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battre ce jour-là, que M. de Brandebourg remet-
toit au lendemain à entrer en aâion , lorfqu’il fe
trouvoit à portée de notre armée ».
» C ’étoit ce temps-là que M. de Turenne vou-
loit lui faire perdre , & dont il fe fervoit pour fe
retirer, dès qu’il étoit nuit, pour aller prendre un
porte plus avantageux ». Mém. de Feuquières , I I ,
X j, page 332. Voye^ fur ce même fujet les mémoires
des deux dernières campagnes de Àf. de Turenne.
Outre les retraites dont on vient de parler, il y
en a d’une autre efpèce qui ne demandent ni moins
de courage , ni moins d’habileté. Ce font celles que
peuvent faire des troupes en garnifon dans une
ville., ou renfermées dans un camp retranché ,
afliégées ou inverties de touts côtés.
Une garnifon peut s’évader ou fe retirer fecrète-
jnent, dit M. de Beaufobre dans fon Commentaire
fur Enee le taElicien, par quelque galerie fouter-
raine, par des marais, par une inondation qui a
un gué fecret, par la rivière même, en la remontant
ou defcendant avec des bateaux , des radeaux,
ou en la partant à gué. Elle le peut encore par une
inondation enflée par des éclufes qu’on ouvre pendant
quelques heures pour le rendre guéable.
Pour réuflir dans cette entreprife , il ne faut pas
que la ville foit exactement invertie, & que les
troupes ayent beaucoup de chemin à faire pour fe
mettre en fureté. Comme il eft important de rendre
la marche légère pour la faire plus leftement ou
plus promptement, on doit, s’il y a trop de difficultés
à fe charger du bagage, l’abandonner, &
tout facrifier à la confervation & au falut des
troupes.
Une retraite de cette nature bien concertée, ne
peut guères manquer de réuflir. heureufement. En
tout cas , le pis qui en puifle arriver, c’eft, comme
le dit M. Belidor, de tomber dans un gros d’ennemis
, & de fupporter le fort qu’on vouloit éviter,
c’eft-à-dire , d’être prifonniers de guerre ; car ce
n’eft guère que dans ce cas qu’il faut tout rifquer ,
pour ne point fubir cette fâcheufe condition.
Quel que foit l’événement d’une aélion de cette
efpèce, elle ne peut que faire honneur au courage
de celui qui ofe la tenter. C ’eft ainfi que M. Péry
fauva la garnifon d’Haguenau , que les ennemis
vouloient faire prifonnière’ de guerre. M. Folard
raconte ce fait fort au long dans fon premier volume
de fon commentaire fur Polybe. Nous allons
le rapporter d’après le marquis de Feuquières , qui
le donne plus en abrégé dans le quatrième volume
de fes mémoires.
u En l’année 170$ , les ennemis avoient affiégé
Haguenau, fort mauvaife place , dans laquelle M.
le maréchal de "Villars avoit laifle M. Péri avec
quelques bataillons. Comme les ennemis faifoient
ce liège derrière leur armée, ils ne crurent pas
qu’il leur fût néceffaire d’invertir la place régulièrement.
M. Péri la défendit autant qu’il lui fut pof-
rtble ; mais fe fentant hors d’état d’y faire une plus
longue réfiftance, il fit battre la chamade un peu j
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avant la nuit, & propofer des articles lï avantageux
pour la garnifon , qu’ils ne furent point accordés.
On recommença donc à tirer ».
» Il avoit befoin de tout ce temps là pour évacuer
les équipages de fa garnifon, avec efeorte par
le côté qui n’étoit point inverti. Après quoi la garnifon
fe retira, ne laiffant que quelques hommes
dans les angles du chemin couvert, pour en entretenir
le feu , lefquels même ignoroient ce qui fe
pafloit dans la place, afin qu’un déferteur ne pue
avertir l’ennemi de la fortie de la garnifon. Quand
M. Péri fe crut affez éloigné de la place, il envoya
retirer les hommes qu’il avoit laiffés dans les
1 dehors, & ils le joignirent tranquillement. Ainfi ,
il retira toute la garnifon de Haguenau , & il rejoignit
l’armée fans avoir perdu un feul homme
dans fa retraite y qui ne fut connue de l’ennemi
qu’au jour, lorfqu’il étoit déjà hors de portée d’être
joint par la cavalerie que l’ennemi avoit pu envoyer
à fa fuite ».
