6 1 4 SUR
de toute la place, vous vous déterminerez a la
conferver ou à l’abandonner fur les réflexions qui
ont déjà été faites , lorfque nous avons fuppofê
que vous n’en étiez maître que d’une partie , avec
cette différence feulement, que dans ce dernier
cas , il vous faut moins de troupes pour garder le
pofte.
En traitant des fièges , je parle des places qu’il
importe de conferver. Quelques-uns de ces avis
pourront vous aider à vous déterminer dans le cas
dont il s’agit, fur-tout lorfque les eqriemis ont
fcefoin de quelques jours pour raffembler des
forces fupérieures aux vôtres ; vous pouvez pendant
ce temps , ruiner la place que vous avez fur-
prife , en retirer l’artillerie & les autres provisions
de guerre qui valent la peine d’être transportées. ,
jPe la cqnduite dans la marche.
J’ai parlé de la manière d’affembler les troupes ,
•& les préparatifs dont il faut fe fervir dans une
furprife ; de la -répartition que vous devez faire
des unes 8c des autres, avant que de vous mettre
en marche ; des précautions à prendre , afin que la
nouvelle de votre marche ne parvienne pas aux
ennemis ; jufques-là, je crois avoir gardé l’ordre
que la fuite des matières demande ; mais en parlant
des préparatifs néceffaires pour une furprife, j’ai
dit comment il falloir fe. fervir des échelles, des
mantelets & des pétards , parce que j’ai cru qu’il
étoit à propos de dire quelque chofe de leur nfage, I
& d’expliquer comment & en quel temps il faut lés
employer. A l’occafion des ordres qui fe donnent
par avance aux commandants des divers détachements
dcftinés à entrer dans la place ennemie , ou
à fe tenir dans la campagne voifine du pofte fur-
pris pour s’acquitter des commiflions différentes
dont ils font chargés j ma plume s’eft échappée à
donner plufieurs avis fur ce qu’il faut faire après
qu’on à commencé de donner l ’attaque, parce qu’il
ne m’a pas paru aifé de pouvoir féparer l’exécution
des moyens que je çonfeille d’employer pour y
parvenir, fans tomber dans des redites ennuyeufes.
J’en préviens , afin qu’on ne trouve pas étrange
qu’après avoir parlé de l’attaque , je revienne s ce
qui concerne la marche.
Pendant la marche , les officiers de chaque petite
troupe ou dè chaque^çompagnie, empêcheront
que les foldats de l’une fe mêlent avec ceux de
l’autre ; ils feront de fréquentes revues de leurs
troupes ou dè leurs compagnies , & s’ils viennent
à s’ap perce voir qu’un foldat leur manque depuis
quelque temps , ils en feront donner avis par un
officier ou par un fergent au commandant-général
du détachement j car s’il y a à craindre que le déserteur
n’ait été porter aux ennemis la nouvelle^ de
votre marche , il eft à. propos d’abondonner l’en-
rreprife fur-tout fi le pays eft fort couvert, &
s’il vous paroit facile par conféquent, que le déserteur
puiffe échapper de tomber entre les màirçs
des partis que vous aurez fait avancer pour fe
mettre en embufcade près des chemins par où les
côuriers, les efpions ou les déferteurs peuvent
donner avis de votre marche à la place que vous
allez furprendre, ou à une autre porte des ennemis
, qui ayant des forces fupérieures aux vôtres,
font en état d’envoyer du fecours.
Mo Ion jgaihef de l’armée des rébelles à leur
prince A n ^ ch u s , roi de Syrie, réfolut d’entreprendre
une nuit les royaliftes ; mais ayant eu
connoiflance que dix foldats avoient déferté pendant
la marche , il retourna dans fon camp.
Si vos troupes font fupérieures en nombre à
celles que les ennemis ont en campagne , vous
pouvez avec une efcorte envoyer à votre place
ou à votre armée , les échelles & les autres préparatifs
qui avoient été faits pour la furprife ; 8c
former avec le gros de yos troupes , l’embufcade
dont j’ai parlé plus haut, ou faire des incurfions
dans le pays ouvert.
Lorfque vous êtes affuré de ne pas trouver fur
votre marche les ennemis fupérieurs en nombre,
ordonnez à vos partis avancés , ou à vos batteurs
d’eftrade de ne pas trop s’éloigner. Faites réflexion
à l’exemple fuivant.
