiflances aux officiers généraux. Cette nouvelle
forme n’a pas eu le fuccès qu’il s’en étoit promis.
Premièrement, U a eu la complailance de ne
pas exiger que chacun des officiers employés fe
rendît à fa diyifion , & y fervît le temps preferit ;
fecondement, il a fouffert que le lieutenant général
& les maréchaux-de-camp employés habitaffent
la même ville ; de forte que ces officiers n’ont éré
que des infpecleurs pour les régiments de leur di-
vifion , qui n’habitoient point la meme garnifon
qu’eux ; ceux ci ne fubifioient que deux revues ordinaires
, comme par le pafle ; l’objet n’a donc
point été rempli, & je l’avoue , trop de raifons
s'oppofoientà ce qu’il le fut mieux. On en eft revenu
aux infpe&ions & aux infpeüears ; c’eft, je
crois, le feuF fyftèrae poffible. Connoiffant Fefprit
de notre nation , la manière dont le militaire
eft compofe . l’étendue des confidirations &
des égards que des hommes, égaux à Paris, doivent
: avoir entre eux , lorfqu’ils font revêtus d’un un:«
I forme à vingt lieues de la capitale; connoiffant ,
dis-je, touts les obftacles à la fubordination, on
doit chercher les moyens les plus capables de l’af-
furér. Au lieu d'une feule inipeâion par an, chaque
régiment en fubiroit quatre , de trois en trois mois ;
perfonne, je penfe , ne trouvera d’inconvénients à
ce qu’il y ait un plus grand nombre d'officiers généraux
en adivité , & à ce qu’ils voyent plus fouvent
les troupes , qu'ils ne peuvent , pour ainfi dire ,
pas connoître dans le fyftème aduel ».
L’au te u r e n tre é n fu ite d an s le d éta il du n om b re
d e s infpeEleurs. 11 em p lo ie 22 lie u te n a n ts gén é rau x