
y être en fureté .tant dans leur féjour qu’en la re-
joignant.
Lorfque le général arrive à portée de l’ennemi,,
il faut qu’il l’attaque avec vivacité, & ordonne à
tout ce qui peut pénétrer jufqu’à la place , de le
faire fans s’arrêter ; parce qu’il arrive prefque toujours
qu’une place qui reçoit un fecours dans le
temps de fon inveftiture, déconcerte affez l’epnemi
pour le faire défifter de fon entrepri-fe.
Le fecours entré , s’il eft raifonnable, le général
doit fe retirer promptement hors déportée de l’ennemi
, principalement s’il n’a pas marché avec
toute fon armée, la rejoindre , pour, après cela , fi
l’ennemi perfifte dans fon entreprife, chercher les
occafions de le forcer dans fes lignes , ou de battre
quelqu’un de fes convois , ou de le refferrer dans
fes fourrages.
Si, au contraire, le côté par lequel il fera arrivé à
la place, n’a pu être inverti par l’ennemi, à caufe
des difficultés qu’il aura trouvées à y paffer r il faut,
çn ce cas, qu’il s’y tienne jufqu’à ce que le refte de
fon armée y foit arrivée ; ce quifera furément retirer
l’ennemi, parce que fon entreprife deviendra
impoflible à exécuter.
A la fin de l’année 1673 j lorfque M. de Luxembourg
e u t, par ordre du roi, abandonné les conquêtes
de Hollande jufqu’à la Meufe, & qu’il fut
arrivé près de Maftrick avec le corps de troupes
qu’il ramenoit en France, il fut que M. le prince
d’Orange étoit campé fur la grande chauffée'avec
toutes les forces des Efpagnols & des Hollandois ,
& qu’il avoit même été joint par un corps confidé-
rable de la cavalerie de l’empereur.
L’ennemi fe trouvoit donc ainfi fort fupérieur
en cavalerie, & il n’auroit pas été prudent à M. de
Luxembourg de fe commettre dans un pays allez
ouvert, avec auffi peu de cavalerie qu’il en avoit.
M. le maréchal de Schomberg avoit raffemblé un
corps de cavalerie auprès de Charleroy , pour venir
aurdevant de M. de Luxembourg ; mais la difficulté
étoit que ces deux généraux puflenr fe rejoindre ,
malgré M. le prince d’Orange qui étoit entre deux.
Il s’agiffoit donc dans cette occafion de tromper
l’ennemi par des mouvements faux , qui fuffent
capables de donner un temps affez confidérable
pour faire , fans rifque, la jonéfion de la cavalerie
de M. de Schomberg avec l’infanterie de M. de
Luxembourg.
Pour y parvenir, ce général feignit de ne plus
avoir delfein de rentrer en France par Charleroy ,
& de vouloir rraverfer la Condros & les Ardennes
pour arriver à la Meufe. Ces démonftrations firent
«déplacer M. le prince d’Qrange. Il s’avança jufqu a
H u i& Namur, & ce fut ce temps-là que M. de
Luxembourg prit pour paffer brufquement la
Meufe à Maftrick-, & pour joindre auprès de Ton-
grus M. de Schomberg , qui s’étoit avancé pour cet
effet ; de forte que ces deux généraux fe joignirent ,
fans que M. le prince d’Orange pût s’y oppofer.
Çet exemple fait connoître que la bo^ne con-
MAR
dutte d un général dans fa marche , lui procure
prefque toujours la certitude de la faire heureufe ,
& le fuccès du deffein pour lequel il l’a entreprife.
La belle marche que M. de Montécucuili avait
faite quelques mois avant celle dont je viens de
parler , & par laquelle de Wmzbourg il fe porta au
bas Rhin, pour donner le moyen à M. le prince
d’Orange de faire le fiège de Bonn , & de joindre
1 armée de 1 empereur & celle des Hollandois ,
ayant trouvé fa place ailleurs , lorfque j’ai parlé de
1 enlevement du convoi de Wirtzbourg, je n’en
reparlerai point ici.
L année 1674 me fournira plufieurs exemples
de belles marches.
La première a ete celle que fit M. de Turenne
lorfque partant de la haute-Alface , où il étoit avec
une partie de fon armée , pour couvrir la conquête
de la Franche-Comté , il alla battre un corps de
troupes que les ennemis avoient affemblé à Sinrz-
heim , entre Philisbourg & Heilbronr.
