
4 7<S R E T
exemples, que depuis la fondation de Rome , les
troupes de cette redoutable république avoient été
très fouvent.battues , 8t que dans l’efpace de peu
de jours , on avoit vu fes ennemis vaincus remporter
fur Rome de glorieufes victoires ; ce que
Scipion confirmoit parles guerres de Porfenna, des
Gaulois & des Samnites.
Attribuez la déroute précédente au défavantage
du terrein, ou à la méfintelligence des généraux,
ou à quelque accident qu'il n’y a plus lieu de
craindre , afin que vos troupes ne croyetit pas que
c’eft par la feule valeur des ennemis qu’elles ont
été vaincues.
. Gafton de F o ix , avant la bataille de Ravennes ,
repréfentoit à fon armée que. fi les Efpagnols
avoient eu quelques avantages--fur les François dans
le royaume de Naples, c’eft qu’ils avoient toujours
eu le terrein favorable; mais qu’alors le ter-
rein étoit égal, puifque les Efpagnols n’avoient
plus en leur faveur ces rivières & ces foffés qui les
avoient rendus viâorieux.
Le conful Luce Valère ayant à combattre contre
les Volfques & les Eques , par qui les Romains
avoient été défaits peu auparavant, exhortoit fes
foldats à faire voir comme c’étoit la vérité que bien
loin que leur manque de valeur eût caufé leur malheur
précédent, il n’étoit venu que de la haine
que l’armée portoit.au décemvir qui la comman-
doit, ce qui n’étoit plus à craindre , leur difoit Valère
, en exagérant fon amour pour les Romains &
pour chaque guerrier en particulier.
Le diélateur Manière Emile , pour relever le
courage de l’armée Romaine , n’attribuoit point les
mauvais fuccès qu’elle avoit éprouvés, à fa lâcheté ,
ni à la valeur de fes ennemis, mais uniquement à
la méfintelligence qui régnoit entre Titus Quen-
tius Penus , Marc, Pofthume & Aulus Cornélius,
tribuns militaires qui commandaient cette armée ,
&. qui étoient toujours défunis.
Marabode , roi de Souabe , pour animer fes
troupes contre celles d’Arminius,.Ieur repréfentoit
que ce n’étoit que par un coup de perfidie qu’Ar-
minius avoit eu le bonheur de battre Quintilius
Variis , en furprenant trois légions extrêmement
foibles.en nombre, & commandées par un chef
qui vivoit fans défiance.
Brafidas, Timocrate , Lycophron & Gneme ,
capitaines Lacédémoniens , pour porter leurs fdl-
dats à livrer une fécondé bataille aux Athéniens ,
qui venoient d’en gagner une, tâchoient de.leur
perfuader que la flotte de Lacédémone étoit em-
barraffée par des bâtiments de tranfports, lorf*
qu’elle fut furprife par celle d’Athènes, & par con-
quent que les. Athéniens dévoient moins leur victoire
à la valeur, qu’à la rufe & à la furprife.
Avant la bataille de Cannes , le conful Luce
Emile animoit les Romains , en leur repréfentant
que leur défaite précédente ne pouvoit être attribuée
qu’au conful, qui avoit fait la guerre fans
unir leurs légions avec de nouvelles troupes qui
RET
n’étoietlt pas encore agiiéries SC dlfcîplinées , &
que d’ailleurs Annibal avoit, en Tofcane, furpris
l’armée Romaine à la faveur d’un brouillard ; mais
que dans cette occafion, où ils n’avoient à craindre
aucun de ces inconvénients , ils dévoient fe promettre
la viâoire.
Si quelques corps de trOùpes auxiliaires ou
autres qpi étoient dans l'armée ennemie lorfque la
vôtre a été battue, n’y font plus , n’attribuez la
vi&oire que les ennemis ont remportée, qu’à la
bravoure de ces régiments abfents , afin que vos
foldats foient moins intimidés en allant combattre
une armée qui paroît être en poffefliori de vaincre.
En 1503,1e grand capitaine haranguant les Italiens
avant d’entrer dans un combat contre un
nombre égal de François, leur difoit qu’il ne fal-
loit point juger de la valeur des François par les
heureux fuccès qu’ils avoient eus auparavant dans
les armes, parce qu’ils dévoient'touts ces favorables
événements au courage & à la fage conduite
des Italiens , alors alliés de la France, qui les
avoient afliftés de leurs troupes & de leurs con-
feils.
