
4 H P O N
la direélion des chemins, ne pouvoir naître que
des fentiments peu convenables dans lefquels ils
vivoient fur la profeffion du commerce. On fait
que les Romains le regardoient auffi avec mépris ,
n’y ayant dans leurs préjugés que la valeur & la
fcience militaire qui dulTent conduire'aux grandes
magiflratures. Cependant la voirie étoit, chez eux,
confiée aux édiles curules , charge diftinguée , toujours
remplie par des Patriciens, & par laquelle il
falloit néceffairement paffer pour arriver aux plus
éminentes ; mais il paroît qu’à l'exception de ces
voies célèbres , plutôt faites aux abords de Rome ,
pour annoncer la majefté de l’Empire , que pour
aucune utilité, puifqu’une telle magnificence n’aug-
mentoit point la facilité des approvifionnements,
la guerre étoit l’unique objet de l’attention fingu-
lière que les Romains donnoient aux chemins publics
, & de ces chauffées fi renommées , que leur
fojidité a confervées jufqu’à nous dans la Bel
gique & dans plufieurs provinces de ce royaume ;
auffi les appelloient ils voies militaires , ce qui leur
faifoit regarder la charge municipale d’édile comme
militaire elle-même , d’autant mieux que le foin
d’approvifionner les armées lui étoit confié.
Outre le motif de tranfporter les armées , avec
line extrême célérité, par-tout où la défenfe de
l’empire le requérait, la politique d’Augufte ap-
perçut deux autres grands avantages dans la multiplication
des chemins ; l’un , de contenir les
troupes & les peuples dans l ’obéiffance, en les y
forçant par un travail fi dur', qu'il leur ôtât l’envie
de cabalér, en ne leur lai fiantpas le loifir de refpi-
rer ; l’autre, d’expédier plus promptement les cou-
riers qu’il avoit établis ; & c’eft ce qui donna un
progrès fi rapide à la conftruâion de toutes ces
chauffées , dont l’étendue & la folidité ont également
étonné l’univers. Alors les premiers hommes
de l’état s’occupèrent de ce foin pour faire leur
cour à l’empereur; & fes fucceffeurs les plus-fages ,
tels que Trajan & Adrien , fe firent gloire de l’ imiter.
Mais comme la force de l’empire n’étoit
appuyée que fur celle des armes , il fut renverfé
par le même efprit de conquête qui l’avoit élevé ,
& les chemins périrent par l'ignorance & l’avarice
des barbares.
Avec plus de lumières que n’en avoient les Thé-
bains & les Romains eux-mêmes fur les vraies
fources de la puiflance, nous avons pris auffi des
idées plus faines fur la dignité du commerce. Nous
le regardons comme le foutien le plus ferme d’un
grand état, & nous faifons une maxime capitale du
devoir de le favorifer , de l’étendre & de l’augmenter.
Nous regardons, avec raifon , comme une
des plus nobles fondions du gouvernement, la direction
des moyens qui peuvent conduire à ce but,
& celle des chemins, comme un des moyens les
plus favorables au commerce ; deux fondements
inébranlables , quand ils font inféparablement unis.
Auffi avons nous vu que le premier citoyen qui a
ouvert cette carrière, étoit le plus grand homme
P O N
d’état que la providence eut jufques-là fait naître
parmi nous, & d’une haute nailfance, diftingué
par des honneurs éclatants, & , ce qui eft infiniment
plus précieux , honoré de l’intime confiance
du plus grand de nos monarques, dont le difcer-
ueinênt régloit le choix , & dont le choix garantif-
foit l’équité. Il ne femble pas qu’après cet exemple,
aucun fcigneur , quelque élevé qu’il fût, trouvât la
direélion des chemins au-dcflous de fon rang, &
je fuis perfuadé que les plus dignes de la première
claflfe ne me dédiroient pas ; mais l’exemple même
s’y oppoferoit, en ce que le duc de Sully avoit
Tadminiftration des finances , & que tout concourt
à faire décider que celle des ponts 6* chauffées
y foit à jamais unie. La correfppndance direéte &
continuelle que ce miniftre entretient avec les in-
tendans , chevilles ouvrières de cette machine „
leur dépendance de fes ordres pour tout ce qui
peut la faire mouvoir , l’in.térêt qu’ils ont de contribuer
à l’accompliffement de fes deffeins, & de
lui faire connoître leurs talents , la fupériorité
qu’ils exercent eux-mêmes pour d’autres détails,
iur des fous-ordres qui peuvent feuls aider à la
manoeuvre de celui-ci, tout dit que les fuccès fc-
roient moins fûrs , moins prompts , & peut-être
impoffibles dans les mains de toute autre autorité.
