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les fufdits Suiffes gardent, ôc la mode des armes
qu’ils portent. Les Italiens s’y font adonnés les
gens de qualité à fe mettre à ia tête des bandes ».
« Le roi Louis X I I , dit-il, étant venu à la couronne
, 8c ayant retiré Milan,qui lui appartenoît,
& le royaume de Naples de même, pour les acquérir
& garder, il fe fît de belles guerres & continuelles
, tant contre les Italiens qu’Efpagnols ;
pour ce , notre infanterie commença à fe façonner
. . . . , puis après , ledit roi Louis , lorfque les
Génois fe révoltèrent de fon obéiffance , il drefla
une forte groffe armée pour prendre leur ville ;
& d'autant qu’il avoir befoin d’infanterie plus que
de gendarmerie , il bailla la charge à plufieurs capitaines
& braves gentilshommes françois 8c de
bonne maifon , comme aux feigneurs de Maugi-
ron, de Vandeneffe , d’Efpic, de la Crote, de
Bayard , de Normanville , de Montcavray, de
Rouffillon , de Tréville, de Silly le cadet, de
Duras, le capitaine O der, le capitaine Imbaut
plufieurs antres, defquels ni les uns ni les autres
n’avoient charge de colonel ni le nom de meftre-
de-camp. Nous lifons dans les romans de Bayard ,
qu’il lui donna auffi charge de mille hommes de
pied; ce qae voyant, rl l’accepta encore qu’il eût
fait profeffion plus de cheval que de pied ; mais
à lui tout étoit guerre ; toutefois il remontra au roi
qu’il avoir trop de gens fous fa charge que ces
mille , pour s’en acquitter très dignement. Aujourd’hui
nos meftres-de-camp ne font pas ceci ; car
ils en prennent trois mille, quatre mille, dix
mille , voire vingt mille , tant qu’on leur en
donne, jufqu’à les entaffer & faouler ; suffi font-
ils de belles gliffades 8c faux pas ;, par quoi il le
pria de ne lui en donner que cinq cents, & qu’il
s’a flu ro ita v e c l’aide de Dieu & d'e fes-amis , de
lui faire mener une fî belle troupe , que pour petite
qu’elle feroit, il battroit bien une plus grande
deux fois que la fîenne. . . . ; auffi fit-il cette com-
agnie de cinq cents hommes, touts gens d’élite,fi
ien que plufieurs gendarmes quittèrent la lance
pour prendre la pique avec lui , comme il alla
auffi ; & ce fut lui & fa troupe qui firent le grand
effort à la prife de Gènes, & en fut la principale
eaufe | . . . . M. de Mollard , vieux routier aux
guerres d’Italie . . . . , avoir charge de deux mille
bommes de pied, qu'il entretint toujours braves
& vaillants, comme ils le nrontrèreht à la bataille
de Ravcnnes, où ils firent très bien, 8c en mourut
beaucoup avec leur capitaine; auffi donna-t-il le
premier avec le capitaine Jacob Allemand , qui
avoit charge de quelques Lanfquenets, qui fervit
bien le roi ce jour ; auffi mourut-ii des premiers
avec M. de Mollard . . . . Le baron de Grammont
& le capitaine de Maugiron fîrënftlà auffi très bien *
qui commandoient chacun à mille hommes de
pied , comme le capitaine Bonnet, qui auffi s’y
trouva , qui fit très bien ; mais il n’y mourut pas
comme les autres , il en fut quitte pour un coup
de pique dans le front, dont le fer y demeura. Il
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avoit eu auparavant un très brave, très vaillant
lieutenant, qui étoit le capitaine Lorgé , frère aîné
de ce brave que nous avons vu depuis, qui a
commandé longuement plufieurs troupes de gens
de pied , & pour fes mérites , fait capitaine des
.gardes écoffoiles du roi ».