Cette longue marche avoit été fi habilement & fi
fecrétement préparée par M. de Turenne , qui
avoit fucceffivement avancé des troupes fur la
route de Philisbourg, que l’ennemi fut attaqué &
battu , lans avoir eu aucune connoiflance précédente
des mouvements que ce général avoit faits
pour rendre fa marche plus vive.
La fécondé belle marche fut celle que M. le
Prince fit faire a l’armée du roi, en partant du
camp d’Efpieres pour fecourïr Oudenarde, affiégé
par M. le prince d'Orange. L’armée n’ayant pu arriver
d affez bonne heure pour être placée furies-hauteurs
qui étoient au-deffus de la ligne de circonvallation
, M. le Prince ne voulut pas qu’elle s’en
approchât, pour ne pas donner d’inquiétude à l’ennemi
, ni même la penfée de fortir de fa ligne pour
occuper, ces hauteurs, ce qui auroit rendu fon fecours
plus difficile.
Ce prince fe difpofa donc feulement toute la
nuit à occuper à lfi pointe du jour les hauteurs ;
un brouillard fort épais qui couvroit la terre un peu
avant le jour, cacha aux yeux la retraite de l'armée
ennemie , & fit perdre à M. le Prince le fruit
de fes beaux mouvements , dont il ne put pas même
profiter fur l’arrière-rgarde de l’armée ennemie- ;
parce que M. de Souches, qui cômmandoit l’armée
de l’empereur, fe fervitavec capacité de la confti-
tution du pays , pour faire faire le crochet à la cavalerie
de l’empereur, & la mettre en bataille fur
une hauteur qui fe trouvoit derrière l’armée du ro i,
dont elle1 n’étoit féparee que par un petit 1 uiffeau
qui couloit entre les deux hauteurs.
Cette contremarche d’une armée qui fembloit fe
retirer pour éviter une affaire , étoit fi judicieufe ,
que M. le Prince n’ofa rien entreprendre fur fon
arrière-garde., parce qu’il ne pouvait marcher à elle
fans prêter le flanc à M, de Souches ainfi placé.
La troifième belle marche de cette campagne a été
celle que M. dé Turenne fit faire à l’armée du roi
à la fin du mois de décembre, lorfque ce général
quitta
ftuîtta les quartiers d’hiver qu’il avoit feint de faite
prendre à l’armée dans la Lorraine, pour tomber
par Tannes & Bedfort furies quartiers que l’armée
des ennemis, infiniment fupérieure à la fienne ,
croyoit tranquillement conlerver dans la haute-
Alface. Il les força de les abandonner après plaideurs
combats, & d’en aller prendre d’autres de
l ’autre côté du Rhin.
Comme les quartiers que M. le maréchal de Tu-
renne occiipoitétotent fort fépares , mais pourtant
touts' à portée du pied des montagnes qui font
entre l’Alface & la Lorraine , ce grand général
avoit envoyé des ordres à touts les quartiers de
marcher, comme s’ils n’avoient eu deffein que de
s’étendre pour la commodité des fubfiftances , ou
pour aller prendre des quartiers d’hiver en Franche-
Comté, & couvrir cette province nouvellement
conquife, trop voifine des quartiers que les ennemis
occupoient dans la haute-Alface.
Toutes les routes que M. de Turenne avoit envoyées
aux troupes , finiffoient vis-à-vis des paf-
fages par lefquels il vouloit rentrer en Alface ;
ainfi toutes les troupes, fans lefavoir elles-mêmes ,
fe trouvèrent en même-temps aux deux rendez-
vous généraux de Tannes & de Bedfort, d’où elles
partirent pour entrer dans la haute-AIfaçe, & tombèrent
furies différents quartiers des ennemis , qui
furent touts attaqués en même temps , fans avoir
eu aucune connoiflance du mouvement général de
l’armée de M. de Turenne.
Cet exemple fervira à faire connoître qu’il
faut être toujours attentif fur les moindres mouvements
qu’un général habile fait faire à fes troupes,
parce que l’on doit être perfuadé qu’il n’en fait jamais
faire d’inutiles, & qu’ils cachent toujours un
deffein, & conviennent à fon exécution.