Il ne s’agir plus que de voir fur quels principes il
doit diriger la matière.
Il y auroit de l’indécence à demander qu’un
contrôleur-général des finances entrât dans les bas
détails de toutes celles qui lui font fôumifes, &
fur tout dans la méchanique de celle - ci , puif-
qu’elle occuperoit tout entier l’ouvrier le plus habile
qui voudroit en manier touts les refforts. Un
miniftre ne doit voir les objêts que dans leur tour.
La carte général du royaume , même réduite au
plus petit pied , lui fuffit pour la direélion des ponts
& chauffées.’ C ’eft affez qu'il connoifle en gros les
! routes & les chemins royaux , les rivières navigables
qui les coupent,les principales villes'qu’ils
i traverfént, les ports & les entrepôts où ils abonnirent;
qu’il fâche à quelle dépenfe annuelle monte,
leur entretien, & quelles font les charges nécef-
faires de l’état du roi ; quel fond on doit impofer
annuellement pour en former la recette , & ce
qu’il doit en accorder à chaque généralité. Il feroit
àfouhaiter que cette deftination fût inviolablement
fui vie en temps de guerre comme en paix , & que
-dans ce premier cas, le retranchement tombât fur
des parties moins prefiantes. L’emploi du fond des
ponts & chauffées, à l’objet pour lequel ii éft levé,
tourne entièrement au • profit de l’état, non-feulement
en ce que la vente des matériaux & le prix de
la main-d’oeuvreifervem au payement du tribut ,
mais encore en ce que le travail augmente le débit
des denrées, 6c que ces deux bienfaits portentdi-
re&ement fin* les claffes des fujets les plus recommandables.
Ces réflexions ne peuvent échapper à
un miniftre éclairé; mais je fais auffi qu’en le fup-
pofant capable de renoncer à des préjugés dont
P O N
j.ancienneté ne juftifie pas les inconvénients, il
eft des cas où l’on ne peut fe guider par fes propres
lumières , ni par la re&iuide de fes intentions , &
ou l’on eft entraîné par des circonftances inexorables
; auffi n’ai-je pas la témérité de pouffer plus
loin mes réflexions, & je reviens à mon fujet.
Quand j’ai dit qu’un miniftre ne pouvoir fuivre
le détail, je n’ai pas prétendu qu’il dût en ignorer
les parties. Sans cette connoiffance , il ne pourroit
juger fi elles font conduites fagement ; & de-là
vient qu’un miniftre qui les poffède, eft toujours
fi fupérieure à ceux qui n’ont qu’une théorie fu-
perficielle , & qui, jugeant de tout par une imagination
déréglée , changent de fyftème à- chaque
moment, ou , pour mieux dire, n’en ont jamais.
Il fera louable dans le miniftre , chef de la di-
reélion , qu’il en connoifle les membres , c’eft-à-
dire , qu’il foit informé du mérite perfonnel des
fujets qui travaillent médiatement fous fes ordres.
Premièrement , des intendans qui les exécutent
avec le plus d’intelligence Si d’aéhvité, 6c de ceux
qui paroiffent y prendre le moins d’intérêt. En fécond
lieu , des commiffaires que le confeil tire des
bureaux des finances ; enfin , des infpeâeurs généraux
& des ingénieurs^en chef ; en forte que. ii leur
prote&eur dired en cette partie venoit à leur manquer
, ils ne tombaffent pas dans l’oubli avec leurs
talents & leurs ferviçès. > ,
Il ne doit pas non plus ignorer les formes, generales
auxquelles ce département eft aflujetti, puif-
qu’il eft le premier juge de leur pratique , & qu’en
examinant fi elles font conformes au droit com- ■
mun , il peut ou leur donner plus de force 8i d’activité,
ou les tempérer félon le befoin.
De Vadministration des ponts 8c chauffées.
