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avant que de marcher à lui , & même en y marchant
, le faire continuellement tourmenter par Tar-
tiilerie , afin d’augmenter, par le fracas du canon ,
la terreur que la préfence de l’armée aura donnée à
l’ennemi, & ne lui pas biffer le temps de fe pouvoir
mettre en bataille, ou même celui de fe retrancher.
Si l’ennemi eft placé de manière que, fans pouvoir
prendre de grands avantages fur lui par la
fituation de fon camp, il ne vous laide que ceux
de s’être ferré dans fes fourrages , il faut s’approcher
de lui avec circonfpeélion , y demeurer avec
patience, biffer croître fes befoins par le temps,
fe retrancher même pour lui ôter la penfée de
combattre,dans la vue de fe retirer par un coup
heureux de l’embarras où il eft tombé par fa faute,
bien obferver fes mouvements , & le fatiguer tellement
, tant de jonr que de nuit, qu’avec un peu
de temps on réduife fa cavalerie à de grandes
extrémités , en ne lui biffant ni le temps ni le
moyen de dérober de petits relies de fourrages ,
ou de fubfifter de quelques pâtures dont il feroit à
portée.
Ce cas arrive rarement dans le cours de la campagne
, & on ne peut guères compter qu’un général
ennemi foit affez imbécille pour tomber dans
cet inconvénient ; il peut feulement arriver, &
même ce cas n’efl pas rare, que par la néceffité
abfolue de relier dans un polie, il ruine tellement
fa cavalerie , qu’il en coûte beaucoup à fon prince
pour la rétablir.
Si l’ennemi s’ell campé de manière que l’on
puiffe fe placer entre fon armée & le lieu d’où il
tire fes convois , comme il ne faut que vingt-
quatre heures pour rendre fon befoin fans remède
, il faut lui ôter tout moyen de faire un coup
de défefpoir, fe poller avantageufement près de
lu i , s’y bien retrancher, traiter même avec inhumanité
ceux que la faim contraindra de fortir de
fon camp & qui viendront fe, rendre à vous , afin
que la néceffité des vivres devenant générale ,
elle force toute l’armée ou à fe perdre en combattant
avec défavantage, ou à fe rendre à discrétion.
Je rapporterai fur cette matière quelques exemples
dont les événements ont été différents.
En l’année 1675 > l’armée commandée par M. le
maréchal de Créqui fut entièrement furprife dans
fon camp près de Confarbrick, puifqu’elle ne s’at-
tendoit point à combattre ce jour-là ; auffi fut-
elle battue.
J’ai parlé ailleurs des fautes que ce général avoit
faites dans cette occafion, & dont il a profité dans
toute la fuite de fa v ie , par fon application à ne fe
négliger fur aucune des attentions néceffaires pour
fe procurer des fuccès heureux. L’article fuivant va
le prouver.
En l’année 1677, M. de Créqui furprit l’armée
entière de M. le duc de Saxe-Eifenach ; l’effet en
fut fi fingulier , qu’il mérite un détail exaéï.
M. d’Eifenach, après avoir repaffé impunément
SUR
le Rhin à Huningue devant M. de Montclar, crut
encore pouvoir fe tenir fur la Kintze proche du fort
de Kell devant ce même général, dans le temps
que M. le maréchal de Créqui ramenoit fon armée
en Alface, en côtoyant toujours celle de l’empereur,
commandée par M. le duc de Lorraine,
q u i, pendant quatre mois , avoit inutilement tenté
de rentrer dans fon pays ou en Champagne,par la
Saar , la Mofelle 6c la Meufe.
Ce prince revenoit donc dans la baffe Alface ;
mais M. le maréchal de Créqui l’avoit obligé, par
fa fage conduite , à ne rentrer dans cette province
que par le côté du Palatinat, de forte que le maréchal
de Créqui avoit gagné plufieurs marches
fur lui.