On voit par-cé't extrait des mémoires de Brantôme
, i°. que l’infanterie françoife étoit devenue
excellente fous le règne de Louis X II; que èes fei.-y
graeurs , qui en commandoient lesdiverfes bandes v
l’avoient mife fur un bon pied ;;8c la même choie
eft confirmée par les mémoires manuferits du maréchal
de Fl en ranges , à l’endroit où il parle de
l’expédition de Gênes, excepté qu’il- ne convient
pas avec Brantôme pour le nombre des fantaffins
que ces feigneurs commandaient ; car , par exemple
, il en donne deux mille a-u chevalier Bayard ,
& non pas feulement cinq cents, comme le dit-
Brantôme ; a0. On voit que les feigneurs & gentilshommes
qui commandoient ces corps d’infanterie
, n’avoient ni le titre de colonel,.ni le titre,
de meftre-de-camp , mais feulement^ celui de capi-’
taine. Ils avoient un lieutenant,, un enfeigne , qut;
étoient des charges très eonftdérables; 6c (ans doute
quantité d’officiers fiibalteraes ,. tels qu’on les voit
encore dans les troupes, e’eff-à-dire , de&fergents ,,
des caporaux, 8cc.
Outre cette infanterie bien difçïplinée , les mémoires
du maréchal de Fleuranges nous apprennent
que fous Charles VIII & Louis XII , il y~
en- avoit une autre efpèce bien différente & bien
moins réglée, eompofée de ceux qu’on appel lois
avanturiers, J-’en parlerai en traitant des changements
qui furent faits dans Finfanterie françoife
(bus le règne de François Ier, qui y en fit auffi de
confidérables , comme on va le voir.
Changements arrives dans l'infantèrie françoife fous
le règne de François 7er.
François I.cr en montant fur le trône après
Louis X I I , trouva Finfanterie dans l’état que je-
yiens de dire, & parott l’y avoir maintenue pendant
plufieurs années , fi ce n’eft que Brantôme-
remarque comme une ch’o-fe extraordinaire, qu’en?
152.1, quand le roi mit fon armée en campagne-
pour aller faire lever le fiège de Mézières, attaqué
par l’armée de l’empereur Charles V , & défendue
par le chevalier.Bayard , il donna jufqn a
cinq raille hommes de pied à commander à un feul
capitaine , qui fut le comte de Saint Paul.
Mais ce prince, peu de temps après fon retour
de fa: prifon de Madrid , réduifit, en 1527, les
bandes qui avoient été auparavant de mille & de
deux mille, à un bien moindre nombre ; car il eft
i parlé ara fi dans une ordonnance- du 26 de mai de
cette année', rendue au bois de Vrncennes^ « Ledir
feigneur ( roi )’ entend que d’ici en avant une enfeigne
& bande de gens de pied des fufdites nations
( françoifes 8t italiennes qui font au-delà des
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monts ) , ne foient plus que de trois cents hommes,
& de quatre-cents hommes au plus ,. 8c que
chacun homme ait de foulde par mois fis livres
tournois. 11 s’étoit déjà fait une réforme pareille
quatre ans auparavant ».
Montluc dans fes Commentaires, marque le temps
où fe fit la rèdu&ion de ces nombreufes compagnies
pour la première fois ; ce fut l’an 1523.
« Incontinent après ( le combat de Saint-Jean de
L u s ) , dit-il, le camp des'ennemis fe retira en
Navarre, & M. de Lautrec caffa la moitié de ces
compagnies, & réferva les deux enfeignes de M .
de Cauna 8c celle du baron. Jean de C an n a , étant .
chacune de trois cents hommes^, qui fut la première
fois , ajoute-t-il, qu’on les réduifit a ce
nombre; car auparavant elles étoient de cinq cents
8c de mille hommes, qui apportoient beaucoup
de foulagement aux finances du roi, parce que tant
de lieutenants , enfeignes , fergents 8c autres officiers
emportent beaucoup de paye ; qu auffi le
commandement d’un bon nombre d’hommes appel*
lent les gentilshommes de maifon à ces charges ,
lefquels à préfent les dédaignent, voyant tant de
capiraineux auxquels on voit donner ces charges-
fans avoir jamais donné coup d’épée ».
- Ce fut depuis ce tertips-là un grand problème ,
favoir fi la multiplication des officiers étoit utile
©u défavantageufe. L’opinion pour cette imilcipli- |
cation a prévalu depuis ; mais le grand change- .
ment dans l’infanterie fous le règne de FrançoisIer,
fe fit en Fan 1534 par l’inftitution des légions.
De l’ injîitution des légions par François Ier.
Depuis que Louis XI eût pris fix mille Suiffes à
fon fer vice-, & que Charles V I I I , fes fücce.ffeurs,
en eurent fait venir beaucoup plus , & y eurent
ajouté les Lanfquenets, ce fut encore un autre
problème fur lequel les hommes d’état & les gens
de guerre difputèrent fouvent; favoir, s’il étoitde
l ’avantage du royaume d’avoir tant de troupes
étrangères dans les armées françoifes.
