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ù u journal littéraire militaire!
Depuis Tannée 166^ * où Denis de Solo fit imprimer
, pour la première fois , le journal des fa*
vants, les ouvrages de ce genre fe font infiniment
multipliés ; on a confacré à chaque fcience , à
chaque art un journal particulier , ou on lui a
•donné, au moins, un efpace confidérable dans
ceux qui embraffent un grand nombre d’objets.
Nous n’examinerons point aujourd’hui fi la multiplicité
des journaux a été utile ou nuifible aux
ïciences ; fi elle leur a fait perdre plus en profondeur
que gagner en furface ; fi elle a fait, en un
jn o t , plus de bien que de mal ; pour nous déter-
. miner à dire que les journaux font devenus néc.e fleures
, & même précieux , il nous fuifit de favoir
crne les françois de nos jours.les aiment infiniment,
oc qu’ils n’achètent , & fur-tout qu’ils ne lifent
prefque plus que des livres de ce genre. Ce que
nous venons de dire des François en général, efi
particulièrement applicable aux militaires ; tel officier
qui n’auroit peut-être jamais ouvert un traité
complet fur l’art de la guerre , fi on le* lui avoit
offert le même jour & ifolé, le lira fi on lui préfente
feuille à feuille, pour ainfi dire morcelé, &
entouré^ de quelques objets qui puiffent piquer fa
curiofité. Je fais bien qu’un journal femblable à la
plupart de ceux que nous poffédons , ne peut donner
à la claffe d’hommes pour laquelle il ferable
principalement fait, toutes les lumières qui leur
font néceflaires ; mais des notions, quelque fu-
perficielles & imparfaites qu’elles foient, ne font-
elles pas préférables à l’ignorance entière ? Un médecin
qui craint de dégouter & de rebuter un malade
, le plie à fes goûts , & même à fes caprices ;
il ne lui donne d’abord que des potions fimplçs , j
douces & agréables ; il n’ignore point cependant
qu’en déguifant & mélangeant les remèdes qu’il
employé^ il leur fait perdre une grande partie de
leurs vertus, & que par fa condefcendance il retarde
le moment de ia parfaite guérifon ; mais il
aime mieux agir avec lenteur , que ne point agir
du tout; arrêter les progrès du mal, en le combattant
par des palliatifs , que lui laiffer, par une entière
inaâion ,4 e temps de jetter des racines plus
profondes ; par cette conduite pleine de fageffe,
il gagne peu-à-peu la confiance de fon malade , &
lorfqu'il l’a accoutumé à la vue des po.tions épaiffes
ôc troubles , & au goût des faveurs amères eu
fades , il va droit à fon objet, & préfente, fans
préparation & fans mélange, les remèdes les plus
convenables. Pourquoi n’imiterions-nous pas cette
conduite fage ? Un journal militaire qui renferme-
roit un mélange artiflement fait, d’objets agréables
& d’objets utiles , nous en offriroit lé moyen ; il
feroit parvenir d’abord jufqu’aux guerriers qui ont
h plus d’averfion peur le travail & même pour la
j o u
leéture, ce qu’il y a de moins épineux dans l’art
militaire, & avec le temps il pourroit leur offrir
ce qu’il a de plus fec & même de plus rebutant.
Ne peut-on pas efpérer d’ailleurs , que dans le
nombre des militaires il s’en trouvera quelques-uns
qui, excités par les traits détachés qu’ils auront
1 trouvé copiés dans le journal, voudront connoître
& etudier l’enfemble du deffein original ; ainfi
d une maniéré ou d’autre , l’inftruélionfe propagera.
O u i, je n’héfite pas à le dire, un journal militaire
tel que je le conçois, & exécuté par des mains
adroites & habiles , feroit un des ouvrages les plus
utiles aux guerriers , & dont le gouvernement tirer
roit les avantages les plus grands.