Cependant M. d’Eifenach, placé comme je l’ai
dit, crut pouvoir attendre en fureté que l’armée
de M. de Lorraine fe fût affez approchée de Straf-
bourg , pour la pouvoir joindre; mais M. le maré-
chai de Créqui, plus v if que lui, paffa le Rhin avec
une partie de fon armée, biffant l’autre en deçà dç
cette rivière , où elle pouvoit être quelques jours
en fureté par l'éloignement de l’armée de M. de
Lorraine, & marcha à la Kintze avec tant de diligence
, que M. d’Eifenach, qui ne croyoit avoir devant
lui que le corps commandé par M. de Montclar
, fe trouva furpris de fi près, qu’il fut contraint,
pour éviter b perte entière de fon armée ,
de fe jetter par le fort de Kell dans une ifle du
Rhin vis-à-vis de Strasbourg , d’où il ne reffortic
que par-un paffeport pour lui & pour toute fon
armée , que M. le maréchal de Créqui lui donna ,
avec un feul trompette pour le conduire.
La crainte queM. le maréchal de Créqui eût que
1a régence de Strasbourg, dans ce temps-là ville
impériale , ne biffât entrer M. d’Eifenach en
Alface, où il auroit joint M. de Lorraine , dont il
auroit confidérablement renforcée l’armée , affaiblie
par les pertes & les fatigues de 1a campagne
qu’elle venoit de faire , fut 1a raifon qui obligea
M. de Créqui à donner ce glorieux paffeport ,
conçu dans des termes tout-à-fait humiliant pour
M. d’Eifenach , à qui notre général permettoit
de s’en retourner en Allemagne avec tonte fon armée
par un chemin marqué , avec défenfeàaucun
officier , cavalier ou foldat de l’armée du ro i, de
faire aucun tort ni empêchement à M. le duc d’Eifenach
ni à fon armée, s’en retournant en Allemagne.
Par ces deux exemples, on voit qu’on peut dire
qu’une armée a été furprife de plufieurs manières
différentes ; dans le premier exemple , l’armée de
M. le maréchal de Créqui a été furprife, puifqu’elle
a été forcée à combattre fans l’avoir prévu , fans le
vouloir, & dans le temps que fa cavalerie étoit au
fourrage , & les chevaux de fon artillerie employés
à un convoi.
Dans le fécond exemple, on voit une armée
qui a été furprife, parce qu’il eft arrivé à l’armée
SUR
qui lui étoit dppofée, un renfort de troupes fans
qu’elle en eût aucune connoiffance.
Ainfi je puis conclure fur cette matière , qu’une
armée entière n’ell jamaisfurprife que parla préemption
ou 1a négligence de celui qui 1a commande,
& par 1a vigilance du général qui lui eft
oppofé.
J’ai vu en d’autres occafions des armées q u i,
pour s’être mal placées , auroiént pu aifément être
détruites & entièrement furprifes, L’année 1695
fourniroi^plufieurs exemplès fur cette matière,fi
M. le maréchal de Villeroi ne les avoit pas biffés
échapper.
Des furprifes dans les marches.
Il n’en eft pas de même des furprifes qui peuvent
s’exécuter fur une armée qui marche près de fon
ennemi, foit-en lui préfentant le flanc , foit en
Je retirant devant lu i, foit en marchant en avant ;
il faut toujours marcher, à cette forte d’expédition
, avec l’armée entière, afin d’être en état de
profiter du défordre où l’on aura jetté fon ennemi.
Iljeft impoffible de le prévoir entièrement ; cela
dépend absolument de 1a pofture dans laquelle on
le trouvera. On doit dire en général qu’en ce cas ,
l’ennemi doit être attaqué, s’il fe peut, fans qu’il
en ait connoiffance , avec force & impétuofité en
plufieurs endroits à - 1a - fo is ; qu’il faut que les
troupes qui attaquent foient foutenues de près ,
afin de renverfer les corps qu’elles chargent fur
ceux qui, au bruit de l’attaque , voudront fe
mettre en pofture de les foutenir , parce que cette
fécondé ligne qui s’avancera en bon ordre, décidera
par fa contenance, & forcera l’ennemi à une
fuite honteufe.
Cette maxime regarde l’armée qui feroit affez
imprudente pour marcher en prêtant le flanc à fon
ennemi, ou celle q u i, fans précaution , marche-
roit en avant. Cette efpèce d’aélion peut fouvent
être décifive pour toute b campagne.