Les raifons^de ceux qui tenoient pour l’affirmative
étoient que c’étoient autant de foldats qu on
ôtoit aux ennemis de la Fi ance ; que par les grands
avantages qu’on leur faifoir, les Suiffes 8c plufieurs
princes Allemands demeuroient dans les intérêts
de la couronne ; que l’infanterie de ces deux nations
étoit la meilleure qu’il y eût alors en Europe,
qu’autant que la gendarmerie françoife l’emportoit
fur toute la gendarmerie des autres peuples , autant
l’infanterie françoife le cédoit aux Suiffes 8c
aux Lanfquenets ; que Louis XII ayant cru fe pouvoir
paffer des Suiffes & s’étant brouillé avec eux ,
il avoit mis le royaume en danger ; qu’ils avoient
été fur le point de prendre Dijon ; & que fi M. de
la Trimouille n’avoir eu l’adreffe de les amufer &
de leur faire .lever le fiège pour de l’argent, la
Bourgogne étoit perdue. Les autres qui étoient d’un avis contraire, fe
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fo ri dorent fur l’expérience 8c fur les fâcheux inconvénients
qui étoient arrivés au fujet de ce
grand nombre de troupes étrangères dans les armées
françoifes ; que le fecret du général avo:c eus
fouvent trahi par les officiers de ces trou peu ,
qu’elles étoient aifées à débaucher , fur-tout quand
elles n’étoient point exactement payées; qu on
étoit obligé de leur donner les places d honneur en
les mettant au corps de bataille dans les combats ,
au préjudice des troupes françoifes ; qu elles etoient
exemptes de toutes forces de corvées ; qu elles^ réfutaient
d’aller aux affauts , 6c pretendoiem n etre
que pour la bataille ; que les projets d un général
etoient fouvent déconcertés par leurs caprices;
qu’à Atelle dans le royaume de Naples , le duc de
Montpenfier fut abandonné par les Lanfquenets , à
la merci des Efpagaols , & contraint à une capitulation
homeufe p|É%;£e prince 6c pour la nation
françoife ; que le ieigneur de Lautrec fut force par
les Suiffes d’attaquer les ennemis à la Bicoque facs
nulle apparence de vaincre ; qu’ils 1 abandonnèrent
dans le duché de Milan , 8c furent eaufe de la perte
de ce duché ; que les Grifons en firent autant a
l’égard de François Ier, immédiatement avant la
bataille de Pavie , où ce prince fut .pris.
Ce font là les raifons pour 8c contre qu’apporte
Fauteur du livre de la Difcipline militaire , attribue
au feigneur du Bellay de Langey. Il y refont la
difficulté , en difant qu’il eft bon d avoir des
troupes étrangères dans les armees de France ; mais
qu’il ne faut pas qu’elles y foient en fi grand nombre
, que le général n’en tait abfolument le maître.
C ’eft dans cette vue que François Ier fir le projet
de mettre fur pied, une nombreufe infanterie
françoife, & d’y établir une exa&e difcipline, pour
être toujours prêts à réfifter a deux puiffants voifins
dont il avoit tout à craindre ; c etoit 1 empereur
Charles V , 8c Henri V III, roi d’Angleterre.
Comme François Ier n’étoit pas ignorant dans
l’ancienne hifioire, il donna aux corps qui dévoient
former fon infanterie , le nom de légion, a 1 exemple
des Romains , 8c les fit plus nombreux que les
plus fortes légions Romaines, à cela près qu’il n’y
joignit point de cavalerie.
Il inftitua donc fept légions , chacune de fix
mille hommes , qui, étant complexes , auroieot
fait quarante-deux mille hommes.
Une devoit être levée en Normandie , une autre
en Bretagne, une troisième en Picardie, une quatrième
en Languedoc, une cinquième en Guyenne ;
la Bourgogne, la Champagne 8c le Nivernois dévoient
fournir la*fixième; le Dauphiné, la Provence,
le LyonnoiS; 8c l’Auvergne , la feptieme.
Touts les foldats dévoient être armés , les uns
d’arquebufes , les autres de piques , les autres de
hallebardes. Les arquebufiers étoient en tout a»
nombre de douze mille.
Les capitaines , les lieutenants , les enfeignes &
les autres officiers fubalternes dévoient être du
pays où la légion fe levoit > 6c les. foldats auffi ; de