Suppofé que les régiments ennemis foient lés
mêmes qui, auparavant, ont battu votre arm.ee ,
tâchez de lui perfuader que ce ne font pas pour
cela les mêmes vainqueurs, puifque dans telle oc
telle occafion les ennemis ont perdu leurs plus
braves guerriers , & leur ont fubflitué de nouveaux
officiers & des recrues qui, véritablement
font nombre, mais qui font peu à redouter.
Quoique l’armée qui.eft en préfence foit celle
de Macédoine, difoit Darius à fes troupes avant
la bataille d’A rbelle, il n’y a pourtant que peu de
Macédoniens , parce que, ajoutoit il , la plupart
des vieux foldats d’Alexandre ont été tué* dans
les aérions précédentes.
Si la veille du combat vous appercevez dans les
ennemis quelque apparence ife crainte , de dé-
fordre ou de défaut de difeipline, faites-le obfer-
ver à votre année.
Si le général ennemi & les autres principaux
officiers ne font pas les mêmes qui commandoient
l’armée lorfque la vôtre a été battue , & s’ils ne font
ni.fi habiles , ni fi expérimentés que les premiers ,
repréfentez-le à vos troupes, parce que fouvent
un général fe rend auffi redoutable à fes ennemis
par fa réputation , que par la force de fon armée ,
je l’ai prouvé ailleurs par divers exemples.
Si vos guerriers font extrêmement fenfibles à
l’honneur., exagérez-leur la honte qui réjailliroit
fur eux s’ils différoient de rétablir leur réputation ,
& d’effacer le déshonneur de la défaite précédente
par la gloire d’un triomphe qui fuivra de près.
Le vice-préteur Marcus Marcellus ayant été battu
par Annibal, ne fe contenta pas de faire de fan-
glants reproches à fes troupes ; mais leiendemain
qu’ils avoient réfolu de combattre de nouveau »
il mit à la-première ligne celles qui avoient perdu
leurs drapeaux dans le combat précédent ,?fin que
RET
„ôur éviter i ’iflfâmie que Marcellus leur repro-
clioit, elles fiffeut de puiffants efforts. Comme
Marcellus continuoit févérement fes reproches ,
fes foldats pouffèrent un grand c r i , en lui demandant
pardon de leur faute; & dans l’ardeur qu’ils
témoignèrent d’en venir à un fécond combat, Marcellus
leur donna ordre de charger , & ils gagnèrent
la bataille.
Marc Antoine ayant reproché à fes troupes d a-
voir fait paroître de la crainte & de la lachete en
combattant contre les Parthes , ces reproches firent
tant d’impreffion fur les foldats , qu’ils demandèrent
eux-mêmes qu’on les décimât pour en faire
mourir un de dix > & ils s’animèrent de telle manière
les uns les autres à réparer leur faute, qu’on
vit en eux des prodiges de valeur.
Quand ce font, feulement quelques troupes qui
refufent d’en venir à un fécond combat, dites d un
ton ferme que du moins vous etes certain qu un
tel ou un tel régiment foutiendront leur réputation
& combattront avec valeur. Par-là vous vous attirerez
l’affeâion de ces régiments, vous vous affu-
rez de leur obéiffance, vous les engagez à faire
paroître une nouvelle ardeur , & vous donnez de
l’émulation aux autres. .
C’eft ce que pratiqua Cæfar avec beaucoup de
fuccès , en témoignant la confiance toute particulière
qu’il avoit en fa dixième légion ; car cette
légion , par .reconnoiffance de l’eftime dont Cæfar
l’honoroit, & les autres par une noble émulation ,
donnèrent toutes les preuves de valeur que Cæfar
pouvoit en attendre.
Si vous remarquez que votre armée s’intimide à
caufe de-fon petit nombre -, tâchez de lui perfuader
que les ennemis n’ont grofli le leur que de payfans,
de valets & de vivandiers qui font mal armés &
fans expérience ; & q u i, en prenant bientôt la
fuite, vous laifferont un vuide pour pénétrer dans
leurs lignes.