On trouve auffi fouvent occafion d’entreprendre
avec fuccès fur une arrière-garde. Ces fortes d’affaires
cependant font rarement décifives ; elles
doivent être entreprifes avec beaucoup de vivacité
& de diligence ; mais il ne faut commettre à leur
exécution que ce qu’il faut de troupes pour renverfer
feulement l’arrière-garde ennemie.
Le refte doit être confervé en corps pour recevoir
les troupes qui ont chargé, qui, fort aifé-
ment, peuvent être mifés en défordre & ramenées
par les ennemis, qui prendroient un fort grand
avantage fur vous , fi on avoit négligé de tenir ensemble
un corps capable de foutenir & recevoir
les troupes qui reviendroient de charger cette
arrière-garde.
C ’eft la nature du pays qui rend cette entre-
prife confidérable ; s’il eft ouvert , elle ne peut
produire un grand effet, parce qu’ elle ne peut
etre exécutée que contre un petit corps de l’armée j
^ut çft très facile, & que d’ailleurs on peut voir
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venir de loin le corps qui marche pour entreprendre
fur l’arrière-garde, en forte qu’il eft aifé
de prendre des mefures pour rompre fon deffein.
Au contraire, fi l’armée ennemie, en fe retirant
, avoit des défilés à paffer ou des rivières , &
qu’elle le fît fans précaution , elle pourroit fort
aifément perdre une grande partie de fes troupes ,
fi elles fe trouvoient attaquées par un corps fùpé-
rieur en-deçà du défilé ou de 1a civière que le refte
de 1' armée auroit déjà paffé, ou bien où elle fe feroit
engagée.
Il faut en général, pour former quelque entre-
prife fur une armée en marche, en être à une portée
raifonnable , afin que les troupes deftinées à cetie
expédition, lorfqu’elles arrivent, ne foient pas trop
fatiguées, ni trop éloignées du corps entier de l’armée
, parce qu’elles auront affaire à des troupes
qui ne font pas fatiguées, 6c que 1a retraite feroit
trop difficile , fi l’ennemi marehoit à elles & les fui-
voit vivement dans leur retraite.
Je parlerai ici des furprifes qui fe peuvent exécuter
contre une armée qui marche, foit en avant 9
foit en arrière , foit en préfentant le flanc.
Le premier exemple que j’en rapporterai eft:
celui de. Sénef en l’année 16 74, qui eft dans le
cas d’une armée qui /proche de celle de l’ennemi,
marche imprudemment en lui prêtant Je flanc, &
qui hafarde de paffer fans précaution les défilés qui
fe trouvent au commencement de fa marche, &
lorfqu’elle eft le plus à portée de fon ennemi.
J’ai déjà parlé de cette grande aélion en réflé-
chiffant fur la matière des articles précédents ;
ainfi ce que j’en dis ic i , n’eft que pour juftifier ,
par un fameux exemple , que l’on peut entreprendre
fur une armée ennemie qui marche en prêtant
le flanc de trop près , fans avoir pris les précautions
néceffaires pour affurer fon mouvement.
Le fécond exemple eft celui du combat de
Leuze en l’année 1691 ; il tombe dans le cas d’une
armée qui, fe croyant hors de portée de celle de
l’ennemi, hafarde démarcher en arrière, en b iffant
fon arrière-garde en bataille à 1a tête du camp
qu’elle quitte, téparée par un ruiffeau du corps de
l’armée qui eft en pleine marche, & q u i, après
avoir paffé le ruiffeau , ne fe. forme point pour recevoir
fon arrière-garde & 1a protéger , jufqu a ce
qu’elle ait paffé le ruiffeau.
Une règle certaine à 1a guerre pour faire touts
les mouvements avec fureté, eft de les faire ,
quelque éloigné que l’on foit de fon ennemi, avec
les mêmes attentions que fi l’on étoit à fa vue ,
parce que l’on doit fuppofer que l’ennemi peut
avoir été averti de 1a manière négligente dont on
feroit ce mouvement, & qu’il s’eft mis en état d’en
profiter.
Dans cette occafion , M. le prince d’Orange
campé à Leuze, le ruiffeau de b Catoire derrière
lu i, ne crut pas que M . de Luxembourg, fous
Tournai à fix lieues de lu i, pût être affez tôt averti
de fon décampement, pour pouvoir faire cette