Xe magiftrat qui eft chargé du détail, régit di-
reftemenr par lui-même la généralité de Paris. Elle
eft divifée en deux départements , dont l’un comprend
la ville , fes faubourgs & banlieue, fous le
titre de pavé de Paris. L’autre s’étend , fous le nom
de ponts & chauffées , jufqu’aux bornes des généralités
dont il eft environné. Dans touts les deux ,
les formalités du droit & de la police font remplies
, tant par le bureau des finances en corps ,
que par des tréforiers de France delà même compagnie
, qui ont des commiffions particulières du roi.
Pour la conduite des ouvrages du pavé de Paris,
il y a , fous le commiffaire , un infpé&eur général
& quatre fous-infpeéïeurs ; on y entretient auffi
un garde de la prévôté de l’hôtel pour f exécution
des ordres.
Les travaux des ponts & chauffées du furplus de
la généralité , font dirigés par des ingénieurs en
chef, ou des fous-infpeâeiirs, fur les plans & la
conduite d’un infpecleur général.
La régie directe des provinces eft confiée aux intendans
, fous les ordres du miniftre 6c l’inllruéfion
particulière du commiffaire général. Chaque inten-
P O N 415
dant y remplit les formes du droit & de la police ,
par la propre autorité dont il eft pourvu , & paf
celle d’un tréforier de France de fa généralité , revêtu
d’une commiffion du roi. Il y a dans chacune
de ces généralités , un ingénieur en chef, 6c quelquefois
deux ; plufieurs fous-infpeéleurs , fous ingénieurs
& élèves, par proportion à la quantité
d’ouvrages qu’on y fait ; & touts ces officiers de
l’art font fubordonnés à un infpeéleur général.
Il y a , pour tout le royaume , un premier ingénieur
& cinq infpefteurs généraux. Ces places principales
font remplies par les ingénieurs en chef
les plus expérimentés , & qui ont -été jugés les
plus capables. Us forment enfemble une efpèce
d’état-major.
Enfin le roi entretient à Paris une école ,' où des
maîtres gagés inftruifent les élèves , non-feulement
des mathématiques 8c du deffein , mais encore des
deux archite&ures , publique & civile.
Outre ces deux départements du pavé de Paris ,
& des ponts 6i chauffées du royaume , l ’adminif-
tration en embraffe un troifième ; c’eft celui des
turcies 6c levées des rivières de Loire, Cher &
Allier , auquel préfide pour la police , pour les
formalités & pour la vifite des ouvrages , un officier
en titre de l’intendant. Il y a pour les projets
6c la conduite des ouvrages , un ingénieur général
, deux ingénieurs en chef qui lui font fubordonnés
, l’un pour le haut, l’autre pour le bas de
la Loire, & plufieurs fousMnfpe&eurs ou fous-
ingénieurs. ■
Je parlerai amplement à la fuite de cet article ,
de l’origine 8c des progrès de touts ces établiffe-
ments , ainfi que des fondions de touts les officiers
qui en ont la manutention , & je fuivrai, pour ce
détail, l’ordre dans lequel je viens de les défigner.
Qu’on fe repréfente maintenant, au milieu de
touts ces agens, le magiftrat qui les gouverne ;
fans ceffe occupé à les tenir tout à-la-fois, dans
une aéfion continuelle ,8c dans un ordre qui prévienne
la plus légère confufion ; qui, toujours attentif
à la difeipline, n’en veille pas moins furies
moeurs & fur la conduite de tant de fujets , qui les
empêche de s’entrechoquer dans l'exécution des
ordres ; qui fâche exciter les uns , retenir les
autres, éteindre les haines & les jalouses , accor-
I der les contrariétés, étouffer les dïffenfions, diffi-
per les petites cabales, punir 6c récompenfer à
: propos.
Qui ait toujours repréfentés à fes yeux la carte
' générale d’un grand royaume , 8c les plans particuliers
des, chemins 8c des rivières dont ce
■ royaume eft percé dans touts les fens. Qui ait dif-
tribuées dans fa rê.e les grandes routes qui le ira-
veriént du nord au fud, 6c du levant à l’occident *
qui fâche ,à quels commerces elles fervent, pour
donner la préférence à celles qui la méritent le plus
pour cet objet. Qui voie du même coup-d’ceil les
Branches aboutifiantes h ces routes, 6c les rameaux
j plus ou moins importants que chacune produit ;