En l’année 1676 , M. le maréchal de Schomberg
fit une fort belle marche pour fe retirer de devant
M. le prince d’Orange , après lui avoir fait lever le
fiège de Maëftricht. Il étoit fort inférieur à ce
prince, qui vouloit le combattre cependant il fut
fi bien ménager fes mouvements & fe couvrir du
Jaker , qu’il entra enfuite dans la Méhaigne & gagna
Charleroy, fans qu’il fût poffible à M. le prince
d’Orange d’engager une affaire, quelque défit qu’il
en eût.
En 1667, toutes les marches de M. le maréchal
de Créqui devant M. de Lorraine, furent belles &
fa vantes. Ce maréchal, durant quatre mois, ne perdit
jamais fon ennemi de vue , & s’oppofa toujours
de front à touts les mouvements en avant qu’ il
voulut faire, foit pour entrer en Lorraine du côté
de la Saare, foit pour paffer la Meufe du côté de
Mouzon , fans que dans aucun des mouvements
hardis que M. le maréchal de Créqui fit faire à fon
armée, M.de Lorraine pût trouver l’occafion de le
combattre ; parce que M; de Créqui , qui vouloit
éviter un engagement général, compaffa fi fage-
ment jufqu’à fes moindres mouvements , qu’il ne
donna jamais à ce prince aucun temps qui pût lui
Art Militaire, Tome III%
procurer la poiîîbilité de combattre avec apparence
d’un fuccès heureux.
Tout ce qui a été fait par M. le maréchal de Créqui
dans le cours de cette campagne , a trouvé fa
règle dans la difcuffion des différents objets qu’une
armée peut avoir pour marcher.
Il eft certain que ces marches ont toutes eu
quelque partie des préceptes & des attentions
qu’un général doit avoir lorfqu’il fait marcher fon
armée , différemment appliquée fuivant la confti-
tmion particulière du pays où il s’eft-trouvé dans
la néceflïté de s’oppofer aux mouvements de fon
ennemi.
Il commandoit en 1694 l’armée du roi en ,
Flandres fous M.le Dauphin. L’armée étoit campée
à Vignamont, Hui & la Meufe derrière elle ;
celle des ennemis étoit campée à Tavières , la
droite appuyée à la Méhaigne. Par ces deux pofi-
tions il eft aifé de voir, qu’après touts les fourrages
de ce pays également confommés par les armées
, l’ennemi n’ayant plus rien à craindre pour
Liège , ne pouvoit avoir d’autre parti à prendre que
de venir finir fa campagne en Flandres , en occupant
Courtrai avant nous , & en s’affurant par-là
les fourrages d’entre la Lys & TEfcaut, & le porte
de Courtrai, pour y faire hiverner un corps confidérable
de troupes. M. le prince d’Orange crut
qu’il feroit aifément ce mouvement, parce que
pour l’exécuter, il avoit au moins trois ou quatre
marches fur. l’armée du roi.
Cependant M. de Luxembourg qui étoit dans,
une attention continuelle fur les mouvements de
l’ennemi, commençoit la fienne.
Pour cet effet, quelques jours avant que l’ennemi
fe mît ep mouvement, il fit avancer fur fa
marche des brigades de cavalerie jufqu’à la hauteur
de la Buffière fur la Sambre, fous prétexte de cou*
vrir le pays d’entre Sambre & Meufe contre les
courfes de l’ennemi, & fit faire une diligence fi
extraordinaire à toute l’armée, dès qu’elle commença
à marcher, que fa tête arriva à Haute-Rive ,
fur l’Efcaut, quelques heures feulement avant la
tête de l’armée ennemie. Cette avance lui fuffit
pour empêcher M. le prince d’Orange de faire des
ponts fur l’Efcaut, & l’obliger d’aller paffer cette
rivière à Oudenarde , & la Lys auprès de Gand ,
pour aller finir fa campagne à Rouffelaer , fans
avoir pu empêcher M. de Luxembourg de faire
fubfifter l’armée le refte de la campagne aux dépends
de la châtellenie de Courtray & des Efpagnols
, & même au-delà de la Lys.
Touts ces exemples de belles marches fuffifent
pour faire connoître l’utilité dont elles ont été
pour les fuccès avantageux qu’elles ont produits ,
& quelle a été la différence de la capacité des généraux
qui les ont faites , d’avec celle des généraux
qui les ont commandées depuis ce temps-là. ( Mém.
de Feuquières ). Voye{ CAMPAGNE DE C rÉQUI ,
Puyfégur t art de la guerrç.