Le chevalier Melro défapprouve fort la conduite
de M. d’Erchas , qui en 1543, commandoit l’avant-
garde des troupes Françoifes , qui marchoient pour
aller furprendre un quartier des Impériaux dans
le comté de Cigny. D’Erchas fit avancer trente
cavaliers, 8c il le paffa tant de temps entre leur
arrivée 8c celle des autres troupes Françoifes , que
les Impériaux eurent tout le loifir de prendre leurs
mefures ; fur quoi Melro s’exprime ainfi : « les
trente hommes n’étant pas capables eux feuls de
F rien entreprendre, nous pouvons dire qu’ils ne
fervoient uniquement qu’à prévenir les Impériaux
qu’ils euffent à fe retirer , ou à fe préparer pour fe
défendre. •
Lorfque vos batteurs d’eftrade découvrent les
partis avancés des ennemis qui font marche,
bien loin' que les vôtres doivent s’avancer pour
demander qui vive, ils feindront au contraire da-
voir peur , & fe retireront vers le gros de vos
troupes ; car il fe peut alors que les ennemis qui
croiront peut-être n’avoir pas tant à craindre, -continueront
leur marche. Vous pouffuivrez aulfi la
vôtre , afin de pouvoir les charger.
Si votre parti avancé rencontre la nuit, ou découvre
de loin le jour les batteurs d’eftrade des
ennemis qui foient en petit nombre , la moine
du parti fe mettra en embufcade à un côté du eue-»
min pour tâcher de prendre par derrièrp, d’envelopper
8c faire prifonnier touts ces batteurs d’ef-
trade, qüf la moitié du parti attaque en même*
temps par devant, afin d’éviter que la place ou
l’armée dont ils font fortis, n’ait la.nouvelle de
' votre marche. ■ _ f f 'Vr ' . 1
Quand ce font des gardes ennemies de pied
ferme, qui crient qui vive 3 votre a v a n t-garde doit
■ répondre
Vèpondrele nom du prince ennemi, 8c feindre que
ce font des troupes qui fe retirent après une expédition
, ou qui viennent de quelque place des ennemis
; mais en répondant , elle doit continuer fa
marche , de peur que les ennemis ne fonnent trop
tôt l’alarme. En approchant de cette garde, tâchez
de l’envelopper entièrement, afin que la nouvelle
de votre arrivée ne parvienne pas au gros des ennemis.
Vous y. réufîirez plus ailément, fi vous avez
le mot de guet de cette garde.,
En 1708 , les Impériaux voulant furprendre à
Baëlls une partie de nos troupes , s’approchèrent
une nuit d’une garde avancée, q u i, fi je ne me
trompe , étoit dp régiment François de Clair-Fontaine
; cette garde leur cria , quel régiment ? Ils
répondirent , régiment de Louvigny , qui fervoit
parmi nous fur le pied Allemand, & fans s’arrêter
pendant ces demandes 8c ces réponfes , il paffèrent
cette garde avancée , 8c ayant Surpris notre camp ,
ils y firent un ravage considérable.
M. de Jelfenbraune, partifan au fervice de Louis
IV, roi de France, fe mit en marche pour aller fur-
prêndre une troupe de fanatiques , qui lui deman- j
dèrent qui vive ? Le fils de l'éternel , répondit il ;
c’étoit le nom que ces fanariques fe donnoient, 8c
l?ayant ainfi laiffé paffer , il réuffit dans fa furprife.
On réuffit mieux à furprendre un pofte, lorfqu’il
eft éloigné de plus d’un jour de marche, parce que
les ennemis font moins fur leurs gardes.
Annibal méditoit de furprendre Tarente : pour
réuffiril s’arrêta un temps confidérable à trois journées
de la place. Cet éloignement raffura fi fort le
conful Romain Caïus Livius qui en étoit le gouverneur
, qu’il étoit yvre 8c fortoit d’un feftin ,
lorfqu’Annibal vint le furprendre.
Après avoir pris les précautions dont j’ai parlé
jufqu’ic i, pour aller furprendre un pofte éloigné
de plus d’une journée , un peu avant le jour vous
ferez alte dans un bois ou dans quelque endroit
caché, pour continuer votre marche la nuit fui-
vante.
Annibal, dans la marche dont on vient de parler,
pour aller furprendre Tarente, fit alte dans un
vallon fort couvert, 8c lorfque la nuit fur-venue,
il continua fon chemin.