Pour prouver que ce que nous venons d’avancer
fur les avantages d’un journal militaire , efi dans la
vérité la plus exafte, il nous fuffira de jetter un
coup-d’oeil fur les objets qui devroient être traités
dans cet ouvrage, fur là manière dont chacun de
ces objets devroit y être préfenté, fur les qualités
des rédaéleurs, & fur Tefpèce de fecours que le
gouvernement devroit & pourroit lui donner ; fecours
qui, je dois le dire d’avance , femblables à
ceux que diftribuent les gouvernements fages ,
donneroient des retours confidérables, fans forcer
à desdépenfes & fans préfenter d’inconvénients.
Avec de Tefprit & du goût , & aujourd’hui
beaucoup de gens en ont ou croyent en avoir, ©n
peut, dans un efpace de temps affez court , 8c
même dès la plus tendre jeuneffe , compofer un
roman agréable, une épître en vers digne d’être
citée ou tranfcrite, un drame recommandable par
fon erifemble ou fes détails , 8tc. ; auffi un journal
defii né à faire connoître les ouvragés de littérature
, peut aifément être rempli d’extraits de livres
nouveaux ; mais comme un traité fur un art ou
une fcience quelconque , ne peut être le fruit d’un
caprice ou l’apprentiffage d’un jeune écolier ;
comme ce pénible ouvrage demande des expériences
fouvent répétées , des recherches profondes
, beaucoup de temps & de foins , il efi im-
poffible qu’un journal uniquement cdnlacré à une*
clafiè particulière de favants, puiffe fe borner à
faire connoître les produélions nouvelles qui leur
font relatives ; le journal militaire ne doit donc pas
fe contenter , comme les journaux littéraires ,
d’extraire les ouvrages nouveaux; mais il doit, à
Tèxemple du journal de phyjîque, recueillir & offrir ,
les meilleurs d’entre les mémoires particuliers relatifs
à chacune des branches nombreufes de l’art
des guerriers. Cette différence entre un journal militaire
& un journal littéraire, ne doit pas , ce me
femble, être la feule ; celui-ci ne paroît deftiné qu’à
piquer la curiofité des leéleurs , & qu’à leur donner
envie d’acheter les ouvrages nouveaux ; celui-là
doit préfenter , de chaque çompofition , un deffin
affez exaél & fait fur une échelle affez grande ,
pour mettre ceux qui le confidèrent avec attention ,
dans le cas de fe paffer du tableau original ; il feroit
encore à défirer que le journal militaire, ne fe borfiant
ni au x mémo ires pa rticu liers , ni au x liv re s
n o u v e au x , rem ontâ t ju fq u a u fiè e le où la. gu erre
a com men cé à mériter en F ran c e le nom d a r t , &
qu ’il an a ly fâ t fu c c e f iiv em en t de la manière que
n o u s v en o n s d’in d iq u e r , touts les o u v ra g e s fur
l ’art militaire qui , dep uis c ette é p o q u e , o n t é té
com p e fé s .o u traduits en fran ç o is . C e tra v a il fe roit
lo n g & ép in e u x , mais fo n utilité fe roit grande- En
tirant de la pouffière dans laq u e lle ils fo n t en le v e -
l i s , un nom b re très con fid éra ble qle liv r e s p r é c
ie u x . en nous les préfentant d égages d es réfle xions
fo u v e n t puériles dont leu rs auteurs le s o n t a c com pa
gnés , d es pré ju g és fa u x qu i le s o b fcu rc iffen t St
les ren d en t q u è lq u e fo is d a n g e r e u x , e n no us les
offrant fou s des fo rm e s tout-à-fa it mode rne s St r e v
ê tu s d un c o lo r is ag ré able 3 on rép and roit le jo u r
le plus h e u r eu x fu r le b e rc e a u d e 1 art militaire , .
fu r fa ma rche & fu r fe s p ro g rè s ; on n o us feroit
c on n o ître les obje ts qu i o n t été n é g ligé s o u ou-
Jolies ; on n o u s emp ê ch e roit de re tom b e r dans les ;
erreurs an cien n es ; on no us in diqu ero it a v e c clarté
le s parties de l ’art v e r s le sq u e lle s no us d e v on s d ir
ig e r nos é tudes ; on nous o ffriro it , en un m o t .,
une b ib lio th è q u e m ilitaire c o in p le t t e , fa ine & peu ;
v o lum in e u fe .