On peut, à cet exemple , en ajouter un autre
( plus moderne, mais d’une bien plus grande importance
; c’eft la retraite de Prague par M. le maréchal
de Bellifle. Quoique cette place fût bloquée
de touts côtés, les troupes de France , au
nombre d’environ quatorze mille hommes , tant de
cavalerie que d’infanterie , en fortirent la nuit du
16 au 17 décembre 1742. « M. le maréchal de
Bellifle déroba vingt - quatre heures de marche
pleines au prince de Lobkowitz, qui n’étoit qu’à
cinq lieues de lui. Il perça fes quartiers, Sttraverfa
dix lieues de plaines , ayant à traîner un haras de
cinq ou fix mille chevaux d’équipages > des caif-
fons , du pain , trente pièces de canon , tout l’attirail
, toute la poudre ,les balles , les outils, &c. ».
Il arriva à Egra fans échec, en dix jours de
marche , pendant lefquels l’armée fit trente-huit
lieues au milieu des glaces & des neiges, ayant
été continuellement harcelée de huffards en. tête,
en queue & fur les flancs. « On ne perdit que ce
qui n’avoit pu fupporter la fatigue & la rigueur
«inexprimable du froid. , qui avoient été l’un &
l’autre au-delà de toute exprelfion ». Cette belle
retraite coûta fept à huit cent hommes morts de
froid dans les neiges , ou r.eftés fans force de pouvoir
fuivre. M. le maréchal de Bellifle avoit la
fièvre depuis fix jours lorfqu’ il fortit de Prague £
cependant malgré cette maladie & fes autres, incommodités
, il foutint avec courage les fatigues
extraordinaires de cette pénible , mais célèbre retraite
, que les fartes militaires ne laiflerom pas de
faire paner à la portérité , avec les éloges dus à la
conduite & à la fermeté du général par lequel elle
fut entreprife & exécutée.
L’antiquité fournit plufieurs exemples de troupes
qui, par une retraite habilement conçue & exécutée
, échappèrent aux ennemis qui les bloqüoient»
Nous terminerons cet article par celui d’Annibal »
fils de G ifcon, à Agrigente.
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Les Romains avoîent formé le blocus de cette
ville de Sicile, qui fervoit d’entrepôt aux Carthaginois.
11 y avoit cinq mois qu’Annibal le foute-
noit, lorfque le fénat de Carthage envoya Hannon
à fon fecours. Ce général ayant été battu par les
Romains , Annibal, qui n’avoit plus d’efpérance
d’être fecouru , & qui manquoit de tout, fit des
difpofitions pour fauver fa garnifon. Il fortit de la
place avec fes troupes, la nuit même qui fuivit le
jour du combat : il arriva fans bruit & fans obf-
tacles aux lignes de circonvallation & de contrevallation
des ennemis ; il en combla le forte, & il
fit fa retraite fans que les Romains s’en apper-
çuflent que le lendemain. Ils détachèrent des
troupes après lui; mais elles ne purent atteindre
que fon arrière-garde, à laquelle elles firent peu
de mal. Voyeç fur ce fujet l’hiftoire de Polybe , liv.
1 , ch. iij. ( Q. )
La retraite étant une des opérations les plus difficiles,.
les plus fa vantes & les plus dangereufes, je
vais rapporter les préceptes détaillés que donne ie
marquis de Santa-Cruz fur cette grande partie de
l’art de la guerre.
Comment ■ & en quel lieu un général doit, dprès une
défaite , rallier les fuyards.
En traitant des difpofitions pendant la bataille,,
j’ai dit comme on peut rétablir un combat prefque
perdu , & faire croire qu’on a eu la viéloire de fon
côté, quand le fuccès de la bataille femble avoir
été indécis ; je traiterai dans la fuite des retraites
des troupes ; ainfi il ne s’agit ici que d’examiner par
quels moyens on peut réparer fa perte après une
déroute.