En 1554, Afcagne de. la Corna fe mit en marche
avec les troupes du duc Cofme de Médicis , pour
aller furprendre Chiufi. Ayant befoin de plus d’une
journée il alla la première à Sartiano, lieu ami, où
il entra de jour , 8c y demeura jufqu’à la nuit fui-
vante , qu’il fe remit en marche. S’il ne réuffit pas
dans fon entreprife , ce fut parce que le capitaine
Santacio de Piftoya , qui étoit de garni fon dans la
citadelle de Chiufi , & qui avoit promis à Afcagne
de lui en faciliter l’entrée , donna avis de tout ce
qui fe paflbit au général Strozzi, qui prit fes mesures
contre les troupes d’Afcagne.
En traitantes embufeades , j’ai fait voir quels
endroits font les plus propres pour une embufcade*
pi quelles précautions il faut prepdr.e pendant
■ Art militaire. Tome W t
tout le temps que vous vous tenez en embufcade,
Plufieurs de ces avis font utiles pour n’ètre pas
découverts dans le lieu où vous faites alte, pour
cqntinuer enfuite votre marche. J’ajoute feulement
que vous ne devez pas choifir un. endroit qui foie
dans le pays ennemi, ni même trop proche de la
frontière ; fi en vous tenant un peu plus au dedans
de votre pays, vous pouvez la nuit fuivante arriver
au pofte que vous avez deffein de furprendre ; parce
que la frontière eft plus battue par les efpions , les
voyageurs ,-les travailleurs , 8c les partis ennemis
qui peuvent découvrir votre alte.
Il y aura néanmoins toujours du danger, que
dans l’efpace de deux nuits & un . jour , votre embufcade
ou votre marche ne foit découverte par
les foins ordinaires des ennemis, 8c parce que le
hafard aura fait que vous n’aurez pas arrêté quel-;
ques payfans ou quelques déferteurs. Le péril
augmente fi vous vous trouvez dans un pays ennemi
comme le Chevalier Melzo l’a obfervé. Ainfi, lorfque
le pofte que vous allez furprendre n’eft éloi—î
gnée que d’une grande marche de cavalerie, il vaut
mieux mettre de l’infanterie en croupe de la cava-;
lerie, ou donner à cette infanterie de bons che-,
vaux , ou de bons mulets', 8c faire monter deux
fantaffins fur chaque mulet ou cheval.
Vous pouvez auffi vous fervir de dragons, ou
donner aux fantaffins les chevaux de la cavalerie ,
dont les foldats ne font pas auffi bons que ceux de
l’infanterie pour efcalader des murailles , 8c pont
forcer des portes 8c des retranchements; parce que,
comme je l’ai déjà d it, ils n’ont pas les armes
convenables , ni l’expérience pour cette forte de
combat. Comme les chevaux du roi ont aux têtières
les anneaux 8c les courroies ordinaires, chaque
dragon monté , ou chaque fantaffin 8c payfan à
pied , pourra par ces courroies , tenir quatre che-f
vaux, après que les autres dragons ou fantaffins en
feront defeendus pour aller à l’attaque.
Par quelqu’une de ces manières , votre infanterie
peut faire huit à dix lieues dans une nuit d’hiver,
pourvu qu’il n’y ait pas de longs défilés, -ou de fort
mauvais chemins, qu’on ne charge peint trop les
voitures qui tranfportent les échelles , 8c qu’on ne
fe ferve point dans la marche de chevaux boiteux
ou trop foibles.
Le général Schultz , pour furprendre l ’armée
des mécontents de Hongrie , commandée par T e -
kely , 8c campée à plus d’une journée d’ infanterie,
de Zeben où il étoit, mit, le 17 Septembre 1684 ,
un fantaffin en croupe de chaque cavalier , 8c marcha
ainfi toute la nuit ; il arriva au jour , 8c les mécontents
qui ne s’attendoient pas à ce coup de fur*
prife , furent mis en déroute.
Une demie-lieue avant d’arriver à la place , vous
ferez arrêter tout le convoi dans un terrein fpacieux,
pour diftribuer à chaque troupe les inftruments ou
outils qui doivent fervir .à la furprife , 8c q u i, jufques
là , ont été fur les voitures. Au même endroit
les différents partis raffembleront les foldats qui fe
K k k k