N o n con ten ts d e fa ire fu r les o u v ra g e s di.da.c- ■
tiq u es militaire s le travail, d on t nous v en o n s de
d o n n e r une id é e , les jo u rn a liffe s d e v ro ien t en c o r e
le con tin u e r fu r les mémo ires h iflo r iq u e s c om p o fe s
pa r des militaires cé lèb re s o u pa r d es témoins
o cu la ire s d es é v é n em en ts qu ’ ils rap po rtent. S i cette
m in e ab on d an te é to it e xp lo ité e a v e c to u t le fo in
q u ’ e lle m é r ite , e lle d o n n è ro it un nomb re in fini de
fa its auffi cu r ieu x qu ’in ffru élifs. Ces. faits é p u r e - .
ro ien t les ma ximes tracé es par les é cr iva in s didact
iq u e s , 8c fi Ton peut s’e xpr imer a in f i, ils le u r fer-
v ir o ie n t de pier re d e to u ch e . P o u r ren dre ce d ou b le
tra v a il auffi piquant qu ’ utile , on d e v ro it m en e r de
fro n t le s mém o ires h ifto riqu es & le s o u v ra g e s di-
d a é liq ù e s ; mais com m en c e r toujou rs^par les p r e m
ie r s . \Voye{ d ans c e d iâ io n n a ir e l ’a r tic le H ISTOIRE
) . J’o fe c roire q u e le s e xtraits q u e je pro-
p o fe po u r ro ien t r em p la c e r , ju fq u à un certa in,
p o in t , un ouv rage , b ien n é ceffaire , & qui n o us
m an qu e c ependant!, un e h iflo ire g én é ra le militaire:
fr a n ç o ife . ;
Q u o iq u e n o u s n’a y o n s p o in t n om m é ju fq u ’ic i
le s m ém o ire s h iffo r iqu e s 8c les liv r e s didaéliques
relatifs à la ma rine n o tre in tention n’a po int été
d e les e x c lu re d e la b ib lio th èqu e militaire ;. la con -
n o iffan c e des écrits q u e les grands marins no us o n t
laiffés & le s a étions qu ’ils o n t faites , e ffa u ff i effen-
t ie lle p o u r les militaires q u i.fe rv e n t fu r m e r , que'
le s premiers extraits d o n t n o u s a v o n s pa rlé , fo n t
n é c effa ire s au x gu er r ie r s qu i fe r v e n t fu r te rre .
L e journal militaire d e v ro it offrir e n c o r e une g ale
r ie com p o fé e d’une lo n g u e fu ite de tab le au x . O n
y v e r ro it le p o rtrait d e touts les g ra n d s . h om m e s
fran çois & é tra n g e r s qu i fo fo n t fa it l ia n om pa r
«LssaéÜons m ilita ire s , g ran d e s & u t ile s . C e s p o r t
traits ne fe ro ien t po int peints en miniature ; les
traits mâ les des h é ros p e r d r ô ie n t 't r o p s’ ils é to ien t
ainfi réduits. Pour, p o u v o ir c o n fe r v e r à cha cun la
v é r ita b le p h y fio n om ie , & ne pas la iffe r à l'im a g ina
tion du p e in t re le fo in de trt-cer les c o n to u r s ,
on n e r em o n te ro it po int .au-delà du qu a to r z ièm e
fiè e le ^quels e ffets h e u reu x çves pe inture s ne produ i-
ro ie n i-e lle s pas fu r T efp rit des je u n e s . militaires ,
fu r to u t fi e lle s é to ien t T o u v ra g e d’ artifies q u i
euffent l’art d e fa ire reffortir lés traits le s plu s
b e a u x , & d e je tte r u n v o i le épais , o u au moins-
ad ro it , fu r c eu x q u i n e fe ro ien t po int c o n fo rm e s
au x b e lle s p r o p o r t io n s ... .