A la veille de la bataille d’Arbelle , Alexandre
difoir à fes troupes de confidérer que l’armée im-
menfe de Darius n’étoit qu’un amas de payfans ,
& que fi l’armée de fon ennemi étoit fupérieure en-
nombre d’hommes, elle étoit inférieure en nombre
de foldats & de guerriers.
Si la fupériorité en nombre des ennemis eft fi
parfaitement connue de vos troupes, que la feinte
que je viens de propofer ne puiffe pas avoir lieu ,
repréfentez-leur l’embarras & la difficulté qu’il y a
de faire manoeuvrer une grande armée, & par conséquent
combien il eft aifé de la battre en l’atta,-
quant avec vigueur, pour ne pas lui donner le
temps de fubftituer au combat des troupes fraîches.
Avant la bataille dé Tarichéè, l’èmpereur Tite fit
cette repréfentation à fes troupes , à caufe qu’elles
étoient en beaucoup plus petit nombre que celles
des ennemis.
Il eft bon , dans certaines circonftances, de donner
à entendre que vous êtes en intelligence avec
RET 477
quelques régiments des ennemis, ainfi que je l’ai
prouvé dans un autre endroit.
Si le terrein où font les ennemis eft étroit, faites
obferver à votre armée que le grand nombre eft
inutile, puifque les ennemis ne fauroient avoir un
plus grand front que vous , & par conféquent il
n’y aura pas- un,plus grand nombre de combattants
de leur côté-que du vôtre.,
C ’eft par cette confidération que Démofthène ,
fils d’Alciftène, avant la bataille de Pilo , anima les
Athéniens , qui étoient fous fes ordres , & il remporta
la vi&oire contre les troupes de Sparte,
commandées par Thrafimélide.
Vous pourrez même ajouter, dans ce cas, que
les premiers fuyards des ennemis ne pouvant pas
fe retirer par-derrière leurs ailes , renverferont
-eux-mêinesdeurs lignes , & y mettront le défordre.
Quel que le terrein puiffe être, citez des exemples
de ces petites armées qui en ont battu d'autres infiniment
fupérieures en nombre , principalement
quand elles ont furpaffé les ennemis en valeur &
en conduite , ou quand elles ont battu pour la
caufe jufte.
Sylla en agit ainfi pour préparer fes troupes à
combattre fans crainte contre la nombreufe armée
de Bochus & de Jugurtha.
Phorimon , capitaine d’Athènes, avant la bataille
contre la puiffante ligue de Sparte, commandée
par Gnème, Timocrate & Brafidas, repréfentoit
aux fiens combien de fois des armées , malgré
leur grand nombre , avoient été vaincues par Ja
; conduite & la valeur de leurs ennemis ; & que
! c’eft moins de la multitude que de l'habileté du
général & de la bravoure des guerriers, qu’il fade
fe promettre la viâoir.e. ,
Selon nos livres facrés , Judas Machabée , pour
animer le petit nombre de fes Ifraëlites à combattre
avec confiance contre la formidable armée
de Nicanor, les faifoient reffouvenir de divers oc-
cafions où le peuple de Dieu avoit taillé en pièces
fes ennemis, beaucoup fupérieurs en nombre. « Ces
paroles de Judas Machabée , ajoute l’écriture
fainte , rendirent les Ifraëlites intrépides & fermes
dans la réfolution de mourir pour leur loi & pour
la patrie ».
lnfinuez à votre armée que plus les ennemis
font en nombre, & plus il y a de gloire à les
vaincre.
Enfin repréfentez à vos troupes que les ennemis
ayant raffemblé toutes leurs forces dans leur
armée, ce jou r, fi elles gagnent la bataille, va
mettre fin à toutes les fatigues & à touts les périls
de la guerre. Ecoutez comme , dans une fem-
blable occafion , Godefroy, ce véritable héros ,
parla a l’armée catholique félon l’idée du fameux
Tajpn. « Braves guerriers de l’A fte, dit-il, fléau des
ennemis de Jéfus-Chrift , voici enfin ce jour tant I défiré, qui doit couronneY vos travaux; ce n’eft
pas fans raifon que le ciel permet qu’on vole ici
raffemblé tout ce qui vous refte d’ennemis àcom