Pour cela, auflitôt que vous voyez que votre
armée au lieu de faire retraite, prend la fuite, détachez
en toute diligence des officiers de confiance
& d’un grade diftingué , pour aller occuper les
chemins, détenir les fuyards, les rallier , 6c marcher
avec eux en bon ordre vers le lieu où il' conviendra
de faire retraite. Des troupes qui fuyent,
à moins quelles ne rencontrent quelques officiers
de diftinâion & de confiance , bien loin de faire
volte-face à l’ennemi, ne continueront pas même
leur fuite unis enfemble. Les foldats tireront vers
divers côtés, félon qu’ils feront guidés par leur
frayeur & leur caprice ; & quand ils fe trouveront
enfin éloignés de leurs drapeaux & de leurs officiers
, ils aimeront mieux déferrer que retourner à
leurs régiments. J’ai vu un régiment fe débander
de telle forte , qu’il tarda trois mois entiers à fe
réunir, parce que fon commandant n’avoit pas eu
iafagefle de détacher fur les chemins des officiers
pour détenir les foldats qui, par une terreur panique
, & fans apparence d’ennemis , avoient pris
la fuite, de forte que chacun fe retira vers l’en-
<lroit que le hafard ou fon inclination lui fit choifir,
& le corps prefque entier des tambours ne s’arrêta
<ïue dans une province fort éloignée.
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Après que l’armée de Scipion eut été battue par
Gæfar au voifinage de Thapfo , ces troupes firent
retraite vers un camp fortifié; mais n’y ayant trouvé
aucun officier général pour les commander, bien
loin de prendre la réfolution de fe défendre dans
leur camp , elles jettérent & abandonnèrent leurs
armes, afin que leur poids ne put retarder leur
fuite. .
S i, fur le chemin que les fuyards prennent, il
y a un gué', un pont ou un défilé derrière lequel M
après l’avoir parte , on puifle faire halte fans rifque
d’être coupé ou enveloppé, les officiers détaches
dont j’ai parlé auront ordre d’y faire tête aux en-,
nemis , avec les troupes qu’ils auront ralliées •
fuppofez qu’eu égard à leur nombre & à la fitua-
tion étroite du défilé, ils croyent pouvoir fe défendre
derrière ce porte , & y arrêter ceux qui les
fuivent dans leur fuite. Il faut d’ailleurs faire attention
que touts les ennemis ne pourfuivent pas
les fuyards par un même chemin , mais qu’ils
prennent les différentes routes que. les troupes
mifes en déroute ont prifes, que plufieurs fe débandent
pour aller piller le champ de bataille, &
qu’il Ÿ en a Peu 9U* fuivent avec autant de vîtefle
que les vaincus fuient.
En 1653 , les mécontents de Hongrie furent mis
en fuite par le duc de Lorraine, auprès de Pref-
bourg ; mais dès qu’ils eurent paffé un ruifleau à
deux lieues de l’endroit où ils avoient été battus ,
ils firent tête aux Impériaux, q u i, n’efpérant pas
de pouvoir vaincre les avantages que le terrein
offroit aux Hongrois, ceffèrent de les pourfuivre ;
en forte que la défaite des mécontents n’eut pas
des fuites aufli funeftes qu’ils avoient d’abord eu
lieu de le craindre.
Plus loin & plus longtemps les vainqueurs fui-
vront les fuyards , & plus ils feront de prifonniers
en harcellant continuellement les vaincus ; ils en
prendront un grand nombre , & plufieurs autres
haraffés, eftropiés ou bleffés , ne fe fentant pas la
force de joindre leurs camarades , s’arrêteront pour
fe rendre.
Les Danois ne perdirent pas tant de monde à la
bataille de Saërfure, qu’ils en perdirent dans leur
fuite , quand, après le combat, les Suédois les
pourfuivirent fort longtemps.
Solis rapporte que Cortès ayant éprouvé quelque
défavantage fur la chauffée du Lac , où fes troupes
avoient été un peu maltraitées par les Mexicains ,
s’arrêta au voifinage de ce Lac , pour y ramafler les
foldats difperfés , & que par ce moyen il en raf-
fembla un grand nombre.
Une armée qui fuit pendant longtemps fe détruit,
quand même elle ne feroit pas pourfuivie ,
parce qu’elle croit toujours que l’ennemi eft à fes
trouffes , & dans un défilé ou dans le partage d’un
pont les fuyards fe précipitent les uns fur les autres
& s’étouffent.
Il fe perd beaucoup moins- de monde dans un
N n n ij