Q u a n t au x gu er r ie r s re com m a n d ab le s pa r leu r s
v e r tu s o u l e u r s 't a le n t s , q u e la F r a n c e p e rd ro it
d o rén a v an t , fe iir nom 8c. leu r s 2étions fe ro ie n t
con fign é e s dans le n é ç ro lo g e militaire q u i f ç r o i t
pa rtie du journal' C e n é c rô lô g é fe roit p o u r n o u s
c e q u e la t r ib u n e 'a u x h a r a n g u e s 'é to it p o u r l ’an cien
n e G r è c e . A p r è s une b a taille , un o ra teu r y
pro n on ee ro it l ’é lo g e d e touts les gu e r r ie r s q u i au -
ro ien t p e rd u la v ie le s armes à la m a in , o u q u i
au ro ien t fe u lem e n t r e çu q u e lq u e g ra v e bleffure^
C e g en re de r é ç om p e n fe , il y ’ a lon g temp s qu ’oni
la r em a rq u é , e ft in finiment agré able au x F ran ç o is ;>
e lle le d e v ie n d ro it én eo re d a v an ta g e , fi e lle n’é -
to it acco rd é e qu ’au v r a i mé rité , & fi e lle é to it d is tr
ib u é e par des homme s jù ffes & d ignes ap p ré cia teurs
d es ta le n ts & des v e r tu s militaires.
L i i i f t o i r é de ch a cu n des co rp s de la m i li c e
fran ço ife d e v ro it,au ff i tro u v e r fu c c è ffiv em en t p la c e
dans le journaljnilitaire ; l e s . rédaéteiirs fe ro ie n t
c o n n o îtr e c e q u ’ils o n t été , c e q u ’ils Ont fa it & c e
q u ’ ils font. ‘C e t te h ifto ire je tte ro it un g ran d jo u r
fur liii f to ir e g én é ra le , 8d me ttroit en lum iè re b e a u c
ou p d’aétions d ignes d ’ê tre com pa ré es à c e lle s q u i
o n t ren du les G r e c s 8c les R om a in s l’o b je t de n o t r e
admiration.
L e récit d es opéra tio n s militaires d e v ro it , en'
temps de g u e r r e , o c c u p e r un e fp a c e co n fid é ra b le
dans le journal. L é s autres o u v ra g e s p é r io d iq u e s
d e v r o ie n t , dans to u ts les t em p s , ê tre aflre im s à
n’en p a r le r qu ’à près 8c d’après c e lu i- c i. Il im p o r te
au g o u v e rn em e n t qu e les n o u v e lle s de l ’a rmé e n e
p a rv ien n en t au p u b lic qu e p a r un e v o ie qui p u iffe
l ’en in flru ire fu rem en t ; lui fa ire fe n tir tout le p r ix
d es a v an ta g e s q u e les trou p es o n t rempo rtée s , &
lu i m o n t r e r , après les défaites", to ute s les reffources-
q u i leur r e flen t. O n p f é v ie n d r o i t , pa r cette e fp è c e
d e p r iv i lè g e é x c lu f i f , ces pamphlets ca lom n ie u x
d o n t o n a c cab le t r o p fo u v e n t le s g én é rau x d ’a r mé
e ; les fauffes jo ie s qu i fo u v e n t c au fe n td e g ran d s
' maux , le s n o u v e lle s a p o c r yp h e s qui p o r ten t la
c rain te 8c le t ro u b le dans les p ro v in c e s le s plus r e cu
lé e s . C e p r iv i lè g e qu e n o us d eman d on s fe ro it
u tile aü g o u v e rn em e n t ; il nui ro it in fin im en t p e u
au r e f fê des p a p ie r s p u b lic s , & i l affu rero it a u x
rédàéteùrs d u journal militaire u.n nom b re de fo o f -
c r ip teu r s affez con fid é ra b le po u r le s d éd om m a g e r
de leu r s a v a n c e s , & pour leu r pe rm e ttre de jo in d r a